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jeudi 13 mars 2025

Les Disparus de Saint-Agil (1938), L'Enfer des Anges (Christian-Jaque, 1940): Christian-Jacque, Mouloudji et Debord

L'Enfer des Anges

 La Zone, Saint-Ouen, Marcel Mouloudji...

Ce film fut sélectionné pour la première édition du festival de Cannes en septembre 1939, annulée pour cause d'entrée en guerre.

Le festival a été voulu par le ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts Jean Zay (contre la Mostra de Venise des fascistes). Le gouvernement de Vichy le jettera en prison en août 1940 et il sera assassiné par la Milice en 1944.

Le film a vraiment été réalisé dans la Zone de Saint-Ouen où n'entrait pas qui voulait, il aura fallu que le réalisateur et son équipe soient chaperonné par un infirmier bénévole dont les habitants avaient la confiance. On y perçoit ainsi l'ambiance que pouvait avoir Aubervilliers –aussi dans la Plaine Saint-Denis– que Debord découvre au début des années 1950 et notamment le quartier espagnol. 

La "Zone", dont Saint-Ouen n'est qu'une fraction: cet espace géographique et historique est aujourd'hui recouvert par le Périphérique, et retourner à ce qu'il était c'est capter la dérive et la psychogéographie dans ce qui fut son jus initial.

 
Que l'intro... 

Les Disparus de Saint-Agil

L'Enfer est un film à voir avec un film précédent de Christan-Jaque, Les Disparus de Saint-Agil, prix Jean Vigo. Même scénariste: Pierre Véry. Avec Mouloudji aussi. On y sent la guerre qui arrive. Complotisme, les enfants forment une "société secrète", ils sont un peu plus âgés que Guy Debord mais c'est une même génération d'esprit (celle de l'entre-deux-guerres...et des sociétés secrètes). Debord connaîtra et admirera Mouloudji. Dans ce film les gosses rêvent de voyage, d'évasion, délirent sur les cartes du monde, montent des plans de fugue, et Mouloudji la fait vraiment, il "embarque"... 

Mais avant, il y à l'espace du pensionnat. Seule salle en gradin de l'établissement, la classe de sciences naturelles, avec Martin le squelette, fait communiquer le rêve et la réalité. C'est au près du squelette que se tiennent les réunions de la société secrète, mais aussi que se trouve le tableau noir coulissant...


Pour comprendre le climat mental de l'entre-deux-guerres, et en particulier celui du très jeune Debord, ces deux films sont un bon plongeon.
Leur "relief dramatique" est à saisir ensemble: dans Les Disparus, les jeunes protagonistes sont pensionnaires d'un collège privé, ils rêvent d'ailleurs, c'est une jeunesse privilégiée par rapport à celle de L'Enfer, des misérables ayant comme seule perspective le vol pour s'en sortir un peu. Debord aura fait le voyage mental de la première à la seconde de ces jeunesses comme s'il empruntait la médiation "mouloudjienne": de la villa de Cannes au bar en tôle d'Aubervilliers.

samedi 27 janvier 2024

Aux sources de la psychogéographie: une première occurrence du "fantastique social" en 1924

Il semble que l'on puisse remonter jusqu'à 1924, dans l'article suivant de Mac Orlan sur le peintre George Grosz, pour trouver la première mention du "fantastique social" en France (la fiche wikipédia signale une de ces conférences au Théâtre du Vieux colombier –dédié aux films d'avant-garde– sur le cinéma fantastique en 1926). Mac Orlan l'a repéré chez d'autres, mais il est surtout lui-même le principal exposant de cette notion par ses chansons et ses récits: un grand créateur d'atmosphères, amplement distillées dans le cinéma des années 1930-40. 

Le fantastique social est l'une des sources majeures du sentiment psychogéographique, il conforme le pathos inhérent aux premières dérives et induit une esthétique attendue. Cette forme de "tragique d'aventure" correspond notoirement au moi romantique de Debord, unifiant son oeuvre et sa vie dans le temps –et jusqu'à l'automythographie de soi. 

À cet égard, Mac Orlan occupe une place importante dans son panthéon littéraire ( alors qu'il s'agit d'un auteur habituellement considéré comme mineur). Mais ce qui m'interpelle pour l'instant c'est cette filiation plastique allemande; à travers la fragmentation cubofuturiste et l'enfièvrement expressionniste, elle détermine une vision conflictuelle et riche de la nouvelle vie urbaine née dans la ville la plus moderne d'Europe, Berlin. Entre aliénation et spectacle permanent.

 
George Grosz, Metropolis, 1916-17 (musée Thyssen-Bornemisza, Madrid)

 PIERRE MAC ORLAN 

George Grosz 

L'Europe attentive, les passions dont elle dispose, la révolte assoupie, le jeu triomphant de filles sottement éprises de voluptés chimiques, les médiocres bourgeois lâchés en liberté et la rue  elle-même ont trouvé leur poète dans l'étrange et puissante personnalité de George Grosz, que Frans Masereel et Joseph Billiet présentent aujourd'hui au public français, et pour la première fois.

Depuis la guerre, une sorte de fantastique social a été créé un peu partout chez tous les peuples européens qui se sont battus. Le sang des hommes a perdu sa valeur tragique et le mystère des visages s'est accru. Les classes sociales qui, il y a encore dix ans, possédaient des traditions respectives qui les différenciaient, se sont mêlées dans les nouvelles combinaisons des lumières de la rue, dans la malhonnêteté provisoire qui mène les hommes à la conquête du plaisir réalisé le plus rapidement possible. Si les hommes, depuis la guerre, peuvent se distinguer de ceux qui les précédèrent, c'est un peu par leur obéissance passive aux lois de la vitesse. Tout tourne plus vite. Et les anciens mots qui tournaient autrefois à 120 tours par exemple, tournent aujourd'hui à 2000 tours. Le mécanisme de la langue ne peut les suivre. Nous manquons de mot pour réaliser l' “expressionnisme” de notre époque. 

Grosz a trouvé la langue nécessaire à l'épanouissement de sa vision. Qu'il découpe une photographie et qu'il l'associe à son extraordinaire intelligence du fantastique et de la misère homicide, c'est, par tous les moyens la lutte pour arriver directement au but. Il voit les choses et les hommes en transparence, il mêle aux éléments nobles de la révolution les odeurs essentielles de la vie populaire où le sang se chambre à la température de la rue. Je ne connais rien de plus tragique que l'oeuvre  de ce jeune homme émouvant et affectueux. Toute la rue et les intermédiaires de la rue s'animent dans une frénésie féerique, ordurière et brutale, celle de la vie quotidienne. [...]

Pierre Mac Orlan, George Grosz, préface du catalogue du catalogue de l'exposition George Grosz, Joseph Billiet, Paris, 1924.