Article épinglé

jeudi 17 avril 2025
mercredi 16 avril 2025
Antologion (Aleksander Balagura, 1996)
ANTOLOGION - en grec ancien : « couronne de fleurs, récolte de passages poétiques... » Antologion est un film d’assemblage - une tentative d’imagination d’un film unique avec sa propre trame, sa propre esthétique, sa propre intonation, une tentative de créer un entrelacement organique unique, un ciné-rhapsodie, en le basant sur des fragments de films classiques produits en Ukraine pendant la période soviétique. Ce film est un hommageau centenaire du cinématographe.
dimanche 16 mars 2025
jeudi 13 mars 2025
Les Disparus de Saint-Agil (1938), L'Enfer des Anges (Christian-Jaque, 1940): Christian-Jacque, Mouloudji et Debord
L'Enfer des Anges
La Zone, Saint-Ouen, Marcel Mouloudji...
Ce film fut sélectionné pour la première édition du festival de Cannes en septembre 1939, annulée pour cause d'entrée en guerre.
Le festival a été voulu par le ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts Jean Zay (contre la Mostra de Venise des fascistes). Le gouvernement de Vichy le jettera en prison en août 1940 et il sera assassiné par la Milice en 1944.
Le film a vraiment été réalisé dans la Zone de Saint-Ouen où n'entrait pas qui voulait, il aura fallu que le réalisateur et son équipe soient chaperonné par un infirmier bénévole dont les habitants avaient la confiance. On y perçoit ainsi l'ambiance que pouvait avoir Aubervilliers –aussi dans la Plaine Saint-Denis– que Debord découvre au début des années 1950 et notamment le quartier espagnol.
La "Zone", dont Saint-Ouen n'est qu'une fraction: cet espace géographique et historique est aujourd'hui recouvert par le Périphérique, et retourner à ce qu'il était c'est capter la dérive et la psychogéographie dans ce qui fut son jus initial.
Les Disparus de Saint-Agil
L'Enfer est un film à voir avec un film précédent de Christan-Jaque, Les Disparus de Saint-Agil, prix Jean Vigo. Même scénariste: Pierre Véry. Avec Mouloudji aussi. On y sent la guerre qui arrive. Complotisme, les enfants forment une "société secrète", ils sont un peu plus âgés que Guy Debord mais c'est une même génération d'esprit (celle de l'entre-deux-guerres...et des sociétés secrètes). Debord connaîtra et admirera Mouloudji. Dans ce film les gosses rêvent de voyage, d'évasion, délirent sur les cartes du monde, montent des plans de fugue, et Mouloudji la fait vraiment, il "embarque"...
Mais avant, il y à l'espace du pensionnat. Seule salle en gradin de l'établissement, la classe de sciences naturelles, avec Martin le squelette, fait communiquer le rêve et la réalité. C'est au près du squelette que se tiennent les réunions de la société secrète, mais aussi que se trouve le tableau noir coulissant...
dimanche 9 mars 2025
vendredi 7 mars 2025
The Apprentice (critique)
SOURCE: https://www.legrandsoir.info/the-apprentice-critique.html

Le personnage de Donald Trump est internationalement connu de tous pour figurer autant parmi les objets couverts d’opprobre par la presse que parmi les fédérateurs de toutes les extrêmes droites et bourgeoisies ultra-réactionnaires.
Ainsi, afin de révéler qui est réellement le nouveau président des États-Unis, au-delà de son bronzage artificiel, nous pensons que l’occasion se prête à discuter du film biographique de l’irano-danois Ali Abbasi, The Apprentice (2024), sorti à la veille des élections présidentielles étasuniennes, décrivant l’ascension de Trump et la construction de son personnage dans les années 1970-1980.
Origines romanesques
Il convient, dans un premier temps, d’éclaircir la zone d’ombre qui pèse sur l’origine du film biographique saturant les écrans contemporains.
Le genre cinématographique du film biographique puise son origine dans un genre particulier de roman, majeur au XVIII-XIXème siècle : le bildungsroman, en allemand, qui se traduit par roman d’apprentissage ou roman de formation, en français. L’œuvre de Goethe a grandement contribué à la définition du genre, notamment grâce à son roman-fleuve Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, écrit en 1795-1796. Il narre l’histoire d’un jeune homme qui, au fil de ses aventures, en apprend plus sur lui-même et sur le monde, mettant en jeu, ainsi que Bakhtine, le critique soviétique, le remarque dans son ouvrage portant sur le sujet (Esthétique et théorie du roman), la dialectique du subjectif et de l’objectif sur le long terme de l’existence humaine individuelle : « [dans le roman de formation,] l’homme se forme en même temps que le monde, il reflète en lui-même la formation historique du monde. [...] L’image de l’homme en devenir perd son caractère privé (jusqu’à un certain point, bien entendu) et débouche sur une sphère toute différente, sur la sphère spacieuse de l’existence historique” (Moretti, 2019). L’essor de ce genre littéraire coïncide avec la Révolution française et les idéaux des Lumières, qui ébauchent l’espoir de l’individu émancipé, en dialogue avec la société, mais également à distance avec elle, d’où l’influence certaine d’un romantisme relatif. Ce qui ressort de ce genre, c’est sa volonté à la fois subjective et objective d’inculquer au lecteur une façon de vivre, d’appréhender le monde, de parvenir en quelque sorte à une espèce d’euthymie, dans la découverte, comme dirait Lukacs, de la “claire connaissance de soi” (Montandon, 2019). Et ce n’est pas prendre ses désirs pour réalité que d’imaginer pouvoir influencer durablement et fortement le lecteur via une œuvre littéraire – Goethe en sait lui-même quelque chose. À titre d’exemple, prenons son premier roman, Les Souffrances du Jeune Werther, paru en 1774, qui met en scène le personnage principal s’ôtant la vie. Résultat : il a été scientifiquement prouvé que le taux de suicide, suite à la parution du livre, a explosé en Europe (Manina Mestas, 2024 ; Jack, 2014).
Pour les lecteurs étrangers à la littérature allemande, notez qu’Emile, ou de l’éducation de Rousseau, L’Éducation sentimentale de Flaubert, ou encore Le Père Goriot de Balzac, sont tous trois des bildungsroman (Fabienne Payoute, 2020). Le cinéma, apparu à la fin du XIXème siècle, ne pouvait donc l’ignorer, s’essayant ainsi dès ses débuts au film biographique en français.
L’inversion dialectique du bildungsfilm
Les films biographiques ont toujours existé, mais deux âges d’or historiques les ont placés au premier plan. Il y a celui des années 1930, qui, pour le chercheur Rémi Fontanel, “a mis en place un système où la précision documentaire joue un rôle prépondérant. La ligne éditoriale est engagée, humaniste et éducative : on raconte les vies de Pasteur, Zola, Juarez. On véhicule des valeurs pour revitaliser le moral d’une nation. On s’adresse à des citoyens. Après-guerre, on s’adressa à des consommateurs en privilégiant l’entertainment”, et celui que l’on connaît aujourd’hui, ayant débuté dans les années 1980-1990. Fontanel précise que deux types de films biographiques restent prépondérants : ceux sur les entrepreneurs, et ceux sur les groupes musicaux, défendant la méritocratie et le développement individualiste. En effet, bon nombre de films biographiques racontent la vie d’une vedette ayant réussi à tout rafler grâce à son génie et à sa volonté surhumaine (The Social Network, Le Loup de Wall Street). Le but est toujours de valoriser le sujet du film, de faire en sorte que sa vie nous paraisse enviable. Même si des films comme Le Loup de Wall Street ou Scarface se finissent mal, et que certains “critiques” de cinéma toisent leurs admirateurs en prétendant qu’ils n’y ont rien compris, il en ressort que tout de même, la vie des personnages de ces films est cool, qu’en dépit de leur courte hubris, elle fut intense, si intense qu’elle est désirable. C’est ce que le public moyen retient, en témoigne le nombre de références dans la pop-culture de ces films. En fait, c’est comme si je vous faisais l’éloge pendant 2 heures d’une idéologie, et qu’à la fin de notre conversation, je finissais par ajouter de la contradiction, comme s’il fallait le faire parce qu’il fallait le faire. Encore une fois, ce qui compte dans l’analyse d’un film, c’est sa réception historiquement déterminée, en l’occurrence dans un monde gagné par le néo-libéralisme, car c’est principalement à cela qu’il est destiné. Effectivement, il se trouve que, depuis les années 1980-1990, l’idéologie néo-libérale du self-made-man trône, et que les films biographiques suivent en général bêtement son enseignement.
C’est en cela que The Apprentice réalise un tour de force : il inverse dialectiquement cette mécanique perverse qui régnait jusqu’alors en maître dans les films biographiques grand public.
Une lecture de classe ?
Avant d’entamer cette partie, je renvoie le lecteur à mon article sur l’investiture de Trump, disponible sur le site de la JRCF (“Trump à la Maison-Blanche”, 20/01/2025).
Le film s’ouvre sur la rencontre de Trump avec l’avocat Roy Cohn, son futur mentor. Celui-ci est d’emblée présenté comme un mafieux (éclairage en douche, gros balourds qui rient grassement autour d’une partie de cartes, volutes de fumées de cigares) se présentant à Trump dans un cynisme des plus assumés – qui fait penser à la doctrine d’Ayn Rand -, égoïste, individualiste, néo-libérale, somme toute, fasciste. Roy Cohn, c’est lui qui a envoyé les époux Rosenberg à la potence. Il hait les communistes et les homosexuels (bien qu’il en soit un). Plus qu’un mafieux, Cohn est le mal incarné, il est, dans le film, le diable qui ronge les États-Unis.
Mais c’est surtout un homme qui copine avec les grands, les bourgeois qui cherchent à maximiser leur profit par tous les moyens.
Cette rencontre tombe donc à pic pour Trump, qui voit l’entreprise familiale au bord de la faillite. Ses allées et venues dans les résidences Trump, visant à extorquer le moindre centime aux prolétaires qui y résident, la caractérisent comme vacillante en même temps qu’elles instaurent une distance entre lui et ces derniers. À table, son père raciste se plaint du frère de Trump, la “honte de la famille” en cela même qu’il est un pilote d’avion et non un entrepreneur comme son père l’aurait voulu. S’il en avait été autrement, peut-être qu’ils n’en seraient pas là. Mais Trump le rassure. Il lui fait signe que lui, il comprend, et qu’il a trouvé quelqu’un qui pourrait les aider.
Les premières manœuvres en justice de Roy Cohn démontrent les principes fondamentaux du trumpisme, que Trump ne lâchera jamais par la suite. Première règle : “Attaquer, attaquer, attaquer”. Deuxième règle : “Ne jamais admettre. Tout nier.” Troisième règle, “la plus importante de toutes” : “Peu importe à quel point tu es battu, tu déclares victoire et ne reconnais jamais la défaite”. Grâce aux pratiques illégales de Roy Cohn, le procès déterminant l’avenir de l’entreprise Trump se solde à la fois sur une victoire, mais aussi sur un apprentissage déterminant pour Donald.
Beaucoup parlent de pacte faustien pour décrire la relation entre Trump et Cohn, achevant de rappeler la prégnance de l’utilisation de la religion pour justifier la politique étasunienne. En effet, peu à peu, Trump perd son humanité en progressant dans le cynisme de son maître. Dans la deuxième moitié du film, l’élève finit classiquement par dépasser le maître, à ceci près qu’il le dévore ici tout cru. Le grain de l’image s’accentue, et le bal des masques de la télévision superficielle commence enfin. Trump, qui n’était resté qu’un personnage pour le moins passif, prend désormais l’initiative et s’affirme en véritable ordure, enchaînant les coups d’éclat.
En ce qui me concerne, le film m’a paru un bon film. Le montage frénétique, la bande-son ultra-présente et le jeu des acteurs surinvestis donnent à certains une impression de superficialité trop gênante pour comprendre la personnalité de Trump ; or, à mon avis, c’était la meilleure manière de se moquer d’un homme qui n’en a que faire de toute forme de critique construite ou rationnelle. C’est s’immiscer partiellement, dialectiquement, dans le bling-bling pour l’exploser de l’intérieur. Partiellement, dis-je, car contrairement au Loup de Wall Street, Trump n’est pas, me semble-t-il, valorisé comme l’est Jordan Belfort qui finit toujours par triompher en fanfare. Et pour cause : le sentiment global des spectateurs de The Apprentice se recoupe sous la détestation totale de Trump, présenté comme un suppôt de Satan (Roy Cohn) et du Grand Satan (le capitalisme étasunien).
Mais le film divise sur ce point-là, j’en veux pour preuve les arguments plutôt convaincants du critique de cinéma Pierre Murat : “Je ne vois pas où est la satire. Trump devient une sorte de grand Américain qui réussit des trucs. C’est tout ce que Hollywood a fait depuis des années et des années. Il montre l’évolution d’un capitaliste qui réussit. Quand on prétend démolir Trump et Roy Cohn et qu’on les exalte, surtout Roy Cohn, au point d’en faire un héros shakespearien, ou bien, c’est ça qu’il voulait, ou bien, il a totalement loupé son coup. » Murat assimile ainsi le personnage de Trump dans The Apprentice aux personnages de Tony Montana dans Scarface et de Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street.
Quoi qu’il en soit, il existe des sites internets dont l’accès est relativement facile et qui permettent de vous faire votre propre avis sur le film. Mais il faut savoir une chose : un film produit dans un pays capitaliste est destiné à être vendu à ses habitants, et là, même avec un Roy Cohn de gauche sous le bras, on n’arriverait pas à faire des miracles.
vendredi 10 janvier 2025
mercredi 8 janvier 2025
Un Homme Marche Dans La Ville (Marcello Pagliero, 1949)
FILM COMPLET:
https://m.ok.ru/video/1682563598958
Mr GILI, sur PAGLIERO, "l'italien de Saint-Germain-des-Prés":
SYNOPSIS ET COMMENTAIRE:
Rédigé par alexandre clement et publié depuis Overblog
C’est un film assez particulier. Une sorte de produit hybride entre le film noir et le drame social. Il a été réalisé par Marcello Pagliero qui n’est pas très connu en tant que réalisateur, si ce n’est pour son adaptation de la pièce de Jean-Paul Sartre, La p… respectueuse. Il a été aussi acteur et son nom se retrouve au générique d’un film malheureusement invisible aujourd’hui, de Jacques Deray, Symphonie pour un massacre. Franco-italien, il a fait carrière des deux côtés des Alpes.
On ne connait pas grand-chose de Jean Jausion[1] qui est à l’origine du roman. On sait que ce fut un jeune homme de bonne famille, plutôt porté vers la poésie et la littérature, il participa à des groupes littéraires plutôt proche des tendances surréalistes. Il était amoureux d’une jeune femme juive, Annette Zelman, avec qui il devait se marier, mais ce mariage n’eut pas lieu car le propre père de Jean Jausion la dénonça aux Allemands et elle fut déportée et mourut en juin 1942 à Auschwitz. Jean Jausion s’engagea dans la Résistance, participa à la Libération de Paris, puis fut tué en Allemagne alors qu’il s’y trouvait comme reporter de guerre. Son livre, son seul roman, sera publié de manière posthume en 1945 par Gallimard[2].
L’embauche sur les docks
Sur les docks du Havre, la vie est dure, l’embauche irrégulière et la paye maigre. Les dockers ont du mal à joindre les deux bouts et plus encore à se loger dans une ville ravagée par la guerre. Laurent est un de ceux-là, ouvrier mal embouché, il a un petit garçon avec Madeleine que son patron drague ostensiblement. Jean qui est chef d’équipe est son copain. Mais quand Laurent lui demande d’intercéder auprès du patron pour avoir une meilleure place, Jean va se heurter à une fin de non-recevoir, Ambilares « n’aime pas sa gueule ». Laurent lui en veut, comme il en veut à sa propre femme. Un jour qu’il travaille avec un noir un peu malade, ce dernier tombe de fatigue, le patron en profite pour virer Laurent. Ce dernier est d’autant plus en colère que sa femme est partie draguer Jean dans la ville. De fil en aiguille, et avec plusieurs verres dans le nez, Laurent va chercher à frapper Jean dans une partie déserte du port. Mais il s’est trompé de personne et a engagé une bataille avec un autre docker ivre qui le rosse et le projette dans la fosse où on répare les bateaux. Laurent meurt. Péniblement le lendemain on remontera son corps. La police évidemment mène l’enquête. Madeleine veut croire que c’est Jean qui, par amour, a tué Laurent. Celui-ci essaie de lui dire qu’elle fait fausse route, mais elle ne veut rien comprendre. La sœur de Madeleine est venue la soutenir dans l’épreuve, et Jean revient le lendemain pour porter une collecte que les ouvriers ont faite pour soutenir Madeleine et son gosse. Madeleine s’entête. Elle n’ira même pas à l’enterrement. D’abord elle relance Jean jusqu’au bistrot où il se noircit proprement, il l’envoie promener sans trop de ménagement, ensuite elle va le dénoncer à la police comme le meurtrier de son mari. Mais le commissaire qui a déjà enquêté sur Jean, ne semble pas trop la croire. Bientôt Jean est innocenté. Il s’en va voir Madeleine pour lui pardonner son attitude, mais c’est trop tard, elle s’est suicidée de désespoir.
Entre Laurent et Madeleine rien ne va plus
Le film comporte deux parties distinctes : il y a d’abord la misère ouvrière et les dégâts qu’elle engendre dans les familles. C’est raconté avec beaucoup de minutie, avec un sens du décor très réaliste. Les conditions de travail sont dures, et les intérieurs des maisons, misérables. Cela mène au drame, c’est-à-dire à la rupture de l’amitié entre Jean et Laurent, et la mort de celui-ci puis l’enquête policière qui forme la seconde partie. Ces deux parties sont très équilibrées, mais elles sont filmées de manière assez différente. La première partie met en scène le jour et le travail, la foule et les bateaux qu’on répare où qu’on décharge. La seconde se passe plutôt la nuit, les individus sont détachés de leurs fonctions, isolés par des ombres menaçantes. Si la première partie ressort de la littérature prolétarienne ou du néo-réalisme italien, la seconde se rapproche du film noir par l’utilisation des codes visuels. Mais il y a en plus quelque chose de poétique dans cette errance de Jean, ou même dans la manière des ouvriers de lever le coude. On boit en effet beaucoup, tellement même que le patron du bistrot cherche à freiner les consommations.
Dans une bagarre, Laurent fait une chute mortelle
L’atmosphère du film rappelle par moment L’Atalante, le chef d’œuvre de Jean Vigo. La ville du Havre est un personnage à part entière. Mais à l’époque c’est encore une ville en ruine, à l’image de ces vies prolétaires qui n’ont pas d’avenir. Elle a été en effet douloureusement touchée par les bombardements alliés, notamment britanniques, elle en a subi 132, et sa plus grande partie est rasée ! C’est la ville de Raymond Queneau qui disait ne plus la reconnaître, même si après la Libération on a mis des moyens importants pour la reconstruire. Le film se passe donc pendant cette reconstruction. La ville est marquée par son passé ouvrier, mais aussi par l’attrait du grand large. C’est bien ces lieux qui sont représentés dans le cinéma d’avant-guerre, Quai des brumes par exemple. L’attrait du grand-large, c’est forcément une ouverture sur le rêve. C’est à partir du Havre qu’on s’embarquait sur des grands paquebots pour aller en Amérique. Frédéric Dard dans les années cinquante célèbrera cette possibilité dans plusieurs San-Antonio, mais aussi dans des films comme L’étrange Monsieur Steve ou Trois jours à vivre. Evidemment la démocratisation de l’aviation a tué ce rêve de navigation au grand-large. Dans quelques scènes, Pagliero filmera des bateaux qui s’en vont au loin, comme s’ils avaient de la chance de pouvoir fuir cette ville en ruine. Et de fait cette mer si vaste et si calme dans le film s’oppose aussi bien à la fureur des hommes qu’au délabrement de la ville. Mais il reste encore quelques rues sombres autour du port, des rues où il peut se passer beaucoup de drames.
C’est l’occasion aussi de célébrer des figures centrales de l’imagerie populaire de ces temps-là. Le bistrotier, ancien boxeur, un peu traficoteur, notamment avec un Allemand un peu simple qui lui procure de l’alcool. La pute plutôt sympathique qui de temps à autre reçoit aussi un peu des gnons, et le gosse mélancolique et solitaire de Laurent et Madeleine qui ne dit jamais rien, subissant déjà les aléas de la vie et les moqueries de ses camarades. Le commissaire n’est pas tout à fait bon-enfant, mais enfin il fait son métier sans être trop pointilleux, comme s’il comprenait la misère dans laquelle baigne cette population qu’il est chargé de surveiller. Le patron, Ambilares, un rien concupiscant, pas très loyal avec ses employés, a aussi des réflexes humains, il aimerait bien que Madeleine le regarde un peu. Ça n’arrivera pas, elle est bien trop accrochée à son idéal ouvrier. Question de classe si on veut. Elle n’est pas très loyale pourtant avec son propre mari, mais de là à trahir sa classe, il y a un pas qu’elle ne franchira pas. Il y a aussi quelque chose de très juste dans les habits usés et mal foutus que portent les différents protagonistes, ça ne fait pas déguisement. Les prolos portent la casquette avec laquelle ils jouent parfois.
La sœur de Madeleine est venue lui apporter son soutien
La distribution est adéquate à son sujet. Comme le film se passe dans un milieu pauvre et prolétarien, on ne pouvait pas prendre des acteurs trop glamour. Le film est construit autour de Jean-Pierre Kervien qui était né au Havre. C’est lui qui incarne le prolo Jean Sauviot à la morale rectiligne qui ne veut même pas regarder la femme d’un copain, malgré les relances incessantes de Madeleine. Il faut dire que Saviot est un homme que les femmes regardent, sur lequel elles se retournent. Kervien ne retrouvera plus jamais un tel rôle, il sera abonné aux seconds rôles et aux séries télévisées. Ginette Leclerc est Madeleine. C’est une garce, et Ginette Leclerc en a joué des tonnes. Dans l’imaginaire populaire elle était d’ailleurs associée à la femme de mauvaise vie, sans doute est-ce cela qui lui a procuré des ennuis sérieux à la Libération. Après tout elle s’était moins compromise qu’Arletty. Ici c’est bien une garce, mais elle a des excuses, elle est une victime de la misère et de la fatalité. Robert Dalban incarne Laurent. Il est vraiment excellent, sans doute un de ses meilleurs rôles à l’écran. Il est encore jeune, et ses traits ne sont pas déformés encore par l’alcool. C’est lui la véritable révélation du film. Il a l’air moins figé que les autres acteurs, plus naturel. Il faudrait citer aussi André Valmy dans le rôle du commissaire et Dora Doll dans celui de la pute au grand cœur. Et puis bien sûr Yves Deniau qui joue Albert, le patron du bistrot un peu neurasthénique. C’est un acteur assez fin, peu théâtral, bien qu’il soit par ailleurs chansonniers, et qu’on a vu un peu partout dans le cinéma français des années trente jusqu’à la fin des années cinquante. En 1951, il retrouvera Marcello Pagliero pour La rose rouge, un film à la gloire du célèbre cabaret de Saint-Germain des Prés. Il n’avait cependant qu’un physique de bistrotier qui lui limitait l’accès à des rôles importants. Grégoire Aslan est Ambilares, le patron des dockers, cauteleux et méchant, il est aussi très bien. On verra également Fréhel, la grande chanteuse réaliste, dans le rôle d’une sorte de maman qui couve toute une tripotée de noirs qui se font exploiter honteusement sans oser rien dire.
Madeleine a donné rendez-vous à Jean
Sur le plan cinématographique, il y a dans ce film quelques scènes vraiment magnifiques, la remontée du corps de Laurent depuis le fond de la fosse de réparation des navires, l’attente de madeleine qui a donné un rendez-vous aléatoire à Jean. Ou encore lorsque le commissaire raccompagne Madeleine après le départ du train qui emporte son fils qu’elle a confié à sa sœur. Il y a une composition des plans qui est tout à fait étonnante. Les scènes de bistrot sont peut-être plus banales, quoique très justes sur le plan poétique et réaliste. On peut citer encore la scène finale qui voit Jean s’éloigner de la maison de Madeleine parmi les décombres de la ville, tandis que celle-ci a mis fin à sa vie misérable.
C’est une très bonne surprise que de retrouver ce film un peu trop négligé par la critique, sans doute à l’époque on devait trouver qu’il sentait un peu trop la transpiration. En tous les cas il offre une sorte de témoignage, non pas documentaire, mais sur les rêveries d’une époque révolue, il cerne peut-être mieux que beaucoup de livres savants la mentalité prolétaire et ses désenchantements.
Par dépit Madeleine dénonce Jean comme meurtrier
Jean repart après avoir laissé une lettre à Madeleine
mardi 24 décembre 2024
mercredi 1 mai 2024
Roma citta' libera (La notte porta consiglio), Marcello Pagliero, 1946
Une dérive d'une nuit dans Rome occupée/libérée. Un voleur philosophe enmène l'action, un petit cognac par-ci, un autre par-là, retour au même bistrot à l'aube. Le tout sur fond d'une histoire de perles qui fait avancer l'intrigue, mais le véritable protagoniste est cette nuit romaine entre survie et surréalisme, où surtout les femmes pâtissent, entraînant les parcours, les rencontres. C'est un peu triste, plein de nécessité, je l'adore ce "petit film". Vittorio de Sica, l'amnésique, deviendra ministre. Le couple qu'il fallait, sera. Le voleur continuera à soulager les portefeuilles le long des rues ("buon viaggio!").
Réalisateur: Marcllo Pagliero; Photographie: Aldo Tonti ; Musique: Nino Rota (la mélodie des Vitelloni).
mercredi 17 avril 2024
mardi 16 avril 2024
Avance avec le temps (Vladimir Tarasov, URSS, 1977)
lundi 15 avril 2024
dimanche 14 avril 2024
Tempête sur l'Asie (Vsevolod Poudovkine, URSS, 1928)
La dernière partie du film est un clip au montage constructiviste et totalement épique. Menées par le Gengis Khan rouges (Valéry Inkijinoff), les hordes mongoles, sabre au clair dans la lumière de la steppe, foncent sur le monde: RÉGÉNÉRATION, SUS AUX IMPÉRIALISTES!
dimanche 7 avril 2024
mardi 26 mars 2024
Notes sur "Charbons ardents" de Jean-Michel Carré, 1999
Les victoires prolétaires sont rares au cinéma et globalement dans les médias. C'est l'imaginaire de la victime qui prévaut plus que celui de guerrières ou guerriers épiques (à la manière de Bertolt Brecht par exemple). Ainsi, il est presque impossible de trouver un film mettant en scène la grève et encore moins une qui réussit, "qui paye" à la fin. Dans les films politiques italiens des années 1970, le grand public peut voir ce type de scènes alors qu'en France cette possibilité se cantonne au cinéma documentaire et militant (du genre Cinélutte).
Je ne pensais pas retrouver une victoire prolétaire dans un film (documentaire) des années 1990 et d'autant plus dans la Grande-Bretagne façonnée par Margaret Thatcher: elle avait détruit les mobilisations des mineurs dans les années 1980. Comme le dit un mineur dans Charbons ardents les mines ne furent pas fermées parce qu'elles n'étaient pas rentables mais pour en finir avec les mineurs: c'est-à-dire les mieux payés et organisés des prolétaires, ceux qui tiennent haut la bannière rouge.
L'accent du Pays de Galles je l'avais presque oublié depuis que j'y étais allé dans années 1980 justement, je n'y comprenais rien alors et c'est toujours aussi particulier, loin de la langue anglaise ampoulée-chic ou étriquée-globish, et la marque culturelle d'un Nous prolétarien puissant comme on le voit dans la vie sociale totalement imbriquée au travail des mineurs.
Dans Charbons ardents la victoire ne consiste pas en une simple amélioration des conditions salariales mais commence à ressembler à du socialisme. Le film est réalisé par Jean-Michel Carré (trotskyste?), il est difficilement trouvable (l'acheter?) mais permet de sortir du fatalisme que la lutte ne paie pas ou ne paie plus.
Après on voit bien que cette seule action ou victoire n'était pas en mesure de faire dévier le Labour party, le New Labour de Tony Blair, dans sa stratégie libéral-impérialiste et notamment en détruisant l'Irak. Ce fut une même logique d'asservissement opérant évidemment "inside" et "outside" et elle est passée par l'anéantissement culturel.
Dans le film de Carré, on voit bien la place de la culture ouvrière comme ferment du Nous prolétarien, son danger donc, et de même on pense à l'Irak non seulement pour les massacres perpétrés comme les 500.000 gosses morts de famine et pour la "bonne cause" selon Madeleine Albright, mais pour la destruction du patrimoine du berceau des civilisations (le 9 avril 2003, Bagdad tombait. Robert Fisk, le légendaire correspondant au Proche-Orient du quotidien londonien The Independent, écrivait sur les jours suivants: "Si le 9 avril fut le 'Jour de la Libération', le 10 avril fut le 'Jour du Pillage'. Une semaine après plus de 170.000 objets d'origine sumérienne, acadienne, assyrienne et babylonienne avaient déjà disparu du Musée national de Bagdad". Après 40 jours de pillage, il conclut: "Bagdad, année zéro").
"En avril 1994, épuisés par une lutte acharnée contre le gouvernement conservateur de Margareth Thatcher, les mineurs de "Tower Colliery", propriété nationale de la British Coal (au pays de Galles), votent la fermeture de leur mine comme beaucoup d'autres. Mais leurs dirigeants syndicaux refusent d'accepter cette défaite et réussissent à convaincre les mineurs de racheter "leur mine" en réinvestissant leurs indemnités de licenciement.
Depuis maintenant quatre ans, ces
travailleurs sont actionnaires, employés et dirigeants de leur
entreprise organisée en coopérative. Résultat : la mine n'a jamais été
aussi rentable, l'absentéisme aussi faible et la sécurité si importante.
En tentant de réaliser leur rêve de socialisme et de démocratie, ces patrons d'un autre genre sont confrontés à des contradictions politiques et surtout idéologiques. Une telle réussite peut-elle rester compatible avec leur idéal?
Ce film, plein d'espoir, retrace cette aventure exemplaire, menée par des hommes et des femmes ordinaires."