«…La defensa de la democracia, de la libertad, de la propiedad privada y la familia, implica una guerra permanente total. Esto es bien sabido, por sobre todos los eufemismos de la política concreta. Las formas de esa guerra cambian de acuerdo a cada etapa e incluso a cada momento de una etapa, y de acuerdo a cada zona del mundo.
Al énfasis en lo militar sucede el énfasis en lo político o lo
propagandístico para luego volver al énfasis en o militar-definitorio.
Lo importante es comprender que esta guerra continuará hasta la
destrucción total del adversario como tal (lo cual no necesariamente es
sinónimo de destrucción física),
puesto que se trata de la guerra de la verdad. La verdad no puede
coexistir con el error, tiene que destruirlo, ya que su propia
existencia como tal verdad significa la negación rotunda del error. En
la larga vida del occidente negación rotunda del error. En la larga vida
del occidente cristiano hemos
llegado a una etapa en que democracia y libertad se funden en un modo
de vida a defender e imponer. Su expresión más perfecta, aún en
desarrollo, es el modo de vida norteamericano.
La consolidación del comunismo como potencia mundial en Rusia, China y
otros países no cambia ese propósito, pero sí, y muy profundamente, el ritmo de la guerra total y sus énfasis sucesivos. Y, asimismo, su duración en el tiempo. En el fondo es el precio a pagar por los arraigados sentimientos humanistas de nuestra sociedad,
que impidieron usar el arma atómica contra el mundo comunista en la
oportunidad en que éramos los únicos en el planeta que la teníamos.
Mientras
quede en actividad un elemento insurgente comunista es imposible
aceptar que hemos culminado con éxito la campaña contrainsurgente. Los
objetivos de ésta son totales.
La
ceguera de los civiles en lo que concierne al fenómeno militar moderno,
incluidas sus múltiples ramificaciones que lo hacen integral, es
también un elemento favorable para el desarrollo y la amplificación de
las políticas de pacificación. Son aspectos de la sociedad moderna o en
trance de modernización que sorprenderían a investigadores y teóricos
tan taxativos como el propio Lenin.
Después
de la guerra de Vietnam debemos enfrentarnos a una realidad innegable.
Debemos aprender a avaluar la guerra local desde el punto de vista de su
función como elemento global pedagógico-revolucionario. El impacto
psico-ideológico que implica la participación real y prolongada de
sectores decisivos del pueblo en las operaciones militares de guerra,
modifica su calidad de receptor ideológico, su calidad de objetivo o
blanco de la guerra psicológica.
Hay
una teoría de la lucha, un arte operativo, una mística y una tradición
que hacen que detrás de cada guerrillero vietnamita o guatemalteco, que
detrás de cada estudiante combatiente uruguayo o brasileño, que detrás
de cada insurgente angolano, estén presentes, en una u otra medida,
Lenin, Mao Tse-tung, el Che Guevara, en tanto pensadores, en
tanto creadores de métodos racionales para actuar en la lucha de clases.
Los niveles de cultura política, de madurez en la concepción con cada
uno de esos elementos acuden a contactar el pensamiento revolucionario,
no deben crear falsas esperanzas. Una constante revisión de las
fuentes clásicas es obligatoria para determinar, en cada coyuntura, los
grados de avance o retroceso enemigos.»
Materiales textuales de la prensa militar norteamericana, 1973.
"
Des jeunes hommes graves qui s’assemblent dans un musico philosophique
et religieux où l’on s’inquiète du sens général de l’Humanité... On y
cherche à savoir si elle tourne sur elle-même ou si elle est en progrès.
Ils étaient très embarrassés entre la ligne droite et la ligne courbe,
ils trouvaient un non-sens au triangle biblique, et il leur est alors
apparu je ne sais quel prophète qui s’est prononcé pour la spirale. –
Des hommes réunis peuvent inventer des bêtises plus dangereuses, s’écria
Lucien. – Tu prends ces théories-là pour des paroles oiseuses, mais il
vient un moment où elles se transforment en coups de fusil ou en
guillotine. " - H. Balzac, Illusions Perdues.
Ce livre de Kojève, écrit en 1941 mais surgissant seulement de
nos jours, pourrait sembler n’être qu’un témoignage archéologique
d’URSS, sorte de vestige philosophique émergé aux hasards de récentes
découvertes réalisées dans les archives de la Bibliothèque nationale de
France, un livre, somme toute, aussi inachevé que toutes les aspirations
de cet empire. Pourtant, actuellement, ce vestige pourrait bien être perçu comme un cri, le cri testamentaire du vaincu : son idée, son idéal, son idéologie, sa lecture philosophique de l’Histoire universelle.
Cette
Histoire, comprise et rédigée, non pas exactement par « les Soviétiques
», mais par un Kojève qui souhaitait alors appartenir à cette « force
historique consciente d’elle-même », est-elle réellement révolue ? La
page est-elle définitivement tournée, le livre de l’Humanité refermé[1]
? Même pour celui qui en serait convaincu, il reste sans doute
instructif de prêter l’oreille à cette narration « narration
philosophique » du point de vue russo-soviétique, de lire cette épopée humaine naguère pleine de promesses.
ACTUALITÉ.
Le
26 décembre 1991, l’Union soviétique est dissoute. Les Etats-Unis
sortent grand vainqueur d’une confrontation Est-Ouest,
communisme-capitalisme, Empire contre Démocratie libérale. On proclame
alors la « libération des nations » ou l’« autonomie des peuples ». La
notion d’État-nation, plus ou moins recouverte sous celle de régime «
démocratique », s’impose de nouveau comme une évidence à mesure que
l’URSS se disloque. L’idée même d’Empire, associée à celle de «
dictature », est universellement décriée. Pour certains, c’est la fin de l’Histoire.
L’ordre des « démocraties-libérales », certes imparfait (de l’aveu même
de ses partisans), paraît définitif et la « liberté » triomphante. Happy end.
Bien
sûr, dans la mesure où la « reconnaissance sociale » (et la
reconnaissance des droits) n’est pas acquise pour tous, dans la mesure
où les inégalités socio-économiques se creusent (et les classes
subsistent), dans la mesure où les conflits de frontières reprennent
entre « nouvelles » nations, dans la mesure, enfin, où l’Humanité –
dominée par le marché – demeure impuissante à se prendre en main et à
s’unir pour prévenir résolument différents types d’« apocalypse »
toujours possibles (guerre nucléaire ou catastrophe écologique, voire
abêtissement irrémédiable et généralisé de l’individu humain sous flots
d’« intelligence artificielle » non maîtrisée), l’Histoire semble
s’achever... sur une interminable fausse note.
Quand elle est entendue (et il semble qu’elle se fasse de plus en plus criante), cette fausse note politique,
les « réformateurs-démocrates » ne se proposent pas de la suprimer (ou
de la « dépasser-dialectiquement ») dans l’« harmonie » parfaite du «
meilleur des régimes », mais – attendu l’imperfection notoire et
intrinsèque de ce qu’ils considèrent être « la nature humaine » – de l’amender autant quepossible s’ils sont « optimistes »ou s’ils sont « réalistes » de la maintenir dans des proportions jugées acceptables.
A
vrai dire, il s’agit moins de « politique » que d’une « sage
administration » (ou réglementation) des choses, des techniques, des
croyances et des hommes, conçue comme une correction asymptotique pour
les plus « optimistes », comme une entrave momentanée à un irrémédiable
déclin pour les dits « réalistes ». Dans les deux cas, toutefois, la «
Démocratie » apparaît comme une tentative toujours recommencée
d’équilibrer des forces antagonistes sur fond de « tolérance », du moins
tant que les opinions ont le bon goût de rester à leur place.
Et, l’on est finalement en droit de se demander : va-t-on rester longtemps dans ce seul horizon politique du « statu-quo »
qui, par inertie, se révèle toujours plus inique à mesure qu’il se
détraque ? Ne peut-on espérer rien de mieux que de « contenir le temps
», lequel n’est, sous cet angle, rien d’autre qu’une longue pente vers
le chaos ou le pire ? Va-t-on pour toujours craindre de réveiller la puissance politique et la violence qu’elle entraîne ?
Peut-être est on arrivé au moment où ce statu-quo se transforme en crise, un momentoù
la « Démocratie-libérale de l’Etat-nation » ne paraît pas tant être la «
fin de l’Histoire » que son « barrage momentané », une sorte d’«
administration » lancée comme une entrave réglementarojuridique de moins
en moins efficace contre les « tyrannies externes » et de plus en plus
lâche devant ses forces internes particulières : les « grands du
royaumes » et autres grands capitalistes dont certains souhaitent, en
outre, se transformer en « acteurs politiques », changeant ainsi leur
force en pouvoir.
Si
tel était le cas, alors le livre que l’on tient entre les mains, cette
justification d’un empire effondré aux prétentions universelles (dont
l’étude aurait pu passer il y a quelques années encore pour « dépassée
») risque d’apporter un nouvel éclairage sur la situation présente et
pour nos propres débats internes. Car, s’il s’agit de justifier l’URSS,
il s’agit surtout de justifier et de conscientiser plus nettement
l’aspiration ou l’idéologie d’un « Etat autoritaire » qui souhaitait faire de la politique au
sens le plus fort et le plus violent du terme, à un moment à la fois de
crise de la « démocratie », et de triomphe du fascisme-nazisme.
DÉMOCRATIESCONTREDICTATURES
Par conséquent, pour éclairer ce livre sans le répéter ni le résumer, il convient de le resituer dans sa perspective politique. Or, un texte, encore inédit, intitulé Les Néoformations, est là pour nous y aider, en permettant de mettre en avant ce qui dans Sophia reste
à l’arrière-plan, à savoir les combats de son temps, l’émergence du
fascisme, du nazisme et du soviétisme à côté des systèmes démocratiques
décriés.
Dans ce document de près de 400 pages, adressé à un ministre de Vichy (Henry Moysset) et rédigé peu de temps après Sophia,
Kojève pose une question qui n’est pas sans rappeler notre époque et
qui nous permettra d’esquisser sa doctrine du pouvoir : « Qu’a-t-on au
juste en vue, se demande-t-il, lorsqu’on oppose les ‘‘Etats autoritaires
ou totalitaires’’ quels qu’ils soient aux ‘‘Démocraties’’ ? » (p. 299).
Et il répondait :
Du côté « démocratique », on reproche généralement aux Etats « autoritaires » d’être des Dicatures personnelles.
Les partisans de ces Etats se défendent : soit en niant le fait, soit,
s’ils sont plus sincères et honnêtes, en l’admettant, mais en affirmant
que le régime personnel en question n’a rien à voir avec ce qu’on
appelle couramment une « Dictature », c’est-à-dire un régime fondé sur
l’oppression et la violence et non pas sur la « reconnaissance »
consciente et libre du pouvoir, sur la Force et non sur l’Autorité. Ils
affirment au contraire que seul leur régime est librement accepté par
les citoyens (ou tout au moins par l’immense majorité des citoyens),
tandis que le régime « démocratique » n’est qu’une « dictature »
camouflée, fondée en fait sinon sur la violence ouverte, du moins sur la
tromperie et l’oppression, c’est-à-dire en fin de compte sur la force
(économique) et non sur l’Autorité reconnue librement et en pleine «
connaissance de cause ». D’autre part, ils reprochent aux Démocraties
leur caractère « féodal ». Ne disposant pas d’une Autorité politique
véritable, ces Etats s’appuient en fait non pas sur l’ensemble des
citoyens, mais sur un groupe formé autour d’intérêts privés
(économiques). Ainsi, si les Démocraties ne sont pas des dictatures
personnelles, elles sont néanmoins bel et bien des dictatures, à savoir
des « dictatures de classes » (« ploutocratie », « capitalisme ») ». (p.
299-300)
À en croire Kojève, l’Etat dit « démocratique » ne serait donc
qu’un trompe-l’œil destiné à maintenir un équilibre précaire d’intérêts
divergents où, somme toute, les plus riches continueront d’occuper, par
manipulation (et d’abord manipulation médiatique s’apparentant à une
oppression), les premières places.
Toutefois,
aux yeux du penseur d’origine russe, dans un tel système, ces premières
places sont aussi – du moins tant que fonctionne la «
démocratie-libérale » – des places politiquement d’impuissants. Car telle serait la fonction de la « Démocratie » : paralyser le politique. En « démocratie », il ne s’agit pas, en effet, de faire l’Histoire,
de proposer un idéal, de conscientiser une force en la transformant en
pouvoir, d’avoir une aspiration neuve ou même de réaliser sérieusement
une aspiration ancienne, mais seulement de conserver les places et les
classes déjà existantes, de maintenir en circulation des rôles depuis
longtemps usés, lesquels, cependant, octroient pour ceux qui ne sont pas
lassés de les jouer leur part de prestige social et de bien-être
matériel. Il n’est donc pas étonnant que les « démocraties-libérales »
soient « sorties de l’histoire », puisque leur principe même est de ne
pas y entrer.
Avec
la « démocratie », on espère l’Histoire close sur ce nœud juridique de
forces antagonistes, sur cette « alternance du pouvoir », sur cette fin
du politique, trop heureuse en réalité de faire du « surplace ». « Que
faire » quand on est un penseur « démocrate » ? Pas grand chose en
vérité, si ce n’est déplorer l’imperfection humaine, justifier
l’équilibre de ce qui est, imaginer des conditions « parfaites » (ou
utopiques) de débat et de délibération juridique, tout en s’effrayant du
fond chaotique qu’on pourrait réveiller en aspirant à mieux ou en
dénonçant la « tromperie ou l’oppression » des dites délibérations
publiques dans la « plouto-démocratie ». C’est un genre de fin d’histoire comme une fin de non recevoir.
Kojève
appelle cela « féodalisme », car il y a effectivement quelque chose
d’ancien régime dans cette « pratique du pouvoir ». Le « monarque »
n’est, de ce point de vue, qu’un équilibriste entre « grands du royaume »
(quels qu’ils soient et quoi qu’ils représentent). Si l’un monte trop
haut, il faudra l’affaiblir en jouant (par la réglementation) une autre
puissance. Quant à la « politique extérieure », le seul espoir réside,
non dans une quelconque victoire et encore moins dans l’empire
universel, mais dans la mécanique des forces nationales (selon l’adage «
la force arrête la force »). On maintient ainsi coûte-que-coûte une
stabilité qui s’apparente surtout à une perpétuelle stagnation où
aucune puissance émergente (porteuse de nouvelles espérances) ne doit
surgir sous peine de déstabiliser le système et de provoquer par là même
violence et, éventuellement, guerre civile (ou, à une autre échelle,
guerre tout court).
Néanmoins,
compte tenu, de l’inertie des forces (poussant en direction d’une
injustice sociale de plus en plus insoutenable), compte tenu de l’oubli
du peuple parmi les forces qui finissent par compter, compte tenu
également de cette métamorphose toujours possible d’une force interne en
pouvoir (en ce qu’elle ne se contente plus de sa « première place »,
mais veut être au centre), il arrive un temps où la «
démocratie-libérale » est et se sait sérieusement menacée, en ce
qu’elle est décriée dans son principe même d’équilibrer les classes, et
dans sa façon « trompeuse » (car viciée par la « force économique ») de
le faire. Ou pour le répéter avec Kojève :
Il ne s’agit plus de supprimer les « classes », mais uniquement de leur permettre de coexister indéfiniment
(c’est-à-dire « pacifiquement », sans rupture marquée d’équilibre). Or,
c’est précisément là le but que se posent les Etats « non-totalitaires »
en particulier les « Démocraties capitalistes » tant décriées » (p.
166).
Quand
ce but n’est plus rempli ou lorsqu’il paraît par trop inique en dépit
de tous les « camouflages », alors refait surface le vieux rêve de prendre le temps en main et
de faire de nouveau avancer l’Histoire universelle, comme refait
surface l’idée d’« Etat autoritaire », voire d’Empire universel, qui ne
se contenterait pas, lui, d’un « équilibre des forces » mais qui aurait
en vu sa suppression dans l’« union » afin de réaliser un idéal
définitif d’avenir, en un mot une « idéologie ».
L’Etat
autoritaire, continue Kojève dans ce même texte de 1942, se solidarise
avec une idéologie universelle et s’emploie à la réaliser. Au contraire,
la Démocratie se désintéresse en principe des questions idéologiques.
L’Etat démocratique n’est pas là pour éduquer ses citoyens, pour mener
la nation vers un but idéal. Sa fonction consiste au maintien du statu-quo. Et ce statu-quo
est censé être tel que n’importe quelle idéologie puisse y être admise
par les citoyens. Certes, s’il venait à l’idée de ces citoyens de
réaliser l’une des idéologies possibles, ceci pourrait aboutir à un
conflit avec l’Etat démocratique.
Que le statu-quo – tant interne qu’externe – ne soit plus tenable, que des acteurs se politisant s’emparent sérieusement d’idéologies
et qu’ils subissent dès lors la censure de l’« Etat démocratique »
n’ayant, quant à lui, d’autre idéologie que de maintenir le temps dans
un éternel présent de la stagnation ou de l’« ordre établi », c’était ce
qui apparaissait évident au Kojève des années 30-40.
L’expression
« Etat démocratique » est une sorte de cercle carré. L’Etat qui se
solidarise avec l’idéologie démocratique n’est pas un Etat au sens
propre et fort du terme. C’est une administration, une police, une
organisation purement technique qui a pour but d’assurer aux « citoyens »
la possibilité de mener sans encombre une existence privée, c’est-à-dire non politique : sociale, économique, culturelle, religieuse, etc. C’est ce qui explique la tolérance et
la « liberté » qui caractérisent les Démocraties et les distinguent des
Etats autoritaires, par définition intolérants. Une idéologie politique
prise au sérieux exclut les idéologies incompatibles, et l’Etat qui se
solidarise avec l’une d’elle doit supprimer toutes les autres, dans la
mesure du possible. Mais quand l’Etat n’est pas un véritable Etat, quand
il n’a pas à sa base une idée vraiment politique, il peut fort bien se
désintéresser de toutes les idéologies et les « tolérer » toutes. Mais
sa tolérance ne peut s’étendre qu’aux idéologies qui n’impliquent pas
comme but la politisation de la société, c’est-à-dire la création d’un
véritable Etat, à base d’idéologie politique. C’est pourquoi les
Démocraties n’ont toléré le Communisme et le « Fascisme » que dans la
mesure où ils étaient inopérants. Au moment où il a été question
d’appliquer ces idéologies respectives à l’Etat lui-même, le principe «
démocratique » de tolérance a été abrogé. (p. 319)
Paradoxalement, en censurant, la Démocratie pourrait, à la rigueur, apparaître comme un « Etat proprement dit ». Pourquoi ? Parce qu’alors, elle s’empare consciemment
du temps, en reconnaissant que sa fin est le « présent », qu’importe
que celui-ci apparaisse à certains comme un marais et à d’autres d’une
iniquité insupportable.
ENAMONTDUFASCISME.
Kojève n’est donc pas (en tout cas à ce moment-là de sa carrière) ce que l’on peut appeler un « démocrate ». Aussi Sophia
est-elle une justification du pouvoir, la conscientisation d’un idéal
politique, autrement dit une « idéologie ». Mais pas de n’importe quelle
politique et, dès lors, ce n’est pas n’importe quelle « idéologie ».
Car, si, pour le dire avec Kojève : « [Sophia] est écrite dans une société socialiste [en URSS] », elle en « est en quelque sorte l’idéologie » (p. 507). Or, cette société a pour adversaire principal, non pas tant la démocratie, que le fascisme-nazisme.
En
d’autres termes, après ou derrière la démocratie-libérale, c’est la
politique d’« ultradroite » qui est visée, de sorte que les « démocrates
» ne sont pas ses véritables opposants. Ils ne sont, pour ainsi dire,
qu’une entrave temporaire, un temps d’accalmie volontaire (et
volontairement incapacitant) avant le vrai combat politique :
fascisme-communisme ou, dans les termes actuels du débat, « ultra-droite
» contre « extrême gauche ». Quant aux démocrates, Kojève juge qu’ils
seront vite oubliés ainsi qu’il le rappelle au début de Sophia :
Les
sociaux-démocrates vont bien vite quitter la scène historique, pour –
on va l’espérer – ne jamais y revenir. On peut même conclure qu’ils sont
déjà morts. Les anciens Romains considéraient qu’il fallait bien parler
des défunts ou alors ne rien en dire du tout. Pour notre part,
puisqu’on ne saurait rien dire de bon des sociaux-démocrates, il est
préférable que l’on cesse d’en parler tout à fait (Sophia, p. 48).
A vrai dire, tel qu’il la comprend, c’est-à-dire comme un équilibre
(plus ou moins tolérant et surtout plus ou moins inique et trompeur) de
forces qui, elles-mêmes, se répartissent (et se conscientisent) en
classes, la « démocratie-libérale » n’est, en définitive (et prise de
façon dynamique), que l’antichambre du fascisme ou, plus exactement,
l’amont d’un fleuve qui y conduit comme irrémédiablement. Et, de ce
point de vue (soviétique), le fascisme n’est pas l’opposé de la «
démocratie-libérale », mais son avant-garde ou son futur.
Ce paradoxe est simple à saisir. Tandis que le communisme veut l’abolition des classes, le fascisme se pense comme une justification
par la biologie ou l’ethnie de la place que l’on occupe dans la
hiérarchie sociale. La solution fasciste est alors de privilégier la
classe « paysanne » qui, rattachée à la terre, est censée incarner de
façon plus pure (et majoritaire) l’essence de la nation.
Il s’agit donc [dans le fascisme-nazisme] de conserver à tout prix une classe de propriétaires fonciers, liés et fixés
dans leur existence toute entière à cette propriété même, c’est-à-dire à
un « sol » bien déterminé, inchangeable et immuable. L’Etat «
communiste » par contre se pose comme but la suppression de la
paysannerie en tant que classe. Il s’agit de « déraciner » tous les
citoyens, de les placer dans un état de mobilité absolue, de les
rattacher et de les fixer non pas par le bas, au sol, mais par le haut, à l’entité idéelle de l’Etat en tant que tel. Pour l’Etat « fasciste » le citoyen est citoyen parce qu’il
est lié au sol qui est le territoire de l’Etat. Pour l’Etat «
communiste » par contre, le territoire n’est rien que parce qu’il est
habité par ses citoyens, qui ne sont en rapport avec tel ou tel sol que
parce qu’ils sont des citoyens, auxquels l’Etat a assigné
une fonction agricole. Bref, l’Etat « communiste » veut « prolétariser »
tous ses citoyens, en faire des « fonctionnaires » de l’Etat, même si
leur fonction est agraire, c’est-à-dire même si elle les lie par la
force des choses à un sol déterminé (p. 325-326)
En
laissant de côté la politique de l’Etat communiste, on constate que si
la « démocratie libérale » peine à justifier l’existence des classes
(qu’elle maintient cependant au détriment de la majorité, « des petites
gens »), le fascisme transforme ce problème social en justification
raciale, en attribuant le sommet de la pyramide (comme principe de son
gouvernement) à la classe paysanne, aux petites gens, ou encore à la majorité qui ne souhaite plus être politiquement «
silencieuse », bref aux « authentiques citoyens ». Contrairement aux «
démocraties-libérales » qui maintiennent les classes sans les justifier,
ces dernières sont ici maintenues et justifiées (seulement leur
justification prétend à une nouvelle répartition ou hiérarchisation).
Quoi qu’il en soit, on peut dire avec Kojève :
C’est ce qui explique le fait qu’une « démocratie de droite » qui reconnaît plus ou moins ouvertement l’existence politique des
classes, opte toujours pour le « fascisme » lorsqu’elle est réellement
placée devant l’alternative « fascisme » ou « communisme ». Même si, par
ailleurs, elle les dit et les croit être également haïssables. (p. 167-168).
Dans
un tel projet, la classe devient une race. Ce sont les étrangers et les
élites mondialisés (donc étrangères) qui déstabilisent le pays, le
déséquilibrent, fomentent les troubles, et deviennent responsables de
tous les maux. Ces gens, dit-on, ne partagent pas nos valeurs, sont
intrinsèquement inassimilables, n’aiment pas le pays, etc. Cela devient
aussi une opposition ville-campagne, le citadin est déraciné, l’ouvrier
corrompu[2], etc. (dans les termes actuels du débat, le « jeune urbain » l’est au point d’être « wokiste », c’est-à-dire de ne plus respecter les frontières biologiques du genre).
A
terme, cela implique d’imposer la « dictature de la paysannerie »,
c’est-à-dire un retour au « bon sens », au peuple et à la terre, à la
majorité des petites gens. Mais comme tout le monde ne peut pas être
paysans, ni ethniquement purs, cela demande de nouveau un équilibre
(hiérarchisé) entre classes.
Les Etats dits « fascistes » affirment […] que les « classes » n’ont chez eux aucune réalité politique. Mais
il est facile de voir qu’il s’agit là d’un simple thème de propagande «
socialisante » ou « anti-capitaliste », voire «
anti-démocrato-ploutocratique », qui ne correspond nullement à la
réalité. En effet, lorsqu’un Etat croit et dit que l’existence de la
classe paysanne est indispensable à son existence en tant qu’Etat, s’il
veut conserver cette classe à tout prix, c’est qu’elle a à ses yeux, et
par conséquent en fait, une valeur et une réalité nettement politique. […] Alors de deux choses l’une. Ou bien l’Etat n’attribue une valeur et une réalité politique qu’à
la seule classe paysanne, et alors c’est un « gouvernement de classe »
au sens fort du terme, une « dictature de la paysannerie » analogue à «
la dictature du prolétariat » des débuts de l’URSS. Ou bien on reconnaît
politiquement aussi la classe « non-paysanne », avec toutes ses
subdivisions ; et l’Etat a alors pour but d’établir un équilibre des choses.
Et Kojève peut conclure un peu plus loin : « Du moment qu’il s’agit non pas de supprimer les ‘‘classes’’, mais d’assurer leur équilibre, ces Etats [dit ‘‘fascistes’’] sont infiniment plus proches des ‘‘démocratie’’ que de l’URSS ». (p. 167).
MÉTAPHYSIQUEDEL’HUMANITÉ.
Bien sûr, Sophia ne traite pas exactement de cela. Ce que l’on vient d’exposer avec ce texte inédit – ces Néoformations adressées à Henri Moysset – sert
plutôt, répétons-le, d’arrière-plan et doit être vu comme la condition
historique implicite qui nous permet de mieux comprendre le théâtre de
sa rédaction (et peut-être d’en apprécier l’actualité). Car, Sophia ne
se situe pas tant sur le terrain de la théorie politique que sur le
terrain plus fondamental de l’anthropologie philosophique. Kojève y
livre – en particulier avec ce second tome – une « métaphysique de
l’homme ». Une remarque incidente des Néoformations permet d’en rendre compte.
Il est facile de voir que cette différence [entre fascisme-nazisme et soviétisme] découle d’une différence dans la conception métaphysique de l’homme : c’est une différence entre deux anthropologies philosophiques.
Ici [dans le cadre des Etats dit « fascistes »], l’homme est une plante
qui s’épanouit ; là [en URSS] l’homme est un ange déchu qui reste un
étranger sur terre. Mais je ne peux pas insister en ce lieu sur cette
question (nous soulignons, p. 326-327)
Le
lieu où « il insiste sur cette question », où il élabore cette «
métaphysique soviétique de l’homme » est bel et bien notre livre. En
effet, si dans le premier tome de Sophia, il était
essentiellement question de méthodologie (rendant compte du sens qu’il
donne aux termes « philosophie » et « phénoménologie »), il s’agit ici
d’élaborer les fondements anhistoriques qui rendent possible et
expliquent l’Histoire et son sujet, à savoir l’Humanité.
Avec
cet ouvrage, nous sommes donc en dehors du temps, avant l’Histoire, ou
plutôt dans l’élaboration d’une anthropologie censée la conditionner.
Et, c’est pourquoi nous avons retenu pour ce second tome le titre de Métaphysique de l’Humanité. Il exprime, selon nous, le sous-titre que Kojève avait, quant à lui, choisi pour cette partie : Les Fondements antéhistorique des apparitions de l’existence historique de l’homme. Kojève,
en effet, expose les « conditions » qui rendent compte, à ses yeux, de
l’entrée de l’Humanité dans l’Histoire, ou plus exactement qui
expliquent ses différentes apparitions dans un récit dynamique (ou
dialectique) qui n’est autre que celui de son identité en voie
d’achèvement dans l’unité, la sagesse et la toute-puissance (et,
partant, comme divinité).
Autrement
dit, nous avons affaire dans ce livre à une proposition d’anthropologie
philosophique rendant compte des différentes « apparitions » ou «
figures » d’une seule et même humanité sur la scène de sa propre
histoire.
En
un autre sens, il s’agit également d’un défi adressé à une
anthropologie fascisante. A charge à ses adversaires de proposer une
autre explication des ressorts de l’Histoire, ressorts qui doivent
embrasser et désarmer sa propre hypothèse anthropologique mieux que
lui-même ne le fait avec les propositions concurrentes.
Le Désir de Désir.
Comment
qualifier dès lors sa proposition ? Kojève, on l’a vu, la présente sous
les termes d’« ange déchu ». Bien sûr, sous cette expression, on
retrouvera probablement des allusions à la culture russe, au Démon de Lermontov (qu’il cite d’ailleurs dans le premier tome de Sophia3) ou même aux Démons de
Dostoïevski. De la même façon, il emploie pour la première fois à notre
connaissance l’expression « métaphysique de l’Humanité » pour qualifier
le système du père de la philosophie russe (sur lequel il avait écrit
sa thèse), à savoir Vladimir Soloviev : « Sa métaphysique [celle de
Soloviev] était avant tout une métaphysique de l’humanité, et c’est
l’importance énorme attribuée à l’homme qui en formait le trait le plus
personnel ».
Dans notre essai, La Conscience de Staline,
nous avons montré ce que Kojève doit à ses prédécesseurs russes, en
montrant que le couronnement de sa pensée s’apparentait à l’inversion du
Dieu-homme en Homme-dieu, du Christ en Antéchrist, reprenant ainsi la
suite du Court récit sur l’Antéchrist de Soloviev (que Kojève jugeait être l’un des textes les plus profonds de Soloviev). Ne nous attardons pas davantage .
[1]
On rappelera que Kojève a qualifié son projet comme étant une «
Autobiographie de l’Humanité ». Or, il a appelé ce livre justement Sophia
(reprenant, par là, un vieux concept de la philosophie de Soloviev
désignant sous ce terme précisément l’Humanité achevée ou idéale).
[2]
« Se solidariser avec la paysannerie, c’est tout naturellement se
solidariser aussi avec son caractère ethnique : un Etat paysan est
naturellement porté à rester un Etat-peuple. On peut donc dire que le
‘‘populisme’’ du IIIe
Reich est une conséquence naturelle et nécessaire de sa politique
paysanne. Le rapport entre la paysannerie et la nation est moins direct :
il semble que cette dernière ne peut pas se constituer sans l’apport de
la Ville. Mais dans la mesure où la paysannerie subsiste à côté de la
ville (en principe toujours cosmopolite, du moins en puissance), la
nation conserve une base ethnique et se crée autour d’un peuple. Ce
n’est, d’ailleurs, qu’ainsi qu’elle est vraiment une ‘‘nation’’ et non
un ‘‘empire’’. Son expansion n’est donc pas indéfinie. Si elle
transcende l’élément ethnique en le remplaçant par un substrat culturel,
elle ne peut absorber des cultures extérieures que dans la mesure où
celles-ci sont compatibles avec la culture du peuple qui sert de base à
la nation »
[Source -> Guy Debord, Correspondance, volume "0" (septembre 1951- juillet 1957), Librairie Arthème Fayard, 2010, p. 71]
– Extrait de lettre de Guy Debord à Gil J Wolman du mercredi 7 septembre 1955 –
Je me suis finalement rendu à la fête de l'Huma [fête annuelle organisée par le journal L'Humanité], le samedi soir assez tard: assez jolies tendances à la dérive – dans l'avenue Lénine qui commence un peu partout on s'entend crier par haut-parleurs. "camarades, buvez un verre de (mousseux) contre la répression en Algérie"
ou:
"Mangez une choucroute pour les métallos de Nantes"
et même:
"Buvez de la vodka de Moscou – 80 francs le verre, pour la détente..."
ou à peu de choses près.
On aboutit à quelques places très floues perdus dans des petits bosquets d'arbres, et dites: de l'unité, Karl Marx, etc.
Mais aussi l'iconographie habituelle, le portrait de Maurice [Thorez, secrétaire du parti communiste français] partout – des chansons idiotes, du folklore à n'y pas croire, les communistes d'Auvergne étant vêtus en Auvergnats, ceux de Brest en Bretons, et ainsi de suite: Louis XVI n'aurait pu souhaiter mieux.
Relevé sur un stand de librairie en lettres énormes: une phrase de Lénine juge tristement cette kermesse:
SANS THÉORIE RÉVOLUTIONNAIRE PAS D'ACTION RÉVOLUTIONNAIRE.