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vendredi 15 novembre 2024

A propos d’Ado Kyrou, écrivain, critique cinématographique et cinéaste (Athènes, 1923 – Paris, 1985)

SOURCE: https://dicodoc.blog/2018/03/04/3664/#_ftnref4

E COMME ENTRETIEN – Litsa Boudalika

Comment avez-vous découvert Ado Kyrou ? L’avez-vous connu personnellement ?

            La lecture de son ouvrage « Le surréalisme au cinéma » A, je l’ai faite vers l’âge de seize ans, peu avant mon cursus d’études en réalisation Cinéma/TV. A Bruxelles, comme ailleurs, vers la fin des années ’70, une bonne initiation au cinéma passait souvent par la fréquentation de la Cinémathèque, aujourd’hui appelée « Cinematek » – oui, avec un -k à la fin, comme Kyrou. Sa monographie sur Luis Bunuel B a aussi été un fidèle compagnon de route pendant mes études artistiques. Normal, les apprentissages n’ont pas attendu les autoroutes de l’information pour instaurer un accompagnateur discret, voire un professeur, en chaque auteur que l’on choisit de lire.

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Signature d’Ado Kyrou, depuis L’AGE D’OR DE LA CARTE POSTALE, Paris, édtions BALLAND, 1966

            Bien que ses idées avant-gardistes sur le cinéma aient été, depuis plus d’un demi-siècle, bien partagées, l’œuvre d’Ado Kyrou, écrite et filmique, reste assez méconnue. Ses écrits – à la fois révélateurs d’une érudition cinématographique rare et parés d’une posture assez subversive – lui valent-ils comme une sorte de …non-droit de cité dans la nébuleuse culturelle française? Encourager le spectateur à s’exprimer à haute voix dans les salles obscures, à aller voir les « mauvais » films qui, de son point de vue, sont parfois « sublimes », s’en prendre à Camus et à Truffaut pour dénoncer certaines assertions qu’il trouve conservatrices, rejeter quasi en bloc Bresson, Cocteau et Hitchcock, cela crée des inimitiés, peut-être même posthumes…

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Page de couverture « Le Manuel du parfait petit spectateur », écrit par Ado Kyrou, 
illustré par Siné, Paris, éditions LE TERRAIN VAGUE, 1958.

Page source : http://seriouspublishing.blogspot.gr/2008/12/manuel-du-parfait-petit-spectateur-ado.html

            Aux polémiques autrefois ouvertes autour du cinéma  – souvenons-nous  du  clivage à la fois esthétique et politique entre les revues « Positif » et « Cahiers du Cinéma » C –  a, peu à peu, succédé le conformisme, qui, déjà en 1980, le faisait affirmer que «les choses sont aujourd’hui données comme des cachets blancs qu’on avale» ; lui qui, par-delà la critique « de la réalité manifeste » revendiquait celle de la « réalité latente », invitant ainsi le critique de cinéma à entrer dans la poésie en dépassant le stade du journalisme, puisque « grands mythes et élans libérateurs se cristallisent sur l’écran, lieu prédestiné du hasard objectif ».

            Bien plus tard – dans les années 2000, une époque où j’enseigne le documentaire de manière intensive – je remets la main, quasi incidemment, sur un enregistrement intégral, effectué en 1980 par un camarade de classe, dans le cadre d’un exercice pratique de  « portrait radiophonique » en école de cinéma. Là, je découvre son récit de vie, depuis ses origines familiales et ses années athéniennes sous l’occupation, jusqu’à son exil en France en 1945 ; ses engagements politiques et syndicaux, son entrée dans le groupe surréaliste de l’après-guerre et, bien sûr, son approche de critique et de praticien du cinéma. Autant parler d’un trésor de témoignage par cet « éternel révolté »D disparu à l’âge de 63 ans d’une rupture d’anévrisme en automne 1985, à Paris.

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Portrait d’Ado Kyrou, image extraite d’un entretien vidéo (en grec) 
avec Nikos Giannopoulos (1985)

Page source : http://www.dailymotion.com/video/xvdvx5

Je ne l’ai donc pas connu personnellement, si ce n’est par ce témoignage unique ou encore les archives de l’INA E qui, par bribes, retracent son parcours d’auteur, de critique cinéma et de cinéaste d’inspiration surréaliste. Dans un monde culturel tout aussi sectorisé que celui de l’industrie, sa notoriété le cantonne exclusivement dans la critique cinématographique d’avant-garde, au point que l’on méconnaît aujourd’hui le Kyrou amateur de cartes postales et d’imagerie populaire F, le court-métragiste de talent et le téléaste de service public audiovisuel en fiction, en reportage, en variétés… Et aussi en film documentaire qui, en télévision, était produit sur support pellicule 16mm jusqu’au début des années ’80, comme son « Zen sans gêne », d’une durée de 8 minutes et disponible en clair sur la toile : http://www.ina.fr/video/CPB8005286407/le-zen-sans-gene-video.html 

Dans sa période de collaborations régulières à l’ORTF et France 2, entre 1968 et 1984, les documentaires de 52’ qu’il réalise s’intitulent: « Le vieux Trocadéro », « Les francs-maçons à visage découvert », « Vivre le chômage », « Le musée Grévin », « L’habitat social: un constat », « Les artisans de l’éphémère », « Les gardiens du temps », « Ces enfants-là »…  Flux télévisuel oblige, l’enquête et le témoignage y sont nettement privilégiés, ce qui n’empêche pas une construction cinématographique rigoureuse et des envolées poétiques lors de nombreux passages dans la continuité audio-logo-visuelle. Accompagnement musical éclectique, reconstitution, farce et clin d’œil font partie des procédés fréquemment adoptés à la mise en scène ou au montage, qu’il évoque dans ces termes : « Il y a quinze jours, j’ai fini un film de commande – on est obligé de faire des films de commande de temps en temps – sur le Salon des arts ménagers. Et il y avait une section rétrospective avec de vieux appareils et de vieilles machines-à-coudre etc… J’ai fait un plan d’une vieille machine-à-coudre – très belle – et je l’ai couplée avec un parapluie… Bon, c’est la rencontre de la machine-à-coudre et du parapluie de Lautréamont G, personne ne comprendra ou alors une personne sur mille, mais, moi, ça me fait plaisir. Donc, si tu veux, cet état d’esprit de la blague, même personnelle, reste aussi vivace que toujours. (…) J’ai toujours dit – et Breton était d’ailleurs d’accord avec moi – que le surréalisme est avant tout un état d’esprit. Il n’existait pas de groupe surréaliste quand Rimbaud ou quand Lautréamont écrivaient ou quand Bosch peignait. Le groupe a simplement rassemblé, codifié et mis au clair. Et permis à tout le monde d’entrer, disons, dans la poésie.» Kyrou admet avoir appris énormément à travers le traitement du réel à la télévision. « J ‘en ai fait une soixantaine, des films d’une heure à peu près. Je sais que si un jour je refais du cinéma, j’introduirai de façon encore plus présente la réalité, c’est-à-dire que j’y introduirai même du documentaire à l’intérieur. »

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Photographie du groupe surréaliste au café de la place Blanche en 1953.
© Man Ray Trust / ADAGP, Paris, 2005.
Ado Kyrou est le cinquième en commençant par la gauche à partir du  rang du haut.
 
page source: andrebreton.fr
 
 Ses lettres de noblesse en court-métrage cinéma se situent dans la période 1957-1963, en plein essor du genre en France. Sur dix courts-métrages répertoriés à son nom, six sont des documentaires – films d’art inclus. L’archive, écrite ou audio-visuelle, y occupe une place prépondérante, à commencer par « Le temps des assassins » (15’, 1962), véritable plaidoyer antifasciste retraçant l’histoire de la 2ème guerre mondiale, co-signé avec Jean Vigne et entièrement réalisé à partir d’images d’actualités. Lors d’une présentation publique de son œuvre à la cinémathèque d’Athènes en 2012, en toute fin de projection, un spectateur s’est levé pour demander comment se procurer une copie du film, précisant qu’on devrait l’inclure dans le catalogue de toutes les vidéothèques scolaires. Pour « La déroute » (16’, 1957) – son tout premier court-métrage produit par le talentueux Anatole Dauman et encadré par Georges Franju au poste de conseiller technique – Kyrou aborde l’exploitation mercantile de la défaite des troupes napoléoniennes à Waterloo. Signé par Henri Colpi au montage, narré par Jean Servais à partir de textes de Victor Hugo, le film possède toutes les qualités d’un classique de ces années-là, dans le sens où sa partition cinématographique déploie un découpage et une continuité très soignée et ponctuée par les textes de Victor Hugo : « Ce fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première résistance que rencontre à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on appelait Napoléon; le premier nœud sous le coup de hache. »
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Photogramme extrait du court-métrage LE PALAIS IDEAL réalisé par Ado Kyrou (1958)

Page source : http://animulavagula.hautetfort.com/tag/michel+guillemot

Lors de l’entretien sonore, le cinéaste se remémore son expérience en court-métrage cinéma : « J’en ai fait une vingtaine, je crois, vingt-deux. J’avais des producteurs, toujours ; une seule fois, j’ai produit un film sur le château du Facteur Cheval H – ça s’appelait « Le Palais idéal » – sans être payé et sans payer l’équipe, avec un prêt que m’avait fait mon ex-belle-mère »I. Ainsi, grâce au geste de sa mécène, Ado Kyrou peut enfin traiter un sujet cher aux surréalistes – auquel Jacques Brunius avait consacré un film dans les années ’30. Il s’agit du phénomène de l’artiste singulier Ferdinand Cheval connu aussi comme Facteur Cheval (1836-1924), originaire de Hauterives (Drôme). Nous sommes en 1956, une époque où la notoriété artistique du bâtisseur solitaire reste encore à faire. Ici, le cinéaste Kyrou opte pour le récit du facteur à la première personne, depuis ses premières intuitions jusqu’à l’achèvement du palais entièrement construit de ses mains, et selon les mots de l’artiste, grâce à « un génie bienfaisant (qui l’a) tiré du néant ». L’histoire de Ferdinand Cheval est narrée par Gaston Modot tandis qu’à l’image, le personnage est incarné par Monsieur Chautand, facteur à Hauterives en 1957 que la caméra de Kyrou suit jusqu’aux derniers gestes du personnage en train de bâtir, à l’âge de 86 ans, sa propre demeure éternelle qu’il nommera « le tombeau du silence et du repos sans fin ». La collaboration de Kyrou avec un maître du jazz comme André Hodeir et le Jazz Groupe de Paris, ainsi qu’un travail méticuleux de couplage son/image, créent la rencontre poétique entre l’étrangeté de l’œuvre monumentale de Ferdinand Cheval et son récit : « Fils de paysan et fils de mes oeuvres, facteur rural comme mes 25000 camarades, je déambulais chaque jour de Hautes Rives à Tersanne, courant tantôt dans la neige et la glace, tantôt dans la campagne fleurie. J’avais bâti dans un rêve, un château, un palais ou des grottes, je ne sais trop bien vous l’exprimer, le tout si joli, si pittoresque que l’image en demeura vivante pendant au moins dix ans dans mon cerveau. Je m’ traitais moi-même de fou, d’insensé. J’étais pas maçon, sculpteur, je ne connaissais pas l’ ciseau. Pour l’architecture, n’en parlons pas, je ne l’ai jamais étudiée. Or, au moment où mon rêve sombrait peu à peu dans les brouillards de l’oubli, mon pied heurtait une pierre si bizarre que je l’ai ramassée. Le lendemain, au même endroit, j’en trouvai une plus belle. Puisque la nature peut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture. » Ainsi parlait Cheval dans ce petit bijou cinématographique, austère et lyrique à la fois, où le cinéaste, entre reconstitution, respect du document et merveille du monument, revisite l’univers poétique du personnage.

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Le Palais idéal, œuvre monumentale de Ferdinand Cheval, carte postale d’époque

page source : www. facteur-cheval.fr

Pouvez-vous nous donner les éléments les plus importants de sa biographie.

Citoyen Kyrou naît dans l’Athènes de l’entre-deux guerres en 1923, au sein d’une famille aisée, et selon ses propres mots, « bourgeoise et, même, tout-à-fait réactionnaire ». Les Kyrou sont d’origine chypriote et propriétaires-éditeurs du quotidien conservateur « Estia », dont la direction lui est à priori destinée. Il en sera tout autrement pour le jeune Adonis qui, collégien dans les années ’30, commence par refuser de porter l’uniforme des jeunesses fascistes. Il ne tardera pas à rejoindre la résistance communiste pendant l’occupation où il n’a pas été accepté « les bras ouverts, c’est-à-dire qu’il y avait une méfiance, toujours – normale, normale. Et ils m’ont mis à l’épreuve. Alors, mettre à l’épreuve, ça donnait des résultats quelques fois tragiques pour un gosse de cet âge-là. J’ai eu des fois à trimballer, dans des sacs, des morceaux de mitraillette d’un bout d’Athènes à l’autre à pied, Alors, je me souviens de ma trouille, comme un gosse qui a peur, peur, comme les gosses dans « Les misérables », comme Cosette dans la forêt, quoi. J’allais d’Omonia à Pangràti, à pied, avec deux grands sacs. Les Allemands, je le voyais, ils étaient autour de moi, oui. Mais tu vois, ça, ça forme aussi.»

Peu après la libération d’automne 1944 – Churchill et Staline négocient le sort des Balkans et placent la Grèce sous influence britannique J – le pays ne tardera pas à sombrer, cinq ans durant,  dans une sanglante guerre civile ayant marqué la mémoire de plusieurs générations dans le pays. Gravement blessé à la colonne vertébrale, Kyrou survit aux balles des milices d’extrême droite et après quelques mois d’hôpital, il rejoint, en toute clandestinité, la France. « Un ami qui était le directeur du journal communiste « Rizospastis » m’a dit : « Comme je considère que tu es un bon communiste, ne va pas dans les pays dits ‘socialistes’.». C’est comme ça que je suis arrivé en France, avec des faux papiers, que je suis allée clandestinement sur un bateau anglais. J’ai mis presque trois mois pour arriver d’Athènes à Paris, c’était juste la fin de la guerre. Puis, je me suis trouvé tout seul, sans connaître personne. »

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Extrait de l’ouvrage d’Ado Kyrou L’AGE D’OR DE LA CARTE POSTALE, Paris, édtions BALLAND, 1966

page source: http://www.wanted-rare-books.com/carte-postale-kyrou.htm

Il est peut-être parmi les premiers en ce début de l’année 1945 mais près de 150 de ses congénères suivront à bord du bateau « Mataroa », certains d’entre eux comme étudiants boursiers de la France, fuyant clairement les représailles du fait de leur participation à la résistance. Ils s’appellent Kostas Axelos, Cornelius Castoriadis, Kostas Papaïoannou et seront philosophes. Nikos Svoronos deviendra historien, Mimika Kranaki, tête chercheuse en philosophie, poétesse et romancière. Georges Candylis, urbaniste auprès du Corbusier ainsi que l’architecte Yannis Xenakis, arrivé en 1947, qui sera compositeur.

« J’ai vécu très longtemps, plusieurs années », raconte Ado Kyrou,  « sept huit ans, oui, sans papiers, c’est-à-dire uniquement avec une carte de réfugié. J’ai fait même des travaux pour vivre; des travaux du genre débardeur aux Halles. J’ai fini ici ma licence ès Lettres, puis tout en écrivant, j’ai commence, petit a petit, à entrer dans le cinéma.  Je me suis d’abord spécialisé dans la critique cinématographique. »

Pendant plus de trente ans, les revues qu’il a fondées ou au sein desquelles il a fait équipe sont : « L’âge du cinéma », « Bizarre », « Positif », « Cinéma », « L’écran », « L’avant-scène du cinéma », « Midi-Minuit Fantastique »… K

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Portrait d’Ado Kyrou, image extraite d’un entretien avec Jacques Nahum 
pour le documentaire « Le cinéma surréaliste existe-t-il ? » réalisé dans 
le cadre de l’émission « Démons et merveilles du cinéma », ORTF,  1966

Page source : www.inamediapro.com

Sa rencontre, d’une part avec Eric Losfeld L, son éditeur, ainsi que le groupe surréaliste déterminent son orientation intellectuelle : « J’ai trouvé là des gens qui disaient ce qu’ils pensaient, pour qui, les choses n’étaient pas une fois pour toutes définies. Qui n’obéissaient pas à la règle de l’histoire, même littéraire. Des gens auprès de qui je pouvais dire que La Fontaine est un sale con, sans qu’on me dise que je fais de la provocation ou que j’essaie de faire le malin. Donc, le surréalisme m’a beaucoup aidé pour avoir cette indépendance totale envers l’événement. Cela m’a porté beaucoup d’autres choses, c’est-à-dire que j’ai connu des personnages extraordinaires. Quelqu’un comme Prévert, par exemple, était un être extraordinaire, d’une valeur morale incroyable. Bunuel, aussi. Tout ça c’était des personnages qui existaient par eux-mêmes, sans faire de numéro à l’extérieur. (…) Resnais, c’est quelqu’un que j’aime bien humainement, on habitait rue des Plantes tous les deux, lui un peu plus loin que moi. Pendant Mai ’68, on avait rendez-vous au coin de la rue et on allait à pied à Vaugirard, à l’école de Vaugirard, où il y avait toutes les réunions. C’est quelqu’un qui a beaucoup pensé au surréalisme, qui a été très proche, très propre aussi. »

Quelle importance avait le documentaire pour lui ?

 Revendiquant l’essence surréaliste du cinéma – de par le simple fait que la caméra impose toujours un point de vue – c’est la poésie et l’absurdité du réel qui l’intéressent, y compris en fiction. Parmi ses œuvres les plus réussies, on peut citer deux «hybrides », à mi-chemin du documentaire et de la fiction, l’un placé sous le signe du désir de témoigner, l’autre sous celui de la créativité exponentielle à partir de documents visuels.

Il s’agit, d’une part, de « Bloko », long-métrage (74’, 1965) se référant à la période de l’occupation allemande en Grèce. La trame fictionnelle n’est qu’un prétexte à la reconstitution de faits historiques qui se sont déroulés en été 1944 dans le faubourg athénien de Kokkinia. La cartographie « occupants – résistants – collabos – population » y est minutieusement décrite à travers le bouclage barbare de la ville, suivi d’exécutions capitales collectives. Avec le temps – et surtout, la nécessaire distance des historiens et de l’opinion publique par rapport aux faits de guerre – le film est devenu une référence dans le cinéma grec. Pourtant, le cinéaste s’en souvient tout autrement lors de sa sortie : « Le film a été très mal accueilli en Grèce parce que pour la première fois, il y avait un film sur la résistance, sur l’occupation, sans héroïsme. Il n’y avait pas de personne qui n’avait pas peur. Il n’y avait pas de ces êtres immatériels qui parsèment tout le cinéma de guerre américain ou même tout ce qui a été fait sur la résistance en Grèce. J’avais essayé, d’une part, d’être complètement réel, c’est-à-dire d’écrire les choses telles que je les ai vues. Je n’ai pas vu l’événement même mais j’ai vu des événements équivalents. »

D’autre part, « Un honnête homme », (11’, 1963, Prix Louis Lumière 1964), renvoie clairement au documentaire de création construit à partir d’un matériau assez insolite: une collection de cartes postales en noir et blanc, filmées au banc-titre. Approche surréaliste oblige, la continuité visuelle de cette imagerie « belle époque «  est ponctuée par le récit biographique, en rimes, d’un présupposé fils de sabotier du Val-de-Loire M qui arrive à Paris pour étudier mais finit par y connaître la débauche, l’amour, puis la guerre avant le retrait et la paix… A l’image, donc, le document. Au son, la fiction aux vagues similitudes autobiographiques sur fond d’exode rural.

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Image d’une carte postale depuis « Un honnête homme », court métrage d’Ado Kyrou et Prix Louis Lumière 1964 – Page source : https://ombresblanches.wordpress.com/page/5/

 Quelle place peut avoir aujourd’hui la connaissance de l’œuvre d’Ado Kyrou ?

Autant son œuvre que les points de vue qu’il a défendus rappellent l’effet d’un antidote à la culture sclérosée, si vous permettez l’expression. L’empreinte surréaliste sur son expression l’amène à affirmer « des choses qui ont paru à un certain public et surtout à une certaine élite comme des absurdités immenses. J’avais osé dire que « King Kong » était un grand film lorsque « King Kong » était considéré comme un petit film pour les petits enfants. Ou « L’île du Dr Moreau » ou n’importe quoi. Aujourd’hui, il y a des jeunes qui me demandent « Dis donc, comment avais-tu deviné que c’était un grand film ? » J’avais deviné rien du tout, ça m’avait plus, c’est tout. Et j’avais osé le dire ».

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Extrait de presse en langue avec photographie de plateau depuis le tournage « Paix et vie », Athènes, 1962. Ado Kyrou, debout derrière la caméra, porte des lunettes foncées.

Page source : http://www.askiweb.eu/

            A la revendication de la liberté de penser, s’ajoute l’intérêt historique des sujets qu’il a traités, qu’ils soient en lien avec la littérature, l’art en général et le surréalisme en particulier. Quant à son style cinématographique, nourri d’une grande exigence artistique, il semble toujours à l’affût de la singularité « pour effacer toutes les différences, pour entrer dans toutes les différences pour les comprendre. Artaud était fou, et parce qu’il était fou il était Artaud.». Certaines séquences dans ses films pourraient être revisités comme des documents à part entière. Prenons l’exemple de « La chevelure » (19’, 1961), adapté à partir de la nouvelle homonyme de Guy de Maupassant. Aux côtés d’un Jean-Louis Trintignant dans l’un de ses tout premiers rôles, Kyrou s’amuse à insérer dans le film le passage de l’homme-orchestre, personnage ambulant de l’époque qui arpentait les quartiers de Paris sous le poids d’objets-instruments reproduisant sa « musique ». Idem pour l’apparition inattendue d’Henri Langlois dans « Le vieux Trocadéro » (archives INA 1974), évoquant ses souvenirs du lieu avant la démolition, comme une caverne d’Ali Baba… Dans l’anticonformisme qui caractérise son parcours, l’histoire de la censure à la télévision française citera à nouveau son nom pour avoir « ridiculisé le personnage d’un officier de police » dans la série « Face aux Lancaster » (20X13’, 1971) N.

Dans son récit de vie, Ado Kyrou s’attarde sur une autre expérience heureuse de production collective, cette fois: «  C’était un film qui s’appelait « Parfois le Dimanche » (1960), un film-romance avec acteurs, avec, comme fond, la guerre d’Algérie. Celui-là, je l’ai fait en coopérative avec tous les techniciens sans qu’on n’ait payé un sou. On était deux réalisateurs, Raoul Sangla et moi. On avait des acteurs, des techniciens, c’était une production assez complète pour un film de 25 minutes, où tout le monde a été payé à part égale, c’est-à-dire que le machiniste a été payé autant que nous. Une fois le film vendu – le film a fait pas mal d’argent d’ailleurs – on était tous très heureux. C’était une entreprise rare dans le cinéma, où toute coopérative, comme ça, est considérée comme dangereuse parce que les gens ne voient jamais leur argent. Mais là, c’était peut-être le système qui n’était pas un système de hiérarchie mais un système d’égalité totale… Comme on avait signé tous nos contrats après avoir demandé l’aide du syndicat, il n’y a pas eu la moindre histoire. »

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Plan du parapluie et de la machine à coudre composé lors du tournage du « Salon des arts ménagers » (Paris, 1981), en référence aux « Chants de Maldoror de Lautréamont. Cliché pris depuis l’interface des archives audiovisuelles de l’INA.

Après l’écoute du témoignage d’Ado Kyrou, j’ai éprouvé la curiosité d’aller retrouver ce plan de la rencontre de la machine à coudre et du parapluie qu’il a composé à l’occasion du programme télévisé pour le Salon des arts ménagers de 1981. Entre rasoirs à main dentelés, ventilateurs « quatre saisons » et spatules de cuisine en nylon, la nature morte …gisait à la 37ème minute de l’émission, en noir et blanc, au beau milieu d’une séquence de poêles à bois en porcelaine peinte, le tout baignant dans une sorte dans l’anachronisme que procure le visionnage des programmes de ces années-là. Il faut dire qu’Ado était le téléaste habitué pour « Aujourd’hui Madame », devenu « Aujourd’hui la vie », programme prioritairement destiné à la bonne ménagère de l’époque (années ‘60 et ’70), pour lequel il a, hormis les reportages sur le terrain, assuré les défilés annuels des grands couturiers entre la fin des années ’70 et le début des années ’80. Il a également réalisé quelques programmes musicaux pour « Dim, Dam, Dom », dont certains documents comme l’improvisation flamenco du grand guitariste gitan Manitas De Plata (1967)  https://www.youtube.com/watch?v=o92nOLWiduM ainsi que « Hey Joe » de Jimi Hendrix (1967).

Alors, on l’imagine volontiers, entre deux tournages en studio multi-caméra, bavarder à la cantine en compagnie de Carlos Vilardebo O ou de Jean-Christophe Averty P, évoquant tantôt l’essence surréaliste du cinéma tantôt les tracts du mouvement qu’il signait autrefois et qui, eux, n’ont rien perdu de leur modernité: « Ni école, ni chapelle, beaucoup plus qu’une attitude, le surréalisme est, dans le sens le plus agressif et le plus total du terme, une aventure. Aventure de l’homme et du réel lancés l’un par l’autre dans le même mouvement. N’en déplaise aux spirites de la critique attablés, toutes lumières éteintes, pour évoquer son ombre, le surréalisme continue de se définir par rapport à la vie dont il n’a cessé d’exalter les forces en s’attaquant à leur aliénation séculaire. »

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HAUTE FREQUENCE, tract surréaliste du 24 mai 1951

Notes

A Ado KYROU, Le surréalisme au cinéma, Paris, 1ère édition par LE TERRAIN VAGUE (1963) –   rééditions par  RAMSAY CINEMA (depuis 1985)

B Ado Kyrou, Luis Bunuel, Paris, édité par SEGHERS , coll. “Cinéma d’Aujourd’hui” (1962)

C Frémaux Thierry. L’aventure cinéphilique de positif (1952-1989). In: Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°23, juillet-septembre 1989. Dossier : Mai 68. pp. 21-34

http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1989_num_23_1_2831

D Ioanna PAPASPYRIDOU, Ado Kyrou, l’éternel révolté, Mélusine XXIV – Le cinéma des surréalistes. Article accessible en ligne : https://books.google.gr/books?id=yicoXwu_FbUC&pg=PA77&lpg=PA77&dq=film+documentaire+Ado+Kyrou&source=bl&ots=aYB1mKJsYN&sig=2fMjtX4GMw26CfnUQuN1JgrNuto&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjZp7mglMfZAhUEsaQKHe_vBb4Q6AEINjAE#v=onepage&q=film%20documentaire%20Ado%20Kyrou&f=false

E INA, Institut National de l’Audiovisuel chargé de la conservation des archives radiophoniques et télévisuelles des médias de service public depuis leur existence.

F  Ado KYROU, L’âge d’or de la carte postale, Paris, éditions BALLAND, 1966

G « (…) beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! » , citation d’Isidore Ducasse dit le comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror (1869)

Texte en ligne page 124 sur 142 : http://www.poetes.com/textes/lau_mal.pdf

H site web du Palais idéal de Ferdinand Cheval : www.facteurcheval.com

I Article du quotidien le Dauphiné “Un film inédit sur le Facteur Cheval” relatant comment la copie du film d’Ado Kyrou a rejoint le site du älais idéal  en 2010: http://www.ledauphine.com/drome/2010/09/25/un-film-inedit-sur-le-facteur-cheval-et-son-palais-ideal

J À propos de “ l’accord des pourcentages” du 10 octobre 1944: https://www.herodote.net/10_octobre_1944-evenement-19441010.php

K Liste des articles de critique cinéma signés par Ado Kyrou https://calindex.eu/auteur.php?op=listart&num=14

L À propos d’Eric Losfeld: https://www.babelio.com/auteur/ric-Losfeld/170033  http://www.telerama.fr/livre/les-memoires-frondeuses-d-eric-losfeld-editeur-des-surrealistes,155586.php

M  Y aurait-il ici un clin-d’oeil au court-métrage de Jacques Demy “Le sabotier du Val-de-Loire” (26’, 1955)°?

N À propos de cet épisode de censure : http://www.tele70.com/article-30963759.html

O Carlos Vilardebo , cinéaste et téléaste d’origine portugaise, né en 1921: http://www.imdb.com/name/nm0897404/

P  Jean-Christophe Averty http://theconversation.com/jean-christophe-averty-melies-du-petit-ecran-74034


samedi 9 novembre 2024

Notes sur Roger Leenhardt

 

 
Chroniques de cinéma, 1986
 

SOURCE: wikipedia (extraits)

Roger Leenhardt est un réalisateur, acteur, scénariste et producteur de cinéma français, né le à Montpellier, et, mort le dans le 6e arrondissement de Paris. C’est l’« éminence grise de l'intelligence cinématographique » comme le qualifie André Bazin

Biographie

Roger Leenhardt nait en 1903 à Montpellier1, dans une famille protestante, fils de Charles Leenhardt, enseignant à la faculté des sciences de Montpellier, et de son épouse, Suzanne Dautheville2. Après des études de lettres et de philosophie, en tant que critique de cinéma, Roger Leenhardt collabore avant la Seconde Guerre mondiale avec la revue Esprit (1934-1939)3.

À partir de 1936, la Compagnie Générale Transatlantique fait appel à ses services pour commenter des documentaires cinématographiques, comme Course en Atlantique, qui raconte l’aventure de Marin Marie à bord de l'Arielle ou encore New-York Rio à bord de Normandie, en février 1938.

Avec l’appui d’Emmanuel Mounier, il est recruté par Pierre Schaeffer au sein de Jeune France, mouvement créé sous l’égide du gouvernement de Vichy mais bénéficiant grâce à ses statuts d’une certaine indépendance et d’une orientation pluraliste : il y est qualifié par la police de Vichy de « gaulliste notoire »4,5. L’association est finalement dissoute en 1942.

Après la Libération, il travaille avec Les Lettres françaises puis L'Écran français6 (1944-1948). Il participe à la fondation du ciné-club Objectif 49 que fréquentent notamment les futurs collaborateurs des Cahiers du cinéma. Producteur de courts-métrages, il réalise de nombreux documentaires à partir de 1934, mais surtout après la guerre.

Ce grand intellectuel du cinéma des années 1930 et 1940 est considéré comme un des pères spirituels de la Nouvelle Vague7.

Ardent défenseur du cinéma d'auteur, il devient un auteur à part entière avec Les Dernières Vacances (1948), où Odile Versois trouve son premier rôle. Il tournera deux autres longs-métrages, Le Rendez-vous de minuit (1961), avec Lilli Palmer et Michel Auclair, et Une fille dans la montagne (1964, pour la télévision), avec Giani Esposito. Il apparaît comme acteur dans des films de ses amis de la Nouvelle Vague : Une femme mariée de Jean-Luc Godard et L'Homme qui aimait les femmes de François Truffaut.

Il a exercé les fonctions de vice-président du Syndicat des producteurs de films éducatifs, documentaires et de courts métrages.

Il meurt à Paris le à 82 ans8 et il est inhumé à Calvisson, commune du Gard où il a passé les quinze dernières années de sa vie. 

PRÉSENTATION DE CITIZEN KANE (INA, 1972)

Réalisation : Roger Leenhardt et Sydney Jezequel, résoudre le déséquilibre démographique ville campagne 

 


 

dimanche 18 août 2024

Origine fantasmée du cinéma supertemporel comme art total: le cri-germe de Raoul Hausmann


 

Autoportrait-montage de Raoul Hausmann criant, les yeux dansant autour de sa bouche béante. Disposé en regard du manifeste, Synthetisches Cino der Malerei (Cinéma synthétique de la peinture). Le texte est de 1918, mais le montage de l'autoportrait pourrait être plus tardif, de 1930 (Cf. Hanne Bergus, "Dada Raoul dans les années cinquante. Reconsidérer Dada").


Pour un film supertemporel, le cri est logique, familier (le premier film de Debord –pas supertemporel, mais quand même inframince par rapport aux attendus d'un film "courant"– s'intitulait Hurlements en faveur de Sade). L'image du cri est plus logique encore que l'allusion au cri: un film supertemporel est un cri sans sons, mais un cri long, réverbérant à chaque fois que le spectateur-créateur pense au film, se met dans le film, et lui apporte une nouvelle couche de plus. Alors, cette image de Haussman, parce que c'est Dada, que c'est premier dans l'art d'avant-garde, je me dois d'en faire ma généalogie: je sors de cette bouche. 

Le poème sonore dada –> le poème sonore lettriste –> le cinéma supertemporel lettriste –> le cinéma supertemporel situationniste

La fameuse quatrième dimension qui allait être percée par le cubisme, le futurisme, le dadaïsme et tous les ismes des années dix-vingt du siècle dernier, l'a réellement été par le cinéma supertemporel situationniste comme socialisation de la quatrième dimension: le film est toujours en train de se faire, ce n'est pas une révolution future mais une invitation permanente aux spectateurs-créateurs de faire le Film, et pour ce qui nous concerne, expérimenter De l'Espagne 95, c'est-à-dire construire l'Hacienda situationniste.

samedi 27 janvier 2024

Aux sources de la psychogéographie: une première occurrence du "fantastique social" en 1924

Il semble que l'on puisse remonter jusqu'à 1924, dans l'article suivant de Mac Orlan sur le peintre George Grosz, pour trouver la première mention du "fantastique social" en France (la fiche wikipédia signale une de ces conférences au Théâtre du Vieux colombier –dédié aux films d'avant-garde– sur le cinéma fantastique en 1926). Mac Orlan l'a repéré chez d'autres, mais il est surtout lui-même le principal exposant de cette notion par ses chansons et ses récits: un grand créateur d'atmosphères, amplement distillées dans le cinéma des années 1930-40. 

Le fantastique social est l'une des sources majeures du sentiment psychogéographique, il conforme le pathos inhérent aux premières dérives et induit une esthétique attendue. Cette forme de "tragique d'aventure" correspond notoirement au moi romantique de Debord, unifiant son oeuvre et sa vie dans le temps –et jusqu'à l'automythographie de soi. 

À cet égard, Mac Orlan occupe une place importante dans son panthéon littéraire ( alors qu'il s'agit d'un auteur habituellement considéré comme mineur). Mais ce qui m'interpelle pour l'instant c'est cette filiation plastique allemande; à travers la fragmentation cubofuturiste et l'enfièvrement expressionniste, elle détermine une vision conflictuelle et riche de la nouvelle vie urbaine née dans la ville la plus moderne d'Europe, Berlin. Entre aliénation et spectacle permanent.

 
George Grosz, Metropolis, 1916-17 (musée Thyssen-Bornemisza, Madrid)

 PIERRE MAC ORLAN 

George Grosz 

L'Europe attentive, les passions dont elle dispose, la révolte assoupie, le jeu triomphant de filles sottement éprises de voluptés chimiques, les médiocres bourgeois lâchés en liberté et la rue  elle-même ont trouvé leur poète dans l'étrange et puissante personnalité de George Grosz, que Frans Masereel et Joseph Billiet présentent aujourd'hui au public français, et pour la première fois.

Depuis la guerre, une sorte de fantastique social a été créé un peu partout chez tous les peuples européens qui se sont battus. Le sang des hommes a perdu sa valeur tragique et le mystère des visages s'est accru. Les classes sociales qui, il y a encore dix ans, possédaient des traditions respectives qui les différenciaient, se sont mêlées dans les nouvelles combinaisons des lumières de la rue, dans la malhonnêteté provisoire qui mène les hommes à la conquête du plaisir réalisé le plus rapidement possible. Si les hommes, depuis la guerre, peuvent se distinguer de ceux qui les précédèrent, c'est un peu par leur obéissance passive aux lois de la vitesse. Tout tourne plus vite. Et les anciens mots qui tournaient autrefois à 120 tours par exemple, tournent aujourd'hui à 2000 tours. Le mécanisme de la langue ne peut les suivre. Nous manquons de mot pour réaliser l' “expressionnisme” de notre époque. 

Grosz a trouvé la langue nécessaire à l'épanouissement de sa vision. Qu'il découpe une photographie et qu'il l'associe à son extraordinaire intelligence du fantastique et de la misère homicide, c'est, par tous les moyens la lutte pour arriver directement au but. Il voit les choses et les hommes en transparence, il mêle aux éléments nobles de la révolution les odeurs essentielles de la vie populaire où le sang se chambre à la température de la rue. Je ne connais rien de plus tragique que l'oeuvre  de ce jeune homme émouvant et affectueux. Toute la rue et les intermédiaires de la rue s'animent dans une frénésie féerique, ordurière et brutale, celle de la vie quotidienne. [...]

Pierre Mac Orlan, George Grosz, préface du catalogue du catalogue de l'exposition George Grosz, Joseph Billiet, Paris, 1924.