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dimanche 10 août 2025

« Parler de civilisation judéo-chrétienne est une supercherie »

 

Sophie Bessis
Historienne spécialiste des relations Nord-Sud. Autrice de « La civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d’une imposture » (Les Liens qui libèrent, 2025)

La référence régulière en Europe à une « civilisation judéo-chrétienne » est-elle fondée historiquement ? Pour l’historienne Sophie Bessis, l’insistance sur cette notion sert souvent à occulter près de deux millénaires d’antisémitisme, mais aussi à occulter l’apport de l’islam, aussi structurant pour l’Europe.

Toute civilisation, et l’Europe ne fait pas exception à cette règle, est le fruit de subtils mélanges entre cultures, de rencontres pacifiques ou conflictuelles qui se sont effectuées au cours de la longue histoire, de strates qui se superposent dans la durée pour arriver au présent qui nous constitue. C’est donc la multiplicité des racines qu’il convient d’inventorier pour tenter de définir ce que serait une civilisation européenne.

Il est en effet difficile d’employer le singulier à ce sujet dans la mesure où, de son Occident à son Orient, « ce petit appendice de l’Asie » a subi des influences diverses. Dans les Balkans, l’empreinte de Byzance puis de la longue occupation ottomane ont modelé entre autres l’architecture et les traditions culinaires, sans parler de l’orthodoxie qui différencie cette région des parties catholiques ou protestantes du continent. Il y a l’Europe de la latinité et celle de l’hellénisme, celle de la germanité et celle de la Méditerranée.

Supposons cependant qu’il existe une Europe se définissant par un fonds culturel commun. Dans cette diversité de trajectoires historiques et d’influences culturelles, peut-on donner une place spécifique à ce que la doxa contemporaine appelle « les racines judéo-chrétiennes » ? Encore faudrait-il que ce binôme ait quelque pertinence. Or, il n’en a guère. Et il n’est pas innocent qu’après une longue période durant laquelle tous les enseignements affirmaient que l’Europe était gréco-latine, le tournant des années 1980 ait remplacé cette appartenance par un improbable mariage entre judaïsme et christianisme.

Quelles qu’en aient été les versions, les racines chrétiennes de l’Europe sont incontestables et l’on employa à son sujet pendant des siècles le terme de chrétienté. Les églises rythment les paysages et l’entrée de bien des villages est annoncée par une croix qui le protégerait. La profonde sécularisation de ce continent, malgré les coups de boutoir d’un retour au religieux sous sa forme la plus réactionnaire, ne saurait masquer la centralité du marqueur chrétien sur sa civilisation.

Occulter l’antisémitisme

Le judaïsme est une tout autre affaire. Certes, l’Europe est aussi fille de la Bible dans la mesure où le christianisme est issu de la première version du monothéisme abrahamique et où il a repris bien des mythes et des référents du récit biblique. Mais cela ne suffit pas pour parler de « judéo-chrétien ». Cet accouplement a ceci de gênant qu’il sert à occulter près de deux millénaires d’antijudaïsme chrétien puis d’antisémitisme moderne, lesquels ont également modelé – et avec quelle force – l’habitus culturel européen.

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