L’image d’un capitaliste gros et désagréable, coiffé invariablement d’un
haut-de-forme, s’est imposée en URSS après la Révolution de 1917 et a
peu évolué au fil des décennies. Et pour de très bonnes raisons on pense toujours à Churchill : faisant tirer sur les ouvriers, affamant les Indiens et fomentant son plan de démantèlement de l'URSS avec les restes de l'armée allemande en 1945.
Pour
le petit segment de citoyens américains qui regarde au-delà des médias
grand public, Lawrence Davidson affirme que l’écart entre les
perceptions populaires et la réalité factuelle est relativement facile à
repérer.
Marche de la Maison Blanche au Washington Post pour commémorer
une année de génocide, le 5 octobre. (Diane Krauthamer, Flickr, CC BY-NC)
Il y affirme qu’il existe un « fossé énorme » entre la compréhension
académique (fondée sur des preuves) des aspects du conflit
israélo-palestinien (comme la nature suprémaciste juive de la société
israélienne et les politiques d’apartheid qui en résultent) et les
hypothèses des médias grand public sur un Israël « démocratique » et «
progressiste ».
Ces derniers définissent les reportages populaires et officiels sur ce pays et son idéologie sioniste. L’observation de Massad décrit un problème qui déforme bien plus que la simple vision d’Israël.
Les
États-Unis ont une perception populaire et officielle, encore une fois
promue par les médias grand public, d’eux-mêmes et du monde, résumée par
des mots-clés tels que liberté, capitalisme, progrès, individualisme,
moralité, etc.
D’autres
pays développent leur propre image fantaisiste d’eux-mêmes. Cependant,
dans le cas des États-Unis et d’Israël, les deux images se sont
confondues dans le scénario proposé aux citoyens américains par les
médias de masse depuis au moins un siècle. (Voir mon livre de 2001, La Palestine américaine : perceptions populaires et officielles, de Balfour à l’État israélien.)
Cette
fusion est si forte que, dans le cas du président Joe Biden et de son
gouvernement, cette identité partagée nécessite un soutien
inconditionnel au « droit de légitime défense » d’Israël, même lorsque
la « défense » dissimule une offense et que l’offense équivaut au
nettoyage ethnique et au meurtre de masse des Palestiniens.
Le
produit final de cet acte remarquable d’auto-illusion collective est la
complicité du gouvernement américain dans le génocide israélien en
cours dans l’enclave de Gaza, et l’approbation intérieure des États-Unis
de la répression des manifestations pro-palestiniennes – en violation
des propres normes américaines de liberté d’expression.
Le monde façonné par les médias en Israël
Il
existe néanmoins un segment croissant, mais encore restreint, de
citoyens américains disposés à regarder au-delà des médias grand public.
Pour ceux qui le font, l’écart entre les perceptions populaires et la
réalité factuelle est relativement facile à repérer. En effet, il existe
d’autres sources d’information en périphérie (qui ne sont pas toutes
fiables, bien sûr) et, combinées à un minimum de capacité de réflexion
critique, on peut apprendre à juger les preuves.
C'est
beaucoup plus difficile pour les juifs israéliens. Dans l'État
sioniste, non seulement les médias nationaux, à quelques rares
exceptions près, ont été cooptés pour promouvoir une mythologie
populaire, mais aussi toutes les écoles, collèges et universités.
La
plupart des informations liées au conflit avec les Palestiniens sont
censurées et l’environnement informationnel fermé qui en résulte est
devenu de plus en plus restrictif.
Des instructeurs d'autodéfense s'entraînent sur le toit du quartier général
de Tsahal à Tel Aviv, en 2017. (Forces de défense israéliennes, Flickr, CC BY-NC 2.0)
En
effet, au cours des 20 dernières années (et avec une forte augmentation
depuis octobre 2023), les opinions opposées aux opinions officielles
sont considérées comme séditieuses. Et cela a à son tour ouvert la voie à
l'approbation populaire sioniste actuelle de la barbarie. Voici comment
le journaliste israélien Gideon Levy (l'une des dernières voix critiques des médias du pays) décrit L’état d’esprit actuel d’Israël :
«
Au cours de l’année écoulée, Israël s’est uni autour de plusieurs
hypothèses : premièrement, le massacre du 7 octobre n’avait aucun
contexte, il s’est produit uniquement à cause de la soif de sang innée
des Palestiniens de Gaza. Deuxièmement, tous les Palestiniens portent le
fardeau de la culpabilité du massacre de civils israéliens par le
Hamas. Troisièmement, après ce terrible massacre, Israël a le droit de
faire ce qu’il veut.
Personne, où que ce soit, n’a le droit de tenter de l’arrêter. [Par
exemple], de semer la destruction sans discrimination sur tout le
territoire [de Gaza] et de tuer plus de 40,000 XNUMX personnes, dont de
nombreuses femmes et enfants. La barbarie est devenue légitime à la fois
dans le discours israélien et dans le comportement de l’armée.
L’humanité a été écartée du débat public. »
Les faits à l'appui des jugements de Levy sont facilement disponibles en anglais sur des sites Web internationaux tels que Al Jazeera, Middle East Eye, Electronic Intifada, Palestine Chronicle, etc.
Mais
il ne s’agit pas de chaînes de télévision grand public et donc la
majorité des Américains, et presque aucun juif israélien, ne voient
jamais de rapports complets et précis sur ce qui se passe réellement
dans les territoires occupés, au sud du Liban et dans d’autres zones
régionales soumises aux attaques israéliennes.
L’ignorance n’est pas une bénédiction à cet égard, elle équivaut à vivre dans le mensonge.
Des personnes en deuil avec les corps des morts après l'explosion de l'hôpital Al-Ahli Arab
le 17 octobre 2023. (Fars Media Corporation, Wikimedia Commons, CC BY 4.0)
Prenons
un exemple de la manière dont cette propagande interne crée un état
d’esprit délirant, d’abord en Israël, puis aux États-Unis.
À la mi-novembre 2023, le du Royaume-Uni Sky News posté Un
pilote israélien de 29 ans, qui pilote des avions de chasse F-15 contre
des cibles à Gaza, a interviewé le journaliste. Ce pilote, qui semble
être un homme sympathique, a déclaré à l’intervieweur que « chaque
victime civile est tragique, que ce soit à Gaza ou en Israël ».
Il
a cependant ajouté que « l’aviation israélienne annule les attaques si
des civils sont identifiés au sol ». Le pilote a insisté sur le fait que
« toute opération entreprise, aussi bien dans les airs qu’au sol, est
1. liée au Hamas et 2. autorisée afin d’éviter des victimes civiles ».
Dans
ces circonstances, ce pilote suit tous les ordres en toute bonne
conscience. Et pourquoi ne le ferait-il pas ? Il vit dans un monde où il
fait partie de « l’armée la plus morale du monde », où « toutes les
opérations militaires sont légitimes et proportionnées et toutes les
victimes civiles sont involontaires ».
Il
ne fait aucun doute que le pilote croit ce qu’il dit. Il semble en
effet beaucoup moins insensible que les Israéliens décrits par Gideon
Levy. Bien sûr, les pilotes volent assez vite et assez haut pour ne
jamais voir clairement le massacre qu’ils provoquent.
Pour
l’infanterie israélienne, les choses sont différentes. Sur le terrain,
la force démoralisante des combats incessants va probablement conduire à
un problème de moral croissant. Jusqu’à présent, cette tendance a été
largement contrée par le fait que ces soldats ont été élevés et éduqués
dans un monde façonné par les médias (qui entre maintenant en conflit
avec un monde fondé sur les preuves). Cependant, des fissures se forment
et on rapporte des refus répétés de retourner sur les lignes de front
israéliennes de plus en plus nombreuses.
Vus
à travers la fenêtre du monde réel, le pilote et ses compatriotes
soldats reproduisent désormais le comportement des oppresseurs des Juifs
du passé. Ce faisant, ils contribuent à détruire le droit international
et les normes des droits de l'homme. En fait, ils participent tous à
une démonstration de barbarie à l'échelle nationale.
Jetons
un autre coup d’œil à travers la fenêtre du monde des preuves. Cette
fois, nous comparerons la réalité à la performance de Mathew Miller, qui
occupe le poste de porte-parole du Département d’État américain depuis
2023.
Son
travail consiste à expliquer les actions des États-Unis de manière
rationnelle et sa spécialité est de dire des demi-vérités. Son travail
est plus difficile que celui du pilote car beaucoup de ses
interlocuteurs, principalement la presse de Washington, ont accès à des
informations (parfois de première main) qui contredisent la vision du
monde que Miller promeut.
Mais
les journalistes ne peuvent pas faire grand-chose, à part se moquer et
lever les yeux au ciel. La plupart de leurs rédacteurs en chef subissent
une énorme pression culturelle et politique pour maintenir le cap et
soutenir la ligne pro-israélienne – et peu importe les preuves
contraires.
Voici un exemple du genre de demi-vérités trompeuses que Miller et ses patrons diffusent. Le 19 septembre, Miller a été invité à répondre
Les critiques ont été accueillies avec enthousiasme, car « l’appel des
États-Unis au calme [à Gaza] tout en continuant à armer Israël n’était
pas une stratégie efficace pour réduire les tensions au Moyen-Orient ».
La contradiction présentée était évidente, alors comment Miller a-t-il
réussi à la contourner ? Il a répondu : « Nous sommes mandatés – nous
sommes tenus par la loi de garantir qu’Israël dispose d’un avantage
militaire qualitatif sur ses rivaux dans la région. Ce n’est pas une
question discrétionnaire. »
Ce
que Miller omet ici, c'est que, selon la loi, ce mandat est
conditionnel. Il existe au moins trois lois américaines qui le prévoient
:
—La
loi Leahy, qui interdit au gouvernement américain d’utiliser des fonds
pour aider les forces de sécurité étrangères lorsqu’il existe des
informations crédibles les impliquant dans la commission de violations
flagrantes des droits de l’homme.
—La
loi de mise en œuvre de la Convention sur le génocide prévoit des
sanctions pénales pour les personnes qui commettent ou incitent d’autres
personnes à commettre un génocide.
—La
loi sur l’aide étrangère, qui interdit de fournir une assistance à un
gouvernement qui « commet de manière systématique des violations
flagrantes des droits de l’homme internationalement reconnus ». Cette
loi interdit également l’assistance militaire aux États qui entravent
l’aide humanitaire américaine.
En septembre, selon des sources de l’ONU, 90 pour cent de toute l'aide humanitaire
L'aide aux Palestiniens, y compris l'aide américaine, a été retardée ou
refusée par les Israéliens. La violation par Israël de toutes ces lois
américaines a été attestée par toutes les organisations crédibles de
défense des droits de l'homme de la planète. L'administration Biden et
le Congrès ont ignoré les preuves et les lois humanitaires.
Des Israéliens au passage de Kerem Shalom bloquent l'entrée de l'aide humanitaire à Gaza
en février. (Yaïr Dov, Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0)
Ironiquement,
cette situation générale a généré un sentiment antisioniste dans le
monde entier qu’Israël qualifie d’antisémitisme, et qu’il utilise
ensuite pour obtenir du soutien à sa barbarie.
Un autre exemple de notre monde façonné par les médias
Bien
que l’attitude des États-Unis à l’égard de la situation actuelle dans
le conflit israélo-palestinien, et en particulier du génocide à Gaza,
soit l’exemple le plus frappant de la façon dont les Américains vivent
dans un monde essentiellement façonné par les médias, ce n’est pas le
seul cas en cours. La guerre dévastatrice en Ukraine a également été
déformée – encore une fois en ne présentant pas l’histoire dans son
intégralité.
L'histoire complète L'invasion
russe de l'Ukraine aurait informé le public que, contre l'avis des
diplomates américains experts dans les relations avec la Russie, les
hommes politiques américains ont poussé l'expansion vers l'Est de l'OTAN
après l'effondrement de l'Union soviétique en décembre 1991.
A
l'époque, cela était facile à faire, car la nouvelle République russe
était en plein désarroi politique et économique. Aujourd'hui, le
désarroi est passé et les Russes ont exprimé à plusieurs reprises le
fait qu'ils se sentent menacés par « l'empiétement de l'OTAN ».
D'ailleurs, ils ont essayé de négocier la question lorsque l'Ukraine
s'est tournée vers l'Occident et a cherché à rejoindre à la fois l'Union
européenne et l'OTAN. Le rejet occidental des efforts de négociation de
la Russie a contribué à déclencher l'invasion russe.
Les
médias grand public aux États-Unis ont été cooptés au point que, du
moins sur les questions de politique étrangère, ils ne sont guère plus
qu'un véhicule d'agitation politique gouvernementale. Jonathan Cook le dit« Ce ne sont pas des journalistes. Ce sont des propagandistes au service de leur gouvernement. »
La
plupart d’entre nous savons faire la différence entre des reportages
biaisés et la réalité ? Si ces reportages sont conformes à une vision
culturelle du monde établie, la réponse est probablement non. Le
problème s’aggrave lorsque la plupart de nos amis, voisins et membres de
notre famille considèrent activement les reportages des médias comme
véridiques.
Il
est évident à présent à quel point cette situation peut être
dangereuse. Les guerres américaines au Vietnam, en Irak, en Afghanistan
et en Ukraine (et ce n’est là qu’une courte liste) ont recueilli le
soutien populaire grâce à des reportages sélectivement biaisés et à la
tromperie gouvernementale. La volonté des Juifs israéliens de se
transformer en une approximation des oppresseurs du passé de leurs
ancêtres européens, avec le soutien total de nombreuses administrations
américaines, repose également sur une histoire incomplète et biaisée,
rapportée à maintes reprises, au point qu’elle apparaissait jusqu’à
récemment comme vraie à première vue.
On
aurait pu espérer qu’une bonne éducation libérale aurait inculqué à la
plupart des citoyens la capacité de reconnaître et de résister à cette
faille dans les médias et le bavardage politique, mais ce ne fut pas le
cas. Le rôle de l’éducation a toujours consisté à former des citoyens
loyaux et non des penseurs indépendants. Et aujourd’hui, même
l’éducation libérale qui existe est en voie de disparition.
Il
n’y a pas de réponse simple. Nous sommes victimes de nos cultures, du
pouvoir manipulateur de nos dirigeants alliés aux médias, ainsi que de
nos racines génétiques qui nous poussent vers le tribalisme. Ceux qui
résistent à tout cela sont peut-être plus sains d’esprit, mais ils sont
également considérés comme des « erreurs sociales ».
Lawrence
Davidson est professeur émérite d'histoire à la West Chester University
en Pennsylvanie. Depuis 2010, il publie ses analyses sur des sujets
liés à la politique intérieure et étrangère des États-Unis, au droit
international et humanitaire et aux pratiques et politiques
israélo-sionistes.
L’histoire et la géographie de la Palestine ont été
supprimées des manuels scolaires israéliens il y a une dizaine d’années,
affirme l’universitaire Nurit Peled-Elhanan.
Dans The Black Image in the White Mind (L’image Noire dans l’Esprit Blanc), l’historien George M. Frederickson écrit : « Dans
les années qui ont immédiatement précédé et suivi 1800, les Américains
blancs ont souvent montré, par leurs paroles et leurs actes, qu’ils
considéraient [les Noirs] comme un élément définitivement étranger et
inassimilable de la population. » Dans le contexte de la domination
blanche américaine, les stéréotypes racistes anti-Noirs décrivent ces
derniers comme intrinsèquement inaptes, posant des problèmes innés et
dissociés de la catégorie de l’humain, une catégorie synonyme de la race
blanche.
Le chercheur franco-tunisien Albert Memmi, dans Le colonisateur et le
colonisé, a compris ces rationalisations racistes comme une série de
négations, en observant : « Le colonisé n’est pas ceci, n’est pas cela.
[Il ne sont] jamais considérés sous un jour positif ou si [ils le sont],
la qualité qui leur est concédée est le résultat d’une défaillance
psychologique ou éthique. » Dans ces régimes binaires racistes, il est
nécessaire qu’un groupe spécifique fonctionne comme « autre ».
Partout dans le monde, des groupes sont considérés comme « autres »,
et leur « altérité » est imposée par ceux qui contrôlent les formes
dominantes de discours : ceux qui ont le pouvoir de représentation pour
rabaisser, marginaliser et diaboliser. Historiquement, les écoles et les
institutions religieuses ont contribué à soutenir ce discours
déshumanisant.
Nurit Peled-Elhanan est maître de conférences en enseignement des
langues à l’Université hébraïque et au David Yellin Academic College de
Jérusalem, et auteur de plusieurs ouvrages. Dans cet entretien exclusif,
elle explique comment les manuels scolaires israéliens (et, par
extension, les écoles israéliennes) encadrent puissamment le discours
anti-palestinien et inculquent aux enfants israéliens la suspicion, la
peur et la haine des Palestiniens. Le travail de Peled-Elhanan fournit
une analyse puissante de la relation entre le pouvoir pédagogique de
l’État israélien et l’idéologie raciste et anti-palestinienne.
George Yancy : Donnez quelques exemples de la façon dont les
Palestiniens sont dépeints de manière raciste dans les manuels scolaires
israéliens.
Nurit Peled-Elhanan : Les manuels scolaires sont
toujours, et pas seulement en Israël, destinés à légitimer l’État et ses
actions. Sinon, nous n’aurions pas de manuels scolaires, ce ne seraient
que des livres. La raison d’être des manuels scolaires est donc de
légitimer l’État, et en particulier les actions controversées de l’État,
comme ce que l’on appelle les crimes fondateurs, etc. En Israël, ce qui
doit être légitimé, c’est la colonisation de la Palestine et
l’occupation en cours. Israël doit justifier ses politiques. Ainsi,
comme tous les colonisateurs, Israël dépeint les colonisés comme des
êtres primitifs, maléfiques ou superflus. Israël les dépeint comme un
groupe racialisé qui ne peut pas changer et qui ne changera jamais.
Par exemple, dans un manuel scolaire de géographie, il y a un passage
sur les facteurs qui « inhibent » le développement du village arabe.
Ainsi, on dit que les villages arabes sont éloignés du centre, que les
routes qui y mènent sont difficiles et qu’ils sont restés à l’écart du
processus de changement et de développement. Ils disent qu’ils sont peu
exposés à la vie moderne et qu’il est difficile de les raccorder aux
réseaux d’électricité et d’eau. On pourrait penser qu’il s’agit d’un
pays de la taille de l’Australie. Mais Israël est plus petit que le New
Jersey. Où sont donc ces villages isolés qui sont restés à l’écart du
développement ? Ou alors, on dit que la société arabe est traditionnelle
et qu’elle s’oppose aux changements par nature, qu’elle est réticente à
adopter des nouveautés. La modernisation leur semble dangereuse et ils
ne sont pas disposés à faire des concessions pour l’intérêt général. Ils
sont également décrits comme un problème et une menace démographique,
comme une menace pour la sécurité. Et c’est parce qu’ils sont considérés
comme une menace démographique que les massacres et leur élimination
sont légitimés. Un manuel scolaire indique que l’un des massacres, celui
de Deir Yassin, qui a provoqué la fuite panique des Palestiniens,
résultait d’un problème démographique effrayant. Même Chaim Weizmann, le
premier président d’Israël, a qualifié la fuite des Palestiniens de
miracle. L’idée est que les Israéliens doivent être plus nombreux que
les Palestiniens. Si nous sommes plus nombreux qu’eux, nous serons en
sécurité.
Ils comparent sans cesse le nombre d’Arabes et de Juifs dans les
manuels scolaires, dans toutes les matières, en particulier la
multiplication. Les manuels scolaires désignent les Palestiniens comme
les Arabes d’Israël ou le secteur non juif. On ne trouve jamais
l’étiquette « Palestinien », sauf lorsqu’elle est associée à la terreur.
La communauté bédouine, par exemple, les tribus bédouines qui vivent
sur le territoire depuis des milliers d’années, sont appelées la
diaspora bédouine, pour donner l’impression qu’elles ne sont pas à leur
place. Les cartes des manuels scolaires ignorent complètement
l’existence de la Palestine et des Palestiniens. Même sur une carte qui
montre la population arabe, on ne trouve pas une seule ville arabe, pas
même Nazareth.
Ils justifient les lois racistes, telles que la loi sur la
citoyenneté, qui ne permet pas à un couple (dont l’un est citoyen
israélien et l’autre originaire des territoires occupés) de vivre
ensemble. Ils justifient ce type de loi raciste, illégale et
anticonstitutionnelle en citant l’ancien président de la Cour suprême
d’Israël, qui a déclaré à propos des Palestiniens : « Les droits de
l’homme ne doivent pas être une recette pour le suicide national. »
Ainsi, l’image globale est que vous savez qu’ils représentent une
menace et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme des personnes.
Ainsi, toute la discrimination, l’élimination et le confinement des
citoyens arabes sont légitimés par cette excuse : la nécessité d’être
une majorité, de maintenir le caractère juif de l’État. Il fut un temps
où une politique encourageait la naissance de quatre enfants par famille
dans le secteur juif afin de dépasser le nombre d’Arabes. Les familles
étaient récompensées. On les appelait les « familles bénies ».
Aujourd’hui, cette politique n’existe plus. Lorsque Benjamin Netanyahou
est devenu ministre des finances, il a mis fin aux allocations que
recevaient les familles nombreuses. Mais il s’agissait d’une politique
visant à les rendre moins nombreuses.
À quel âge ces livres sont-ils présentés aux enfants israéliens ?
Cela commence à l’école maternelle. Les manuels scolaires reflètent
le discours. C’est ce que dit le linguiste Gunther Kress : Les textes
sont une ponctuation de la sémiose ou de la création de sens, à un
moment précis. C’est pourquoi les manuels scolaires changent d’un
gouvernement à l’autre. Il s’agit donc du discours, du discours social.
Il se reflète dans les manuels scolaires ; les manuels scolaires
n’inventent pas ce type de discours.
Ce que votre travail montre, c’est que les images des manuels
scolaires ne sont pas anodines, sans conséquence ou simplement destinées
à divertir. Ce que vous montrez, c’est que les images racistes ont de
profondes implications existentielles. La déshumanisation des
Palestiniens par les manuels scolaires israéliens permet leur
décimation. Après tout, si les enfants israéliens sont élevés en
acceptant la « vérité inconditionnelle » de ce qui est écrit ou
représenté par des images dans leurs livres et leurs espaces
pédagogiques, alors tuer des Palestiniens par le biais d’une punition
collective n’a pas le même poids éthique que la perte de vies
israéliennes.
Dans Palestine in Israeli School Books : Ideology and
Propaganda in Education (La Palestine dans les manuels scolaires
israéliens : Idéologie et propagande dans l’éducation), vous écrivez : «
Les non-citoyens palestiniens des territoires occupés sont souvent
dépeints comme des terroristes, et cette représentation renforce la
politique, présentée dans les livres scolaires comme une nécessité
convenue, de contrôle constant, de restriction de mouvement et même
d’assassinats extrajudiciaires. » Il y a là une profonde ironie. Nous
savons que les Juifs ont fait l’objet d’une propagande déshumanisante de
la part de l’Allemagne nazie. Les Juifs étaient décrits comme des «
parasites » qui devaient être éliminés, exterminés de la pureté de la «
race aryenne ». Les Palestiniens sont clairement le groupe d’exclus.
Comment voyez-vous spécifiquement le sionisme comme une force
idéologique qui crée un groupe interne qui ne doit pas être « souillé »
par le groupe externe ? Après tout, le sionisme en tant que forme de
construction d’une nation ne signifie pas seulement l’utilisation de
stéréotypes racistes, mais aussi le contrôle de l’espace géographique.
Pourriez-vous nous expliquer comment, selon vous, ces deux formes de
violence fonctionnent en tandem dans le cadre du projet même du sionisme
?
L’identité israélienne est une identité territoriale. L’identité
nationale et l’identité territoriale ne font qu’un. Le territoire est
donc un facteur très important de notre identité. Nous sommes de la
terre et nous devons l’occuper. Mais je pense que la façon dont ils ont
traité, depuis le début du sionisme […] est la façon dont tous les
colonialistes ont traité les populations indigènes : on dit qu’ils sont
primitifs, et nous apportons le progrès. On dit qu’elles n’existent pas.
Elles sont considérées comme faisant partie du paysage. Je pense que
toutes les puissances coloniales ont traité la population locale de la
même manière. Le sionisme était donc un mouvement national européen.
Comme tous les mouvements nationaux européens, le sionisme a défini qui
est humain et qui est « autre ». Et l’autre, c’est l’« l’homme de l’est,
l’oriental ». Tout ce qu’ils voulaient, c’était se débarrasser de
l’Orient, parce que les Juifs étaient appelés les Orientaux en Europe,
comme s’ils étaient une race « orientale », et ils voulaient s’en
débarrasser. Ils voulaient s’occidentaliser.
C’est l’une des choses sur lesquelles on insiste beaucoup dans les
manuels scolaires : Nous sommes l’Occident. L’histoire des Juifs en
Orient ou dans les pays musulmans n’est même pas mentionnée, bien qu’ils
aient eu une vie très harmonieuse et enrichissante dans les pays
musulmans pendant des milliers d’années. Mais elle n’est même pas
mentionnée. Ils ont donc voulu s’occidentaliser et effacer l’histoire du
pays pour reproduire le mythe de la continuité, comme si les Juifs qui
venaient d’Europe rentraient chez eux, sur leur terre. Ainsi,
l’histoire, la culture et tout ce qui existait auparavant sur la terre
de Palestine ou d’Israël arabe ont été effacés. Ils l’ont également fait
dans le domaine de l’archéologie. Il n’y a pratiquement aucune
découverte archéologique de Palestine ou de l’époque ottomane. Les
Ottomans ont régné ici pendant 600 ans, mais il n’y a pratiquement rien.
Si vous vous rendez dans un parc en Israël, on vous dira qu’il
s’agissait de tel ou tel endroit pour les Romains, les Byzantins, les
Croisés, les Britanniques et les Sionistes. Deux mille ans d’histoire
sont effacés. Tous ces éléments réunis peuvent donc expliquer l’attitude
israélienne. Et bien sûr, comme tous les colonialistes, les dirigeants
sionistes utilisent un discours raciste pour vilipender les populations
indigènes, et pour légitimer leur discrimination et leur élimination.
On pourrait dire que les Juifs éthiopiens sont un groupe qui
vit une sorte d’« altérité » au sein d’Israël. Dans votre livre,
Holocaust Education and the Semiotics of Othering in Israeli Schoolbooks
(L’enseignement de l’Holocauste et la Sémiotique de l’Altérité dans les
manuels scolaires israéliens), vous expliquez comment les Juifs arabes
et les autres Juifs non européens sont eux aussi des victimes du
sionisme. Dans votre livre, vous qualifiez les Juifs non européens qui
se sont installés en Israël de « victimes des victimes ». Comment les
récits sionistes contribuent-ils à l’« éviction » des Juifs non
européens ?
Comme je l’ai dit, le mouvement sioniste était un mouvement européen.
Depuis qu’ils sont arrivés en Palestine, ils ont voulu s’occidentaliser
et s’indigéniser en même temps : comme s’ils revenaient. L’idée était
de créer une patrie pour les Juifs européens. Ils ne s’intéressaient pas
aux autres Juifs, surtout pas à ceux des pays arabes ou africains. Mais
après l’Holocauste et l’extermination des Juifs européens, ils avaient
besoin de personnes pour peupler le futur État d’Israël. Ils les ont
donc cherchés dans d’autres pays, et ils les ont trouvés dans des pays
musulmans. Mais l’idée était qu’ils étaient barbares et primitifs,
pleins de germes et de maladies, et ainsi de suite, et qu’ils devaient
être enfermés dans des camps jusqu’à ce qu’ils puissent s’intégrer. Ils
devaient abandonner leur culture, leur arabité ou leur africanité, leur
langue, leur musique, leurs coutumes, leur religion, et adopter cette
autre religion, cet autre judaïsme qui s’est développé en Europe de
l’Est. De nombreuses personnes écrivent à ce sujet; Ela Shohat, et
d’autres. Ils les ont donc transformés en victimes des victimes, parce
que ceux qui les ont traités de cette manière étaient en réalité les
victimes, les survivants.
Ils ont été maintenus dans ce que l’on appelle le colonialisme
intérieur ou le colonialisme interne. Aujourd’hui encore, quatre
générations après leur arrivée en Israël, leurs petits-enfants sont
toujours appelés Marocains, ou même « sales Marocains ». Ils sont
appelés par leur ethnie : les Juifs ashkénazes, cependant, sont la
norme, les non marqués. On ne leur donne pas le nom d’une ethnie. Mais
les non-Ashkénazes, bien qu’ils soient sur le territoire depuis quatre
générations, sont toujours appelés par leur appartenance ethnique. Les
écarts en matière d’éducation, d’emploi et de richesse se creusent, au
lieu de se réduire.
C’était une chose horrible, et la façon dont ils ont été traités les a
ruinés. Elle a ruiné la famille, elle a ruiné la communauté. C’était un
désastre. En fait, Israël n’a pas voulu que les Éthiopiens viennent
pendant de nombreuses années. Les Juifs éthiopiens, ou Beta Israël (la
maison d’Israël), comme ils s’appellent eux-mêmes, voulaient venir à
Sion pour des raisons religieuses. Les Juifs arabes n’étaient pas non
plus sionistes, bien que certains d’entre eux aient participé à des
mouvements sionistes, mais leurs motivations étaient essentiellement
religieuses et non politiques. Ils voulaient venir à Jérusalem, c’est
tout. Les Juifs éthiopiens, qui pensaient être les seuls Juifs au monde,
voulaient venir à Sion. Lorsqu’ils ont appris qu’il y avait une
possibilité, ils ont commencé à demander à venir. Mais Israël ne voulait
pas d’eux. Ce n’est qu’après que l’Assemblée générale des Nations
unies, en 1975, a déclaré que le sionisme était un mouvement raciste
qu’ils ont décidé de les faire venir pour prouver qu’ils autorisaient
l’entrée des Noirs. Mais il a fallu attendre plusieurs années avant
qu’ils ne commencent à venir.
La façon dont ils les ont amenés a été désastreuse. Ils les ont fait
marcher jusqu’au Soudan, puis les ont fait attendre au Soudan dans des
conditions de vie déplorables pendant des mois et des mois. Les morts se
comptaient par milliers. Et puis ils ont défini cela, ou l’ont
couronné, comme une merveilleuse opération clandestine de « nos braves
soldats ». Ils les ont fait venir et les ont placés dans ces camps,
qu’ils appelaient camps d’absorption, centres d’absorption. Ils étaient
complètement dépendants de la bureaucratie israélienne. Ils ne pouvaient
pas prendre de décisions concernant leur propre bien-être. Ils ont dû
abandonner toutes leurs coutumes, leurs chefs religieux, leur religion,
car ils s’appuyaient sur la Bible et non sur la Halachah, qui avait été
élaborée en Europe de l’Est – ils ne la connaissaient même pas. Ils ne
pouvaient pas non plus choisir les écoles pour leurs enfants.
Les manuels scolaires le reproduisent encore aujourd’hui en traitant
les Juifs éthiopiens comme un « problème » auquel l’État doit faire
face. Et aujourd’hui, plus de 40 ans après leur arrivée, ils sont
toujours traités comme un problème. Ils doivent étudier toutes sortes de
textes écrits par des Européens au siècle dernier, dans les années 60,
sur la vie en Éthiopie et entendre qu’ils sont patriarcaux, primitifs,
qu’ils marient leurs filles à l’âge de 9 ans, etc. Rien n’est dit sur
leur contribution au pays. Il y a des artistes, des chanteurs, des
danseurs, des scientifiques, tout. Ils ne sont mentionnés que lorsqu’ils
sont de « bons soldats ». Tous les livres le mentionnent. Ils sont
séparés dans des programmes spéciaux pour les Éthiopiens, même s’ils
sont nés en Israël, même à l’université, à l’école d’infirmières, à
l’armée. Ces programmes spéciaux sont destinés à les occidentaliser
comme Israël est occidental, ce qui est absurde. Et pourtant, ils
doivent lire ces textes. Tous les textes les concernant sont écrits par
des Juifs ashkénazes. Il n’y a pas un seul texte éthiopien dans tous les
programmes, bien qu’il y ait des écrivains (et des sociologues et des
psychologues) qui ont reçu des prix. Aujourd’hui, les intellectuels
israéliens d’origine éthiopienne ont commencé à s’opposer et à réfuter
le récit du sauvetage. Il existe aujourd’hui un mouvement de résistance à
tout cela. Mais c’est très difficile.
La police les traite comme elle traite les Noirs en Amérique et en
Angleterre. Ils les abattent dans les rues. Récemment, un procès a été
mené à son terme. Un policier a tiré sur un Israélien éthiopien de 18
ans et le policier a été acquitté. Pendant tout le procès, les juges ont
traité le policier comme s’il était la victime et les parents de ce
jeune comme s’ils faisaient obstruction. Le chef de la police a dit :
Oui, que pouvons-nous faire ? Ils sont noirs. Et cela se retrouve dans
les manuels scolaires. Les manuels scolaires vous disent qu’ils ne
peuvent pas s’intégrer, ou qu’ils ont du mal à s’intégrer, parce qu’ils
ont toutes sortes de coutumes auxquelles nous ne sommes pas habitués,
comme le respect des aînés, l’autorité parentale ! Des choses horribles
comme ça. Et la couleur de la peau. Les manuels scolaires reproduisent
donc le racisme de l’État. Ils les montrent toujours, sur les photos,
affalés sur le sol dans un désert et on ne voit même pas leur visage.
Je demande toujours à mes étudiants où vivaient les Juifs éthiopiens
en Éthiopie. Ils répondent : dans le désert, ce qui est faux. Ils
vivaient au sommet des collines parce qu’ils avaient besoin d’eau pour
les troupeaux. Pendant le COVID, une conférencière éthiopienne du David
Yellin Academic College a donné une conférence au personnel et a posé la
même question : « Où pensez-vous qu’ils vivaient ? » Les conférenciers
ont tous répondu « dans le désert », car c’est la seule image des Juifs
éthiopiens que nous ayons vue. C’est horrible.
J’ai fait du bénévolat auprès d’enfants dans un centre d’intégration
près de chez moi. Les conditions de vie y étaient épouvantables, tout
comme le traitement qui leur était réservé à l’école. Le racisme qui
règne dans les écoles les empêche de participer à toutes les activités
auxquelles les enfants blancs ont accès. Bien sûr, c’étaient des enfants
merveilleux et brillants, et je suis toujours en contact avec certains
d’entre eux. L’une d’entre elle était techniciene dans l’armée de l’air
israélienne. Mon mari et moi sommes allés à son mariage et il n’y avait
pas une seule personne blanche à ce mariage, ni aucun de ses anciens
camarades de l’armée, ni aucun de ses camarades actuels, pas même un
seul. Mais comment est-ce possible ? Je suis sûr qu’elle a invité tout
le monde. C’est une anecdote, mais je la mentionne pour vous montrer
l’attitude à l’égard des Juifs éthiopiens. J’ai entendu des enseignants
dire qu’ils puaient. J’ai entendu des professeurs dire qu’ils n’étaient
pas sacrés parce qu’ils abattaient eux-mêmes les vaches..
Cela me rappelle l’horrible réalité de la génération volée,
où les Australiens blancs ont forcé les enfants aborigènes et insulaires
du détroit de Torres à quitter leurs parents. L’objectif est d’effacer
toute trace de leur identité culturelle.
Oui. Dans ce cas, toute l’éducation des enfants éthiopiens israéliens
vise à les changer, et non à apprendre à les connaître, à apprendre
d’eux ou à reconnaître leurs contributions à une société
multiculturelle. J’ai demandé à une enseignante si elle pensait que ces
changements les déconnecteraient de leur culture, de leur communauté et
de leur famille. Elle m’a répondu : « Oui, j’espère qu’ils enseigneront
aussi à leurs parents. » Donc, oui, ce sont les mêmes processus
coloniaux qui ont eu lieu en Australie et au Canada. Il s’agit de la
même « mission civilisatrice ». C’est la mission civilisatrice de
l’homme blanc. Les Éthiopiens ont été choqués à leur arrivée, car ils
pensaient venir dans la « Jérusalem d’or » et, soudain, ils ont été
traités comme des non-Juifs, ce qui a provoqué de nombreux suicides. Ils
étaient traités comme des bêtes, ce qui n’a pas changé jusqu’à
aujourd’hui.
Comment envisagez-vous un moyen efficace de démanteler les
stéréotypes anti-palestiniens en Israël qui sont à l’origine de tant de
violence ? En quoi le fait de repenser l’éducation et de repenser
radicalement les programmes scolaires en Israël pourrait-il faire la
différence ?
On pourrait avoir un programme scolaire entièrement nouveau si on le
voulait. J’ai parlé des livres jusqu’en 2014 environ, parce qu’après
cette date, on ne trouve plus du tout de Palestiniens dans les manuels
scolaires, ni d’Éthiopiens. Vous avez des problèmes abstraits de
terreur, mais personne ne parle d’eux en tant que personnes. Il y a eu
un changement à la fin des années 90, lorsque de nouveaux historiens ont
parlé de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), mais
aujourd’hui, il n’y a rien ; c’est comme s’ils n’existaient pas. Ces
livres sont comme des pamphlets évangélistes. Même les photos que vous
voyez, toutes les photos des gens dans les livres scolaires sont blonds
avec des yeux bleus. En réalité, la plupart des Israéliens ne sont pas
blonds. J’ai demandé à un graphiste qui avait conçu un manuel scolaire
pourquoi il avait fait cela. Il m’a répondu : « Eh bien, ça fait bien. »
Ces livres sont vraiment des livres de propagande.
Chaque année, je vérifie s’il y a des nouveautés dans ces livres,
mais il n’y a pas du tout d’ « autres » dans ces livres, pas la moindre
diversité. La situation ne fait donc qu’empirer. Mais bien sûr, si vous
voulez donner un sens, vous devez construire un nouveau programme, qui
ne sera pas seulement ce que l’on appelle le récit pédagogique, mais
aussi le récit performatif, le récit des personnes qui ne sont jamais
incluses dans le récit pédagogique ou le récit officiel, les personnes
dont les voix ne sont pas entendues (les récits écrits par les Bédouins,
les Circassiens, les Druzes, les Palestiniens, les Juifs éthiopiens,
les Juifs arabes, les Juifs russes) parce qu’Israël est un endroit avec
tant de langues, tant de groupes de personnes qui n’ont rien en commun,
soit dit en passant. Ce n’est pas un pays multiculturel, mais il y a
beaucoup de cultures en son sein. La seule façon d’avancer est d’avoir
un récit du peuple compréhensible, ce que l’universitaire indien et
théoricien critique Homi Bhabha appelle le récit performatif, celui qui
compte, celui qui affecte vraiment la vie des gens. En Israël, personne
n’a d’histoire, sauf l’histoire sioniste. Nous ne savons rien, même à
propos des Juifs européens. Nous ne savons rien, sauf qu’ils ont été
exterminés.
L’écrivain palestinien libanais Elias Khoury a écrit un livre
intitulé Children of the Ghetto : My Name Is Adam (Les enfants du ghetto
: mon nom est Adam) dans lequel il raconte l’histoire d’un Palestinien
en proie à la douleur et au chagrin. Le livre raconte l’histoire d’un
homme qui a été amené à enterrer et à brûler les cadavres après les
massacres. Khoury appelle ces personnes des Sonderkommandos. Il raconte
l’histoire de l’un d’entre eux, en fait un être humain individuel qui a
une histoire. Et lorsque vous lisez cette histoire en contraste avec
l’histoire israélienne racontée dans les livres d’histoire, c’est la
différence avec un récit pédagogique ou officiel, c’est le récit des
marginaux, le récit des personnes qui sont devenues des objets
collectifs. Et c’est ainsi qu’il faut procéder, pour donner une voix à
ceux qui n’en ont pas. Mais l’histoire des Juifs éthiopiens n’est pas
écrite par des Juifs éthiopiens. Tout est anthropologique, et tout est
fait d’un point de vue eurocentrique, d’un point de vue raciste. Je
pense que la seule façon de procéder n’est pas de confronter les deux
récits officiels, palestinien contre israélien. Cela a été fait. Ni
Israël ni la Palestine n’autorisent son utilisation à l’école. Mais nous
devons prendre en compte les récits de tous les habitants, et c’est là
que vous trouverez des choses fascinantes sur la vie commune qui régnait
dans cet endroit pendant la période ottomane et avant, qui était riche
et harmonieuse sur le plan culturel, économique et agricole. Les gens
étaient très cosmopolites. Tout était réuni sans que personne ne perde
son identité ou son appartenance religieuse. J’aimerais voir cela.
Nous avons essayé de le faire avant l’assaut de 2009 sur Gaza. Nous
avons essayé de former un groupe d’experts qui commencerait à rédiger ce
programme. Un groupe formidable est venu, tous bénévoles. Mais Israël a
attaqué Gaza et les Palestiniens n’ont pas voulu et n’ont plus pu
venir. Mais je pense qu’il y a beaucoup de gens qui aimeraient le faire,
parce que c’est toujours beaucoup plus intéressant que toute cette
propagande politique que l’on trouve dans les livres scolaires, qui ne
parle que de pogroms, de guerres et de massacres de juifs.
Aujourd’hui, l’idée qui unit les gens ici est que nous sommes tous
des victimes de l’Holocauste et que nous pouvons être à nouveau victimes
de l’Holocauste si nous ne faisons pas attention. Telle est l’idée. Il
faut traumatiser les enfants pour les rendre loyaux, afin qu’ils ne
quittent pas le pays. Et c’est écrit dans tous les livres. Ce qui est
arrivé aux Juifs en Europe est arrivé parce qu’ils n’avaient pas d’État
ni d’armée. Vous obligez les gens à rester, les jeunes, vous les
effrayez à mort. Vous savez, les gens disent : « N’allez pas en Turquie,
ils nous détestent. » Qu’est-ce que vous voulez dire ? Ils nous
détestent. Ils m’aiment quand je viens au marché acheter des tapis. Je
me souviens que lorsque j’ai emmené mon fils en Grèce à l’âge de 8 ans,
son cousin m’a dit : « N’y va pas ! Ils nous ont exterminés. » Il y a
cinq mille ans, ils ont détruit le temple. Et cette attitude est très
forte en Israël. N’allez pas à Athènes. Ils sont antisémites. N’allez
pas là-bas, il y a des Arabes. L’Holocauste est donc ce qui unit tout le
monde et plane au-dessus de nous en permanence, avec un mépris pour les
vraies victimes de l’Holocauste parce que, vous savez, elles n’ont pas
riposté.
Cela ressemble à un processus de nazification des Arabes…
Oui ! Depuis qu’Israël s’est lié d’amitié avec l’Allemagne en 1953 et
a accepté l’argent des réparations, le rôle d’exterminateur potentiel
est passé aux Arabes, sans quoi nous n’avons aucune raison d’être ici et
d’être armés jusqu’aux dents. Les Arabes ont reçu le rôle
d’exterminateurs potentiels sans raison, sans cause. Je veux dire que
les Arabes n’ont jamais exterminé les Juifs. Les musulmans ont rarement
perpétré des pogroms contre les Juifs. Il y a eu quelques incidents,
certes, mais ils n’ont jamais pensé à une solution finale. En 1953,
David Ben-Gourion a déclaré : « Je prends l’argent des réparations
allemandes pour que nous puissions nous défendre contre les Arabes nazis
», et c’est ainsi qu’il a inventé le terme « Arabes nazis ». Puis ils
ont dit : « Nous vivons dans les frontières d’Auschwitz ». Et Menachem
Begin a déclaré que l’attaque des camps de réfugiés au Liban nous avait
sauvés d’un « autre Treblinka ». Tel est le discours. Et aujourd’hui
encore, ils traitent les Palestiniens de Gaza de nazis. Ce qui s’est
passé le 7 octobre a été immédiatement comparé à la Shoah, à
l’Holocauste. Immédiatement. Et cela fonctionne. Nous sommes une
puissance nucléaire et ils n’ont rien, mais ils sont décrits d’une part
comme des êtres humains primitifs et superflus, et d’autre part comme
des nazis tout-puissants. Et ça marche.
*
George Yancy est professeur de philosophie Samuel Candler Dobbs à
l’Université Emory et boursier Montgomery au Dartmouth College. Il est
également le premier boursier de l’Université de Pennsylvanie dans le
cadre du Provost’s Distinguished Faculty Fellowship Program (année
universitaire 2019-2020). Il est l’auteur, l’éditeur et le coéditeur de
plus de 25 ouvrages, dont Black Bodies, White Gazes ; Look, A White ;
Backlash : What Happens When We Talk Honestly about Racism in America ;
et Across Black Spaces : Essays and Interviews from an American
Philosopher publié par Rowman & Littlefield en 2020. Ses ouvrages
les plus récents comprennent une collection d’entretiens critiques
intitulée Until Our Lungs Give Out : Conversations on Race, Justice, and
the Future (Rowman & Littlefield, 2023), et un livre coédité (avec
le philosophe Bill Bywater) intitulé In Sheep’s Clothing : The Idolatry
of White Christian Nationalism (Roman & Littlefield, 2024).
John Stockwell fue «oficial de
caso» de la CIA a cargo de operaciones de propaganda en lugares como
Angola y Vietnam. En esta entrevista que tradujimos y subtitulamos para
nuestro programa de televisión La pupila asombrada
Stockwell relata cómo la Agencia Central de Inteligencia utiliza
periodistas y académicos, agencias de prensa como Reuters y AFP y
grandes medios como The Washington Post y la revista Time para construir
noticias falsas y estereotipos sobre países y procesos que Estados
Unidos considera enemigos.
P: John, Ud. estuvo en Vietnam trabajando para la CIA, tengo entendido que estuvo en ese país ¿En qué años estuvo allá?
R: Del 73 al 75 justo después de la evacuación de tropas y salí en la evacuación de abril del 75
P ¿Cuánto tiempo estuviste en la CIA?
Trece años,
yo fui un oficial de caso en el terreno, serví en África y en Vietnam y
eventualmente en un subcomité del Consejo de Seguridad Nacional en
Washington
P: Se sabe que Ud. estuvo en Angola…
R: También dirigí la acción encubierta
angoleña, pero yo la dirigí desde Washington. Estas cosas eran globales y
como jefe de la Fuerza de Tarea de Angola mi oficina estaba en
Washington.
P: ¿Cuando Ud abandonó la CIA?
R: En marzo de 1977 me fui a testificar ante el Senado y hacerlo público y tratar de escribir un libro, lo cual hice.
P: Entraré en eso un poco más
tarde. Me gustaría hablar sobre qué tipo de experiencias uno tiene
cuando se deja la CIA y se comienza a hablar. Nosotros
tenemos la impresión de que todo lo que hace la CIA es recopilar
inteligencia,la inteligencia es información, por supuesto, ahora, uno
pensaría que si obtuviste información que se basaba en hechos y si eso
es así, ¿qué hiciste con ella?
R: Bueno, una de las cuatro funciones
principales de la CIA es recopilar inteligencia e idealmente enviarla al
Presidente, a los usuarios de la información, a los hacedores de
políticas. Yo diría que hay otras funciones, sin embargo algunas de
ellas más legítimas que otras, una es ejecutar guerras secretas, la
acción encubierta de la que se ha escrito y que se habla tanto como lo que está pasando hoy en Nicaragua desde Honduras.
Otra cosa es difundir propaganda para
influir en la mente de las personas, y esta es una función importante de
la CIA, y desafortunadamente, por supuesto, se superpone con la
recopilación de información,usted tiene contacto con un periodista le
dará historias verdaderas, obtendrá información de él, y también le dará
historias falsas.
P: ¿Compras su confianza con historias verdaderas?
R: Compras su confianza y lo engañas.Hemos visto que esto sucedió recientemente con Jack Anderson, por ejemplo, quien tiene sus
fuentes de inteligencia, y también ha admitido que ha sido engañado por
ellos, una de cada cinco historias simplemente es falsa.
También trabajas en sus vulnerabilidades
humanas para reclutarlos en un sentido clásico para convertirlos en tu
agente, de modo que puedas controlar lo que hacen, para que no tengas
que comprometerlo, Ud. sabe, con algo sobre ellos, de manera que puedas
pedirle: inserta esto el próximo martes.
P: ¿Puedes hacer esto con reporteros responsables?
R: Sí, el Comité Church mencionó esto en
1975, y entonces Woodward y Bernstein publicaron un artículo en la
revista Rolling Stones un par de años más tarde: 400 periodistas
cooperando con la CIA,incluyendo algunos de los más renombrados del gremio, de manera consciente introduciendo historias en los medios de prensa
P: Bueno, dame un ejemplo
concreto de cómo usaste la prensa de esta manera, cómo se planta la
historia falsa y cómo logras que se publique.
R: Bien, por ejemplo, en mi guerra, la
guerra que ayudé a manejar en Angola, un tercio de mi personal era
propaganda, irónicamente a esto se le llama dentro de la CIA «acción
encubierta», afuera este término significa la parte violenta, tuve
propagandistas en todo el mundo, principalmente en Londres, Kinshasa y
Zambia, recopilábamos historias que escribíamos y las poníamos en el
Zambia Times, y luego las sacábamos y las enviábamos a los periodistas
en nuestra nómina en Europa, y su tapadera sería que las habían obtenido
de su colaborador en Lusaka, quien las había obtenido en el Zambia
Times,tuvimos la complicidad del gobierno de Zambia, de Kenneth Kaunda,
para poner estas historias falsas en
sus periódicos, pero después de ese punto las recogían los periodistas
de Reuters y AFP, cuya dirección no conocía su origen, pero nuestro
contacto en Europa sí e inyectamos docenas de historias sobre
“atrocidades cubanas”, “violadores cubanos”, en un caso hicimos que los
“violadores cubanos” fueran capturados y juzgados por las doncellas
ovahimba, que habían sido sus víctimas, y
luego publicamos fotografías que aparecieron en casi todos los
periódicos del país de los cubanos ejecutados por las mujeres ovahimba
que supuestamente habían sido sus víctimas.
P: ¿Estas eran fotos falsas?
R: Oh, absolutamente, no conocíamos ni una sola atrocidad cometida por los cubanos, era pura propaganda cruda y falsa para
crear una ilusión de comunistas, ya sabes, comiendo bebés para el
desayuno, y esa era nuestra propaganda, totalmente falsa.
P: John, ¿se practicaba este tipo de cosas en Vietnam?
R: Oh, un esfuerzo sin fin de propaganda masivo en Vietnam en los años 50 y 60, incluyendo los miles de libros que se publicaron, varios cientos en inglés, que también eran libros de propaganda
patrocinados por la CIA, se da algo de dinero a un escritor, se le dice
escribe este libro para nosotros, escriba lo que quiera, pero en estos
asuntos asegúrese de que tenga esta línea.
P: ¿Escritores en este país? ¿Distribuidos y vendidos en este país?
R: Sí, libros en idioma inglés, que
significa que tienen al público estadounidense como objetivo, sobre
Vietnam y la historia de Vietnam y una historia del marxismo, y apoyando
la teoría del dominó, etc.
P Sin abrirnos a una demanda, ¿podría nombrar uno de ellos?
R: No, no podría. El Comité Church, al
enterarse de esto, exigió que se les entregaran los títulos para que las
bibliotecas universitarias pudieran al menos estampar
en su interior: ‘la versión de la historia de la Agencia Central de
Inteligencia’, y la CIA se negó aduciendo proteger su fuentes y métodos,
y las fuentes serían los autores que escribieron estos libros de
propaganda falsa, algunos de los cuales son ahora distinguidos académicos y periodistas.
P: Bueno, la CIA no lo niega
rotundamente. Al principio han admitido que hay algo de propaganda, pero
su posición es que todos están fuera de Estados Unidos, no en Estados
Unidos, ¿no es cierto?
R: Absolutamente, mientras estábamos
llevando a cabo la operación en Angola y difundiendo estas historias en
el mundo y la prensa estadounidense, exactamente en ese momento Bill
Colby, el director de la CIA, estaba testificando ante el Congreso,
asegurándoles que éramos extremadamente cuidadosos para asegurarnos de
que nada de nuestra propaganda se derramara hacia los Estados Unidos, y
en los mismos días en que estuvo dando este falso testimonio, estábamos
plantando historias en The Washington Post, con eso quiero decir, no a
través de Lusaka, pero en realidad volamos a un periodista de París a
Washington para plantar una historia falsa, lo mencioné y doy el texto
de la historia en mi libro.
P: ¿Así que plantaste la
historia en The Washington Post trayendo a un hombre del extranjero, y
no tuvo dificultades para pasar por encima del editor con ella?
R: Sí.
P: ¿Esto es común? ¿Es fácil?
R: Más fácil de lo que Ud. pudiera suponer. Sí, sí. Está en la línea de, por
ejemplo, que Granada sea radical. Hemos tenido artículos en The
Washington Post, en The Star antes de que cerrara y en la revista Time
que solo la CIA pudo haber escrito originalmente: ‘Base de submarinos
soviéticos’; ‘entrenamiento terrorista’. Esta es una pequeña isla donde
la principal fuente de ingresos es la venta de especias para el turismo
occidental y una gran escuela de medicina de los Estados Unidos.
Una pequeña isla de 15 millas por 10
millas de ancho con 70.000 personas, con estudiantes de medicina
estadounidenses en sus batas y sandalias con las narices en libros,
vagando por toda la isla, y sin embargo, órganos de prensa importantes,
la revista Time, publicando historias sobre que son tan radicales…
P: En Vietnam, John, ¿cuál era su relación…? ¿qué debemos regular en relación, con la prensa?
R: Siendo el papel de la CIA
multifacético, había oficiales en la embajada, oficiales de la CIA,
oficiales de alto rango, Frank Snip era uno, no de alto rango, pero él
estaba en la oficina del jefe de estación, que se reunía con la prensa
regularmente, compartía información con ellos, les daba información y
recibía información de ellos, y luego periódicamente les contaba alguna
historia, que sería falsa, pero también en otros casos muy valiosa para
el periodista, por lo que incluso los periodistas duros que nunca
cooperarían voluntariamente con la CIA la considerarían una fuente útil.
Al mismo tiempo, hay todo tipo de
personas, ya sabes, como periodistas y oficiales de casos, muchos otros
oficiales de casos realmente le tienen mucho miedo a la prensa, teníamos
países en los que los periodistas llegaban a husmear nos escondíamos y
dejábamos que el oficial de identificación hablara con ellos.
Simplemente temíamos que nos fotografiaran y escribieran algún artículo y
tuvieran alguna alusión a lo que estábamos haciendo que sería
desafortunado para nuestra carrera
P: ¿Sabían quién eras? ¿Sabían que eras de la CIA?
Todo el mundo sabe quiénes son las
personas de la CIA. Que no quepa ninguna duda, esta es una de las
mayores farsas que la CIA y el Congreso le han puesto al pueblo
estadounidense.
Como dijo Patrick Moynihan al testificar
recientemente en contra de esta Ley de Secretos Oficiales, dijo en la
ONU, dijo que se pavoneaban por todos lados como los vaqueros de Texas
con sombreros de 10 galones y botas de tacón alto.
En Vietnam teníamos Datsun amarillos y
matrículas secuenciales, así que si tenías un Datsun amarillo y 144 en
tu matrícula, tenías que ser de la CIA y todo el mundo lo sabía.
En otro país teníamos Jeeps verde
esmeralda y el ejército tenía un color verde olivo y AIG tenía jeeps
grises, así que si tenías un jeep verde verde tenías que ser de la CIA, y
cualquier negación de eso era solo irónica y superficial, ciertamente
los periodistas sabían la diferencia.
P: ¡Que desilusión! Nos estás diciendo que un espía no es un espía.
R: Allen Dulles escribió en su libro ‘El
arte de la inteligencia’, ya sabes, el famoso director de la CIA, en el
prólogo de su libro dice que un agente de inteligencia, contrariamente a
la opinión popular, tiene que ser conocido como tal, de lo contrario la
gente con secretos no sabrá a dónde llevarlos.
Él estableció la política, el precedente de viajar por el mundo cada año y reunir a sus oficiales de casos en hoteles y
tener lo que solo podría describir como una conferencia de ventas,
reuniones en las habitaciones del hotel, desayuno, almuerzo y cena y bebidas juntos en las habitaciones del hotel.
Así que no estás hablando de un inframundo, estás hablando de miembros privilegiados de la hermandad policial del mundo…
Los oficiales de la CIA no son turistas
en peligro, no los golpean. En todos los países donde pueden establecen
un enlace con la policía local y dentro de los velos de, ya sabes, su
secreto y protección, no tienen miedo y no están jugando juegos de
tapadera, están almorzando con el jefe de policía.
P: John, me gustaría saber qué
es lo que mueve a un hombre como John Stockwell, primero, por qué
estabas en la CIA, segundo, por qué renunciaste a la CIA, y me gustaría saber qué ha sucedido desde que renunciaste a la CIA y comenzaste a hablar tan abiertamente como nos has hablado.
R: Bueno, ciertamente esa es una cuestión tan complicada como el dilema que enfrenta la sociedad sobre la CIA hoy.
Entré como infante de marina, capitán del ejército de infantería de marina, antecedentes
conservadores, mi padre era un ingeniero en África contratado para
construir para una misión presbiteriana y crecí en el Congo Belga casi
tan conservador como se es capaz.
P: ¿En una atmósfera de misionero?
R: En una estación misionera, con un
padre ingeniero, pero con principios humanistas, altos ideales, falsos
ideales poco realistas para el mundo.
Educación en la Universidad de Texas, mi servicio activo en la Infantería de Marina, todo muy emocionante entre guerras.
Estaba en una compañía de
reconocimiento, lanzándome en paracaídas y bloqueando submarinos, muy
glamoroso, pero entre guerras nadie recibió un disparo, no hay problemas
morales, si se quiere.
Y luego la CIA me reclutó justo al final de la era Kennedy, acababa de recibir un disparo.
«No preguntes qué puede hacer tu país
por ti, sino qué puedes hacer tú por tu país» y toda la propaganda que
se había lanzado al pueblo estadounidense contra el comunismo, el apogeo
de la teoría del dominó y mi propia ingenuidad, pensando que fui
educado cuando en realidad no lo estaba.
Y pensé al ingresar a la CIA que estaba haciendo lo mejor que podía con mi vida y
los ideales más nobles de nuestra sociedad, pensando que estaba
mejorando a la humanidad al hacer el mundo libre para la democracia, y
solo me tomó 13 años y tres guerras secretas para darme cuenta de lo
absolutamente falso que era, y las revelaciones del Comité Church,
simultáneamente a lo de Vietnam y luego a lo de Angola. Me tomó tanto
tiempo ver el asunto desde una luz totalmente diferente, y mis ideales básicos ciertamente nunca han cambiado en términos simpatía básica por la gente del mundo.
Un servicio a este país que se remonta
tan lejos que ni siquiera tengo que lidiar con detractores que creo
dicen que soy un traidor o todo eso que es una tontería, ya sabes, con
las cosas que he hecho con mi vida, pero creo que nos estamos alejando
de los valores que nos enseñamos en la escuela, de la democracia, de las
libertades.
Creo que nos estamos vendiendo a una
organización policial muy pequeña que está absorbiendo los principios
estadounidenses tan rápido como los procesos judiciales y legislativos
pueden absorberlos, las libertades de expresión y prensa y, al mismo
tiempo continúan las políticas de asesinato en cada rincón de el mundo,
ahora mismo en Nicaragua y El Salvador.
Creo que deploro eso moralmente, pero
también creo que es extremadamente peligroso porque podría desencadenar
tan fácilmente en una confrontación mundial y con los soviéticos al
Holocausto a la guerra nuclear
P: Bueno, ¿qué está pasando? ¿Qué te ha pasado desde que dejaste la CIA y empezaste a hablar?
R: Bueno, he sido demandado por la CIA,
he sido amenazado por el FBI, no me han golpeado ni mutilado, he
ejercido mi derecho, como lo veo, a hablar y dar conferencias, y han
dejado muy claro que no lo aprecian, y como digo, me han advertido que
me pueden pasar cosas horribles, no sé si fueron «bluffs» o no, todavía no ha pasado nada.
La CIA me ha demandado por daños y perjuicios, lo cual es una cierta ironía, cuando lo piensas.
Quand il ne s'agit pas de cinéma rouge (La Grève, S. Eisenstein, 1925), représenter la grève au cinéma c'est rare et interdit. L'exemple le plus connu en France étant le film Rendez-vous des quais de Paul Carpita, de 1955, que l'on a pu vraiment voir seulemement dans les années 1990. La raison étant que la grève des dockers y est filmée comme une lutte et victoire de la common decency ouvrière.
Pour l'Otan culturelle, on peut traiter la grève au cinéma mais alors contre les grévistes: pour les "valeurs individuelles" d'un seul qui ne veut pas la faire et contre la masse d'enragés manipulés qui s'y prête. C'est ce storytelling que met en scène The Angry Silence, film britannique antirouge et anarcocapitaliste avec Sir Richard Attenborough dans le rôle du prolo à "valeurs" (et pour la défense de sa caste).
Il nous a semblé utile et
opportun de traduire et diffuser cet extrait de la très récente et très
instructive interview que John Mearsheimer vient de donner à propos de
l'étonnant spectacle donné à Washington par le Congrès US . Mearsheimer y
donne avec sa perspicacité et sa compétence coutumière, un éclairage
assez cru sur les circonstances "paradoxales" qui ont suscité l'ovation
"debout" par 58 congressmen enthousiastes, gratifiant un bref mais
hallucinant discours de leur invité d'honneur, le premier ministre
israélien.
Le
même Netanyahou étant conspué par les manifestants aux portes du
Capitole, dans un contexte politicien local qui n'est pas sans rappeler
celui de l'ovation reçue par survivant criminel de guerre nazi lors de
la prestation de Zelensky devant les députés canadiens :
L’histoire
de la CIA (Central Intelligence Agency) – ses coups montés, ses
assassinats, ses enlèvements, sa pratique de la torture, ses « sites
noirs », ses meurtres par drone, ses sales guerres et le parrainage de
régimes dictatoriaux [1] – souligne non seulement le rôle sanguinaire et
réactionnaire joué par l’impérialisme américain mais surtout la peur
mortelle de l’élite dirigeante face à la classe ouvrière internationale.
Dès
sa fondation en 1947, le CIA a reconnu que Washington ne pourrait
réaliser et maintenir son hégémonie mondiale par la seule répression.
Les luttes anticoloniales, les luttes révolutionnaires en Grèce et à
travers l'Europe, les grèves de masse autour du monde (dont la grande
vague de grèves de 1945-46 aux Etats-Unis [2]) étaient profond&eac
The Mighty Wurlitzer
Un livre détaillé sorti en 2008, The Mighty Wurlitzer: How the CIA Played America,
(Le puissant Wurlitzer : comment la CIA joue l’Amérique) de Hugh
Wilford, examine la lutte idéologique menée par la CIA entre 1947 et
1967 afin de rallier « les cœurs et les esprits » au capitalisme
américain et poursuivre la guerre froide.
C’est une sale besogne.
La CIA a créé ou manipulé des associations, des universités, des
médias, des groupes d’artistes, des fondations et des associations
caritatives pour les mettre au service de sa propagande – cherchant à
appliquer un vernis « progressiste » et même « humanitaire » au contrôle
grandissant exercé par Washington.
Malgré le temps écoulé depuis
sa publication, ce livre est toujours pertinent, car il révèle le
fonctionnement des campagnes idéologiques de la CIA et en particulier le
rôle joué par une section de l’intelligence libérale. Il ouvre les yeux
à une nouvelle génération soumise aux des tentatives incessantes de
blanchiment de la CIA et du militarisme américain. L’on se fait une idée
des opérations antidémocratiques et réactionnaires menées par
l’impérialisme américain et son appareil de renseignement, et de la
nature foncièrement criminelle et mensongère du capitalisme américain.
Surtout,
le livre démontre au lecteur l'importance que l’élite dirigeante
américaine accorde à la lutte idéologique contre le socialisme.
L’auteur
écrit à juste titre : « Ces pratiques se sont en fait intensifiées ces
dernières années ; la ‘guerre contre le terrorisme’ recrée la
mobilisation totale qui a marqué les premières années de la Guerre
froide. » Il ajoute que la CIA est « une force croissante sur les
universités. » [3]
La terme « puissant Wurlitzer » (Mighty
Wurlitzer) avait été inventé par Frank Wisner, le chef du Bureau de
coordination politique (OPC), un groupe chargé d’opérations
paramilitaires et psychologiques, créé en 1948 et intégré à la CIA en
1951. Il se targuait de coordonner un réseau capable de jouer sur
demande n’importe quel air de propagande, le comparant ainsi au célèbre
orgue de théâtre Wurlitzer.
Le CIA sélectionnait ceux qui
pourraient s’orienter dans une direction socialiste, en ciblant des
groupes ayant des griefs contre le statu quo. Elle a choisi des
représentants de groupes ethniques, de femmes, d’Afro-américains,
ouvriers, d’intellectuels et d’universitaires, d’étudiants, de
catholiques et d’artistes pour en faire des groupes écrans
anticommunistes. Ces liens fournissaient à leur tour à l’agence la
couverture requise pour influencer d’importants secteurs de la
population mondiale.
Fait plutôt ironique, alors que l'Etat
menait ses chasses-aux-sorcières maccarthystes et dressait une Liste
d'Organisations Subversives, prétendument pour démasquer les « groupes
de façade » du Parti communiste, la CIA s'occupait précisément à créer
des groupes de façade afin d'intégrer des milliers d’Américains à leur
insu dans des opérations psychologiques clandestines.
Le livre
dévoile comment des syndicalistes, artistes, et membres des professions
libérales « radicaux » ou « ex-radicaux » se sont retrouvés à
l'intérieur de ce « Wurlitzer ». [4] Ceci incluait une couche d’anciens
membres ou compagnons de route du Parti communiste, dont le romancier
Richard Wright, qui, déçus par l’expérience faite avec ce parti
réactionnaire stalinisé, n’ont pas trouvé le chemin vers le trotskysme,
mais ont trouvé une place au sein de l’appareil de renseignement
américain.
L’agence a influencé ces groupes très hétéroclites et
parfois divisés grâce essentiellement à deux méthodes. La première était
l’octroi de vastes sommes d’argent, soit par l’intermédiaire
d’entreprises telles ITT, soit par des particuliers fortunés ou par des
fondations. La seconde consistait à formater les directions de ces
groupes écrans, et en faisant ensuite prêter aux dirigeants le serment
du secret.
Wilford explique comment ces serments étaient prêtés à
l'Association nationale des étudiants (NSA), contrôlée par la CIA. «
Lorsque la CIA jugeait nécessaire d'informer un responsable de bonne foi
[ignorant le contrôle de la CIA] de l'origine du financement de
l’organisation, elle organisait une réunion entre l’individu en
question, un collègue qui était au courant, et un ancien responsable de
la NSA devenu agent de la CIA. Sur un signal convenu à l’avance, le
responsable au courant quittait la pièce. L’agent de la CIA (encore
identifié comme étant un ex-NSA) expliquait que le responsable de bonne
foi devait prêter serment de discrétion avant d’être mis au courant de
secrets vitaux. Après que le responsable ait signé un engagement formel,
l’agent révèlait alors que la CIA jouait un rôle dans les affaires de
l'association. »
Les serments étaient pour de vrai. Une violation
était passible d’une peine de prison de 20 ans. Plus tard, certains des
collaborateurs dénoncèrent l’opération comme étant un piège et qu'ils
avaient « été induits en erreur lors de l’entrée en relation avec la
CIA. » D’autres ont exprimé un accord politique et/ou l’ont considéré
comme une bonne opportunité de carrière.
Les origines des groupes écrans de la CIA
Wilford
retrace les origines des groupes secrets financés par la CIA à la
réorganisation de l’Etat effectuée sous le président Harry S. Truman.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis étaient la force
économique, politique et militaire dominante, la classe dirigeante
américaine a vite cherché à profiter de cette position pour asseoir son
hégémonie mondiale.
Truman signe la loi qui créa la CIA et le Conseil de sécurité nationale (NSC)
Truman
a restructuré les forces armées et le renseignement américains pour
mener la Guerre froide, selon sa stratégie géopolitique surnommée «
Doctrine Truman ». Le Congrès, grâce au National Security Act de 1947,
avait établi la CIA, le premier appareil de renseignement permanent aux
Etats-Unis, et le Conseil de sécurité nationale (NSC). Dès ses débuts,
une controverse opposa ceux qui disaient que la CIA devait se limiter à
la collecte d'informations, et ceux qui disaient qu'elle devait aussi
mener des actions secrètes.
Les « interventionnistes »
(pro-action secrète) l’emportèrent, explique Wilford. George Kennan, le
diplomate auteur de la doctrine de l’« endiguement » (« containment »)
face à l’URSS, affirmait que les politiciens devaient surmonter l’«
attachement populaire au concept d’une différence fondamentale entre la
paix et la guerre » et adopter les actions secrètes comme partie
intégrante de leur stratégie mondiale.
George F. Kennan, défenseur des actions secrètes de la CIA
Kennan
préconisait des activités paramilitaires secrètes et la création de «
comités de libération » afin d’encourager des activités antisoviétiques
par des « éléments autochtones anticommunistes » dans des « pays menacés
du monde libre ». Selon Wilford, ces idées « ont guidé toutes les
opérations de première ligne des Etats-Unis durant premières cinq années
de la Guerre froide ».
La première cible du recrutement secret
furent les émigrés d’Allemagne, d’Europe de l’Est et d’URSS. Wilford
cite l'Opération « PAPERCLIP », l’acheminement vers les USA d’ancies
Nazis disposant d’un savoir-faire militaire ou technique. Il relève le
recours aux services du général nazi Reinhard Gehlen, le chef du
renseignement militaire d’Hitler sur le front Est, dont le réseau fut «
incorporé » au renseignement américain, puis au renseignement allemand.
La
fâcheuse tendance de Wilford de laver l’impérialisme américain réduit
la force de ses divulgations, notamment de celle du lien avec Gehlen.
Wilford en fait une narration plutôt sèche, mais Joseph Trento, auteur
de The Secret History of the CIA, décrit les faits ainsi :
«
… Gehlen convainquit [Alan] Dulles [le premier directeur civil de la
CIA, anciennement du Bureau des services stratégiques (OSS) et du Bureau
de coordination politique (OPC)] que les Etats-Unis devaient garantir
la protection de milliers de nazis de haut rang… ‘Rien n’est plus
important que de recruter ces nazis enfuis dans le monde entier… Vous
devez vous rappeler qu’on les considérait comme les anticommunistes les
plus déterminés… les autorités américaines étaient prêtes à recruter
n’importe quel nazi jugé utile… »
Trento cite Robert T. Crowley,
qui a joué un rôle significatif dans la gestion des nazis pour
Washington. Trento conclut par l’appréciation suivante : « Ce
partenariat entre les ex-nazis et l’OSS/CIA a dominé les activités
antisoviétiques américaines pendant trois décennies. » [5]
Wilford
n’est pas prêt à avancer de telles évaluations générales, mais il peut
dévoiler et d’exposer les détails des réseaux complexes montés par la
CIA. Ceci est particulièrement convaincant lorsqu’il remonte la piste de
l’argent, un aspect solide de The Mighty Wurlitzer et qui est de toute évidence le résultat de recherches assidues.
Wilford
montre comment la formule de financement du Comité national pour une
Europe libre (NCFE, créé par la CIA en 1949) est devenue un prototype.
On présentait le NCFE comme une organisation humanitaire et
indépendante, montée par des citoyens américains afin de secourir des
réfugiés d’Europe de l’Est. En fait, elle était dirigée par la CIA.
Afin
de justifier les bureaux cossus et les comptes en banque bien garnis du
NCFE, on monta une campagne de collecte de fonds, la Croisade pour la
liberté (« Crusade for Freedom »). Les fonds recueillis ne servaient pas
à couvrir les dépenses, payées par la CIA, mais à éviter que sa
richesse ne soulève des questions. L’expérience des campagnes du Conseil
de la publicité de guerre, qui avait « renforcé le moral des civils »
lors de la Seconde Guerre mondiale, servit ensuite à « vendre » la
Guerre froide. C’est de là que Radio Free Europe (Radio Europe libre)
est finalement issue.
Publicité pour la Radio Europe libre : «
Bien sûr que je veux combattre le communisme, mais comment » ? « Avec
des dollars de la vérité, voilà comment » !
Ad for Radio Free Europe
Le
NCFE fut la première d’une centaine d’organisations de ce genre à
apparaître en Europe de l’Est. Elles ont soutenu des projets «
scientifiques », leur propre maison d’édition, et une multitude de
conseils nationaux de minorités ethniques aux Etats-Unis. Elles ont
aussi acheminé de l’argent à des organisations pro-fascistes « telles
l’Assemblée des nations européennes captives » de Brutus Coste.
La
CIA a poursuivi en ciblant davantage de groupes d’adversaires
idéologiques potentiels. Ce compte-rendu examinera quelques unes de ces
opérations afin de donner une idée de l’ampleur et de la portée de la
crainte de la révolution sociale éprouvée par le gouvernement américain
et de la préoccupation de la CIA d’encourager l’anticommunisme.
Les journalistes
Aujourd'hui,
la suppression d’informations et la collusion de journalistes avec la
CIA passent à peine pour une révélation. Néanmoins, le livre met en
exergue la profondeur de cette relation depuis le tout début des
opérations de la CIA.
En 1977, Carl Bernstein a calculé que
depuis 1952, quelques 400 journalistes avaient travaillé pour la CIA.
Mais Wilford écrit correctement que le nombre de journalistes
qui écrivaient de la propagande gouvernementale était bien moins
important que la collaboration institutionnelle entre la CIA et les
grands médias.
L’auteur indique qu’Arthur Hays Sulzberger, l'éditeur du New York Times,
était un ami proche du directeur de la CIA Allen Dulles et avait signé
un accord secret avec l’agence. En vertu de cet arrangement, le Times a fourni des couvertures de journaliste ou de correspondants à au moins dix agents de la CIA ; le Times encourageait
aussi ses employés à faire de l'espionnage. Dulles entretenait des
relations avec les médias, qu'il considérait être d’excellentes sources
d’informations à l’étranger.
Selon Wilford, le chef des
informations de la chaîne Columbia Broadcasting System appelait si
souvent le quartier général de la CIA que, lassé d'avoir à quitter son
bureau pour passer l'appel, il a fait installer une ligne privée pour
contourner le standard téléphonique.
Une troisième voie de
diffusion des « informations » de la CIA étaient les agences de presse,
dont l’Associated Press et l’United Press International, ainsi que
l’opération interne de la CIA, la « Forum World Features. »
Il y avait aussi les magazines. Tout comme le New York Times, le Time
de Henry Luce fournissait aux agents de la CIA des cartes de presse.
Selon, Wilford « en général… la collaboration était si réussie qu’il
était difficile de dire exactement où se terminait le réseau de
renseignement outre-mer de Luce et où celui de la CIA commençait. »
Il
y avait aussi les services indispensables à l’Association des
journalistes américains (ANG), le syndicat des journalistes. L’ANG fut
un membre fondateur de la Fédération internationale des journalistes,
une fédération de syndicats anticommunistes établie en 1952 à Bruxelles
pour s’opposer à la Fédération internationale des journalistes, marquée à
gauche.
Financée par les syndicats américains mais lancée par la
CIA, l’ANG a monté une campagne destinée aux journalistes africains et
asiatiques. Un de ses représentants dirigeait l’Inter-American
Federation of Working Newspapermen’s étroitement liée au front syndical
de la CIA en Amérique latine, l’Institut américain pour le développement
libre du travail (AIFLD). Ces groupes prodiguaient un grand nombre de
services gratuits, techniqus ou éducationnels, financés par des
fondations intermédiaires liées à la CIA.
Les étudiants
Redoutant
l’attraction qu’exerçait le socialisme sur les jeunes, la CIA a établi
dès le début une présence sur les campus universitaires. En 1947, elle a
formé l'association nationale des étudiants (NSA) des Etats-Unis, et
ensuite un service international estudiantin d’information, afin de
doter le NSA d'attaches à l’étranger. Wilford décrit comment la CIA a
formé et passé au crible tous les agents du NSA. Beaucoup d'entre eux
ont ensuite poursuivi des carrières à la CIA.
La NSA animait des
séminaires annuels sur les relations internationales et octroyait des
bourses à des étudiants venus de « pays en voie de développement »,
ainsi que pour de longs voyages à l’étranger. En 1967, elle comptait 400
organisations sur les campus américains.
La CIA et le NSA ont
aussi parrainé des festivals internationaux de jeunesse pour « sauver la
jeunesse du tiers monde des griffes des propagandistes communistes. »
Gloria Steinem fut l’icône féministe à la tête de cette opération. Elle
avait accepté un poste rémunéré comme directrice de l’Independent
Service for Information, « une opération de la CIA du début à la fin, »
selon Wilford, et mise en œuvre « sciemment. » Parmi ses compatriotes y
figurait Zbigniew Brzezinski, un diplômé de Harvard qu’elle décrivait
comme « un membre vedette de l’Independent Service », et qui allait
deveinr un des principaux stratèges de l'impérialisme américain.
Gloria Steinam, 1987
Dans une partie très pertinente de The Mighty Wurlitzer, Wilford
explique comment les professeurs, notamment des universités d’élite «
Ivy League », ont servi de recruteurs pour l’agence. L’auteur s
concentre sur les activités de William Y. Elliott de Harvard, un
professeur du département du gouvernement qui était aussi le doyen de la
célèbre Ecole d’été de Harvard.
Elliott a activement « branché »
des étudiants choisis dans les opérations de la CIA. Il a utilisé la
prestigieuse Ecole d’été pour élargir le recrutement international de la
CIA. Parmi les diplômés de Harvard « encadrés » par Elliott se trouvait
Henry Kissinger, qui a joué un rôle éminent dans les cours d’été et qui
s’en est servi pour entamer sa carrière gouvernementale.
Dans sa
conclusion, l’auteur écrit que ces opérations universitaires ne sont de
toute évidence pas terminées, mais sont en hausse. Il donne l’exemple
des résultats de la commission Church (Church Committee) [6] de l’«
utilisation opérationnelle » par la CIA d’universitaires individuels,
dont « des rôles de premier plan et des mises en contact à des fins de
renseignement, de collaboration dans le domaine de la recherche et de
l’analyse, de collecte de renseignements à l’étranger et de la
préparation de livres et autre matériel de propagande. »
Les syndicats: l'AFL-CIO et l’« AFL-CIA »
Les
opérations anticommunistes menées en Europe par le syndicat American
Federation of Labor ont débuté en 1944 avec le Comité des Syndicats
Libres (FTUC). Le FTUC était financé par le syndicat américain de la
confection féminine (International Ladies’ Garment Workers’ Union)
dirigé par David Dubinska, et géré par Jay Lovestone, l’ancien
secrétaire national du Parti communiste américain devenu anticommuniste,
et par son protégé Irving Brown. Brown avait travaillé pour l’OSS
durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’OSS fut dissout, Brown et
Lovestone ont dirigé ses opérations, en se vantant que « nos relations
et nos programmes syndicaux ont pénétré tous les pays d’Europe. »
Jay Lovestone à droite, rangée arrière
D’ici
janvier 1949, le budget du FTUC venait de fonds de la CIA déguisés en
dons privés. A la fin de l’année, la part de ses revenus provenant des
cotisations ouvrières avait été éclipsée par l’argent de la CIA, blanchi
par Lovestone à New York et transféré via divers comptes en banque.
L’argent fut versé à des syndicats anticommunistes à travers l'Europe,
dont Force ouvrière (né d’une scission d’avec le syndicat CGT dominé par
le Parti communiste français, PCF) et le Comité de Vigilance
méditerranéen en France, les syndicalistes sociaux-démocrates en Italie,
y compris la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori, et
l’Organisation centrale des syndicats finlandais. Il y eut d’autres
opérations organisées en dehors de l’Europe, telles l’Alliance centrale
syndicale pan-indonésienne.
Il y eut cependant une autre demande
de licence. Victor Reuther, le frère du président de l’UAW, Walter, a
ouvert un bureau à Paris. Le syndicat de l’automobile UAW, adhérent du
CIO et réputé combatif, passait mieux à l’étranger que le « syndicalisme
corporatiste » discrédité de l’AFL ; ainsi l’UAW était plus à même de
fournir à la CIA des contacts au sein du mouvement ouvrier.
Le
début de la fin du parrainage par la CIA de l’AFL eut lieu le 20
novembre1950. Le directeur de l’agence de renseignement, Walter Bedell
Smith, et Frank Wisner rencontrèrent Lovestone, le secrétaire-trésorier
de l’AFL, George Meany, David Dubinsky, et le vice-président de l’AFL,
Matthew Woll, pour décider quelle syndicat mènerait les opérations
secrètes de la CIA.
Meany a vigoureusement dénoncé le CIO, en «
citant des dates, des noms et des lieux » de l’infiltration de son rival
par les communistes, mais en vain. Le directeur adjoint de la CIA, Alan
Dulles, a déclaré qu'il « s’intéressait fortement au mouvement syndical
» et croyait que le CIO devrait être impliqué dans les opérations
secrètes de la CIA.
Les recherches de Wilford montrent le
directeur des affaires internationales du CIO, Mike Ross, a acheminé des
milliers de dollars de la CIA vers les opérations parisiennes de Victor
Reuther.
Les Afro-Américains
La répression et les
meurtres de militants des droits civiques américains au début des années
1950, avec la diffusion d’images où la police utilisait les chiens et
les canons à eau contre des manifestants, ont miné les tentatives de
Washington d’étendre son influence en Afrique.
C’était là une
préoccupation majeure, alors que l'impérialisme européen se faisait
expulser de ses colonies et que le mouvement anticolonial se propageait
comme une trainée de poudre. « Dans ce contexte, les agences du
gouvernement américain, y compris la CIA, ont commencé à auditionner un
peu partout pour le rôle de dirigeants noirs américains qui pourraient
brosser un tableau positif des relations raciales de leur pays, et aider
les pays africains nouvellement indépendants à se détourner du camp
communiste, » écrit Wilford dans le chapitre sur le recrutement
d’Afro-Américains par la CIA.
La principale opération fut
l’American Society of African Culture (AMSAC). Après une réunion en 1954
au domicile de l’ancien secrétaire exécutif du NAACP (National
Association for the Advancement of Colored People), Walter White, à
laquelle participèrent Eleanor Roosevelt et Victor Reuther, on fonda une
organisation permanente afin de « minimiser parmi les Africains
l’anticolonialisme socialiste en faveur de l’anticommunisme libéral. »
De
nombreux Américains qui admirent Richard Wright pour son honnêteté
littéraire et sa volonté de mettre à nu la brutalité du racisme furent
surpris d’apprendre qu’il avait rejoint le groupe écran de la CIA.
Wright s'est présenté à l'ambassade américaine à Paris et offrert ses
services pour « combattre les tendances gauchistes » lors d’un congrès
international des écrivains et artistes noirs (Congress of Negro Writers
and Artists) en 1956. Selon Wilford, il s’était rendu à plusieurs
reprises à l’ambassade pour discuter comment « contrecarrer l’influence
communiste. »
Richard Wright
Wright
trouva l’argent et organisa depuis les Etats-Unis une équipe de 5
personnes pour participer au congrès de Paris. Quant à W.E.B. Du Bois,
il se vit refuser l’octroi d’un passeport et publia une déclaration
cinglante : « Tout Negro-Américain se rendant de nos jours à l’étranger
doit… dire ce que le Département d’Etat veut qu’il dise. »
Le
groupe de Paris créa la Société africaine de Culture (SAC). La création
de l’American Society of African Culture (AMSAC) suivit en juin 1957. Le
financement était typique : les fonds de la start-up provenaient de
Matthew McCloskey, un magnat du bâtiment de Philadelphie et un avocat de
Wall Street, et Bethuel Webster (qui aux années 1950 avait contribué à
mettre en place l’American Fund for Free Jurist pour véhiculer les fonds
vers l’International Commission of Jurists.)
L’AMSAC
avait plusieurs objectifs. Il faisait de la propagande, dont une série
de publications très ambitieuses ; il organisa des conférences annuelles
auxquelles participait une série de brillants intellectuels, artistes
et interprètes noirs (Nina Simone, Lionel Hampton, etc.) ainsi que des
festivals parrainés à la fois par les Etats-Unis et l’Afrique.
L'AMSAC
a aussi aidé la CIA dans ses tentatives plus impitoyables d'écraser la
combativité africaine. Suite au meurtre aux mains de la CIA du président
congolais Patrice Lumumba, l’agent de l’AMSAC, Ted Harris, fut muté de
son bureau de New York à Léopoldville dans le but « d’entraîner les
politiciens locaux dans les techniques administratives occidentales. »
Wright
fut finalement déçu. En novembre 1960, il prononça un discours
surprenant à l’Eglise américaine de Paris qui dénonçait Washington pour
avoir espionné les expatriés et tenté de les museler. « Je dirais que la
plupart des mouvements révolutionnaires à l'Occident sont parrainés par
des gouvernements, » a dit Wright au public. « Ils sont lancés par des agents provocateurs
dans le but d’organiser les mécontents pour que le gouvernement puisse
garder un œil sur eux. » Il laissa entendre qu'il ferait de nouvelles
révélations à venir, puis mourut dans une clinique parisienne quelques
semaines plus tard à l’âge de 52 ans. Selon l’auteur, des rumeurs
circulèrent qu’il avait été assassiné.
La dernière opération
menée avec succès par l’AMSAC fut une vaste tournée du défenseur des
droits civiques James Farmer en Afrique, destinée à contrer l’impact des
visites précédentes de Malcom X. Ave l’aide de Carl T. Rowan, le
premier Afro-Américain à siéger au Conseil de sécurité nationale, Farmer
arriva en janvier 1965 en Afrique. Il se rendit dans neuf pays, eut des
entretiens avec presque tous les chefs d’Etat, donna des cours aux
étudiants, rencontra des membres du parlement et intervint devant les
syndicats.
Les femmes
Entre 1952 et 1966, la CIA
finança et coordonna un groupe secret de femmes, le Committee of
Correspondence (Comité de correspondance), avec une devise bien ironique
: « La vérité vous rendra libre. » (« The Truth Shall Make You Free. »)
Au
départ, le groupe débitait de l’anticommunisme primaire, avec des
communiqués et des bulletins qui accusaient l’URSS de contraindre les
femmes à travailler pour que l’Etat puisse exercer « un contrôle absolu
sur l’enfant », etc. Les inquiétudes de l'Etat quant au mouvement
anticolonial montait, toutefois, et le comité organisa des activités en
Iran, en Afrique et en Amérique du Sud.
Cette initiative concordait avec le projet du gouvernement
Eisenhower d’humaniser l’image américaine (développé ensuite par le
Corps de la Paix -Peace Corps- créé par John F. Kennedy en 1961) tout en
renforçant le consensus de la Guerre froide à l’intérieur des USA. Ceci
n’empêcha pas le comité d’exécuter une série de « missions spéciales »
pour surveiller et établir des rapports sur les conférences de paix
appuyées par le Parti communiste.
Wilford cite l’évaluation de la
CIA de l’importance stratégique croissante des femmes aux années 1950,
notamment dans l’éducation. « Il est évident que les femmes sont
maintenant un facteur très important dans l’édification de la nation qui
se passe dans une grande partie du monde, » aurait déclaré un agent du
renseignement. Les réseaux créés par les comités de correspondance
étaient considérés comme relevant d’une astucieuse tactique de la Guerre
froide et la base des futures opérations de renseignement.
Tout
comme de nombreux autres fronts de travail de la CIA, le comité fut
généreusement financé par une série de fondations et de groupes
patronaux, dont : le Dearborn Foundation, l’Asia Foundation, le J.
Frederick Brown Foundation, le Florence Foundation, le Hobby Foundation
et le Pappas Charitable Fund.
Les artistes
La CIA
était très préoccupée par un grand nombre d’artistes. La Grande
dépression avait discrédité le capitalisme et l’épanouissement de la
culture après la Révolution russe avait influencé le monde entier. La
CIA voulait contrecarrer l’excellence du cinéma, de la dance, de l’art,
de la musique, du théâtre et de l’architecture soviétiques ainsi que la
revendication de l’URSS d’être l'héritierdes Lumières en Europe. La CIA
s’est efforcée de dépeindre l’art américain comme le terreau des
impulsions les plus créatrices de la culture moderne.
Cette
initiative fut en effet un grand défi, particulièrement vu le
conformisme philistin et petit bourgeois de l’élite américaine (moqué
par le terme « Babbitry »). The Mighty Wurlitzer signale la célèbre expression de Harry Truman concernant l’oeuvre de Yasuo Kuniyoshi: « Si ça c’est de l’art, moi je suis un hottentot. »
L’agence
avait fondé en 1950 le Congrès pour la liberté de la culture (CCF), qui
a financé un nombre sans précédent de prix littéraires, d’expositions
d’art et de festivals de musique. A son apogée, il avait des bureaux
dans 35 pays et publiait plus d’une vingtaine de magazines, dont le
magazine littéraire Encounter, édité par le néoconservateur
Irving Kristol (qui a également bénéficié du soutien de MI6). La
Fondation Ford a aussi financé le CCF.
La CIA oeuvra pour obtenir
des contrats d’édition pour ses écrivains encartés aux maisons
d’édition auxquelles participait l’agence, dont la maison d’édition
Frederick A. Praeger. Wilford a particulièrement tenu à documenter le
soutien financier de l’agence pour Partisan Review qui fut
initialement l’organe culturel du Parti communiste pour devenir
antistalinien plus tard, flirtant avec le trotskysme avant de s’aligner
sur la « gauche non conformiste » et les néoconservateurs James Burnham
et Sidney Hook.
Le livre de Frances Stonor Saunders de 1999 Who Paid the Piper, partiellement racontédans The Mighty Wurlitzer,
met en évidence la protection par la CIA de l’expressionnisme abstrait
aux Etats-Unis. Wilford décrit le genre d’entreprise publique-privée qui
faisait ce travail, qui impliquait généralement le Musée d’Art moderne
(MoMa) Rokefeller et le CCF. Entre autres, les peintures de Jackson
Pollock, Mark Rothko et de Franz Kline furent promues comme étant l’antithèse du réalisme soviétique et la soi-disant preuve que le capitalisme était mieux à même de promouvoir la culture.
Evoquant
le « ‘cordon ombilical en or’ qui unit l’espion et l’artiste, » Wilford
explique en détail toute une série d’activités. L’un des grands projets
était le « Hollywood consortium », un groupe informel mais influent
d’acteurs et de magnats du cinéma qui travaillaient avec la CIA, dont
John Ford, John Wayne, Darryl Zanuck et Cecil B. DeMille. Les Studios
Paramount disposaient de leur propre agent interne de la CIA qui se
consacrait à censurer certains films et à en saboter d’autres. (En même
temps, la liste noire anticommuniste à Hollywood détruisait des carrières et des vies.)
The Mighty Wurlitzer démontre
comment le gouvernement américain a dépensé des millions de dollars,
sur des décennies, pour miner la pensée socialiste et donner
àl’anticommunisme un nouveau visage culturel, social et humanitaire.
Dans
le dernier chapitre, l’auteur écrit que les groupes écrans de la CIA
sont toujours vivants et se portent bien. Il cite des rapports qui
relient le best-seller Reading Lolita in Tehran: A Memoir in Books
aux efforts visant à recourir à l’artifice des « droits de la femme »
pour préparer l’opinion publique à une éventuelle invasion américaine de
l’Iran.
Le principal inconvénient du livre est le décalage entre
les opérations secrètes et leur objectif politique. L’on pourrait lire
la plus grande partie du livre et conclure que le gouvernement américain
était simplement hypocrite, antidémocratique et manipulateur.
Le
lecteur doit garder à l’esprit les conséquences épouvantables des
activités de la CIA partout dans le monde – les millions de morts, les
attaques contre la démocratie, la mise en place de despotes et
d’oligarques par des coups. On ne voit jamais d'allusion à ces sales
opérations dans The Mighty Wurlitzer.
L’auteur, tout en
dévoilant les activités de l’impérialisme américain, ne cesse de les
édulcorer. C’est un partisan journalistique du gouvernement américain.
Sa conclusion, intimement liée au libéralisme américain, est que les
groupes écrans secrets, qui sont en désaccord avec une démocratie
américaine par ailleurs est en bonne santé, ont « entaché » la
réputation des Etats-Unis et occasionné divers retours de manivelle.
Quoiqu’il
en soit, malgré ces insuffisances graves, l’auteur doit être reconnu
pour être un journaliste d’investigation opiniâtre au vu de « la chape
du secret officiel qui entoure encore actuellement » les opérations
secrètes. En fait, après que plus de 50 ans se soient écoulés, le
gouvernement refuse de divulguer les dossiers concernant ces opérations.
Les lecteurs d’aujourd’hui du The Mighty Wurlitzer traversent
une période durant laquelle les Etats-Unis sont allés bien au-delàde
ces efforts pour censurer et manipuler l'opinion. Sous nos yeux, les
tribunaux et l'Etat –y compris l’appareil militaire et du renseignement
qui ne cesse de croître –réduisent ànéant l’ensemble du cadre des droits
légaux et démocratiques gagnés après des siècles de lutte.
La
capacité du livre d’apporter un témoignage des activités farouchement
antidémocratiques et réactionnaires de la CIA à une période antérieure
souligne les craintes grandissantes et légitimes ressentie de nos jours
par la bourgeoisie face au pouvoir révolutionnaire de la véritable
pensée socialiste.
Les notes
1. Les brutales opérations
secrètes de la CIA couvrent la période qui démarre peu après sa création
en 1947 – du coup d’Etat syrien de 1949 (dans l’intérêt de la
construction du Trans-Arabian Pipeline) au renversement en 1953 du
premier ministre iranien Mohammed Mossadegh (qui avait menacé de
nationaliser l’industrie pétrolière iranienne, alors sous le contrôle de
l’Aglo-Iranian Oil Company, maintenant BP), à l’éviction en 1954 du
président Jacobo Arbenz au Guatemala (qui avait menacé les exploitations
de l’United Fruit Company), à la chute et au meurtre subséquent du
premier ministre congolais et dirigeant anticolonialiste Patrice Lumumba,
jusqu’au coup militaire du général Suharto et le massacre de près d’un
million d’Indonésiens entre 1965 et 1966, au « coup d’Etat de Canberra »
en 1975 avec l’éviction du gouvernement travailliste en Australie, en
passant par le coup d’Etat fasciste de 1973 au Chili, et la déstabilisation des décennies durant de l’Irak, au déploiement d’armées privées en Afghanistan et au Pakistan jusqu’au parrainage par la CIA des fascistes qui sont actuellement à l’œuvre en Ukraine.
2.
Plus de sept millions de travailleurs américains ont participé à la
grande vague de grèves de 1945-46. Ces grèves se déroulèrent dans des
milliers de lieux de travail, avec des grèves générales dans des villes
entières. Quatre-vingt usines de General Motors furent touchées dans 50
villes. En à peine plus de 18 mois, 144 millions de journées de travail
furent perdues.
3. Cité par Wilford dans, « In From the Cold: After Sept 11, the CIA Becomes a Growing Force on Campus, » Wall Street Journal, 4 octobre 2002
5. Trento, Joseph J., L’histoire secrète de la CIA (The Secret History of the CIA), Carroll & Graf Publishers, New York, 2001, p 23.
6.
Entre 1975 et 1976, la commission sénatoriale présidée par le sénateur
américain Frank Church avait enquêté sur les activités illégales de la
CIA, du NSA et du FBI après le scandale du Watergate. Un grand nombre de
rapports de la commission sont encore classés secrets. Parmi les
affaires examinées, figurent les tentatives du gouvernement américain
d’assassiner Patrice Lumumba, Rafael Trujillo et les frères Diem au
Vietnam. La commission Church a aussi divulgué l’opération du FBI
surnommée COINTELPRO, qui servit à infiltrer et à espionner le Socialist
Workers Party, le Parti communiste, le Black Panther Party et de
nombreux groupes de gauche.