On
nous annonce la diffusion sur Arte, le mardi 5 mars 2024, d’un
documentaire d’1 h 30, déjà visible sur Youtube, intitulé « le Tibet
face à la Chine, le dernier souffle ? », réalisé par François Reinhardt (1),
qui ne cache même pas son intention de refléter le point de vue
revanchard des exilés tibétains, sans la moindre considération pour les 6
millions de Tibétains restés au Tibet qui voient leurs conditions de
vie s’améliorer d’année en année.
Pourquoi cette diffusion en mars 2024 ?
Le 27 septembre 2023, en préouverture du Festival des Écrans de Chine à
Paris, le réalisateur Jean-Michel Carré, auteur d’une quarantaine de
films et couronné par une vingtaine de prix (dont Cannes, Berlin, ainsi
qu’une nomination aux Emmy Awards), y projetait son dernier opus :
« Tibet, un autre regard », fruit de nombreux contacts sur le terrain et
d’une impressionnante collection d’archives. (2)
La RTBF avait programmé pour le 11 novembre 2023 la diffusion de ce
documentaire (en version raccourcie). Mais cette diffusion n’a jamais eu
lieu. Arte non plus n’a jamais diffusé le documentaire. Pourquoi
ce silence ? Comment expliquer la déprogrammation de la RTBF et la
non-diffusion d’Arte ? Seule explication possible : des pressions
auxquelles Arte, et par ricochet la RTBF, n’ont pas eu le cran de
résister.
Jean-Michel Carré s’était déjà plaint de pressions subies en cours de
réalisation de son film. Il faut écouter – ça ne dure que 3 min 49
l’interview qu’il a donnée à CGTN France le 01/03/2022 : https://www.facebook.com/watch/?v=481348356802595.
Tant bien que mal, il a quand même réussi à ficeler son projet et à y
intégrer tous les aspects importants de la « Question tibétaine », des
réalités mal connues des Occidentaux biberonnés aux mantras de la
tendance « Free Tibet ». Mais
la simple présentation de certaines vérités historiques et de
constatations sur le Tibet actuel a suffi à faire écumer de rage
certain(e)s adeptes inconditionnel(le)s du dalaï-lama et de son
entourage. Ainsi, après la projection du film à Paris, a-t-on entendu la
sinologue Marie Holzman (arrivée en retard) accuser violemment le film
d’être: « partial », « prochinois », « antiaméricain », de « ne pas
donner la parole aux Tibétains » et de « ridiculiser le dalaï-lama »,
toutes accusations fausses auxquelles Jean-Michel Carré n’a eu aucune
peine à répondre calmement.
Arte soumise aux vents dominants
Mais ce réquisitoire
de Marie Holzman et consorts a dû faire mouche sur la rédaction d’Arte,
toujours prête à prêter une oreille attentive aux contempteurs de la
Chine et aux adorateurs du dalaï-lama. (3)
LaDepeche.fr
Tout nous porte à
croire – qu’on nous prouve le contraire ! – qu’Arte, dont le Conseil de
surveillance est dirigé par un certain Bernard Henri-Lévy, s’est
complaisamment inclinée devant les pressions des ennemi(e)s de la
République populaire de Chine, obtenant ainsi le remplacement du
documentaire exemplaire de Jean-Michel Carré « Tibet, un autre regard »
par un ersatz partial, signé François Reinhardt « Le Tibet face à la
Chine, le dernier souffle ? ».
Des sources clairement partisanes
Notre intime
conviction se base notamment sur la personnalité de celles et ceux
auxquel(le)s Reinhardt adresse ses remerciements dans le générique de
fin de son « documentaire » :
- Katia Buffetrille, co-autrice de Le Tibet est-il chinois ?,
un ouvrage, prétendument scientifique, mais en réalité partisan,
regorgeant d’omissions, de distorsions et d’interprétations
abusives (4) ; elle est aussi co-autrice d’un article publié dans Libération,
faisant preuve de révisionnisme, voire de négationnisme, à propos des
liens entre les dignitaires tibétains amis du dalaï-lama et les
explorateurs nazis au Tibet (5)
-
Robert Barnett, un des fondateurs et ancien dirigeant du TIN (Tibet
Information Network), qui a été longtemps financé par le NED (National
Endowment for Democracy), branche civile de la CIA ;
- Jean-Pierre (?) Donnet, auteur de Tibet mort ou vif,
un grand classique, vieux de trente ans, de la littérature de
propagande « pro-tibétaine », qui a connu plusieurs rééditions et qui
est toujours brandi par les adeptes d’un « Tibet libre » malgré ses
partis-pris et ses indigences patentes (6) ; à noter ici un indice
supplémentaire de la désinvolture des auteurs du « reportage », qui
attribuent à Donnet un prénom qui n’est pas le sien : en fait, il s’agit
de Pierre-Antoine Donnet ;
-
Vincent Metten directeur des politiques européennes pour l’ICT
(International Campaign for Tibet), en Belgique. Rappelons que l’ICT est
une ONG enregistrée auprès du département de la Justice des États-Unis
et possédant des bureaux à Washington, Amsterdam, Bruxelles et Berlin ;
elle est financée par des dons privés et par … le NED ; Vincent Metten
est un porte-parole, parmi d’autres, du Congrès des États-Unis (7) ;
- Mélanie Blondelle, chargée de politiques et de plaidoyer au sein de cette même ICT ;
- Marie Holzman, la passionaria antichinoise qui a témoigné publiquement son dévouement au culte du dalaï-lama.
"
Des jeunes hommes graves qui s’assemblent dans un musico philosophique
et religieux où l’on s’inquiète du sens général de l’Humanité... On y
cherche à savoir si elle tourne sur elle-même ou si elle est en progrès.
Ils étaient très embarrassés entre la ligne droite et la ligne courbe,
ils trouvaient un non-sens au triangle biblique, et il leur est alors
apparu je ne sais quel prophète qui s’est prononcé pour la spirale. –
Des hommes réunis peuvent inventer des bêtises plus dangereuses, s’écria
Lucien. – Tu prends ces théories-là pour des paroles oiseuses, mais il
vient un moment où elles se transforment en coups de fusil ou en
guillotine. " - H. Balzac, Illusions Perdues.
Ce livre de Kojève, écrit en 1941 mais surgissant seulement de
nos jours, pourrait sembler n’être qu’un témoignage archéologique
d’URSS, sorte de vestige philosophique émergé aux hasards de récentes
découvertes réalisées dans les archives de la Bibliothèque nationale de
France, un livre, somme toute, aussi inachevé que toutes les aspirations
de cet empire. Pourtant, actuellement, ce vestige pourrait bien être perçu comme un cri, le cri testamentaire du vaincu : son idée, son idéal, son idéologie, sa lecture philosophique de l’Histoire universelle.
Cette
Histoire, comprise et rédigée, non pas exactement par « les Soviétiques
», mais par un Kojève qui souhaitait alors appartenir à cette « force
historique consciente d’elle-même », est-elle réellement révolue ? La
page est-elle définitivement tournée, le livre de l’Humanité refermé[1]
? Même pour celui qui en serait convaincu, il reste sans doute
instructif de prêter l’oreille à cette narration « narration
philosophique » du point de vue russo-soviétique, de lire cette épopée humaine naguère pleine de promesses.
ACTUALITÉ.
Le
26 décembre 1991, l’Union soviétique est dissoute. Les Etats-Unis
sortent grand vainqueur d’une confrontation Est-Ouest,
communisme-capitalisme, Empire contre Démocratie libérale. On proclame
alors la « libération des nations » ou l’« autonomie des peuples ». La
notion d’État-nation, plus ou moins recouverte sous celle de régime «
démocratique », s’impose de nouveau comme une évidence à mesure que
l’URSS se disloque. L’idée même d’Empire, associée à celle de «
dictature », est universellement décriée. Pour certains, c’est la fin de l’Histoire.
L’ordre des « démocraties-libérales », certes imparfait (de l’aveu même
de ses partisans), paraît définitif et la « liberté » triomphante. Happy end.
Bien
sûr, dans la mesure où la « reconnaissance sociale » (et la
reconnaissance des droits) n’est pas acquise pour tous, dans la mesure
où les inégalités socio-économiques se creusent (et les classes
subsistent), dans la mesure où les conflits de frontières reprennent
entre « nouvelles » nations, dans la mesure, enfin, où l’Humanité –
dominée par le marché – demeure impuissante à se prendre en main et à
s’unir pour prévenir résolument différents types d’« apocalypse »
toujours possibles (guerre nucléaire ou catastrophe écologique, voire
abêtissement irrémédiable et généralisé de l’individu humain sous flots
d’« intelligence artificielle » non maîtrisée), l’Histoire semble
s’achever... sur une interminable fausse note.
Quand elle est entendue (et il semble qu’elle se fasse de plus en plus criante), cette fausse note politique,
les « réformateurs-démocrates » ne se proposent pas de la suprimer (ou
de la « dépasser-dialectiquement ») dans l’« harmonie » parfaite du «
meilleur des régimes », mais – attendu l’imperfection notoire et
intrinsèque de ce qu’ils considèrent être « la nature humaine » – de l’amender autant quepossible s’ils sont « optimistes »ou s’ils sont « réalistes » de la maintenir dans des proportions jugées acceptables.
A
vrai dire, il s’agit moins de « politique » que d’une « sage
administration » (ou réglementation) des choses, des techniques, des
croyances et des hommes, conçue comme une correction asymptotique pour
les plus « optimistes », comme une entrave momentanée à un irrémédiable
déclin pour les dits « réalistes ». Dans les deux cas, toutefois, la «
Démocratie » apparaît comme une tentative toujours recommencée
d’équilibrer des forces antagonistes sur fond de « tolérance », du moins
tant que les opinions ont le bon goût de rester à leur place.
Et, l’on est finalement en droit de se demander : va-t-on rester longtemps dans ce seul horizon politique du « statu-quo »
qui, par inertie, se révèle toujours plus inique à mesure qu’il se
détraque ? Ne peut-on espérer rien de mieux que de « contenir le temps
», lequel n’est, sous cet angle, rien d’autre qu’une longue pente vers
le chaos ou le pire ? Va-t-on pour toujours craindre de réveiller la puissance politique et la violence qu’elle entraîne ?
Peut-être est on arrivé au moment où ce statu-quo se transforme en crise, un momentoù
la « Démocratie-libérale de l’Etat-nation » ne paraît pas tant être la «
fin de l’Histoire » que son « barrage momentané », une sorte d’«
administration » lancée comme une entrave réglementarojuridique de moins
en moins efficace contre les « tyrannies externes » et de plus en plus
lâche devant ses forces internes particulières : les « grands du
royaumes » et autres grands capitalistes dont certains souhaitent, en
outre, se transformer en « acteurs politiques », changeant ainsi leur
force en pouvoir.
Si
tel était le cas, alors le livre que l’on tient entre les mains, cette
justification d’un empire effondré aux prétentions universelles (dont
l’étude aurait pu passer il y a quelques années encore pour « dépassée
») risque d’apporter un nouvel éclairage sur la situation présente et
pour nos propres débats internes. Car, s’il s’agit de justifier l’URSS,
il s’agit surtout de justifier et de conscientiser plus nettement
l’aspiration ou l’idéologie d’un « Etat autoritaire » qui souhaitait faire de la politique au
sens le plus fort et le plus violent du terme, à un moment à la fois de
crise de la « démocratie », et de triomphe du fascisme-nazisme.
DÉMOCRATIESCONTREDICTATURES
Par conséquent, pour éclairer ce livre sans le répéter ni le résumer, il convient de le resituer dans sa perspective politique. Or, un texte, encore inédit, intitulé Les Néoformations, est là pour nous y aider, en permettant de mettre en avant ce qui dans Sophia reste
à l’arrière-plan, à savoir les combats de son temps, l’émergence du
fascisme, du nazisme et du soviétisme à côté des systèmes démocratiques
décriés.
Dans ce document de près de 400 pages, adressé à un ministre de Vichy (Henry Moysset) et rédigé peu de temps après Sophia,
Kojève pose une question qui n’est pas sans rappeler notre époque et
qui nous permettra d’esquisser sa doctrine du pouvoir : « Qu’a-t-on au
juste en vue, se demande-t-il, lorsqu’on oppose les ‘‘Etats autoritaires
ou totalitaires’’ quels qu’ils soient aux ‘‘Démocraties’’ ? » (p. 299).
Et il répondait :
Du côté « démocratique », on reproche généralement aux Etats « autoritaires » d’être des Dicatures personnelles.
Les partisans de ces Etats se défendent : soit en niant le fait, soit,
s’ils sont plus sincères et honnêtes, en l’admettant, mais en affirmant
que le régime personnel en question n’a rien à voir avec ce qu’on
appelle couramment une « Dictature », c’est-à-dire un régime fondé sur
l’oppression et la violence et non pas sur la « reconnaissance »
consciente et libre du pouvoir, sur la Force et non sur l’Autorité. Ils
affirment au contraire que seul leur régime est librement accepté par
les citoyens (ou tout au moins par l’immense majorité des citoyens),
tandis que le régime « démocratique » n’est qu’une « dictature »
camouflée, fondée en fait sinon sur la violence ouverte, du moins sur la
tromperie et l’oppression, c’est-à-dire en fin de compte sur la force
(économique) et non sur l’Autorité reconnue librement et en pleine «
connaissance de cause ». D’autre part, ils reprochent aux Démocraties
leur caractère « féodal ». Ne disposant pas d’une Autorité politique
véritable, ces Etats s’appuient en fait non pas sur l’ensemble des
citoyens, mais sur un groupe formé autour d’intérêts privés
(économiques). Ainsi, si les Démocraties ne sont pas des dictatures
personnelles, elles sont néanmoins bel et bien des dictatures, à savoir
des « dictatures de classes » (« ploutocratie », « capitalisme ») ». (p.
299-300)
À en croire Kojève, l’Etat dit « démocratique » ne serait donc
qu’un trompe-l’œil destiné à maintenir un équilibre précaire d’intérêts
divergents où, somme toute, les plus riches continueront d’occuper, par
manipulation (et d’abord manipulation médiatique s’apparentant à une
oppression), les premières places.
Toutefois,
aux yeux du penseur d’origine russe, dans un tel système, ces premières
places sont aussi – du moins tant que fonctionne la «
démocratie-libérale » – des places politiquement d’impuissants. Car telle serait la fonction de la « Démocratie » : paralyser le politique. En « démocratie », il ne s’agit pas, en effet, de faire l’Histoire,
de proposer un idéal, de conscientiser une force en la transformant en
pouvoir, d’avoir une aspiration neuve ou même de réaliser sérieusement
une aspiration ancienne, mais seulement de conserver les places et les
classes déjà existantes, de maintenir en circulation des rôles depuis
longtemps usés, lesquels, cependant, octroient pour ceux qui ne sont pas
lassés de les jouer leur part de prestige social et de bien-être
matériel. Il n’est donc pas étonnant que les « démocraties-libérales »
soient « sorties de l’histoire », puisque leur principe même est de ne
pas y entrer.
Avec
la « démocratie », on espère l’Histoire close sur ce nœud juridique de
forces antagonistes, sur cette « alternance du pouvoir », sur cette fin
du politique, trop heureuse en réalité de faire du « surplace ». « Que
faire » quand on est un penseur « démocrate » ? Pas grand chose en
vérité, si ce n’est déplorer l’imperfection humaine, justifier
l’équilibre de ce qui est, imaginer des conditions « parfaites » (ou
utopiques) de débat et de délibération juridique, tout en s’effrayant du
fond chaotique qu’on pourrait réveiller en aspirant à mieux ou en
dénonçant la « tromperie ou l’oppression » des dites délibérations
publiques dans la « plouto-démocratie ». C’est un genre de fin d’histoire comme une fin de non recevoir.
Kojève
appelle cela « féodalisme », car il y a effectivement quelque chose
d’ancien régime dans cette « pratique du pouvoir ». Le « monarque »
n’est, de ce point de vue, qu’un équilibriste entre « grands du royaume »
(quels qu’ils soient et quoi qu’ils représentent). Si l’un monte trop
haut, il faudra l’affaiblir en jouant (par la réglementation) une autre
puissance. Quant à la « politique extérieure », le seul espoir réside,
non dans une quelconque victoire et encore moins dans l’empire
universel, mais dans la mécanique des forces nationales (selon l’adage «
la force arrête la force »). On maintient ainsi coûte-que-coûte une
stabilité qui s’apparente surtout à une perpétuelle stagnation où
aucune puissance émergente (porteuse de nouvelles espérances) ne doit
surgir sous peine de déstabiliser le système et de provoquer par là même
violence et, éventuellement, guerre civile (ou, à une autre échelle,
guerre tout court).
Néanmoins,
compte tenu, de l’inertie des forces (poussant en direction d’une
injustice sociale de plus en plus insoutenable), compte tenu de l’oubli
du peuple parmi les forces qui finissent par compter, compte tenu
également de cette métamorphose toujours possible d’une force interne en
pouvoir (en ce qu’elle ne se contente plus de sa « première place »,
mais veut être au centre), il arrive un temps où la «
démocratie-libérale » est et se sait sérieusement menacée, en ce
qu’elle est décriée dans son principe même d’équilibrer les classes, et
dans sa façon « trompeuse » (car viciée par la « force économique ») de
le faire. Ou pour le répéter avec Kojève :
Il ne s’agit plus de supprimer les « classes », mais uniquement de leur permettre de coexister indéfiniment
(c’est-à-dire « pacifiquement », sans rupture marquée d’équilibre). Or,
c’est précisément là le but que se posent les Etats « non-totalitaires »
en particulier les « Démocraties capitalistes » tant décriées » (p.
166).
Quand
ce but n’est plus rempli ou lorsqu’il paraît par trop inique en dépit
de tous les « camouflages », alors refait surface le vieux rêve de prendre le temps en main et
de faire de nouveau avancer l’Histoire universelle, comme refait
surface l’idée d’« Etat autoritaire », voire d’Empire universel, qui ne
se contenterait pas, lui, d’un « équilibre des forces » mais qui aurait
en vu sa suppression dans l’« union » afin de réaliser un idéal
définitif d’avenir, en un mot une « idéologie ».
L’Etat
autoritaire, continue Kojève dans ce même texte de 1942, se solidarise
avec une idéologie universelle et s’emploie à la réaliser. Au contraire,
la Démocratie se désintéresse en principe des questions idéologiques.
L’Etat démocratique n’est pas là pour éduquer ses citoyens, pour mener
la nation vers un but idéal. Sa fonction consiste au maintien du statu-quo. Et ce statu-quo
est censé être tel que n’importe quelle idéologie puisse y être admise
par les citoyens. Certes, s’il venait à l’idée de ces citoyens de
réaliser l’une des idéologies possibles, ceci pourrait aboutir à un
conflit avec l’Etat démocratique.
Que le statu-quo – tant interne qu’externe – ne soit plus tenable, que des acteurs se politisant s’emparent sérieusement d’idéologies
et qu’ils subissent dès lors la censure de l’« Etat démocratique »
n’ayant, quant à lui, d’autre idéologie que de maintenir le temps dans
un éternel présent de la stagnation ou de l’« ordre établi », c’était ce
qui apparaissait évident au Kojève des années 30-40.
L’expression
« Etat démocratique » est une sorte de cercle carré. L’Etat qui se
solidarise avec l’idéologie démocratique n’est pas un Etat au sens
propre et fort du terme. C’est une administration, une police, une
organisation purement technique qui a pour but d’assurer aux « citoyens »
la possibilité de mener sans encombre une existence privée, c’est-à-dire non politique : sociale, économique, culturelle, religieuse, etc. C’est ce qui explique la tolérance et
la « liberté » qui caractérisent les Démocraties et les distinguent des
Etats autoritaires, par définition intolérants. Une idéologie politique
prise au sérieux exclut les idéologies incompatibles, et l’Etat qui se
solidarise avec l’une d’elle doit supprimer toutes les autres, dans la
mesure du possible. Mais quand l’Etat n’est pas un véritable Etat, quand
il n’a pas à sa base une idée vraiment politique, il peut fort bien se
désintéresser de toutes les idéologies et les « tolérer » toutes. Mais
sa tolérance ne peut s’étendre qu’aux idéologies qui n’impliquent pas
comme but la politisation de la société, c’est-à-dire la création d’un
véritable Etat, à base d’idéologie politique. C’est pourquoi les
Démocraties n’ont toléré le Communisme et le « Fascisme » que dans la
mesure où ils étaient inopérants. Au moment où il a été question
d’appliquer ces idéologies respectives à l’Etat lui-même, le principe «
démocratique » de tolérance a été abrogé. (p. 319)
Paradoxalement, en censurant, la Démocratie pourrait, à la rigueur, apparaître comme un « Etat proprement dit ». Pourquoi ? Parce qu’alors, elle s’empare consciemment
du temps, en reconnaissant que sa fin est le « présent », qu’importe
que celui-ci apparaisse à certains comme un marais et à d’autres d’une
iniquité insupportable.
ENAMONTDUFASCISME.
Kojève n’est donc pas (en tout cas à ce moment-là de sa carrière) ce que l’on peut appeler un « démocrate ». Aussi Sophia
est-elle une justification du pouvoir, la conscientisation d’un idéal
politique, autrement dit une « idéologie ». Mais pas de n’importe quelle
politique et, dès lors, ce n’est pas n’importe quelle « idéologie ».
Car, si, pour le dire avec Kojève : « [Sophia] est écrite dans une société socialiste [en URSS] », elle en « est en quelque sorte l’idéologie » (p. 507). Or, cette société a pour adversaire principal, non pas tant la démocratie, que le fascisme-nazisme.
En
d’autres termes, après ou derrière la démocratie-libérale, c’est la
politique d’« ultradroite » qui est visée, de sorte que les « démocrates
» ne sont pas ses véritables opposants. Ils ne sont, pour ainsi dire,
qu’une entrave temporaire, un temps d’accalmie volontaire (et
volontairement incapacitant) avant le vrai combat politique :
fascisme-communisme ou, dans les termes actuels du débat, « ultra-droite
» contre « extrême gauche ». Quant aux démocrates, Kojève juge qu’ils
seront vite oubliés ainsi qu’il le rappelle au début de Sophia :
Les
sociaux-démocrates vont bien vite quitter la scène historique, pour –
on va l’espérer – ne jamais y revenir. On peut même conclure qu’ils sont
déjà morts. Les anciens Romains considéraient qu’il fallait bien parler
des défunts ou alors ne rien en dire du tout. Pour notre part,
puisqu’on ne saurait rien dire de bon des sociaux-démocrates, il est
préférable que l’on cesse d’en parler tout à fait (Sophia, p. 48).
A vrai dire, tel qu’il la comprend, c’est-à-dire comme un équilibre
(plus ou moins tolérant et surtout plus ou moins inique et trompeur) de
forces qui, elles-mêmes, se répartissent (et se conscientisent) en
classes, la « démocratie-libérale » n’est, en définitive (et prise de
façon dynamique), que l’antichambre du fascisme ou, plus exactement,
l’amont d’un fleuve qui y conduit comme irrémédiablement. Et, de ce
point de vue (soviétique), le fascisme n’est pas l’opposé de la «
démocratie-libérale », mais son avant-garde ou son futur.
Ce paradoxe est simple à saisir. Tandis que le communisme veut l’abolition des classes, le fascisme se pense comme une justification
par la biologie ou l’ethnie de la place que l’on occupe dans la
hiérarchie sociale. La solution fasciste est alors de privilégier la
classe « paysanne » qui, rattachée à la terre, est censée incarner de
façon plus pure (et majoritaire) l’essence de la nation.
Il s’agit donc [dans le fascisme-nazisme] de conserver à tout prix une classe de propriétaires fonciers, liés et fixés
dans leur existence toute entière à cette propriété même, c’est-à-dire à
un « sol » bien déterminé, inchangeable et immuable. L’Etat «
communiste » par contre se pose comme but la suppression de la
paysannerie en tant que classe. Il s’agit de « déraciner » tous les
citoyens, de les placer dans un état de mobilité absolue, de les
rattacher et de les fixer non pas par le bas, au sol, mais par le haut, à l’entité idéelle de l’Etat en tant que tel. Pour l’Etat « fasciste » le citoyen est citoyen parce qu’il
est lié au sol qui est le territoire de l’Etat. Pour l’Etat «
communiste » par contre, le territoire n’est rien que parce qu’il est
habité par ses citoyens, qui ne sont en rapport avec tel ou tel sol que
parce qu’ils sont des citoyens, auxquels l’Etat a assigné
une fonction agricole. Bref, l’Etat « communiste » veut « prolétariser »
tous ses citoyens, en faire des « fonctionnaires » de l’Etat, même si
leur fonction est agraire, c’est-à-dire même si elle les lie par la
force des choses à un sol déterminé (p. 325-326)
En
laissant de côté la politique de l’Etat communiste, on constate que si
la « démocratie libérale » peine à justifier l’existence des classes
(qu’elle maintient cependant au détriment de la majorité, « des petites
gens »), le fascisme transforme ce problème social en justification
raciale, en attribuant le sommet de la pyramide (comme principe de son
gouvernement) à la classe paysanne, aux petites gens, ou encore à la majorité qui ne souhaite plus être politiquement «
silencieuse », bref aux « authentiques citoyens ». Contrairement aux «
démocraties-libérales » qui maintiennent les classes sans les justifier,
ces dernières sont ici maintenues et justifiées (seulement leur
justification prétend à une nouvelle répartition ou hiérarchisation).
Quoi qu’il en soit, on peut dire avec Kojève :
C’est ce qui explique le fait qu’une « démocratie de droite » qui reconnaît plus ou moins ouvertement l’existence politique des
classes, opte toujours pour le « fascisme » lorsqu’elle est réellement
placée devant l’alternative « fascisme » ou « communisme ». Même si, par
ailleurs, elle les dit et les croit être également haïssables. (p. 167-168).
Dans
un tel projet, la classe devient une race. Ce sont les étrangers et les
élites mondialisés (donc étrangères) qui déstabilisent le pays, le
déséquilibrent, fomentent les troubles, et deviennent responsables de
tous les maux. Ces gens, dit-on, ne partagent pas nos valeurs, sont
intrinsèquement inassimilables, n’aiment pas le pays, etc. Cela devient
aussi une opposition ville-campagne, le citadin est déraciné, l’ouvrier
corrompu[2], etc. (dans les termes actuels du débat, le « jeune urbain » l’est au point d’être « wokiste », c’est-à-dire de ne plus respecter les frontières biologiques du genre).
A
terme, cela implique d’imposer la « dictature de la paysannerie »,
c’est-à-dire un retour au « bon sens », au peuple et à la terre, à la
majorité des petites gens. Mais comme tout le monde ne peut pas être
paysans, ni ethniquement purs, cela demande de nouveau un équilibre
(hiérarchisé) entre classes.
Les Etats dits « fascistes » affirment […] que les « classes » n’ont chez eux aucune réalité politique. Mais
il est facile de voir qu’il s’agit là d’un simple thème de propagande «
socialisante » ou « anti-capitaliste », voire «
anti-démocrato-ploutocratique », qui ne correspond nullement à la
réalité. En effet, lorsqu’un Etat croit et dit que l’existence de la
classe paysanne est indispensable à son existence en tant qu’Etat, s’il
veut conserver cette classe à tout prix, c’est qu’elle a à ses yeux, et
par conséquent en fait, une valeur et une réalité nettement politique. […] Alors de deux choses l’une. Ou bien l’Etat n’attribue une valeur et une réalité politique qu’à
la seule classe paysanne, et alors c’est un « gouvernement de classe »
au sens fort du terme, une « dictature de la paysannerie » analogue à «
la dictature du prolétariat » des débuts de l’URSS. Ou bien on reconnaît
politiquement aussi la classe « non-paysanne », avec toutes ses
subdivisions ; et l’Etat a alors pour but d’établir un équilibre des choses.
Et Kojève peut conclure un peu plus loin : « Du moment qu’il s’agit non pas de supprimer les ‘‘classes’’, mais d’assurer leur équilibre, ces Etats [dit ‘‘fascistes’’] sont infiniment plus proches des ‘‘démocratie’’ que de l’URSS ». (p. 167).
MÉTAPHYSIQUEDEL’HUMANITÉ.
Bien sûr, Sophia ne traite pas exactement de cela. Ce que l’on vient d’exposer avec ce texte inédit – ces Néoformations adressées à Henri Moysset – sert
plutôt, répétons-le, d’arrière-plan et doit être vu comme la condition
historique implicite qui nous permet de mieux comprendre le théâtre de
sa rédaction (et peut-être d’en apprécier l’actualité). Car, Sophia ne
se situe pas tant sur le terrain de la théorie politique que sur le
terrain plus fondamental de l’anthropologie philosophique. Kojève y
livre – en particulier avec ce second tome – une « métaphysique de
l’homme ». Une remarque incidente des Néoformations permet d’en rendre compte.
Il est facile de voir que cette différence [entre fascisme-nazisme et soviétisme] découle d’une différence dans la conception métaphysique de l’homme : c’est une différence entre deux anthropologies philosophiques.
Ici [dans le cadre des Etats dit « fascistes »], l’homme est une plante
qui s’épanouit ; là [en URSS] l’homme est un ange déchu qui reste un
étranger sur terre. Mais je ne peux pas insister en ce lieu sur cette
question (nous soulignons, p. 326-327)
Le
lieu où « il insiste sur cette question », où il élabore cette «
métaphysique soviétique de l’homme » est bel et bien notre livre. En
effet, si dans le premier tome de Sophia, il était
essentiellement question de méthodologie (rendant compte du sens qu’il
donne aux termes « philosophie » et « phénoménologie »), il s’agit ici
d’élaborer les fondements anhistoriques qui rendent possible et
expliquent l’Histoire et son sujet, à savoir l’Humanité.
Avec
cet ouvrage, nous sommes donc en dehors du temps, avant l’Histoire, ou
plutôt dans l’élaboration d’une anthropologie censée la conditionner.
Et, c’est pourquoi nous avons retenu pour ce second tome le titre de Métaphysique de l’Humanité. Il exprime, selon nous, le sous-titre que Kojève avait, quant à lui, choisi pour cette partie : Les Fondements antéhistorique des apparitions de l’existence historique de l’homme. Kojève,
en effet, expose les « conditions » qui rendent compte, à ses yeux, de
l’entrée de l’Humanité dans l’Histoire, ou plus exactement qui
expliquent ses différentes apparitions dans un récit dynamique (ou
dialectique) qui n’est autre que celui de son identité en voie
d’achèvement dans l’unité, la sagesse et la toute-puissance (et,
partant, comme divinité).
Autrement
dit, nous avons affaire dans ce livre à une proposition d’anthropologie
philosophique rendant compte des différentes « apparitions » ou «
figures » d’une seule et même humanité sur la scène de sa propre
histoire.
En
un autre sens, il s’agit également d’un défi adressé à une
anthropologie fascisante. A charge à ses adversaires de proposer une
autre explication des ressorts de l’Histoire, ressorts qui doivent
embrasser et désarmer sa propre hypothèse anthropologique mieux que
lui-même ne le fait avec les propositions concurrentes.
Le Désir de Désir.
Comment
qualifier dès lors sa proposition ? Kojève, on l’a vu, la présente sous
les termes d’« ange déchu ». Bien sûr, sous cette expression, on
retrouvera probablement des allusions à la culture russe, au Démon de Lermontov (qu’il cite d’ailleurs dans le premier tome de Sophia3) ou même aux Démons de
Dostoïevski. De la même façon, il emploie pour la première fois à notre
connaissance l’expression « métaphysique de l’Humanité » pour qualifier
le système du père de la philosophie russe (sur lequel il avait écrit
sa thèse), à savoir Vladimir Soloviev : « Sa métaphysique [celle de
Soloviev] était avant tout une métaphysique de l’humanité, et c’est
l’importance énorme attribuée à l’homme qui en formait le trait le plus
personnel ».
Dans notre essai, La Conscience de Staline,
nous avons montré ce que Kojève doit à ses prédécesseurs russes, en
montrant que le couronnement de sa pensée s’apparentait à l’inversion du
Dieu-homme en Homme-dieu, du Christ en Antéchrist, reprenant ainsi la
suite du Court récit sur l’Antéchrist de Soloviev (que Kojève jugeait être l’un des textes les plus profonds de Soloviev). Ne nous attardons pas davantage .
[1]
On rappelera que Kojève a qualifié son projet comme étant une «
Autobiographie de l’Humanité ». Or, il a appelé ce livre justement Sophia
(reprenant, par là, un vieux concept de la philosophie de Soloviev
désignant sous ce terme précisément l’Humanité achevée ou idéale).
[2]
« Se solidariser avec la paysannerie, c’est tout naturellement se
solidariser aussi avec son caractère ethnique : un Etat paysan est
naturellement porté à rester un Etat-peuple. On peut donc dire que le
‘‘populisme’’ du IIIe
Reich est une conséquence naturelle et nécessaire de sa politique
paysanne. Le rapport entre la paysannerie et la nation est moins direct :
il semble que cette dernière ne peut pas se constituer sans l’apport de
la Ville. Mais dans la mesure où la paysannerie subsiste à côté de la
ville (en principe toujours cosmopolite, du moins en puissance), la
nation conserve une base ethnique et se crée autour d’un peuple. Ce
n’est, d’ailleurs, qu’ainsi qu’elle est vraiment une ‘‘nation’’ et non
un ‘‘empire’’. Son expansion n’est donc pas indéfinie. Si elle
transcende l’élément ethnique en le remplaçant par un substrat culturel,
elle ne peut absorber des cultures extérieures que dans la mesure où
celles-ci sont compatibles avec la culture du peuple qui sert de base à
la nation »
Whitney Webb , née en 1989 à Sarasota , en Floride, vit aujourd’hui au Chili, est journaliste d’investigation et auteur. Elle est connue pour One Nation under Blackmail
, avec le sous-titre « L’union sordide entre l’intelligence et le crime
qui a donné naissance à Jeffrey Epstein », volumes 1 et 2. Elle a
également été impliquée dans le débat autour des attentats du 11
septembre , de Peter Thiel et de son soutien à Donald Trump et J.D. Vance , de l’IA et AI-krigföringde la guerre de l’IA, des fichiers dits CTIL (fichiers de la Cyber Threat Intelligence League) et du Bitcoin.
Whitney Webb écrit pour plusieurs magazines et sites Web. Il s’agit notamment de MintPress et MintPress News, Unlimited Hangout et The Last American Vagabond . Elle a également participé à plusieurs podcasts et autres contextes d’interviews et
en 2019, elle a reçu le Shim Award for Uncompromised Integrity in
Journalism, c’est-à-dire un prix pour son travail journalistique.
Une nation sous chantage
Dans
One Nation under Blackmail , volumes 1 et 2, elle décrit une
collaboration entre les services de renseignement américains et
israéliens d’une part et le réseau du crime organisé connu sous le nom de National Crime Syndicate
(NCS). Elle soutient que les services de renseignement et le NCS ont
développé un système ou une tactique de chantage sexuel. Un système ou
une tactique qui, selon elle, fournit à son tour un arrière-plan et un
contexte aux scandales sexuels entourant Jeffrey Epstein .
En plus de Jeffrey Epstein, elle aborde également Bill Clinton , Donald Trump , le prince Andrew , Les Wexner , Robert Maxwell et Alan Dershowitz , entre autres. Elle décrit comment ces personnes et d’autres sont liées à Epstein, à la CIA et au Mossad
Michel Clouscard
extrait de "Lettre ouverte aux communistes"
Éditions Delga 2016
Ce texte a été rédigé à la fin des années 70, à l'aube de la catastrophe mitterandiste.
Il est largement commenté dans la vidéo ci-dessus, ainsi que l'ensemble
de l'ouvrage inédit de Michel Clouscard publié par les éditions
Delga lors de la réalisation de cette vidéo, en 2016 .
Cette
lettre, jamais postée, que Clouscard destinait au parti auquel il n'a
jamais adhéré (il s'en explique dans le livre), décrivait parfaitement
le désarroi des intellectuels authentiquement marxistes et communistes,
en regard de l'émergence électoralement majoritaire des "nouvelles
couches moyennes" et de ses conséquences sociales et politiques : le
délabrement politique révisionniste d'un parti politique qui, depuis un
demi siècle, avait pourtant dignement représenté les classes populaires.
"
LES CHOSES pourraient être pourtant si simples, pour les communistes;
c’est le seul parti qui dispose d’un corps doctrinal pour analyser
l’évolution des sociétés et leurs crises: le marxisme.
Faut-il encore l’actualiser.
La
récente métamorphose de la société française peut donc être définie
selon ce schéma: le passage du capitalisme monopoliste d’État de
l’ascendance au capitalisme monopoliste d’État de la dégénérescence : la crise.
À
l’exploitation par les cadences infernales, qui a permis la croissance,
ont succédé l’austérité et le chômage massif. Comment se fait-il que le
Parti communiste français n’ait pas su exploiter ces situations, pour
accumuler les profits électoraux?
Pour
ce faire, il aurait fallu proposer une distinction radicale, celle des
nouvelles couches moyennes et celle de la classe moyenne traditionnelle.
La plupart des observateurs confondent les deux en cette nébuleuse:
classes moyennes. Eux, du moins, ont une excuse: ils ne sont pas
marxistes. Mais il faut bien constater que la plupart des communistes
identifient aussi ces contraires.
C’est
que ces nouvelles couches moyennes sont très embarrassantes pour les
doctrinaires marxistes. Elles vont à l'encontre du Vieux schéma qui
prévoit la radicalisation des extrêmes: concentration de la grande
bourgeoisie et paupérisation (absolue ou relative ?) de la classe
ouvrière.
Or, dans les pays dits « post-industrialisés », c’est le contraire.
Le capitalisme monopoliste d’État* a procédé a cette géniale « invention » : les nouvelles couches moyennes.
Il
faut en proposer l’élémentaire nomenclature. Ce nouveau corps social
relève de l’ extraordinaire développement de trois secteurs
professionnels très disparates. Celui, très traditionnel, des
fonctionnaires, employés du privé, professions libérales, qui a connu un
saut quantitatif et du coup une mutation qualitative. Celui des
nouveaux services spécifiques du capitalisme monopoliste d’État
(concessionnaires, agences de voyages...) Celui des ingénieurs,
techniciens, cadres (ITC), qui rend compte du progrès technologique et
de sa gestion sous tutelle capitaliste.
Ces
nouvelles couches moyennes ont été le support du libéralisme, nouvelle
idéologie qui s’oppose radicalement a celle de la classe moyenne
traditionnelle, laquelle se caractérise par la propriété des moyens de
production. La stratégie libérale consiste a s’appuyer sur ce corps des
services et des fonctions. C’est toute une nouvelle culture qui dénonce
même l’avoir.
Quel
paradoxe: ce sont ces couches moyennes, qui ne sont pas possédantes de
leurs moyens de production, qui sont le meilleur support du capitalisme!
Il
est vrai qu’elles ont été gâtées. Ce sont elles qui se sont partagé la
plus grosse part du gâteau de l’ascendance. Et cela grâce a une savante
redistribution du profit capitaliste par la politique des revenus de la
société du salariat généralisé.
Ces
nouvelles couches moyennes ne sont pas propriétaires de leurs moyens de
production, elles ne sont pas - en leur majorité - des forces
productives directes mais elles se trouvent au résultat du procès de
production, des autres, la gueule ouverte, pour tout engloutir. Elles se
paient même le luxe de dénoncer la « Société de consommation ». Cette
idéologie est devenue une idéologie dominante, depuis Mai 1968, ce
14-Juillet des nouvelles couches moyennes. Elle a sécrété les nouveaux
modèles de la consommation « libérale ».
Cette
idéologie de la libéralisation n’est pas le seul support de la
contre-révolution libérale. Le management, celui des grands monopoles,
prétendra même dépasser... le marxisme. Ne dispose-t-il pas, en son
sein, des techniciens supérieurs et des ingénieurs, forces productives
directes ? Du coup, nous dira-t-on, la force productive traditionnelle,
celle de l’ouvrier non qualifié, deviendrait un simple appoint.
Il
est fondamental de comprendre que cette contre-révolution libérale est
devenue l’idéologie et la réalité dominantes. Elle a fait éclater les
clivages traditionnels de la droite et de la gauche. Maintenant, elle
est autant à droite qu’à gauche.
Entre
le libéralisme avancé de Giscard [Sarkozy] et la social-démocratie
retardée de Mitterrand [Hollande], ou est la différence ?
Le
dogmatisme du PCF l’a empêché de comprendre cette métamorphose de la
société française, le rôle des nouvelles couches moyennes, la nouvelle
stratégie du capitalisme: la contre-révolution libérale, qui n’a pas
grand-chose de commun avec la « droite » traditionnelle. Mais la crise
peut lui permettre de se rattraper, et même d’inverser la tendance.
Le
moment est venu pour les communistes de dire : « C’était formidable,
votre combine, dommage que ça se casse la figure. Vous avez Cru que
c’était arrivé, alors que vous ne faisiez que vérifier nos analyses: le
capitalisme monopoliste d’État de l’ascendance apporte une croissance
économique fantastique dans la mesure ou celle-ci propose les conditions
d’une crise non moins fantastique. Le capitalisme de l’ascendance n’est
que les conditions objectives de la crise. »
C’est
le moment de s’adresser a ces nouvelles couches moyennes pour leur
montrer qu’elles se sont réparties selon une implacable hiérarchie
sociale: grande, moyenne, petite bourgeoisie. Une énorme partie de ces
couches a des intérêts de classe analogues à ceux de la classe ouvrière
traditionnelle.
Pour
sortir ces couches moyennes de leur engourdissement libéral, il faut
les prévenir de ce qui les attend: le chômage massif. Autant le
capitalisme monopoliste d’État de l’ascendance a créé des emplois
artificiels, non productifs, d’encadrement, de plumitifs, autant celui
de la crise les liquidera sauvagement pour mettre en place, dans le
tertiaire et le quaternaire, l’appareillage de l’informatique et de la
robotique.
Il
faut montrer aux productifs de ces couches - techniciens, ingénieurs -
qu’ils participent au travailleur collectif et qu’ils sont, eux aussi,
victimes du management des improductifs. La création d’emplois devrait
étre au coeur du débat. Les postes d’encadrement technocratique ne
sont-ils pas l’empêchement a priori de la création d’emplois
productifs? Tout un cheminement vers l’autogestion est possible, de par
la simple recherche des nouveaux critères de gestion.
Autant
la montée hégémonique des nouvelles couches moyennes a permis la
contre-révolution libérale, autant leur remise en question par la crise
devrait permettre la remontée du socialisme et du Parti communiste
français. Mais il faudrait alors procéder dialectiquement, se tourner
aussi vers la classe moyenne traditionnelle et ne pas rater, non plus,
sa « récupération » partielle. Car, que de magnifiques occasions ont été
manquées aussi de ce coté-la.
C’est
que cette classe sociale participe au travailleur collectif. Et à ce
titre, elle a été doublement remise en question, par le capitalisme
monopoliste d’État de l’ascendance. Autant celui-ci a fait la promotion
des nouvelles couches moyennes, autant il a « enfoncé » une grande
partie de la classe moyenne traditionnelle. Comment ne pas s’être rendu
compte de ce dispositif contradictoire de la France de la modernité ?
C’est
sur le dos du petit et moyen commerçant, paysan, entrepreneur, que se
sont édifiés les monopoles puis le capitalisme monopoliste d’Etat. Mais
surtout: quelle mise en boite idéologique! Comme ces gens-la se sont
fait chambrer par l’idéologie libérale de la libéralisation! Eux, qui
défendent les valeurs traditionnelles du mérite, du travail, de
l’économie, du réinvestissement, ont vu leur genre de vie totalement
remis en question par l’extraordinaire marché du désir nécessaire a
l’économie politique du libéralisme, par l’idéologie non moins
nécessaire à l’écoulement de la marchandise de cette industrie du
loisir, du plaisir, du divertissement, de la mode. On connaît toutes
leurs conséquences : délinquance, insécurité, etc.
Alors,
pourquoi ne pas avoir proposé à ces éléments du travailleur collectif
les arguments théoriques et les modes d’action qui leur auraient permis
de dénoncer la suffisance et l’arrivisme de la hiérarchie libérale?
Lutter contre le laxisme du libéralisme, c’est programmer toute une
reconquête culturelle.
La
crise peut donc permettre au Parti communiste de « récupérer » une
grosse partie du corps électoral, partie des nouvelles couches moyennes
et de la classe moyenne traditionnelle. Il doit lutter contre les deux
grands effets pervers du libéralisme, économique et culturel, pour
rendre au travailleur sa dignité professionnelle et morale.
C'est d’autant plus urgent que se profile ce qui pourrait devenir un
néo-fascisme qui serait la sinistre et hétéroclite collusion des
privilégiés du libéralisme, qui ne veulent rien céder de leurs
privilèges acquis et de la vieille droite revancharde qui, elle, veut
reconquérir les siens."
* NdE : Clouscard en
fidèle intellectuel communiste des années 60, reprenait, assez
candidement sur les questions "économiques", la ligne des "experts" du
parti à l'époque, y compris des notions aussi étrangères à la critique
marxiste de l'économie politique que celle de C.M.E. Il est vrai que la
notion de Capitalisme Monopoliste d’État était en quelque sorte
"consubstantielle" à l'émergence de la "géniale invention" des nouvelles
couches moyennes qu'il dénonçait pourtant, très légitimement, ici.
Son adversaire Althusser
notait d'ailleurs, à la même époque (et dans un rare "éclair de
lucidité"), qu'avec cette conception de l'analyse économique le parti
avait atteint « le point zéro de la théorie marxiste ».
Ce qui du reste était
assez congru au point zéro atteint lors du 22ème congrès marqué
inversement par l'abandon d'une notion fondamentale du marxisme, celle
de "dictature du prolétariat" - voir la vidéo.
La forme zombie du sionisme
augure-t-elle de celle que va prendre le libéralisme capitaliste
au sein de l'occident collectif ?
C'est
en tout cas la leçon que tire Shir Ever, activiste de BDS, des récents
évènements auxquels il a assisté en Palestine et qu'il a analysé et
commenté avec beaucoup de perspicacité pour l'Intifada numérique :
et pour contextualiser tout ça :
L'enfer humanitaire l'extermination des Palestiniens se fait passer pour de l'aide
Israël
et l'Amérique veulent placer « par bienveillance » la population de
Gaza dans ce qui équivaut à un camp de concentration.
Le génocide en cours à Gaza et en Palestine est particulier, non pas à un, mais à deux égards. Comme
on l'a souvent observé, il s'agit du premier génocide de l'histoire
retransmis en direct. Aucun génocide n'avait jamais été commis sous les
yeux du monde comme celui-ci. Deuxièmement, le génocide de Gaza sape et,
de fait, dévaste des ordres moraux et juridiques entiers – ou du moins
des revendications de longue date sur ceux-ci – d'une manière tout aussi
inédite.
Ces
deux particularités sont liées : la seule façon pour le monde entier de
tolérer le génocide à Gaza, compulsif depuis 8 décennies et explicite
depuis près de trois ans, est de faire fi obstinément des normes
fondamentales, écrites et tacites. Par exemple, presque aucun État – à l’exception du Yémen
(sous le contrôle de facto du mouvement Ansar Allah ou des Houthis) –
n’a même tenté de se conformer à ses obligations contraignantes et
claires au titre de la Convention des Nations Unies sur le génocide de
1948, à savoir « prévenir et punir »
le crime de génocide. Personne parmi celles et ceux qui ont le pouvoir –
seul ou avec d’autres – de le faire, ni au Moyen-Orient, ni au-delà,
n’est venu sauver les victimes palestiniennes du génocide de Gaza de la
seule manière efficace : en arrêtant leurs meurtriers israéliens par la
force massive.
Pourtant,
la petite partie du monde, pourtant disproportionnellement influente,
qui se définit comme l'Occident, est allée au-delà de la simple
inaction. Car, que l'Occident soit une civilisation autrefois façonnée
par le christianisme ou non, son véritable fondement est depuis
longtemps l'hypocrisie. Et pendant le génocide de Gaza, le besoin
compulsif de l'Occident de rationaliser même ses actes les plus vicieux
en actes de vertu propagateurs de « valeurs » prétendument
civilisationnelles, a conduit à un nouveau sommet de perversion morale
et intellectuelle : précisément parce que l'Occident a non seulement
abandonné les victimes palestiniennes, mais qu'il co-perpétue activement
ce génocide avec Israël, ses élites – politiques, culturelles,
médiatiques, policières et judiciaires – ont déployé un effort soutenu
et obstiné pour modifier radicalement notre conception du bien et du
mal, des normes juridiques spécifiques à notre compréhension intuitive
et largement partagée des limites à ne jamais franchir.
Mener, par exemple, une prétendue « guerre » en tuant ou en blessant – souvent en les mutilant à vie – plus de 50 000 enfants (en mai 2025). Une « guerre » dont nous recevons des témoignages fiables multiples et répétés les uns après les autres
selon lesquels nombre de ces enfants sont délibérément ciblés,
notamment par des opérateurs de drones et des tireurs d'élite. Une
« guerre » où la famine, la privation médicale et la propagation
d'épidémies ont toutes été déployées de manière tout aussi délibérée.
En
effet, on nous demande – avec une grande insistance, c’est le moins
qu’on puisse dire – de croire que cette forme d’« autodéfense »
meurtrière et infanticide de masse est quelque chose dont on peut être
fier, même par procuration : le maire de Berlin, Kai Wegner, par exemple
– connu pour sa répression de tout signe de résistance au génocide israélien – vient de déclarer que la mairie continuerait à arborer le drapeau israélien .
Dans le même esprit dépravé, les institutions occidentales infligent des châtiments – des brutalités policières aux guerres juridiques paralysantes , en passant par les sanctions internationales – non pas
aux auteurs et complices du génocide de Gaza, en Israël et ailleurs,
mais à ceux qui y résistent en solidarité avec ses victimes
palestiniennes. Des manifestants , des journalistes de valeur et même un rapporteur spécial
de l'ONU sont traités comme des criminels, voire des terroristes, pour
avoir dénoncé le crime de génocide, comme – hier encore, semble-t-il –
nous étions tous officiellement censés le faire. Mais le « plus jamais
ça » s'est transformé en « définitivement, et aussi longtemps que les
meurtriers le voudront, puisqu'ils sont Israéliens et nos amis ».
C'est
dans ce contexte de renversement de la morale, du droit et du sens, si
complet que le terme galvaudé « orwellien » s'applique pour une fois
réellement, que nous pouvons comprendre ce qui arrive aujourd'hui au
concept d'action « humanitaire ».
Selon la définition fondamentale de l'Encyclopédie Britannica, un humanitaire est une « personne qui œuvre pour améliorer la vie d'autrui »,
par exemple en s'efforçant de mettre fin à la faim dans le monde.
L'humanitarisme moderne ayant déjà deux siècles d'histoire, des
historiens, comme Michael Barnett dans son « Empire de l'humanité », ont
livré des récits plus complexes. Les critiques dénoncent depuis
longtemps les limites, voire les failles, de l'humanitarisme. Pour le
sociologue français Jean Baudrillard,
c'est ce qui reste lorsqu'un humanisme plus optimiste s'effondre : une
sorte de réponse d'urgence morose, signe que la situation mondiale a
encore empiré.
En
particulier, durant les décennies d'orgueil américain de l'après-Guerre
froide – appelées à tort « moment unipolaire » –, l'humanitarisme s'est
souvent allié à l'impérialisme occidental. Lors de la guerre
d'agression contre l'Irak qui a débuté en 2003, par exemple, les
organisations humanitaires sont devenues les serviteurs des agresseurs,
des envahisseurs et des occupants.
Pourtant,
quelle que soit votre vision de l'humanitarisme, il y a des choses que
ce concept ne peut accepter que pour des actes complètement dérangés et
infiniment pervers, comme le massacre de civils affamés et les camps de
concentration. Et pourtant, à Gaza, ces deux pratiques ont été
qualifiées d'humanitaires. La prétendue Fondation humanitaire pour Gaza,
une organisation américano-israélienne douteuse, a promu un système où
des miettes de nourriture servent d'appât pour des pièges mortels : des
Palestiniens délibérément bloqués par Israël ont été attirés vers quatre zones de mort, déguisées en points de distribution d'aide.
Au cours du dernier mois et demi, les forces israéliennes et les mercenaires occidentaux ont tué au moins 789 victimes – et en ont blessé des milliers
– dans ou à proximité de ces pièges sataniques. De toute évidence, tuer
des personnes non armées à une telle échelle n'est pas un dommage
collatéral, mais un acte délibéré. L'intention meurtrière derrière ce
projet a désormais été confirmée par diverses sources , y compris israéliennes . Il n'est donc pas étonnant que 170 véritables organisations humanitaires et de défense des droits humains aient signé une protestation contre cette fausse aide et ce véritable projet de massacre.
Et
puis il y a le plan du camp de concentration : les dirigeants
israéliens ont déjà chassé les habitants survivants de Gaza – l’un des
endroits les plus densément peuplés de la planète avant même le génocide
– dans une zone ne représentant que 20 % de la surface dévastée de Gaza.
Mais
cela ne leur suffit pas : en route vers ce qui semble être leur idée
d’une solution finale à la question de Gaza, ils ont maintenant présenté
un nouveau plan à leurs alliés américains, à savoir regrouper les
survivants dans une zone encore plus restreinte. Ce camp de concentration de facto,
ils le présentent comme une « ville humanitaire ». De là, les
Palestiniens n’auraient que deux issues : la mort ou le départ de Gaza.
Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, veut nous vendre cela
comme un « volontariat ». Ironie de l’histoire, les génocidaires
israéliens rivalisent désormais non seulement avec les crimes des nazis,
mais aussi avec les horribles abus de langage des Allemands.
Où
se trouve cette station de transit meurtrière, témoin d'un nettoyage
ethnique ? Les ruines de Rafah. Vous vous souvenez peut-être de Rafah,
autrefois une ville animée du sud de Gaza, comme du lieu que les alliés
occidentaux d'Israël ont prétendu protéger ,
en quelque sorte, pendant un temps. Ces avertissements n'ont servi à
rien, bien sûr. Rafah a été rasée, et la zone est désormais vouée à
accueillir le camp de concentration qui mettra fin à tout cela.
Ce
projet est tellement scandaleux – mais c'est le mode opératoire
habituel d'Israël – que même ses détracteurs peinent à en mesurer la
perversité. Philippe Lazzarini, directeur de l'UNRWA – l'organisation de
distribution d'aide humanitaire efficace qu'Israël a fermée pour
poursuivre sa stratégie de famine, tuant près de 400 de ses employés
locaux – a déclaré sur X que la « ville humanitaire » équivaudrait à une seconde Nakba et « créerait d'immenses camps de concentration pour les Palestiniens à la frontière avec l'Égypte ».
La
Nakba fut le nettoyage ethnique sioniste, entrecoupé de massacres,
d'environ 750 000 Palestiniens en 1948. Mais Lazzarini se trompe s'il
croit que la première Nakba a pris fin : pour les victimes
palestiniennes de la violence israélienne, elle n'a fait qu'amorcer un
processus continu de vol, d'apartheid et, souvent, de meurtres. Un
processus qui a aujourd'hui abouti à un génocide, comme le reconnaissent
de nombreux experts internationaux, dont l'éminent historien d'Oxford Avi Shlaim . Il ne s'agit pas d'une seconde Nakba, mais de la tentative israélienne d'achever la première.
L'observation
de Lazzarini selon laquelle le projet de ville humanitaire créerait des
camps de concentration à la frontière avec l'Égypte est, bien sûr, tout
aussi vraie dans une certaine mesure. Pourtant, Gaza tout entière est
depuis longtemps ce que le sociologue israélien Baruch Kimmerling
appelait (dès 2003) « le plus grand camp de concentration du monde ».
Il ne s'agit pas d'être pédant. Ce que la protestation de Lazzarini –
aussi bienvenue soit-elle – oublie, c'est que ce qu'Israël inflige
actuellement aux Palestiniens crée un nouvel enfer au sein d'un enfer
bien plus ancien.
Mais
Israël n'est pas le seul. L'Occident est, comme toujours, profondément
impliqué. Laissons de côté le fait que les sionistes de
l'entre-deux-guerres ont appris auprès des autorités du mandat britannique
comment utiliser les camps de concentration contre les Palestiniens ,
ainsi que d'autres méthodes de répression brutale. Aujourd'hui aussi,
diverses personnalités et agences occidentales se sont impliquées dans
les projets israéliens de réinstallation qui sous-tendent le plan de
ville humanitaire. La fondation de Tony Blair – en réalité une société de conseil et de trafic d'influence travaillant systématiquement pour le côté obscur partout où cela rapporte – et le prestigieux et puissant Boston Consulting Group
ont tous deux été surpris en train de contribuer à la planification du
nettoyage ethnique israélien. Et derrière cela se cache la volonté
déclarée de nul autre que Donald Trump, le président des États-Unis
, qui a depuis longtemps exprimé explicitement son souhait de voir Gaza
reconstruite comme un vaste Trumpistan fastueux, sans Palestiniens.
Depuis
le début du génocide de Gaza, celui-ci a été à la fois un crime brutal
et une tentative constante de redéfinir le bien et le mal, afin de le
rendre nécessaire, justifiable, voire même une occasion légitime de
tirer profit. Et les élites occidentales – à de trop rares exceptions
près – ont rejoint Israël dans cette perversion absolue de l'éthique et
de la raison fondamentales, tout comme dans les massacres. Si Israël et
l'Occident ne sont pas enfin arrêtés, ils utiliseront le génocide de
Gaza pour transformer une grande partie du monde en un enfer où tout ce
que nous avons appris à mépriser chez les nazis deviendra la nouvelle
norme.