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dimanche 2 novembre 2025

Allégories de l’antifascisme : Orson Welles et le front culturel


Dans ce texte, Michael Denning revient sur ce qu’il propose d’appeler le « front culturel » qui émergea aux États-Unis lors de la grande dépression. Pour l’auteur, cette période d’intense activité cinématographique, musicale, théâtrale et radiophonique est irréductible à un processus de marchandisation de la culture ou au développement d’une « industrie culturelle » aliénante. Elle marque la constitution d’un bloc historique antiraciste et internationaliste au sein duquel se croisent Orson Welles, C. L. R. James, Duke Ellington ainsi que les innombrables figures anonymes des classes subalternes qui surgissent alors sur la scène esthétique et politique. Revenant plus particulièrement sur le parcours d’Orson Welles, Denning nous rappelle que les media de masse et les moyens de production culturels peuvent être retournés contre la société marchande et ses fantasmagories.

Les liens d’Orson Welles avec Henry Luce et Archibald MacLeish ((Luce fut l’un des plus grands patrons de presse de l’histoire, à la tête de grands magazines pionniers comme Time, Life, Fortune ; MacLeish était un poète et écrivain, proche du Pdt. Roosevelt qui le nomma à la tête de la Bibliothèque du Congrès(NDT).)) étaient, pour les intellectuelles et intellectuels new-yorkais réunis autour des revues Partisan Review, Politics, et Dissent, des symptômes de la démarche de vulgarisation (middlebrow) qui caractérisait le Front Populaire ((Le terme de « Front Populaire » peut surprendre, appliqué ainsi au contexte des États-Unis. Mais plutôt que de l’employer dans un sens très strict, et de présenter la gauche radicale comme un phénomène exclusivement centré sur le parti communiste et à l’influence limitée sur la société et la culture des États-Unis, au gré des (dés)illusions de quelques compagnons de route, Michael Denning désigne ainsi un véritable « bloc historique », unissant les nouveaux mouvements syndicaux et sociaux, diverses structures politiques, et un grand nombre de formations culturelles différenciées. Le « Front culturel » qui donne son titre au livre est donc l’ensemble de ces formations culturelles, auxquelles l’ouvrage fait la part belle (de la littérature aux arts du spectacle anciens et modernes, jusqu’à la théorie socialiste), sans jamais cesser de lier les œuvres, les structures de production et les conflits sociaux, dans la meilleure tradition des cultural studies. Michael Denning affirme donc que la dynamique de Front populaire aux États-Unis a été sous-estimée, sur le plan politique comme sur le plan culturel (NDT).)). Ils mettaient dans le même sac les apparitions de Welles dans les magazines Time ou Life, ses engagements antifascistes, ses adaptations de romans à succès (et à l’intrigue grossière) de Booth Tarkington, ses tentatives de remettre au goût du jour des classiques victoriens tels que L’Île au trésor ou Dracula pour la radio de haute culture (highbrow), et ses transpositions contemporaines de Shakespeare. « M. Welles, à en juger par ses mises en scène de Macbeth, Faust, et Jules César, considère qu’une pièce élisabéthaine est un handicap, qui ne peut être transformé en avantage qu’à grand renfort d’artifices spectaculaires, de coupes, de falsifications, et de modernisation », écrivait ainsi Mary McCarthy dans Partisan Review. « La méthode de M. Welles est de chercher une recette moderne dans laquelle faire entrer un classique d’une façon ou d’une autre. Dans le cas de Macbeth, il s’agissait de The Emperor Jones ((Pièce qui lança la carrière de Eugene O’Neill, en 1920, et dont le protagoniste est un prisonnier afro-américain qui parvient à s’évader, gagne une île des Caraïbes et en devient l’empereur pour un temps (NDT).)) ; pour Faust, c’est guignol (Punch and Judy) ; pour Jules César, la pièce de théâtre prolétarien. » Pour McCarthy et les critiques de Partisan, le Mercury Theatre n’était pas un véritable projet expérimental d’art radical ou d’avant-garde, loin de là : au même titre que le front culturel de façon générale, il prenait un prétexte politique pour promouvoir le goût du kitsch, une vulgaire parodie de l’expérience esthétique ((Mary McCarthy, « February 1938 : Elizabethan Revivals », dans son ouvrage Sights and Spectacles, 1937-1956, New York ; Farrar, Straus and Cudahy, 1956, p. 17.)).

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dimanche 12 octobre 2025

Septiembre (Geo Milev, 1924)



«[…] El día que nací mi corazón se congeló: un pedazo de
hielo, enorme y brillante…

GM

 

« Septiembre »

De sus vísceras muertas
ha parido la noche
el secular furor de los esclavos;
cólera desolada
y escarlata.

Profunda
entre la oscuridad y la neblina.

Antes que el alba llegue:
de los valles oscuros,
de los montes,
de las selvas lejanas,
de los delgados campos,
de los valles fangosos,
periferia,
ciudad,
cortijos,
de los refugios y de las barracas,
de fábricas, estaciones y depósitos
de graneros
factorías
molinos
bodegas
canteras
oficinas:
sobre calles y cuestas
en alto
sobre derrumbes, precipicios, peñas,
por desmontes
y terraplenes,
a través de los bosques amarillos de otoño,
a través de pedregales,
a través de sórdidas guaridas de culebras,
agua,
turbios arroyos,
jardines,
prados,
viñas,
pastizales,
zarzas,
matorrales de espinas,
ciénagas y pantanos.

Rotos,
embarrados,
hambrientos,
afligidos,
quemados por el hielo y por la fiebre,
escarnecidos por el sufrimiento,
lisiados
y deformes,
hirsutos,
negros,
lacerados,
descalzos,
ignorantes,
salvajes,
furibundos,
revueltos,
sin cánticos ni rosas
sin tambor ni fanfarria
sin clarinete o tímpano
sin organillos
con sacos rotos en bandolera,
no con espadas centelleantes en el puño
sino con plebeyos garrotes
en las manos,
campesinos con palos
con pértigas,
picanas,
azadones,
horquetas,
con huascas
y con hachas
y con guadañas
y con girasoles:
jóvenes y viejos,
de todas partes,
como un niño animal que se desborda
como el túmulo inalterable
de los toros heridos,
con gritos,
con aullidos,
─ y sobre ellos la cúpula de la noche de piedra:
en desorden se lanzan
avanzando:
frenéticos
terribles
y solemnes

ES EL PUEBLO!

*******

En los valles oscuros
antes del amanecer
en todos los montes
y los valles desiertos
campos hambrientos
villas fangosas
villorrios
ciudades
patios
cabañas y tugurios
en las fábricas, en los almacenes, en las estaciones
en el granero
en las granjas
y en los molinos
en las oficinas
centrales eléctricas
establecimientos

en las calles y en las curvas
arriba
entre barrancos, precipicios, cumbres y colinas
márgenes de los campos
pendientes
en los lugares más sombrios y desiertos
en los bosques amarillos del otoño
en las piedras
en el agua
en los tórbidos remolinos
en las praderas
jardines
campos
viñedos
en los refugios de los pastores
entre arbustos
rastrojos ardientes
pantanos
flores con espinas:
andrajosos
sucios de fango
hambrientos
de caras entumecidas
del trabajo emancipados
del bochorno y del frio endurecidos
deformes
lisiados
retintos
negros
descalzos
torturados
ordinarios
salvajes
rabiosos
furibundos

─ sin rosas
sin cantos
sin marchas y tambores
sin clarinetes, tímpanos y organillos,
sin trombones, trompetas y cornetas:

sacos andrajosos al hombro,
mejor dicho espadas brillantes –
ropas ordinarias en mano
mendigos con bastones
con palos
picos
astillas
arados
hachas
halcones
girasoles
─ viejos y jóvenes –
se apresuran todos, de todas partes
─ como una manada de bestias ciegas
en enloquecedora carrera a lanzarse,
unas miradas
de toros furibundos ─
con gritos
con aullidos
(detrás de ellos – el tiempo nocturno – petrificado)
volaron, avanzando
en desorden
irrefrenable
formidable
sublime:
¡EL PUEBLO!

Geo Milev

Traducción de Pablo Neruda

Georghi Milev Kassabov nació en Radnevo, Bulgaria, el 15 de junio de 1895.
Escribió fundamentalmente poesía social. Su poema épico Septiembre, de 1924, que trata de la revolución agraria de septiembre de 1923, representa el punto culminante del expresionismo búlgaro.
El libro en el que estaba publicado el poema fue confiscado y Milev detenido y multado.
Tras el juicio, fue secuestrado y asesinado en Sofía por la policía, no se sabe la fecha exacta, sí que fue después del 15 de mayo de 1925.
Su cuerpo fue hallado en el año 1954, casi treinta años después, en una fosa común, gracias a su ojo de vidrio, había perdido uno de ellos en la Primera Guerra Mundial.

jeudi 7 août 2025

Boris Taslitzky, la guerre d'Indochine et celles d'aujourd'hui

En 1946, la guerre en Indochine française éclate. Les artistes et les intellectuels, qui sortent à peine de la seconde guerre mondiale, s'insurgent.

Entre 1950 et 1956, ils produisent des oeuvres dénonçant la guerre et prônant la Paix et la défense de la dignité humaine.

Parmi la richesse des productions de l'époque:

Boris Vian écrira la chanson " le déserteur "

Paul Carpita tournera « Le rendez-vous des quais » à Marseille

et Boris Taslitzky peindra le tableau « Riposte » en 1951. Il expose cette année-là au Salon d'Automne sous le pseudonyme de Julien Sorel « Le Prisonnier » qui représente Henri Martin dans sa cellule et sous son nom « Riposte » qui représente la répression d'une manifestation de dockers à Port-de-Bouc. Ces dockers refusaient de charger des armes destinées à la guerre d'Indochine.

Ces tableaux sont décrochés du Salon sur ordre du préfet Baylot, car jugés « politiquement incorrects »

Dessinateur, peintre et ancien résistant communiste, ce " messager de la Paix " a cotoyé l'enfer concentrationnaire de Buchenwald.

Le peintre a voulu apporter un symbole à cette lutte en ajoutant une Marianne brandissant le drapeau républicain

Taslitzky s'est éteint à l'âge de 94 ans. Il était le dernier peintre à faire parti du courant artistique du réalisme socialiste de l'après guerre.

 Riposte (1951) de Boris Taslitzky (©Guy Boyer). 

Le tableau est exposé à la Tate Gallery de Londres. 

Pourquoi ce genre de tableau n'est pas exposé dans un grand musée français? 

Pourquoi les artistes français ne produisent plus ce genre d'oeuvres aujourd'hui (les raisons ne manquent pas)?

Pourquoi les ouvriers, les syndicats, ne réagissent plus de la sorte (les raisons ne manquent pas: ce sont les mêmes)? 

 

Le mieux, c'est d'y répondre par un exemple pris dans l'actualité espagnole: 

Donald Trump vient de déclarer : « Les dirigeants de l’OTAN font ce que je leur dis de faire. »

Inutile de le jurer. Au-delà du spectacle que Pedro Sánchez a monté au sommet de l'OTAN – pour finalement signer le même accord que tout le monde –, l'entreprise espagnole Indra (avec participation de l'État) va verser 13 millions d'euros à General Dynamics . Cet argent servira à « former » les ouvriers de « El Tallerón » de Gijón, en les « recyclant » dans la construction de véhicules blindés.

General Dynamics est le principal fournisseur de chars d'Israël et a été l'un des bailleurs de fonds de la campagne présidentielle de Donald Trump.


Au début du génocide à Gaza, des syndicats palestiniens ont lancé un appel pour le 1er mai, adressé à tous les syndicats de ce côté-ci du mur de l'OTAN et appelant à une solidarité de classe internationaliste. Parmi leurs revendications figurait une revendication cruciale : dénoncer les entreprises d'armement complices du génocide. Quels syndicats des Asturies ont obtempéré ? Aucun.

Indra va maintenant donner 13 millions à General Dynamics, qui possède une usine dans les Asturies depuis des années.

Non seulement l’engagement internationaliste envers le peuple palestinien a été rompu, mais plus encore : au lieu d’une usine d’armement, désormais il y en aura deux.

Et rien de ce qui est fabriqué dans les Asturies ne servira à défendre le peuple palestinien contre un génocide télévisé. L'Espagne est membre de l'OTAN, et les armes seront envoyées là où l'OTAN  leur ordonnera d'aller.

   

 Les syndicats européens sont couchés,  parce que payés par l'UE (l'OTAN civile) --> Les artistes? Eux aussi font la planche --> OCCIDENT TERMINAL --> RESTER DANS LE CAMP DU BIEN, CELUI DES HERBIVORES DU JARDIN FACE À LA JUNGLE DES BARBARES ---> NE SURTOUT PAS REMETTRE EN QUESTION L'IMPÉRIALISME.

Il faut lire et voir Taslitzky, cela remet les idées en place et on se redresse. 

dimanche 29 juin 2025

Pierre Gaudibert : militant, critique, sociologue de l’art, expérimentateur de musée (colloque 2021)

A l’occasion de l’ouverture au public du fonds d’archives et de la bibliothèque personnelle de Pierre Gaudibert conservés au Musée d’Art Moderne de Paris, ce colloque propose de revenir aussi bien sur les réalisations et sur les engagements de cette figure-clé de la scène artistique française de l’après-guerre que sur les contextes intellectuels et politiques dont son parcours est révélateur.

Militant engagé dans des mouvements d’éducation populaire (l’association « Travail et culture », le réseau « Peuple et Culture ») ou au sein du Parti socialiste, critique et sociologue de l’art, selon ses propres mots, Pierre Gaudibert (1928-2006) a laissé son empreinte sur plusieurs institutions culturelles. Conservateur au Musée d’art moderne de la Ville de Paris de 1966 à 1972, il y fonde en 1967 le département Animation-Recherche-Confrontation (A.R.C.), une structure expérimentale promouvant un modèle muséographique inédit en France, favorisant la relation directe entre artistes, œuvres et visiteurs, ancré dans l’actualité et la variété des recherches artistiques, y compris à forte composante technologique et reproductible. Après son départ du musée – qui n’est pas sans lien avec un certain désenchantement de l’évolution des « années 1968 » –, Gaudibert dirige le musée de Grenoble de 1977 à 1985 et développe ses collections, contribue à la création du CNAC de Grenoble (le Magasin) et s’investit dans l’action culturelle à l’échelle de la ville, en y organisant, entre autres, un Festival africain en 1982. Affilié au musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO) à partir du milieu des années 1980 et jusqu’à sa retraite en 1994, il est chargé d’y constituer une collection d’art africain contemporain. S’il a été proche d’artistes comme Henri Cueco, les choix artistiques de Pierre Gaudibert ne se limitent pas à la figuration narrative mais côtoient des formes souvent minorées par les récits établis de l’histoire de l’art à l’époque (les arts populaires, l’art naïf) et des pratiques artistiques que l’on qualifie alors « du Tiers-Monde ». Dans les milieux muséaux, le rôle de Gaudibert demeure important pour la reconnaissance des arts d’Afrique et en faveur de la présence de l’art africain contemporain dans les collections muséales françaises. Parallèlement, Gaudibert rédige de nombreux essais, dont plusieurs volontairement polémiques, posant ouvertement la question de la place de l’art et de la culture dans la société, ou encore celle de la responsabilité des artistes et des acteurs culturels quant à la division sociale.

Par son parcours et par son œuvre, Pierre Gaudibert traverse l’histoire culturelle, celle des idées et des institutions artistiques en France de la deuxième moitié du 20e siècle. Son engagement, à la fois politique (en faveur de l’éducation populaire, de la culture comme moyen de construction démocratique) et artistique (en faveur de l’art contemporain dans sa plus grande diversité, dans son caractère expérimental comme dans ses formes populaires, en marge des valeurs établies par le consensus institutionnel), son intérêt pour les formes d’art dites « mineures » ou pour l’art créé « ailleurs », interrogent aussi bien la définition du champ de l’histoire de l’art que sa possible portée sociale et politique. Les idées formulées dans ses ouvrages des années 1970 pourraient être mises en parallèle avec celles élaborées dans les années 1960 par des théoriciens marxistes de la culture comme Raymond Williams. Cinquante ans plus tard, elles trouvent un écho dans le souci actuel de l’enseignement de l’histoire des arts à tous les niveaux du système scolaire et dans toutes les couches de la société, avec l’importance de décloisonner l’eurocentrisme implicite des discours dominants au profit d’histoires transnationales et transversales.

Tenant compte de l’héritage théorique et institutionnel de Pierre Gaudibert, de ses engagements mais aussi de ses désenchantements, impasses et limites, ce colloque vise à considérer les voies possibles que son travail a ouvertes à l’arrimage entre art et démocratie, à une pensée plurielle du « contemporain » et de l’« art », à une pratique désenclavée des institutions, à une ouverture vers des pratiques artistiques expérimentales, alternatives ou étrangères au canon occidental établi ; en un mot, à une pluralité des cultures et des pratiques artistiques.

À l’exception de quelques travaux universitaires, la figure et l’œuvre de Pierre Gaudibert n’ont jusqu’à présent pas fait l’objet d’un examen approfondi. Ce manque a été souligné par plusieurs chercheurs (Wilson 2018). De même, l’A.R.C. n’a pas fait en soi fait l’objet de colloques publics ou de publications d’ouvrages dédiés, à l’exception d’une thèse de référence (Ténèze 2004). Ce colloque souhaite combler cette lacune historiographique et permettre de réfléchir, à partir de la figure de Pierre Gaudibert, à un pan de l’histoire des idées, des pratiques culturelles et des institutions artistiques en France de l’après-guerre. Ainsi, les propositions de communication peuvent-elles s’inscrire dans un des axes proposés ci-dessous (liste non exhaustive) :

  • L’histoire et l’historiographie de l’action culturelle en France depuis le Front populaire, l’histoire et la pratique des associations comme « Peuple et culture », « Travail et culture » ; la place de la politique culturelle de la ville de Paris des années 1960 dans ce contexte ;
  • L’histoire de l’A.R.C. (Animation-Recherche-Confrontation) au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ; ses premières années d’existence (1967-1972) ; continuité et transformations depuis ; le pari de l’interdisciplinarité ; les liens de l’A.R.C. avec le CIMAM, l’ICOM et la muséographie expérimentale internationale en matière d’art contemporain au tournant des années 1960 (Pontus Hultén, Harald Szeemann, Duncan F. Cameron, Eduard de Wilde…) ;
  • La scène artistique et critique autour de Gaudibert : figuration narrative et autres scènes françaises, artistes français et étrangers, critiques d’art français et étrangers, revue Opus international, salons ;
  • Les réseaux internationaux de Gaudibert : rôle et place des structures transnationales et de collaboration internationale d’art et de culture durant la guerre froide (Salon de Mai à Cuba en 1967, congrès et rencontres de l’AICA, du CIMAM, de l’ICOM, de l’UNESCO) ;
  • Les réseaux amicaux, artistiques, intellectuels et politiques de Gaudibert (voir les dossiers de correspondance dans son fonds d’archives, du collectif des Malassis à Ousmane Saw, de Louis Althusser à Claude Mollard…) ;
  • Les politiques culturelles en France après 1968 : ambitions, réalisations, écarts, échecs ;
  • Les liens de Gaudibert et du PS (re)naissant (exposition sur le Front Populaire à l’ancienne gare de la Bastille, dans le cadre des États généraux du Parti socialiste de 1976 ; création du Secrétariat National à l’Action Culturelle ; création d’un groupe de réflexion « Musées ») ;
  • Les activités de Gaudibert au musée de Grenoble (acquisitions, expositions, hommage à Andry-Farcy, festival Africain) ; les réseaux culturels et politiques de Grenoble au tournant des années 1970 – début des années 1980 ; la préfiguration du CNAC de Grenoble ;
  • Gaudibert et l’émergence du champ de l’art contemporain africain en France dans les années 1980-1990 : expositions, publications (Revue noire), rôle des institutions (le MNAAO, les missions du ministère de la Culture, fondation Afrique en Création ; association Culture et Développement) ; parallèles et différences avec le contexte international ; collaborations avec des acteurs et des institutions en Afrique ;
  • Du marxisme à la spiritualité : tournant ou continuité ? (le manuscrit non publié de Gaudibert Présence des animismes, son ouvrage Du culturel au sacré) ;
  • Comment penser la variété de pratiques artistiques soutenues par Gaudibert : liens possibles, interprétations, dimension internationaliste/tricontinentale, conception de l’art, de son rôle, de son autonomie/hétéronomie…  

Session 1 : L’action culturelle : débats et pratiques Modération: Pascal Ory Anne Bergeaud : Éducation populaire et action culturelle : L’expérience croisée de Pierre Gaudibert de Peuple et Culture à l’A.R.C. (1964-1972). Annabelle Ténèze : L’A.R.C et Pierre Gaudibert : une institution artistique différente pour un public différent (1967-1972). Paula Barreiro-López : Action culturelle, révolution et tiers-mondisme dans l’axe La Havane-Paris-Grenoble : Pierre Gaudibert au carrefour des cultures tricontinentales. Zoe Stillpass : Grenoble et la cultivation d’une nouvelle génération d’artistes Jacques Leenhardt : Politique et action culturelle : Pierre Gaudibert au cœur du débat. Hélène Leroy : présentation de l’accrochage autour de Pierre Gaudibert au Musée d’art moderne de Paris. 

 

Session 2 : Dialogues croisés : art et critique Modération: Jacques Leenhardt Maëlle Coatleven : Pierre Gaudibert et Henri Cueco, une amitié critique-artiste. Julie Sissia : Pierre Gaudibert et Dada Berlin. L’Allemagne et la révolution à l’A.R.C. Léa Tichit : L’A.R.C. expose (aussi) l’architecture ! Marine Schutz : Pierre Gaudibert et les politiques du populaire. De la réception du Pop art à l’A.R.C. aux écrits sur l’art naïf (1967-1981). Sarah Wilson : Between Adami and Derrida : Pierre Gaudibert Derrière le miroir.

 

Session 3 : Pierre Gaudibert : politiques institutionnelles enjeux curatoriaux. Modération: Elitza Dulguerova Sophie Bernard : Un singulier à Grenoble : Pierre Gaudibert conservateur. Odile Burluraux : Y a-t-il eu une politique d’acquisition chez Pierre Gaudibert ? Léa Sallenave : Pierre Gaudibert et le CNAC ou l’histoire politico-culturelle d’une ambition contrariée.

 


Session 4 Pierre Gaudibert et l’émergence d’une scène mondialisée de l’art. Modération: Elitza Dulguerova Juliane Debeusscher : «De la contestation à la dissidence» – Situations, attitudes et productions visuelles dans l’orbite de Pierre Gaudibert. Anita Orzes : Pierre Gaudibert between the Biennials of Venice and Havana (1977 - 1991).  

 

 
 

mercredi 25 septembre 2024

"Au Service de l'Esprit" (Paul Vaillant-Couturier, 1936)

 Le texte Au service de l’esprit. Pour la convocation des Etats Généraux de l’Intelligence Française, fut présenté par Paul Vaillant-Couturier devant le comité central du Parti Communiste Français en octobre 1936.

Au Service De L’esprit Paul Vaillant Couturier 1936

 "Tout le problème est là: mettre la machine au service de l'homme. Il s'agit de transformer le chômage en loisir."


***

Rapport présenté au Comité Central du Parti communiste Français le 16 octobre 1936 et approuvé à l’unanimité.

Un désordre sans précédent préside au destin des choses et des hommes.

Le monde vit dans la hantise de la guerre, dans la crainte ou sous la chappe de plomb de la servitude, dans l’effroi – au milieu de l’abondance – de manquer du pain quotidien.

La jeunesse, ouverte sur la vie, est courbée sous la terreur du lendemain ; les anciens combattants continuent leurs sacrifices ; la vieillesse ne connaît plus ni calme assuré, ni repos...

Personne n’échappe à la loi commune de l’insécurité.

Et les questions qui angoissent les hommes, qui troublent leurs nuits, qui gâtent leur vie, prennent de plus en plus d’acuité dans les milieux de l’intelligence.

Savants, éducateurs, professeurs, techniciens, médecins, artistes, écrivains, sont assiégés, pressés de toutes parts, bousculés par la rafale des questions et des problèmes que le rythme de la vie moderne leur impose à une cadence de mitrailleuse.

Ils étudient, ils cherchent, ils découvrent, ils retrouvent, ils perdent, ils résolvent, ils interrogent, ils se débattent, cherchant à sauvegarder l’esprit dans un monde asservi à la tyrannie du matérialisme de l’argent.

Le Parti communiste les écoute. Il les entend. Il comprend leurs inquiétudes, il les recueille. C’est plus que son devoir. C’est l’une de ses raisons d’être.

Les inquiétudes des intellectuels rejoignent ses préoccupations, elles les éclairent, elles les complètent.

Et nous pensons – nous qui savons à quel point les idées jouent un rôle considérable dans le déroulement de l’histoire – que les intellectuels, qui sont en quelque sorte les idées incarnées, peuvent, dans les heures que nous vivons, tenir aux côtés des masses une place capitale dans l’indispensable remise en ordre du monde.

Qu’il s’agisse de la défense de la paix, de la défense de la liberté ou de la défense du pain, c’est avec eux que nous voulons chercher la solution des problèmes qui angoissent les hommes.

I- L’INTELLIGENCE ET LA PAIX

Dans la conscience de chaque intellectuel se pose au premier plan la grande question de la Paix.

L’intelligence défend la paix. L’intelligence a horreur de la guerre, parce qu’elle est la destruction des valeurs, en même temps que des choses, et que les intellectuels sont au cœur des valeurs spirituelles.

Chez les communistes aussi, la préoccupation de sauvegarder la paix domine tout.

Ils ressentent moralement et presque physiquement, eux, les interprètes des grandes masses qui font les batailles, l’inquiétude humaine devant la guerre.

Et leur attachement à l’esprit créateur, leur révolte raisonnée contre les forces de l’argent, les relient étroitement aux préoccupations des intellectuels.
Le Parti communiste est le grand Parti, le Parti par excellence de la Paix.

Il est né de la guerre et de la révolte des hommes contre la guerre et contre la haine... Il a été forgé de 1917 à 1920, par la volonté des multitudes de la génération du feu, par la colère des survivants. Son action contre la guerre lui a valu des persécutions incessantes. Sa volonté de rapprochement avec le peuple allemand a coûté des centaines d’années de prison à ses militants. Ayant le sentiment profond de sa mission d’unité humaine, il peut hardiment prétendre que tout ce qui est pacifique est sien.

Les hommes qui, comme moi, ont participé à la campagne de 1914 à 1918, ceux qui, comme moi, ont assisté aux épisodes de l’affreuse guerre civile qui désole d’Espagne, détestent le sang. Ils sont attachés au respect de la vie humaine, passionnément.

J’entends bien que certains, dans leur horreur de la guerre, évoquant ce que serait une guerre moderne, qui ne connaîtrait pas d’avant, ni d’arrière, avec son cortège de bombardement à gaz, de tueries de vieillards, de massacres de femmes et d’hécatombes de berceaux, se résignent à dire : « Tout ! Oui, tout ! même la servitude, plutôt que la mort ! »

Je comprends leur pensée. Nous avons connu, nous, les combattants écœurés de meurtres, cet état d’esprit tragique. Nous savons que ces idéalistes que sont les intellectuels ne reculent pas devant le danger. Nous savons qu’il ne s’agit pas chez eux de la vile peur de la mort. Nous savons qu’instruits par le passé, ils veulent seulement éviter au monde et à leur pays un nouveau bain de sang et des sacrifices vains. « On croit mourir pour la Patrie, disait Anatole France, on meurt pour les industriels. »

Et devant cette vanité des sacrifices, ils ne songent qu’à sauvegarder le bien le plus précieux des hommes, la vie... Ils espèrent de leurs deux mains réunies, en protéger la flamme vacillante, au milieu des pires tempêtes. Malheureusement, l’expérience de l’histoire nous enseigne qu’on en arrive parfois à perdre, non seulement les raisons de vivre, mais la vie elle-même, en voulant, par certains moyens, la sauvegarder.

La servitude conduit à la mort.

Dans notre défense enthousiaste de tout ce qui est vivant, nous ne pouvons accepter cet attentat contre la vie et les valeurs qui font la vie, qu’est la servitude. La guerre a besoin de la servitude.

La servitude moderne du fascisme fait des peuples d’immenses troupeaux marchant sous le signe de la mort. Mort morale, mort intellectuelle, mort physique. Nous ne voulons pas laisser conduire les peuples à l’abattoir de la servitude.

CONTRE LA SERVITUDE

C’est ce qu’avaient compris, dans le passé, de grands esprits de notre pays qui, contre la tyrannie, n’hésitèrent pas à se porter au secours de la liberté menacée.

Lorsque en 1822, le Congrès de Vérone chargea la France d’aller restaurer la Monarchie espagnole et d’écraser les libéraux constitutionnels, le grand publiciste Armand Carrel, à cette époque officier, donna sa démission pour aller rejoindre la légion qui défendait en Espagne, contre le corps expéditionnaire du duc d’Angoulême, la cause de la liberté.

Lorsqu’en 1830, le peuple polonais était aux prises avec la tyrannie du tsar et que la Prusse fournissait en armes la Russie, toute l’élite intellectuelle de notre pays s’est rangée aux côtés de la Pologne et a réclamé l’aide du peuple français.

Avec Lamartine et Daumier ce furent les grands journaux démocrates : le « National », la « Tribune », le « Charivari », la « Caricature » qui menèrent la lutte contre Louis-Philippe et Casimir Périer qui se faisaient les défenseurs de l’autocratisme. C’était l’époque où un M. Dupin, répliquant aux préoccupations généreuses de Lamartine, s’écriait : « Non ! Chacun chez soi, chacun pour soi ! » et où Louis-Philippe écrivait dans une lettre : « C’est nous, bien plus que les vainqueurs de Varsovie, que le cabinet de Saint-Pétersbourg doit remercier d’avoir écrasé la Pologne. »

Si Louis-Philippe et les esprits sans envergure qui l’entouraient furent satisfaits, l’indignation dut immense en France, après la défaite du peuple polonais.

« La prise de Varsovie, écrit Seignobes, fut l’occasion d’un deuil national. »

« A Paris, les affaires furent suspendues, les `théâtres fermés et l’opinion publique ressentit comme une insulte, la déclaration du ministre français des Affaires étrangères : L’ordre règne dans Varsovie. »

Lorsque, en 1849, les patriotes romains se soulevèrent contre la domination du Pape et proclamèrent la République, ce fut l’historien Edgar Quinet qui dénonça la politique d’intervention du prince président Louis Napoléon et annonça prophétiquement : « La défaite de la République romaine entraînerait la mort de la République française. »

On sait comment, deux ans plus tard, le 2 décembre, sa prophétie devait se réaliser.

De même, la Hongrie et la Grèce virent se rassembler autour d’elles, pour leur indépendance, les meilleurs esprits de l’Intelligence française du temps.

C’est ainsi que la France devint l’espoir et la lumière des peuples en lutte pour la liberté, parce qu’elle n’a jamais pu se résigner, ni pour elle ni pour les autres, à la servitude.

ON PEUT EVITER LA GUERRE

Cependant, s’il est dangereux de se résigner à la servitude, il ne faut jamais se résigner à la perspective de l’inévitabilité de la guerre. Ceux qui croient la guerre inévitable portent fatalement la guerre en eux.

Notre parti veut la Paix et il est prêt à tous les sacrifices pour la conserver. Mais nous demandons à ceux qui ne veulent pas de sacrifices vains pour la guerre, qu’ils ne consentent pas à des sacrifices vains pour la Paix.

Nous avons tout fait pour que le désarmement général et simultané – car tout désarmement unilatéral serait une duperie – devint une réalité. Les puissances enchaînées aux trusts l’ont écarté avec dédain. Nous avons réclamé la limitation des armements. Elle a été repoussée. Nous n’abandonnons pas, nous n’abandonnerons jamais la partie. On nous trouvera toujours prêts à la reprendre, Nous savons que le désarmement est le vœu le plus cher des peuples qui trébuchent ou succombent sous le fardeau des armes. Nous souffrons de cet incroyable gaspillage d’énergies et de richesses.

Nous avons tout fait pour que l’entente des peuples devînt une réalité. Et nous ferons tout pour y parvenir, nous, le Parti de la Paix et de l’unité humaine. Rien ne nous rebutera. Nous restons toujours prêts à discuter avec tout le monde, avec tout ceux qui s’affirmeront prêts à respecter leur signature, dans le cadre des accords internationaux et de la Société des Nations. Peu nous importe – et nous croyons que c’est là aussi le sentiment de l’intelligence française – quand il s’agit de sauver la paix, les régimes intérieurs des nations auxquelles nous nous adressons !

Nous ignorons pour notre part, ce qu’est un « ennemi héréditaire ». Nous n’avons de haine pour aucune nation, pour aucune race de la grande famille humaine. Nos bras sont largement ouverts à tous nos frères et ce n’est pas de notre côté que pourrait germer la monstrueuse idée d’une «  croisade » dont les peuples innocents paieraient les frais.

Mais nous dénonçons un risque redoutable pour la Paix.

LES TROUBLE-PAIX

Qu’on prenne bien garde que l’amour de la Paix, qui est la caractéristique de notre peuple et qui est si puissant dans les milieux intellectuels français, ne soit exploité par les trouble-paix pour nous conduire à la guerre... On ne calme pas les assoiffés de meurtre en reculant sans cesse devant eux. On augmente leur audace.

Sûrs de l’impunité que la réussite de leur bluff leur confère, ils profitent de la mollesse qu’on met à appliquer la loi internationale à l’agresseur pour bafouer le droit des gens. En agitant le spectre de la guerre quand ils sont encore incapables de la faire, ils gagnent du temps pour la préparer. Ils acquièrent ainsi une idée – heureusement fausse – de la faiblesse de leurs voisins. D’étape en étape et de chantage en chantage, ils organisent l’encerclement des nations qu’ils méditent d’anéantir, en même temps que, par la corruption, ils s’y assurent des complicités et des bases.

Pouvons-nous douter, par exemple, des intentions du chancelier Hitler quand nous savons que « Mein Kampf » est constamment réédité dans son édition intégrale, tiré à plus de deux millions d’exemplaires, distribué à profusion en Allemagne et que ce livre constitue un appel permanent à l’anéantissement de la France ?

On y lit, à la page 699, de l’édition allemande de 1935, que « l’ennemi
mortel et impitoyable du peuple allemand est et reste la France, quel que soit son gouvernement, royaliste ou jacobin, bonapartiste ou démocrate, clérical ou bolchevik
 ».

Et toute la politique internationale de ces derniers mois ne s’inscrit-elle pas en lettres de feu dans ce mot d’ordre inséré à la page 765 : « Une deuxième guerre viendra. Il faut auparavant isoler si bien la France, que cette seconde guerre ne soit plus une lutte de l’Allemagne contre le monde entier, mais une défense de l’Allemagne contre la France qui trouble le monde et la paix. »

L’injustice, la haine, la cruauté froide contenues dans ces textes remettent
à leur place toutes les déclarations de Nuremberg sur la Russie et le bolchévisme. Elles expliquent les interventions continuelles du IIIe Reich, ses coups de forces successifs, la violation de ses engagements, ses ingérences dans la politique française et l’aide qu’il n’a jamais cessé d’apporter aux rebelles d’Espagne.

C’est l’organisation internationale de la haine.

Eh bien, même cela ne nous rebute pas dans notre volonté de paix. Toujours, la France de Diderot souhaitera l’amitié de l’Allemagne de Goethe. Nous conservons pour le peuple allemand, pour la liberté de l’indépendance de qui nous avons payé de notre personne et de notre liberté, toute notre affection. Mais nous disons, avec la Ligue des Droits de l’Homme : « Prenez garde ! Les capitulations n’assurent par la paix. En laissant le champ libre aux violents, elles conduisent droit à la guerre. »

PAS DE CROISADE

Que veulent donc les communistes ?

Nous voulons seulement, mais nous voulons fermement l’indépendance de notre pays. L’indépendance de la France, nous la considérons comme l’un des moyens de la paix. Nous voulons que les Français soient maîtres et seuls maîtres chez eux.

Nous ne voulons pas que notre pays soit à la remorque de quelque gouvernement que ce soit. Ni de Londres. Ni de Rome. Ni de Berlin. Ni de Moscou.

La France est une grande nation prête à donner son amitié à tous les peuples de bonne volonté, mais elle n’accepte la servitude ni dans le domaine de la politique, ni dans le domaine de l’argent, ni dans le domaine de l’esprit.

Les menaces du fascisme hitlérien ont amené en France ce que Delmas, secrétaire du Syndicat des instituteurs, dans un récent article, appelait un « renversement des positions traditionnelles ».

Les travailleurs français, avec leurs drapeaux rouges, serrent maintenant les rangs autour du drapeau tricolore, tandis que ceux qui s’intitulent les nationaux se rallient autour de la croix gammée, insigne du fascisme international...

Est-ce à dire que pour sauvegarder la liberté de la France, nous soyons prêts à la constitution d’un bloc des démocraties pour l’opposer au bloc des fascismes ?

Ce serait une dangereuse illusion de croire qu’on pourrait protéger durablement la paix par cet équilibre hérissé des principes antagonistes et de baïonnettes affrontées.
Et nous comprendrions parfaitement la répugnance qu’éprouveraient à se laisser entraîner dans une telle aventure, les intellectuels instruits des leçons de l’histoire. Mais tel n’est pas, tel ne peut pas être notre but. Des amitiés, oui. Une coalition, non.

Notre respect du droit international écarte – à l’inverse du fascisme, interventionniste pas essence – l’idée de l’intervention. A l’image des jacobins nous nous défions des missionnaires armés.

Nous voulons simplement le respect du droit international. Nous voulons unir les forces de paix dans la dignité de la nation, pour offrir, avec plus de force encore et plus de retentissement, la paix au monde. Nous voulons une France forte parce que nous voulons la Paix.

Pour nous, la France est symbolisée par le paysan qui aime sa terre, cette terre sur laquelle les siens, de générations en générations, ont épuisé leurs forces, ont donné le meilleur de leur intelligence, de leurs bras et de leurs soins, le paysan qui a porté sur ses épaules les longs sacrifices de toutes les guerres et qui les a payées après les avoir faites, qui ne convoite par la terre d’autrui, mais qui ne veut, à aucun prix, qu’on vienne lui voler son bien. Il est toujours prêt à s’unir à ceux qui veulent le protéger.

CONTRE LES DIVISEURS

C’est l’union intérieure qui sauvegarde la paix extérieure.

Nous voulons unir pour la paix, ceux que l’on cherche, des chefs factieux aux chefs trotzkystes, à diviser.

Quel intellectuel français pourrait se refuser à voir le péril que fait courir à la
paix la vague de division et d’attentats individuels déchaînée par le fascisme et le trotzkysme sur le monde : assassinat de Barthou, assassinat du Roi Alexandre, assassinat de Kirov ?

Le procès de Moscou a apporté la preuve, de la bouche même des accusés trotzkystes, de cette politique d’aventures poursuivie en collaboration avec la Gestapo, et qui est aussi loin du communisme, que l’est du travail d’un honnête ouvrier, l’activité sanglante d’un vulgaire assassin.

Où nous voulons unir, eux, les contre-révolutionnaires trotzkystes divisent ; où nous défendons la démocratie, ils s’en montrent les ennemis irréductibles ; où nous cherchons à rassembler la nation française, ils en nient jusqu’à la réalité vivante ; où nous affirmons notre fraternité à l’égard des grandes organisations politiques et syndicales voisines, ils sapent l’autorité des partis et des syndicats.

Le débat n’est pas entre les communistes et les trotzkystes, il est entre les trotzkystes et la totalité des amis de la Paix et de la moralité mondiale.

Les aventuriers trotzkystes, spécialistes du terrorisme international et de la provocation, constituent un danger permanent pour la paix et aucune des légendes dont une connaissance insuffisante de leur activité passée et présente, les entoure aux yeux de certains, ne peut cacher leur caractère de fléau international.

On peut pardonner à la passion criminelle. On ne peut pas pardonner au crime conscient.

Quant à nous, Parti communiste, adversaires déclarés des attentats
individuels et partisans de l’union de la nation française contre la ploutocratie, nous ne cesserons pas un jour d’offrir le pacte de paix au peuple allemand, quelle que soit la mauvaise volonté ou les rebuffades de son Führer, jusqu’à ce que le pacte devienne une réalité.

Rien ne peut séparer ceux qui veulent profondément et passionnément la paix.

« La Paix, disait Aristide Briand, est une maîtresse exigeante. »

Elle veut, pour être défendue, qu’on lui consacre le meilleur de son activité et
de sa vie.

Qui, mieux qu’un homme formé par la culture française, peut ressentir cette obligation impérieuse ?

On a trop souvent et trop longtemps défiguré la France à l’étranger en la montrant turbulente, chauvine, légère et corrompue.

Les Français eux-mêmes se sont trop souvent et trop longtemps plus à se dénigrer.

Or, la France n’est pas cette caricature.

L’ardeur généreuse n’est pas la turbulence, le sentiment des valeurs et des traditions nationales n’est pas le chauvinisme, l’élégance n’est pas la légèreté et la corruption de quelques-uns - qui sont les mêmes dans tous les pays capitalistes et pour les mêmes raisons - n’est pas le fait du peuple français.

C’est la générosité française, c’est l’amour français de l’indépendance, c’est ce sens français de l’universel, c’est l’humanisme français qui demeurent les meilleurs garants de la volonté française de paix.

La Paix porte en soi l’attrait et le prestige du plus haut idéal de l’homme.

Si l’on fait pour elle des sacrifices, elle veut qu’ils soient utiles.

A défaut du désarmement sans cesse écarté, elle nous offre pour sa sauvegarde immédiate, la sécurité collective. La paix ne se bèle pas !

Unissons nos efforts et que l’intelligence française au premier rang – dans une union française qui n’est pas l’ « union sacrée » - lance inlassablement l’appel à la fraternité à ceux qui n’ont pas encore voulu l’entendre, à ceux qui se sont refusés à donner des gages de leur sincérité.

II- L’INTELLIGENCE ET LA LIBERTE

La paix ne se conçoit pas sans la liberté. Nous voulons une France libre. Les tyrannies engendrent la guerre. La servitude sert la mort. La liberté protège l’homme. Elle est la condition même de sa pleine réalisation. Elle est la cause du progrès et de la création dans tous les domaines.

L’homme ne peut penser et créer que s’il est libre.

Le drame historique de l’homme, c’est son combat contre les forces d’esclavage. La civilisation, c’est l’œuvre de la lutte pour la liberté. C’est à ce titre que nous considérons l’intelligence comme le combattant de la liberté.

Les intellectuels entraînent les masses, les galvanisent, décuplent leur force explosive par la puissance de l’esprit. Ils tirent les peuples de l’ornière et projettent la lumière dans les ténèbres.

Les communistes à leurs côtés sont les missionnaires historiques de la liberté.

C’est pourquoi les ennemis de la liberté cherchent à défigurer le Parti communiste français.

Une calomnie intéressée veut faire de nous des égalitaristes, niant la personnalité humaine, flattant les instincts grégaires et opprimant l’individu.

Les communistes, tout au contraire, cherchent à créer les conditions sociales nécessaires et indispensables au développement de l’individu.

Il y aura toujours des inégalités physiques ou intellectuelles. Ce sont les injustices des inégalités sociales que nous voulons abolir.

DEFENSE DE L’INDIVIDU

Le capitalisme moderne est la négation de l’individu. Il organise un implacable nivellement par la base. Il broie l’individu, il l’humilie en l’encadrant dans une organisation de termitière où la cadence exigée par le profit ne laisse plus à l’être le temps de penser, où il fait de lui un appendice de chair dans une machinerie d’acier.

C’est pourquoi si nous avons toujours admis la légitimité de la propriété, fruit du travail et de l’épargne, nous restons les irréductibles adversaires de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Dans le monde capitaliste des monopoles privés, la personne humaine, cette grande force spirituelle, est traquée, régie et dégradée par la force honteuse de l’or.

L’or, aveugle et brutal, tue la lumière de l’esprit.

Qui, plus que l’intelligence, souffre de cette humiliation de la personne humaine ?

Qui, mieux qu’elle, peut avoir le sentiment des forces gaspillées, des valeurs perdues, de la vieillesse condamnée, du malheur d’être jeune, de la tristesse du poète sans audience, de la honte de l’artiste objet de luxe, du désespoir de l’inventeur sans laboratoire, de la misère intellectuelle de l’ingénieur déclassé ?

Les communistes, eux, proclament l’individu ! Ils l’accouchent de la société. Ils le délivrent.

Le communisme est la doctrine de son émancipation réelle.

Et le communisme ne se contente pas d’attendre la construction d’une société nouvelle, pour aider l’individu à se réaliser.

C’est dès aujourd’hui qu’il agit pour lui.

Il l’appelle à se réaliser, en luttant pour ses grands idéaux, en le conviant au désintéressement et à la création ardente.

DEFENSES DES VALEURS MORALES

Les communistes savent reconnaître les valeurs partout où elles se trouvent. Ils ne polémiquent pas avec l’histoire. Ils admirent l’esprit créateur d’où qu’il souffle, chez Vauban comme chez Balzac, chez Carnot comme chez Pasteur, chez Robespierre comme chez Napoléon.

Lorsque l’aviation française perd l’un de ses pionniers, en Blériot, ou lorsque la science française perd l’un des conquérants des Pôles en Charcot, notre Parti ne cherche pas si l’un était un patron de combat et si l’autre était un réactionnaire déterminé, il salue en eux, dans une délibération publique de son bureau politique, deux grands créateurs de valeurs humaines.

C’est l’une de nos façons de lutter contre ce qui nous est le plus étranger au monde, le sectarisme, qui rétrécit les perspectives de l’homme et rend sans cesse plus étriquée la personnalité.

Nous luttons pour la dignité de l’individu en combattant le matérialisme vulgaire engendré par le capitalisme, en allant débusquer de son repaire, cette « pièce de cent sous tapie », comme le disait Balzac, « au fond des consciences ».

Le capitalisme entend faire du ventre, le principal organe de l’humanité, et transformer l’esprit en une marchandise.

Sous son règne, toutes les valeurs immatérielles sont devenues des marchandises.

Le prêtre, le savant, le juge, le soldat ont perdu ce qui faisait leur force morale.

La conscience s’est cotée. Elle a sa bourse noire. La valeur de l’esprit suit la fluctuation des monnaies et le cours des changes.

Il y a une inflation et une dévaluation de l’intelligence.

Le capitalisme avilit la morale. Il s’attaque aux valeurs les plus sacrées comme un acide. Il dissout la moralité !

Le capitalisme détruit la famille, il la disperse, il la sabote.

C’est lui qui organise la terrible dénatalité de la France par l’hypocrisie sociale, la ruine des valeurs morales, le triomphe de l’égoïsme, le chômage et la tyrannie du profit.

Parce que nous combattons l’obscurantisme qu’il développe et l’absurdité économique qu’il provoque dans son agonie, parce que nous en appelons à la raison et à la science, le capitalisme se venge en nous dépeignant comme des matérialistes à sa manière, préoccupés uniquement de satisfaire des instincts.

OU SONT LES IDEALISTES ?

Où sont-ils, pourtant, les véritables idéalistes ?

Est-ce dans les rangs de ceux qui servent l’or, où dans les rangs de ceux qui le méprisent ? Est-ce dans les rangs de ceux qui s’arrêtent à la satisfaction des besoins ou dans les rangs de ceux qui veulent étendre le sens du héros en célébrant le héros-savant, le héros-mécanicien, le héros-ingénieur, le héros-paysan, le héros-poète, l’héroïne-mère ?

Est-ce dans les rangs de ceux qui acceptent l’humiliation d’encenser la ploutocratie ou dans les rangs de ceux qui, repoussant les privilèges que la haute bourgeoisie corrompue et corruptrice aurait été trop heureuse de leur offrir, suivent une vie médiocre, mais rectiligne, faite de sacrifices et de risques multiples, mais toute illuminée par la satisfaction de servir leur idéal.

Notre Parti, par le dévouement joyeux et l’intégrité inattaquable de ses militants, par son indépendance financière absolue, donne l’exemple de la propreté et de l’idéalisme.

L’attachement des communistes aux valeurs morales et spirituelles, leur intelligence des situations et de la complexité des problèmes, la simplicité de leur vie, la façon dont ils savent souffrir, perdre leur liberté et au besoin mourir pour la foi qu’ils ont en l’homme, c’est tout cela qui contribue à faire du communisme, un moment de la France éternelle et un moment du monde.

Attachés à la conquête par l’individu de la plénitude de sa dignité, les communistes s’inclinent devant tous ceux, quels qu’ils soient, qui cultivent leur conscience.

Il est naturel que nous respections la conscience de chacun, nous qui voulons que l’individu prenne toujours davantage conscience de soi-même.

La liberté de conscience est pour nous l’une des formes les plus sacrées de la liberté.

Profondément attachés à toutes les formes de la liberté, non seulement les communistes marquent leur souci constant de l’individu et donnent l’exemple de l’idéalisme, mais ils se proposent la construction d’un monde où la culture aura la place dominante.

Ils proclament et ils prouvent leur attachement aux traditions culturelles de la France.

Ils se félicitent de la place qu’elles occupent dans le monde. Les Français ont été et doivent continuer d’être de grands faiseurs de culture.

Les communistes veulent aller toujours plus loin dans l’union du travail et de l’art. Ils se sentent très près des bâtisseurs des cathédrales.

Ils appellent à l’union de la science et du travail. Ils se sentent déterminés par la longue et magnifique lignée de la science et de la philosophie françaises : Descartes, Pascal, les Encyclopédistes d’Alembert, Diderot. Et, dans la science moderne, ils réunissent dans la même vénération dégagée de toute
préoccupation politique, les Perrin, les Joliot-Curie et les Branly.

Le Parti communiste s’associe à l’éducation du peuple. Il ne se contente pas d’enseigner, dans ses écoles, sa doctrine. Il va plus loin. Il accorde tout son appui aux initiatives indépendantes prises par les Maisons de la Culture qui couvrent la France d’un réseau de plus en plus serré et réunissent déjà des dizaines de milliers de membres ou d’affiliés. Mais il se garde bien d’introduire, dans les Maisons de la Culture, des restrictions politiques. Il n’y réclame pour les siens que leur part dans l’union et la collaboration de toutes les tendances de l’esprit.

Nous savons bien que l’union, que la fusion totale du travail de la culture ne se fera que dans une société rénovée, débarrassée non seulement de la lutte des classes, mais de la notion même de classe. Cependant, dès à présent, nous travaillons avec acharnement pour développer, parmi les masses, la culture et pour défendre l’intelligence menacée.

LE FASCISME CONTRE LA CULTURE

Ce n’est un secret pour personne, que le fascisme ennemi de liberté est, par définition, une force qui brise le ressort de toute création humaine et qui avilit les valeurs spirituelles, par la restriction systématique de la culture.

Au service du capitalisme, le fascisme, escroc de la jeunesse, sacrifie tout à la défense d’un système économique condamné. C’est sa raison d’être.

Sous un aspect publicitaire de spiritualité hypocrite, il est le triomphe du matérialisme le plus bas. C’est pourquoi les oligarchies subventionnent son action.

« Périssent les valeurs spirituelles pourvu que subsiste le capitalisme ! » est en réalité sa devise.

Cherchant à consolider l’absurde, il est le négateur de la raison.

Le fascisme a peur de la raison.

Or, la France a toujours été la terre élue de la raison, la grande civilisée qui a combattu pour le nationalisme. La lutte contre l’obscurantisme s’illustre en France, avant Diderot, des grands noms de Rabelais, de Montaigne et de Descartes.

De Descartes, certains n’ont voulu retenir que le côté métaphysique. Ils l’ont ainsi défiguré. Descartes, c’est avant toutes choses, le champion du libre examen, du droit de chacun à la réflexion, le grand porte-parole de la raison.

Le fascisme, lui, veut priver le monde de la raison en privant le monde de la culture.

Les exemples abondent.

Prenons l’Italie.

Constatons, d’après le « Bulletin de statistique de 1934, sur la répartition des étudiants d’après la profession du chef de famille », que, pour l’université de Padoue, par exemple, l’instruction se concentre entre les mains des classes riches ou aisées : restriction de la culture.

Sur 2.928 étudiants, tandis que les fils d’industriels et d’entrepreneurs représentent 24 %, les fils de propriétaires 25,4 %, les fils de pères exerçant des professions libérales 24,8 %, les fils d’employés ou de fonctionnaires (fascistes pourtant) ne représentent que 22 % et les fils d’ouvriers 2,7 %.

Cette élimination de la masse remédie-t-elle à l’encombrement des carrières intellectuelles. Pas du tout.

Le journal « Cantière » de Rome du 29 décembre 1935 dit, que pour un concours ayant eu lieu à Rome, en vue de pourvoir à 60 poste d’agents de police, au traitement de 500 lires par mois, sur les 3.000 concurrents qui s’étaient présentés, il y en avait plus de 1.000 pourvus de baccalauréats ou de doctorats.

« Nous allons, s’écriait M. Mussolini, le 26 mai 1934, vers une période d’une humanité nivelée à un standard plus bas. »

« Je conçois la nation italienne, a-t-il proclamé, comme en perpétuel état de guerre. »

En Allemagne, c’est encore plus lourd.

Pour les bacheliers, le camp de travail est devenu un service obligatoire de six mois. Le but poursuivi est de les inciter à abandonner leur idée primitive de poursuivre leurs études supérieures.

Le cours de pédagogie politique de l’Université de Berlin l’avoue qui commence par ces lignes :

« Nous pouvons résumer la signification du national socialisme dans le domaine spirituel en un mot : le remplacement du type de l’intellectuel par le type du soldat. »

Le résultat est tangible.

Le nombre des étudiants admis en première année dans les universités allemandes, qui avait été en 1931 de 30.800, a été en 1934 de 10.000.

Le nombre total des étudiants qui était pour l’ensemble des universités allemandes de 129.600 en 1932, n’est que de 95.667 en 1934 pour le même semestre. Et malgré cette diminution, le chômage intellectuel sévit toujours.

Comme pour rendre plus éclatante sa doctrine, l’hitlérisme l’illustre et l’éclaire à la lumière des bûchers pour lesquels sont brûlés des milliers de livres !

Et les rebelles espagnols l’imitent !

En brûlant les livres, c’est-à-dire le signe des valeurs culturelles, les fascistes prétendent désintoxiquer la nation !

A dire vrai, ils ne cherchent qu’à détruire la raison et la réflexion pour que l’individu encaserné dans les usines ou embauché dans les milices et les phalanges, vive dans l’esclavage sans pouvoir se rendre compte de la gravité de sa déchéance.

Les fascismes haïssent la raison, parce que la raison est la lumière intérieure de la personne humaine, sa commune mesure avec les autres hommes et le grand ferment de la liberté.

Le fascisme aggrave l’obscurantisme et alourdit l’asservissement de l’homme à la machine. La termitière capitaliste, où la fourmi humaine apercevait encore parfois une lueur capable de la conduire à l’évasion, devient une obscure machinerie broyeuse, un enfer sans rémission, une Métropolis sans lumière.

Le fascisme avilit l’art qu’il met au service exclusif d’une politique. Les conséquences sont désastreuses. La qualité baisse. Le schématisme s’empare de l’art qui devient un simple instrument de propagande, c’est-à-dire, un art desséché, officiel, menteur.

Les communistes, eux, détachent l’art de l’étroitesse politique. Ils libèrent ses ailes des liens du capitalisme. Ils lui donnent, à ses risques et périls – c’est-à-dire, en toute indépendance – pour public, un peuple entier.

Ils repoussent la pièce à thèse, le roman à thèse, la thématique obligatoire. Ils ne demandent à l’art que d’être libre, d’être sincère et d’être humain.

Contre l’art pourri, pornographique, malsain, déraisonnable, inspiré par la décadence des mœurs bourgeoises, les communistes appellent le retour à l’art sain dans la liberté.

Le fascisme avilit la science en l’appelant à n’être plus qu’une
section de l’industrie de guerre. Et, pour ses fins, il lui demande de mentir à ses destins de raison et de vérité.

AU SERVICE DE LA VERITE

Le fascisme est l’ennemi de la vérité. Pour les besoins de sa cause, systématiquement, il l’étouffe.

La France, elle, est le pays des défenseurs de la vérité.

De Voltaire avec l’affaire Calas, à Zola avec l’affaire Dreyfus, elle s’est toujours rassemblée derrière ses plus grands esprits pour défendre la vérité outragée.

Quant au communisme, doctrine scientifique, il est la recherche permanente de la vérité. Il sait que le mensonge est toujours l’arme des propagateurs de l’obscurantisme et des ennemis de la liberté.

Tandis que les fascistes tendent à consolider ce qui est mort, ce qui croule et ce qui, du passé, empeste déjà, les communistes, au contraire, sont les hommes des valeurs vivantes, les hommes de l’avenir des masses et de l’avenir de l’esprit.

L’avenir de l’esprit passe par le chemin des grandes masses humaines... Les masses sont devenues majeures. Elles jaillissent, concentrées par lui, du capitalisme. C’est d’elles déjà que sort, impérieux, en même temps que des milieux de l’intelligence, l’appel à l’esprit.

Il est temps de donner le pas à l’esprit sur les forces de la matière.

« Le socialisme, a dit Engels, c’est la soumission des forces économiques aveugles à la raison. »

C’est le passage du règne de la nécessité au règne de la liberté.

Mais pour que la liberté règne, il faut que l’homme qui n’est aujourd’hui qu’un instrument, qu’un moyen, devienne une fin.

NOTRE HUMANISME

Au-dessus de tout, les communistes placent l’homme.
Et ici, encore, par cet humanisme, ils se montrent les fidèles héritiers des traditions culturelles de la France.

L’humanisme est profond dans les masses laborieuses. Elles se sont, bien avant qu’il ne devienne une réalité, bercées du rêve d’une société profondément humaine. C’est l’idéal humain qui animait la Révolution française. C’était un songe humanitaire qui guidait les socialistes utopistes.

Nous sommes attachés à la raison, mais notre humanisme nous garde de tomber dans l’excès qui consisterait à tout réduire à la froide raison.

On a voulu nous présenter comme des théoriciens sans entrailles, des donneurs de férule, des livresques, et des cœurs secs...

La vérité est tout autre.

Le communisme ce n’est pas l’inhumain, c’est l’humain. Le communisme sait les immenses valeurs du sentiment, il comprend les raisons du cœur.

L’humanisme des masses s’exprime par la solidarité qui fait que le voisin ne peut sentir souffrir son voisin sans lui porter secours, quels que soient les risques qu’il puisse y trouver. Et notre sens de solidarité ne nous empêche pas de voir – bien au contraire – ce qu’il y a d’humain dans l’attendrissement et dans le besoin de bonté de la charité.

Certes, nous savons bien que la charité n’est pas une solution au problème social. Mais nous savons aussi qu’elle est l’une des expressions du cœur, l’une des formes de l’amour humain.

Cette unité que nous prêchons ardemment, cette union de la nation française que nous préconisons, elles sont le reflet chez nous et l’organisation du sentiment de fraternité et d’amour des masses.

CONTRE LA HAINE

Avec l’amour, nous retrouvons une fois de plus l’individu pantelant, froissé, blessé, violenté par le capitalisme. Le capitalisme s’acharne à tuer l’amour en rendant triviales ses délicatesses par la contamination de l’argent et en professant la haine.

Il enseigne le terrible « chacun pour soi » ; il crée la solitude de l’homme.

Alors que le communisme met en action et glorifie l’amour humain, alors qu’il se félicite de la juste importance que l’intelligence lui accorde, le fascisme, lui, marche le poignard à la ceinture, arme les petits enfants, glorifie la haine. Il célèbre le culte de la haine : haines raciales, haines nationales, haines personnelles. Contre cette affreuse propagande de haine, le Parti communiste tout entier se lève.

Nous ne voulons pas qu’on oppose une moitié de la France à l’autre moitié, nous qui savons que les ennemis et les exploiteurs du peuple ne représentent qu’une poignée de ploutocrates, les maîtres, toujours moins nombreux, des moyens de production et d’échange : les trusts.

Nous n’acceptons pas de considérer comme perdue pour la démocratie, la vérité et la raison, l’écrasante majorité de ces quatre millions de Français qui se sont prononcés contre le Front populaire.

S’ils se sont trompés, c’est à nous d’avoir assez de patience et d’amour pour leur expliquer leur erreur.

Nous souffrons de la lutte des classes. Nous la subissons et nous voulons l’abolir.

On reproche à nos amis de saluer le poing levé ?

Les agents français de Hitler et de Mussolini saluent, eux, à l’italienne ou à l’allemande. Ainsi leur salut est l’aveu de l’inspiration qui les guide.

Nous ne tenons aucunement, nous communistes, à telle ou telle forme de signe de ralliement.

Maurice Thorez , secrétaire général de notre Parti, déclarait le 25 juillet 1936, « qu’il n’estimait pas indispensable de lever le poing, pourvu qu’on soit vraiment résolu à servir la cause du peuple ». Et nous n’avons jamais voulu mettre une menace dans le salut viril du poing levé. Notre joie c’est de l’abaisser et de l’ouvrir.

Nous allons, la main tendue vers tous les hommes de bonne volonté.

Nous luttons avec ferveur contre la domination de la violence.

La théorie et la pratique de la violence dans le monde, c’est le fascisme.

Toute l’histoire de la conquête de la liberté n’a été que la lutte de la vaste humanité des faibles contre la violence de l’étroite minorité des puissants.

La violence est l’ennemie de l’intelligence.

Aux côtés de l’intelligence, nous protégeons contre la brutalité montante, tout ce qui contribue à l’affinement des relations humaines. Nous sommes attachés à cette sélection de grâce et de mesure qui s’appelle la politesse française.

L’UNITE POUR LA LIBERTE

Est-ce à dire que, devant la violence, nous acceptions de nous offrir en proie désarmée à ses excès ?

Pas le moins du monde.

La passivité n’est qu’un encouragement aux violents ; la non résistance est en définitive la reconnaissance de la violence.

Seule l’union permet de vaincre la violence fasciste.

Nous en avons fait l’expérience en France, lorsque, à l’appel des communistes, a commencé à monter, après le 6 février, la vague d’unité populaire qui devait barrer la route aux factieux. Les muscles et l’intelligence ont fait la chaîne. C’est que, dans l’union de tous les hommes de bonne volonté contre les fauteurs de violence, les intellectuels devaient avoir une place de choix. Ils ont élevé la voix et ils ont été entendus. Il en a toujours été ainsi dans le passé, il en sera ainsi dans l’avenir.

La reconnaissance que leur vouent les masses est pour eux, nous en sommes sûrs, la meilleure des récompenses et l’une des plus grandes parmi leurs raisons d’espérer.

Elle est la garantie de la remise en ordre de la France.

Alors que les fascistes exploitent au service des oligarchies le désordre économique et la pourriture du monde capitaliste, l’intelligence et le communisme s’efforcent de rétablir l’ordre et de rendre la santé aux nations.

Ils veulent bâtir un monde intelligent.
Le communisme, initiateur du Front populaire, a fait, en France, reculer la violence fasciste.

A la violence, il a opposé la force de l’idée, la force de la raison, la force du cœur, la force de la liberté, la force des masses. Il a prouvé par là que le fascisme n’était en rien une phase fatale de l’évolution des sociétés dans la période du pré-socialisme.

Le communisme a déjà brisé la première attaque fasciste. Il aidera l’intelligence à achever de vaincre la bête.

Il est le Parti de la Victoire, parce qu’il est le Parti du Travail !

III L’INTELLIGENCE ET LE PAIN

Le type même du désordre triomphant dans le monde actuel, c’est l’économie capitaliste. L’intellectuel voudrait-il se réfugier dans sa fameuse tour d’ivoire, qu’il ne le pourrait plus.

L’économie du monde à l’envers l’a dynamitée. Elle s’est effondrée comme un château de cartes.

L’intellectuel constate ce paradoxe que l’homme qui a soumis les forces de la nature devient l’esclave de l’économie qu’il a créée.

Les grands maîtres du socialisme ont toujours montré et dénoncé ces contradictions inévitables. Sous la domination du profit l’individu perd de plus en plus sa chance de mise en valeur. Il ne se réalise pas. Et l’humanité perd le bénéfice de la réalisation de l’individu.

Le régime du profit arrache ou dispense parcimonieusement leur pain aux intellectuels et aux artistes. Et avec le fascisme, il leur offre « des canons à la place de beurre ».

Il les réduit à la portion congrue, créant ainsi pour eux de mauvaises conditions de production. Il les contraint à pratiquer un certain malthusianisme de l’esprit. Il leur reproche d’exister. Il les déclasse. Il se plaint amèrement de la « surproduction intellectuelle ».

Où il est responsable, avec son appétit de lucre, il dénonce la machine et la désigne à la colère des masses.

En s’attaquant à la machine, en inventant de toutes pièces le prétendu conflit de l’homme et de la machine, il s’attaque à l’Esprit qui l’a créée.

Les crises ne sont pas autre chose, comme l’a fort bien dit Maurice Thorez, que la révolte des machines modernes contre la forme de propriété des grands moyens de production.

La machine n’est pas l’ennemie de l’homme, elle est l’ennemie du capitalisme.

PAS D’EMBAUCHE !

Le capitalisme, en France, veut contingenter l’intelligence. Ses porte-paroles et ses porte-plumes s’y emploient.

C’est M. Laffite, de l’Union Nationale des Etudiants de France, qui, dans « l’Illustration », signale que le pays est prêt à engendrer « un prolétariat intellectuel redoutable par sa masse, sa culture et son amertume ».

C’est M. Buré, qui, citant Modeste Leroy, dans « l’Ordre », s’écrie qu’on forme « des apprentis déclassés qui seront peut-être de dangereux perturbateurs »...

Alors que Danton disait : « l’instruction est, après le pain, le premier besoin du peuple », M. Caillaux proclame au contraire : « il faut arrêter le Prométhée de la Science. » Il ajoute : « Il faudrait tempérer les aspirations déraisonnables qui se font jour dans l’esprit des pauvres et des humbles. »

Et le même Buré, que je cite plus haut, écrit, avec le mérite de la franchise, qu’une large diffusion de la culture est peut-être « compatible avec le régime communiste, mais non pas avec le régime capitaliste ».

M. Flandin ne s’exprime guère autrement lorsqu’il déclare dans une interview de « Candide » : «  Il est temps de recréer des terrassiers, des maçons des couvreurs, dont la France a plus besoin que de licenciés ès-lettres. »

Il n’y a qu’un malheur. C’est qu’en l’état actuel des choses, on n’utilise pas davantage la culture des maçons, des terrassiers et des couvreurs que celle des licenciés ès-lettres. Les uns et les autres chôment.

La classe dirigeante est prise de panique devant ce qu’elle appelle « la surproduction intellectuelle ».

« Ne faites pas de vos fils des médecins ! » s’écrie le docteur Balthazar.

« N’allez pas aux colonies ! » s’écrie M. Gourdon, directeur de l’Ecole Coloniale.

« Et surtout, pas de retour à la terre ! » concluent les gros fermiers en examinant les statistiques de leurs bureaux de placement.

« Entre ingénieur ? » s’exclama M. Paul Dubois, secrétaire de l’Union des Syndicats d’Ingénieurs, « gardez-vous-en bien ! Les ingénieurs désormais sont destinés à devenir des clochards, et s’ils sont privilégiés, à pousser avant l’aube un diable aux Halles, ou à faire des gardiens de nuit sur les chantiers. »

On considère comme un désastre que le nombre des étudiants de nos facultés soit passé en trente ans de 30.000 à 87.000, et que le rayonnement de la culture française attire aujourd’hui dans nos universités 17.000 étudiants étrangers, au lieu de 1.700 en 1910.

Cependant, le nombre des illettrés est encore important et le nombre de semi-lettrés considérables en France. Et il est écrasant dans les colonies. L’intelligence n’est pas surproduite, elle est mal distribuée. On manque de médecins aux portes de Paris (en Seine-et-Marne, par exemple, il y en a pour 1.971 habitants). Aux colonies, dans l’ensemble, il n’y a que 450 médecins civils pour 44 millions d’habitants.

L’absence de médecine sociale – seule efficacement préventive – sacrifie par la tuberculose, l’alcoolisme, la syphilis, le cancer, l’avortement, des dizaines de milliers d’êtres chaque année, dans un pays où se joue le drame de la dépopulation. Des richesses immenses ne sont pas exploitées – ne s’agirait-il que de la houille blanche – qui pourraient employer une armée d’ingénieurs. Les laboratoires sont délabrés, sans outillage, sans argent. Les inventeurs désintéressés meurent de faim. Les musées sont insuffisants et presque toujours mal classés, les bibliothèques populaires sont lamentables. Le théâtre se meurt. Les concerts sont réservés à une mince couche d’amateurs. Les artistes – considérés comme un luxe pour la classe dirigeante – restent coupés de leur public de masse. Le cinéma et la radio sont asservis à l’argent et stérilisés. La maison ouvrière, qui devrait occuper à sa construction des milliers d’architectes, de décorateurs, de peintres, reste le vieux taudis ou la boîte à loyers sans décor. Le lieu de rassemblement des travailleurs, qui devrait être le club ou la maison du peuple, avec son cinéma, sa T.S.F., ses expositions, son musée, sa bibliothèque, son théâtre et ses concerts, demeure la salle de bistrot du coin, avec son alcool, ou le hall des Prix Uniques. Pas d’embauche pour l’intelligence !

LE MONDE A L’ENVERS

La France, avec toutes ses richesses intellectuelles de vieille et magnifique civilisation, laisse, par la faute du capitalisme, dépérir les forces de l’esprit ; elle les réduit à la démoralisation du chômage, au désespoir de l’impuissance. Elle laisse en jachère des intelligences par millions, elle voue à la destruction une quantité importante de celles qui sont formées et n’en laisse subsister qu’une minorité, à condition qu’elles acceptent d’être durement asservies à l’argent.

Ce faisant, elle est absolument dans la logique d’une économie qui, lorsque 30 millions de chômeurs peuplent le monde de leur faim, détruit en quelques mois sur la surface de la terre, 886.000 wagons de blé, 114.000 wagons de riz, massacre et soustrait à la consommation américaine 600.000 vaches et 6 millions de porcs, sacrifie 20.000 vaches laitières en Hollande, ensevelit 550.000 moutons en Argentine, brûle l’orge et l’avoine au Canada, flambe le coton en Egypte, noie au Brésil 34 millions de sacs de café par an, fait des bûchers de 13 millions de tonnes de canne à sucre à Cuba et, en France même, voue à la chaux vive des vaches pseudo-tuberculeuses, arrache les ceps de vigne, dénature le blé pour le donner aux cochons ou le laisse charançonner dans les silos et décide de briser dans le Nord les machines du dernier modèle dans certaines fabriques du textile.

Dans ce que j’appelle le monde à l’envers, dans ce monde barbare de 1936 où l’abondance crée la misère, l’intelligence subit la loi de l’absurdité économique qui l’entoure et de la monstruosité sociale qui constitue la suprématie du profit.

C’est donc à l’intelligence de s’insurger, de réagir sur les causes de son avilissement et de devenir cause à son tour dans la remise en marche de l’économie... C’est à elle de contribuer, aux côtés du prolétariat, à remettre le monde à l’endroit.

IV SOLUTIONS

Il ne s’agit pas pour cela de détruire la machine. Tout au contraire, il s’agit de la perfectionner encore. Et si elle risque d’éliminer de nouveaux hommes de la production, il ne s’agit que de transformer le chômage en loisir. Le progrès technique et les masses exploitées seront les fossoyeurs du capitalisme.

Tout le problème est là. Mettre la machine au service de l’homme et cesser de faire de l’homme l’esclave de la machine. Rompre avec cette économie où des insectes aveugles travaillent désespérément et sans arrêt à construire un monde dont ils ne profitent pas et qui les tue.

La technique moderne mise au service de l’homme permet d’envisager une utilisation de toutes les énergies valables par la diminution des heures de travail avec maintien d’un salaire vital.

Mais il faut la délivrer du profit capitaliste dont la logique interne est de créer le chômage, de s’en servir pour menacer les salaires, d’exiger du même ouvrier des heures supplémentaires plutôt que d’organiser le travail en plusieurs équipes.

Dans une société remise à l’endroit, le développement des loisirs rend aux travailleurs cette richesse inestimable qu’est l’amour du métier. Il réveille l’intelligence créatrice, diffuse la culture, donne enfin un public aux artistes, aux écrivains, aux dramaturges, aux poètes…

La Société nouvelle du travail sera dirigée par la raison et par l’intelligence ou elle ne sera pas.

Comment y parvenir ? Comment arrêter le rouleau compresseur des trusts broyant la société ? Comment arrêter la marche de la ploutocratie levant le drapeau du désordre et de la haine ?

Certains ont voulu montrer le fascisme comme le rénovateur de l’économie. Nous avons vu ce qu’il en fallait penser. Le fascisme consolide le désordre économique et si sa démagogie sociale jette quelquefois du lest, c’est uniquement pour permettre à la vieille injustice de tenir l’air un peu plus longtemps.

Mais le fascisme continue à asservir l’Esprit au matérialisme capitaliste.

UNION DE L’INTELLIGENCE ET DU TRAVAIL

Le communisme, lui, donne toute sa part et toute sa valeur au travail intellectuel.

Il veut faire une France heureuse. Une France propre. Une France jeune !

Il veut surtout discipliner les forces aveugles et il sait que seule la raison reconnue comme force dirigeante peut y parvenir.

Il veut surtout en finir avec l’absurde.

Mais il n’y a pas plus de création spontanée dans le domaine économique que dans les autres. Le monde à l’envers ne mourra pas de sa seule absurdité et ce sont les cerveaux et les masses des hommes qui créeront le monde nouveau.

A l’intelligence de prendre sa place, maintenant, et toute sa place, dans l’exécution de cette tâche.

Nous avons tout fait et nous ferons tout pour que, en vue de la tâche commune, les intellectuels et les ouvriers se comprennent pleinement.

L’intelligence sent de plus en plus la force magnifique constituée par une classe ouvrière sortie de l’enfance, consciente et de ses droits et de ses devoirs, respectueuse des machines, assoiffée de connaissances et orientée désormais vers les tâches constructives. Quant aux travailleurs, ils ont une affection passionnée pour les grands esprits qui vont au-devant d’eux.

L’ouvrier qui ne connaît pas Platon n’est pas plus responsable de son ignorance que ne l’est de la sienne l’helléniste qui ne sait pas planter un clou sans se frapper sur les doigts.

Les gens cultivés comprennent de plus en plus qu’il existe une culture ouvrière et une culture paysanne.

Demandez à un ouvrier mécanicien de vous expliquer le détail de la mise au point d’un moteur et vous serez étonné de la somme de connaissances, d’expériences, de culture en un mot, dont il fera preuve. Il en sera de même pour le paysan qui vous parlera de l’art du labourage, pour le vigneron qui vous parlera de la science du vin.

C’est que la Culture est faite de l’ensemble du travail productif de l’homme dans l’espace et dans le temps. Elle est l’addition de l’effort de celui qui travaille plus spécialement de ses mains et de celui qui travaille plus spécialement de son esprit.

C’est la force ouvrière qui, dans le passé, a conquis les 8 heures et qui, récemment, a obtenu de nouvelles lois sociales qui sauvegardent en même temps que sa vie, sa dignité. Qui ne se rend compte que les conquêtes des masses ouvrières sont autant de garanties pour la protection du travail intellectuel ?

C’est de l’addition des forces ouvrières et paysannes, avec les forces de l’esprit que dépend la création de l’homme nouveau.

Les intellectuels qui, au milieu de la misère présente, restent animés du plus noble idéalisme, sont préoccupés par l’avenir de la France et du Monde.

Le Parti communiste montre la voie de l’action, de la vérité, de l’amour, de la liberté et de la paix. Il ne s’agit pas d’imiter servilement tel ou tel pays. L’U.R.S.S. s’est libérée dans des conditions propres à la Russie et nous l’en admirons d’autant plus. Mais chaque pays donnera, selon ses traditions nationales et son degré d’évolution, son aspect particulier au socialisme.

Dans cette tâche, le Parti communiste français se sent profondément le continuateur de la France.

NOUS CONTINUONS LA FRANCE

Nous continuons la France, la France généreuse, accueillante, compréhensive, rayonnante, toute de mesure et de goût. La France qui ne peut connaître les excès du racisme, elle qui est la somme harmonieuse de tant de races, puisque sa situation géographique d’extrême-cap de l’Europe en a fait le point où les invasions sont venues se heurter à la mer et arrêter leurs vagues, la coupe où elle se sont décantées, le filtre où elles ont laissé leurs échantillons humains quand elles ne s’arrêtaient pas...

La douceur de son climat, ses ressources, l’heureuse disposition de ses plateaux et de ses vallées, y ont fixé les hommes de bonne heure, et les ont incités aux travaux de l’esprit. Il y a plus d’un trait commun entre la grâce d’un renne gravé et peint par un chasseur préhistorique sur la paroi d’une grotte ornée de la Dordogne ou de l’Ariège, et celle du cerf qui surmonte la porte du château d’Anet.

C’est de cet ensemble de richesses culturelles que nous nous sentons les héritiers.

Nous continuons la France. Nos militants sont profondément enracinés à son sol. Leurs noms ont la saveur de nos terroirs. Notre ardeur à conquérir notre patrie pour les plus grandes masses qui en sont encore expropriées, vient de l’amour que nous avons pour notre pays et de notre volonté d’internationalistes que son rayonnement aide toutes les nations à retrouver, dans la paix, leur indépendance et à développer leur culture nationale, dans la marche en avant de la civilisation universelle.

Nous continuons la France. Et c’est parce que nous continuons la France que nous voulons sauver la culture. Et c’est parce que nous voulons sauver la culture et que, dès nos premiers pas, nous avons eu l’appui d’Anatole France, de Henri Barbusse, de Raymond Lefebvre, que nous voyons maintenant marcher à côté de nous, quelques-uns parmi les plus grands d’entre les savants, les professeurs, les écrivains et les artistes français de ce temps, autour d’André Gide, de Romain Rolland, de Malraux, de Jules Romains, de Benda, de Luc Durtain, de Vildrac, d’Aragon, de Lenormand, de Jouvet, de Lurçat, de Langevin, de Perrin, de Prenant, de Wallon, de Jean-Richard Bloch, de Dullin, de Moussinac, de Jean Renoir, de Francis Jourdain, de Le Corbusier, de Léger et de tant d’autres.

Nous continuons la France. Et c’est pourquoi nous en appelons, en même temps qu’à l’intelligence, à la jeunesse sacrifiée, à son esprit combatif, à son désir « que ça change », à son besoin de sacrifice, à son désintéressement, pour lui faire comprendre le monde et pour essayer avec elle de le mettre enfin à l’endroit.

Notre monde à l’envers est une cinquante chevaux en parfait état de marche, dont le conducteur exige qu’elle soit tirée par une paire de bœufs et que, par surcroît, il met en marche arrière.

Il est temps que l’esprit nous aide à mettre les jeunes réalités dans de
jeunes formes.

C’est la vocation de l’intelligence.

L’INTELLIGENCE A LA CROISEE DES CHEMINS

En décidant de leur propre sort, en choisissant la bonne route, les intellectuels décideront du sort de l’humanité.
L’intelligence est à la croisée des chemins.
Il lui faut choisir !
La guerre ou la paix,
La servitude ou la liberté,
La haine ou l’amour,
Le mensonge ou la vérité,
La passivité ou l’action
La misère ou le bien-être créateur ?
Qu’elle décide !
Une vaste réunion des intellectuels français pourrait apporter à la France la somme de leurs méditations, de leurs recherches, de leurs solutions des problèmes, de leurs connaissances techniques, de leur expérience.

Les maîtres de la science et de l’art doivent être consultés et entendus.

Il ne s’agit pas de réunir un parlement de parleurs, il faut constituer une assemblée qui travaille.

La société malade appelle en consultation ses médecins.

Nous, communistes, sommes persuadés que l’intelligence française peut apporter aux problèmes posés des solutions insoupçonnées.

Nous ne connaissons encore que fragmentairement ses tragiques cahiers de doléances. Ils sont encore retenus dans la retraite, modeste et comme pudique, des bureaux et des laboratoires.

Il faut que l’intelligence dresse son réquisitoire complet et qu’elle motive ses arrêts.

Nous proposons la convocation des Etats généraux de l’intelligence française.

Trop longtemps les intellectuels ne sont apparus qu’à travers le miroir déformant de leurs opinions politiques.
Il faut, cette fois, qu’ils se réunissent, d’où qu’ils viennent, et qu’ils décident souverainement.

Trop souvent la France a été gérée par des improvisateurs et des bavards.

Maintenant, c’est aux hommes qui ont pénétré jusqu’au fond les problèmes, de décider.

C’est à l’Esprit que le Parti communiste français, parti des masses travailleuses, fait confiance pour l’aider à résoudre les problèmes de la paix, de la liberté et du pain des hommes.

C’est à l’esprit de préparer et de proclamer à nos côtés la victoire de la dignité humaine.

 

samedi 6 avril 2024

Situation de l'Esprit chez deux expressionnistes (Alfred Doeblin et Franz Mark) en relation à la WWI

 
 Partie extraite de : 

Eichenlaub René. L'expressionnisme allemand et la Première guerre mondiale. A propos de l'attitude de quelques-uns de ses représentants. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 30 N°2, Avril-juin 1983. pp. 298-321; 

doi : https://doi.org/10.3406/rhmc.1983.1237 https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1983_num_30_2_1237

 

L'EXPRESSIONNISME ALLEMAND, LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE 

    Ne croyons pas cependant que ce Veni creator d'un nouveau genre que Doeblin soit devenu un partisan de Lénine — nous n'en sommes pas encore la Révolution d'octobre d'ailleurs —, il est plutôt le signe qu'il est imprégné de l'air du temps qui attend tout d'une rénovation spirituelle. Ainsi Doeblin ne pense-t-il pas qu'on puisse mettre ces idées en pratique, il les considère simplement comme un ferment capable de secouer les hommes. Il n'est même pas guéri du nationalisme : il estime que la guerre a forgé une communauté nationale, il en appelle au patriotisme des intellectuels, s'élève contre ceux qui ont traité les Allemands de barbares (il est toujours en admiration devant Hindenburg qui, « lui seul, remplace dix armées »). Il lui suffit de croire que la guerre est en train d'acquérir une âme et qu'elle a mis les choses en mouvement.  

    Ce qui intéresse Doeblin, ce n'est pas la réforme de la constitution, ce n'est pas l'instauration en Allemagne de la pseudodémocratie des « démocraties occidentales », c'est que l'esprit humain se répande et et que l'on retrouve les traces de ce changement dans la constitution25. C'est précisément parce qu'il met en avant cet enrichissement intérieur et cette transformation des âmes que Doeblin reste dans l'orbite de l'expressionnisme. Le projet politique est avant tout un projet moral dans lequel on chercherait en vain des mesures concrètes destinées édifier l'Allemagne sur de nouvelles bases. Il souligne néanmoins que l'Allemagne était gouvernée par les féodaux et les cléricaux qui privaient le peuple de sa liberté psychologique, morale et spirituelle. Il propose d'abolir la propriété privée, de rendre les individus responsables, d'éliminer le règne de la phrase en économie et en politique26.

    Mais, peu peu, ses idées « rouge sang à ultraviolettes » 27 se décantent et le poussent rejoindre l'U.S.P.D., le parti socialiste dissident fondé en avril 1917 et qui réunit des « socialistes » fort divers. Son socialisme lui tente de faire l'amalgame entre l'anarchisme individualiste de Stirner et l'anarchisme socialiste de Kropotkine ou, en Allemagne, de G. Landauer28. Reprenant une définition de A. Adler29, il proclame que « l'esprit du socialisme, c'est la formation et l'action du sentiment communautaire », ce qui constitue malgré tout un dépassement de l'anarchisme individualiste, mais ne permet pas de savoir quel programme il propose pour réaliser ce socialisme.

    Toujours est-il qu'il est assez lucide pour se rendre compte que la révolution allemande n'a de révolution que le nom, il nie qu'elle ait...

25. Ibid., pp. 33-44, Drei Demokratien.
26. Ibid., pp. 71-82, Vertreibung der Gespenster.
27. L'expression se trouve dans une lettre adressée par Doeblin E. Frisch, l'éditeur du Neuer Merkur. Cité dans le catalogue de l'exposition de Marbach, p. 22, lettre du 23 décembre 1918. 
28. Gustav Landauer (1870-1919), cf. R. Eichenlaub, « L'anarchisme en Allemagne : Gustav Landauer », in Revue d'Allemagne, t. III, 4, oct.-déc. 1971, pp. 945-969. 
29. Il semble bien s'agir du psychologue Alfred Adler (1870-1937), élève de Freud, dont il se sépare vers 1910 pour fonder la Individualpsychologie.

...eu lieu30. Selon lui, le nouveau système est une République impériale qui ne lui dit rien qui vaille. Il rejette cet Etat fondé sur la violation du droit puisqu'il a massacré les ouvriers, il condamne les assassinats politiques, déplore le manque de foi des « démocrates ». Il est parmi ceux qui voudraient maintenir les conseils ouvriers qui sont, dit-il, « la défense des masses contre les autorités autocratiques » 31. Il affirme que la « restauration intérieure » va bon train en Allemagne et que ce pays développe « de nouveau librement son caractère national propre : la mentalité de serf et l'absence de sensibilité » 32.

    Ainsi la guerre n'a pas fait de Doeblin un pacifiste, mais elle lui a fait acquérir la conviction que la dimension politique est une dimension qui fait partie intégrante de la vie humaine, que personne n'a le droit de se tenir l'écart de la politique, surtout pas les intellectuels qui doivent agir sur les esprits pour les changer. De plus, il a trouvé une place sur l'échiquier politique : il se situe nettement gauche, même si son socialisme manque de contours.

    Bien plus tard, dans son roman November 1918 (il en termine la rédaction en 1943), consacré l'analyse de la période cruciale de l'histoire allemande, les mois de novembre 1918 janvier 1919 pendant lesquels le gouvernement d'Ebert choisit le statu quo social et économique en écrasant l'insurrection spartakiste et en éliminant les conseils d'ouvriers et de soldats, Doeblin résume l'idée qu'il se faisait de la guerre et de la révolution : « La guerre et la révolution étaient des cris d'éveil venus d'une voix supraterrestre » 33. C'est bien ce sentiment qui s'est imposé de plus en plus lui, le sentiment que la guerre devait provoquer une prise de conscience des maladies de la société et de l'individu, mais que ce but n'a pas été atteint. En 1943, cependant, la coloration que prend la phrase est liée la conversion récente de Doeblin au catholicisme, il en était loin en 1918-1919.

    Paradoxalement, plus la guerre dure, plus l'espoir placé en elle s'exaspère dans beaucoup d'esprits. Tant de souffrances et de privations ne peuvent pas avoir été inutiles, pense-t-on. En tout cas, la génération expressionniste tout entière en attend de plus en plus la naissance d'un homme nouveau dans une société renouvelée et sa fin marque l'apogée éphémère de cet espoir. En 1914, la majorité d'entre eux l'ont accueillie avec enthousiasme, mais ils pensaient qu'elle serait courte (il semble que le seul poète avoir nettement pris position contre la guerre soit Franz Werfel34). Et puis, on la ressent comme un processus de purification dont les épreuves de plus en plus dures doivent produire une remise en...

30. Article de mai 1919 dans Die Neue Rundschau, in Schriften, op. cit., pp. 83-97. 
31. Article de janvier 1920, cité in Schriften, op. cit., p. 122.  
32. Dans Der deutsche Maskenball, Berlin, S. Fischer, 1921, pp. 25-26 (recueil publié sous le pseudonyme Linke Poor, i.e. la patte gauche).    
33. Dans November 1918, vol. 4, p. 351 de l'édition dtv, 1978.  
34. Cf. notamment le recueil Einander où l'on trouve des poèmes très antibellicistes, par exemple Der Krieg, pp. 162-164, ou Die Wortemacher des Krieges, pp. 164-165, in Franz Werfel, Dos lyrische Werk, Frankfurt/M., S. Fischer, 1967. Le recueil Einander a été publié en 1915.

...question totale de l'individu et de la société. La révolution russe est un palier important dans cette évolution : elle indique que les choses sont en mouvement, elle révèle la puissance des idées, la force de l'espoir humain. Mais bien avant qu'elle éclate, les questions se posent, la réflexion chemine. L'exemple de Franz Marc peut en témoigner.

    Un document intéressant permet de préciser l'attitude de Franz Marc avant la guerre. Il s'agit de la correspondance qu'il a échangée entre 1910 et 1914 avec August Macke, un bon coloriste35. La lecture de ces lettres révèle clairement l'ignorance totale des problèmes de politique extérieure et intérieure qui se posent alors l'Allemagne, par ces jeunes artistes (notons d'ailleurs que Marc est un proche de Sturm). Les jeunes peintres parlent, comme il est normal, de leur art : ils prennent position par rapport à la nouvelle peinture et ses représentants expriment leur prédilection pour Daumier, Gauguin, Van Gogh, Cézanne, Munch, les Fauves, le Douanier Rousseau, l'art des peuples dits primitifs, discutent technique picturale, relatent la visite d'expositions, évoquent leur vie privée, leurs relations, leurs amitiés. A aucun moment, ils ne font allusion à la situation de leur pays, aux dangers qui menacent la paix. Le seul fait notable, dans notre optique, c'est qu'ils considèrent que le nationalisme est dépassé sur le plan artistique et personnel (n'est-ce pas Kandinsky d'ailleurs, installé Munich depuis 1896, qui exerce la plus grande influence sur Marc ?). Et Marc a séjourné Paris en 1903 il considère ce séjour comme le tournant de sa vie , il y est retourné en 1906. En septembre-octobre 1912, les deux amis, répondant à l'invitation de Delaunay et de Le Fauconnier, leur rendent visite Paris, alors que Delaunay et Apollinaire leur rendent la politesse en venant les voir Bonn au printemps de 1913.

    Prenant fait et cause pour un art qui ignore les frontières, Marc s'est élevé avec véhémence contre le libelle du peintre de Worpswede36 Cari Vinnen, Protestation des artistes allemands, paru en 1911, qui met en cause l'influence néfaste de l'école française sur l'art allemand et proclame que l'art international est un art dégénéré (lenational-socialisme ne dira pas autre chose). Il n'en a pas pour autant renoncé l'idée que les œuvres des artistes manifestent un caractère national spécifique et que les artistes ne doivent pas aller à contresens de ce caractère. Ainsi écrit-il Macke que les Français sont de bien meilleurs coloristes que les Allemands qui sont avant tout des dessinateurs37. Pas question pour lui, par conséquent, de se « transformer en Français ». Internationalisme ne veut pas dire uniformisation, mais collaboration entre artistes de différents pays partageant les mêmes idées.

35. August Macke-Franz Marc, Briefwechsel, Kôln, Du Mont Dokumente, 1964, 240 p.  
36. Situé aux portes de Brème, c'est le Barbizon allemand. 
37. In correspondance de Macke-Marc, op. cit., lettre de Marc à Macke du 12 juin 1914, p. 184.

    Manifestement, Marc ne se sent pas l'aise dans l'ère technique et la civilisation urbaine. C'est pour cette raison qu'il s'établit dans de petits villages de la Haute-Bavière et que ses peintures présentent presque toutes le monde animal. Pour tout ce qui ne concerne pas l'art, il vit presque en dehors du temps. La guerre va lui apporter de nouveaux arguments pour rejeter la civilisation contemporaine et le pousser chercher les causes du conflit dans un but précis : si elles sont le fruit de notre civilisation, il faudra l'amender pour éviter d'autres guerres.

    Tout leur déménagement et leur installation dans un autre village bavarois, les Marc ne voient pas venir la guerre, encore moins les Macke qui s'installent, en automne 1913, pour de longs mois sur les bords du lac de Thoune d'où August s'en va en avril 1914 pour entreprendre, en compagnie de Paul Klee et de Moilliet, un autre peintre suisse, un voyage en Tunisie, de sorte qu'ils ne rentrent Bonn qu'en juin 1914. Curieusement, la correspondance s'interrompt le 19 juin pour ne reprendre que le 3 août. Nous ne connaissons pas la réaction de Marc la déclaration de guerre. Seule une lettre de Lisbeth Macke, la femme d'August, datée du 6 août, nous renseigne sur l'état d'esprit qui règne alors. Elle écrit ses amis : « Comme tout est venu vite, et pourtant on pousse maintenant un soupir de soulagement en comparaison des jours où il y avait comme un orage dans l'air. Et quand on voit comment tous vont de bon cœur, c'est magnifique. Et on n'a absolument pas le droit de penser soi parmi les millions. Seulement au pays qu'on est en train de sauver.... Espérons que tout ira pour le mieux, même si ce n'est pas pourl'individu » 38. Mais le 5 septembre, la même Lisbeth Macke s'écrie : « Je ne puis me réjouir du fond du cœur de la plus grande des victoires... C'est effroyable quand on s'imagine tout cela et c'est un triste signe pour l'humanité qui s'est toujours tant vanté de sa culture qu'une telle guerre soit seulement encore possible » 39. Dès le 26 septembre, son mari tombe Perthes en Champagne. Franz Marc, qui est au front depuis septembre mais dans une zone moins exposée (en Alsace notamment), écrit alors un bel éloge funèbre sa mémoire, déclarant notamment que la perte de Macke est une perte irréparable pour la culture de son peuple40. Du front, il expédie de nombreuses lettres sa femme. C'est travers elles qu'on peut suivre son évolution pendant la guerre et sous son influence jusqu'à sa mort en mars 1916 dans la région de Verdun41. La guerre a secoué sa pensée de fond en comble comme sous l'effet d'une tempête, déclare-t-il en janvier 191542, mais il la considère comme un phénomène naturel, inévitable, aussi longtemps du moins que l'appât du gain domine dans l'esprit des individus et des nations. Jusqu'au bout, il reste convaincu que l'Allemagne va l'emporter, il est fier d'être promu lieutenant (automne 1915). Pas par amour de la vie militaire ou de la guerre cependant43. Car, à...

38. Ibid., pp. 188-189. 
39. Ibid., p. 190. 
40. Ibid., pp. 196-197. 
41. Briefe aus dem Felde, List Taschenbûcher, 302, Munchen, List Verlag, 1966, 155 p.  
42. Briefe aus dem Felde, op. cit., p. 148.
43. Ibid., p. 129, 6 février 1916.

...son sentiment, ce ne sont là qu'épiphénomènes. Au fond, il ne comprend pas comment a pu éclater cette « guerre civile européenne » 44. Tout le monde a pourtant besoin de la paix45 et la guerre devient de plus en plus absurde en s'éternisant46. Il se considère comme personnellement responsable de la guerre dans laquelle il voit un châtiment divin. Pour commencer, il nous appartient de nous faire comprendre humainement par notre prochain pour qu'il n'y ait plus de malentendu 47. Bref, le grand bénéfice que lui apporte la guerre, c'est de l'obliger mettre ses idées au clair 48.

    Selon lui, la guerre est une épreuve de purification, la guérison d'une maladie. Il ne s'agit pas de l'attaquer en tant que telle et de l'extirper hic et nunc, il faut remonter ses causes, c'est-à-dire soi-même49. Marc se traite lui-même de platonicien50. Et, effectivement, la guerre est pour lui un principe, une idée, avant d'être une réalité vécue, bien que son mouvement de recul devant l'horreur quotidienne aille en grandissant. On serait presque tenté de dire que l'on retrouve chez lui la croyance que Romain Rolland décelait en 1908 chez Guillaume II, «la croyance presque mystique en la guerre comme le seul moyen de retremper l'Allemagne décadente, de laver les âmes, de refaire dans l'Empire la santé et l'autorité»51. En fait, l'analyse de Marc va heureusement plus loin que celle de l'empereur. Certes, il pense que l'Allemagne était chargée d'une mission particulière : il lui appartenait de maintenir un contrepoids spirituel au matérialisme qui envahit la civilisation contemporaine. Elle ne l'a pas fait, au contraire, elle a voulu « se saisir des affaires mercantiles mondiales » 52, elle a succombé au péché de l'Europe puisqu'elle s'est laissée gagner par l'esprit mercantile, au lieu de prendre fait et cause pour l'esprit (der Geist, mot clé de l'expressionnisme). Toute l'Europe est coupable. Il suffit de comparer l'avant-guerre la guerre pour s'en rendre compte : « La guerre est-elle autre chose que l'état de paix existant jusqu'ici, sous une forme différente, plus honnête ? au lieu de la concurrence, il y a maintenant la guerre » 53. Il est nécessaire de « mettre la hache la racine » M. Car aussi longtemps que l'un exploite l'autre, on ne peut éviter les conflits. Et ceci ne vaut pas seulement pour les Etats, mais surtout pour les individus. Que chacun commence par se changer soi- même au lieu de vitupérer contre la guerre, sans se rendre compte qu'il...

44. Lettre du début de l'année 1915, citée par E. von Kahler, in Die Prosa des Expressionismus, pp. 157-168, de Hans Steffen, Der deutsche Expressionismus. Formen und Gestalten, Gôttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 1965, 268 p., p. 163.
 45. Briefe aus dem Félde, op. cit., p. 106, 1er décembre 1915. 
46. Ibid., p. 151, 5 octobre 1915.
47. Ibid., p. 117, pour le premier de l'an 1916.
48. Ibid., p. 120, 12 janvier 1916.
49. Ibid., p. 126, 3 février 1916.
50. Ibid., p. 134, 17 février 1916.
51. Lettre à E. Wolff du 25 juin 1908, cité par René Cheval, Romain Rolland, l'Allemagne et la guerre, Paris, P.U.F., 1963, 770 p., p. 181.
52. Briefe aus dem Félde, op. cit., p. 82, 12 septembre 1915. 
53. Ibid., p. 74, 23 juin 1915.
54. Ibid., p. 90, 9 octobre 1915.

...en est responsable55. Par conséquent, la métamorphose des individus est la condition sine qua non pour instaurer une paix durable. Il semble bien que l'on soit là au centre de la sensibilité de l'expressionnisme. A quoi s'ajoute chez Marc l'utopie d'une sortie possible de l'ère industrielle.

    On le voit, la pensée de Marc est ambiguë ; on peut y déceler aussi bien un éloge indirect de la guerre qu'une condamnation — pas très explicite, il est vrai du capitalisme comme source des conflits. Mais force est de constater sa clairvoyance quant aux conséquences prévisibles du conflit. Il en voit essentiellement deux :

— la montée du socialisme qu'il regrette d'ailleurs puisque, dit-il, le socialisme signifie un nivellement des individus qui entraîne la paralysie de l'âme et de la pensée chrétienne du sacrifice et de la maîtrise de soi 56 ;

— la montée du peuple russe, Marc se demande, en effet, « si les Slaves, plus spécialement les Russes, ne vont pas bientôt devenir les guides spirituels du monde, pendant que l'esprit de l'Allemagne s'altère irrémédiablement dans des disputes commerciales, guerrières et ostentatoires » 57.

    Si l'on considère le pacifisme comme la volonté de maintenir la paix tout prix ou de la restaurer au plus vite si, par malheur, la guerre a éclaté, il n'y a pas chez Marc conversion au pacifisme puisque, tout comme Doeblin, il trouve des vertus la guerre. La guerre fait partie d'une vision de rédemption de l'humanité, elle est une voie de salut en même temps que le résultat inéluctable de la maladie morale des hommes modernes. C'est cela qu'il faut comprendre avant de pouvoir songer à la paix. La guerre est la juste punition de nos fautes, elle est due à l'oubli de notre nature spirituelle. Elle nous oblige nous convertir.

    Ainsi, nous ne débouchons pas sur des solutions politiques, mais sur une méditation religieuse, voire sur une expérience mystique. Cependant, la guerre, là aussi, a obligé l'artiste affronter la réalité, sortir de sa sphère. A y regarder de près pourtant, Doeblin est plus concret que Marc, car il essaie de comprendre comment les événements de 1914-1918 s'inscrivent dans la continuité de l'histoire allemande ; il pense qu'elle fait avancer la démocratisation de l'Allemagne, tandis que Marc est surtout sensible au salut individuel lié l'épreuve justement subie par les hommes qui ont failli leur mission. Il est vrai que le peintre n'a plus connu la défaite et l'interrègne entre la monarchie et la République de Weimar. Mais le voir au début de 1916 compter sur la victoire imminente des armées allemandes, on ne peut s'empêcher de penser que l'effondrement de 1918 l'aurait profondément traumatisé. L'on peut surtout se demander comment de la victoire allemande aurait pu sortir cette transformation spirituelle en laquelle il met tous ses espoirs, alors que par ailleurs, si nous l'en croyons, l'Allemagne n'a pas été la hauteur de sa tâche. Plus lucide et plus logique que lui, Nietzsche avait souligné en 1871 que la...

55. Ibid., p. 126, 3 février 1916.
56. Ibid., p. 101, 21 novembre 1915.  
57. Ibid., p. 82, 12 septembre 1915.
 
...victoire des armes allemandes ne signifiait nullement une victoire de la culture allemande, au contraire, disait-il, cette victoire était plutôt un handicap pour l'esprit allemand58.

Nous pouvons conclure provisoirement que deux artistes en rapport étroit avec le Sturm sont arrachés par la guerre au domaine esthétique dans lequel ils se cantonnaient. Il est vrai qu'ils ne conçoivent l'art nouveau que sur la base d'un renouveau spirituel dont il est la fois la cause et le signe. C'est ainsi que peut s'établir le lien entre l'art et la guerre qui elle aussi manifeste que l'esprit est l'œuvre. Toujours le rôle moteur revient l'individu de sorte que le ralliement de Doeblin au socialisme libertaire n'est pas une surprise. Marc, quant lui, reste jusqu'à la fin l'idéaliste qui proclame la supériorité des valeurs spirituelles. Leur sensibilité n'est finalement pas politique proprement parler, elle est plutôt éthique, bien que Doeblin prenne position sur la révolution de 1918, qu'il marque ses préférences pour le système des conseils. Face la guerre, ils hésitent entre l'auréole que lui confère une pensée presque mythique qui en fait le moteur de la marche de l'humanité vers un avenir toujours plus « radieux » et une condamnation de sa bestialité, indigne de l'esprit humain (notons cependant que Doeblin va bien plus loin dans le sens de la démystification que Marc, surtout dans Wallenstein). De toute façon, ils ne parviennent pas surmonter vraiment leur nationalisme viscéral. En ira-t-il autrement pour les représentants de la deuxième grande tendance ?

    Ce qui frappe de prime abord chez Carl Einstein, si on le compare Doeblin et à Marc, c'est qu'il aborde la politique bien avant la guerre, mais — et c'est révélateur — par le biais de l'esthétique. Et même durant la guerre, il cherche pendant longtemps se fermer aux événements qu'il considère comme un dérivatif qui pourrait le tirer de sa voie propre. Nous y reviendrons.

Entre 1910 et 1914, Die Aktion publie son roman Bebuquin et d'assez nombreux essais dans lesquels il s'attaque à la société bourgeoise, mais aussi au S.P.D. 59. Ce sont ces essais qui permettent le mieux de saisir sa démarche, celle d'un artiste en quête d'un art radicalement nouveau, destructeur de la réalité et de ses tenants. Le principal en est la bourgeoisie et ses suppôts, dont le S.P.D. précisément, contaminé par l'esprit capitaliste.....................l'article continu.

58. Nietzsche, Unzeitgemafie Betrachtungen, éd. Scheechta, vol. 1, Miïnchen, Hanser, 1966, 5. Aufl., 1 288 p. ; c'est le début de la première « inactuelle », p. 137. 
59. Pour l'étude de Carl Einstein, on peut se reporter à Penkert, Sibylle, Carl Einstein. Beitrage zu einer Monographie, Gottingen, Vandenhoek & Ruprecht, 1969, 160 p. — Les principaux textes de Einstein sont repris dans l'édition du Limes Verlag, cf. supra, note 11. Sont particulièrement intéressants dans notre perspective les essais Révolte, Politische Anmerkungen, Der Arme, Das Gesetz, Die Sozialdemokratie, tous parus dans Die Aktion entre 1912 et 1914.