...en est responsable55. Par conséquent, la métamorphose des individus est
la condition sine qua non pour instaurer une paix durable. Il semble
bien que l'on soit là au centre de la sensibilité de l'expressionnisme. A
quoi s'ajoute chez Marc l'utopie d'une sortie possible de l'ère industrielle.
					    On le voit, la pensée de Marc est ambiguë ; on peut y déceler aussi
bien un éloge indirect de la guerre qu'une condamnation — pas très explicite, il est vrai — du capitalisme comme source des conflits. Mais force
est de constater sa clairvoyance quant aux conséquences prévisibles du
conflit. Il en voit essentiellement deux :
					
— la montée du socialisme qu'il regrette d'ailleurs puisque, dit-il, le
socialisme signifie un nivellement des individus qui entraîne la paralysie
de l'âme et de la pensée chrétienne du sacrifice et de la maîtrise de soi 56 ;
					— la montée du peuple russe, Marc se demande, en effet, « si les
Slaves, plus spécialement les Russes, ne vont pas bientôt devenir les
guides spirituels du monde, pendant que l'esprit de l'Allemagne s'altère
irrémédiablement dans des disputes commerciales, guerrières et ostentatoires » 57.
					
    Si l'on considère le pacifisme comme la volonté de maintenir la paix
à tout prix ou de la restaurer au plus vite si, par malheur, la guerre a
éclaté, il n'y a pas chez Marc conversion au pacifisme puisque, tout comme
Doeblin, il trouve des vertus à la guerre. La guerre fait partie d'une
vision de rédemption de l'humanité, elle est une voie de salut en même
temps que le résultat inéluctable de la maladie morale des hommes
modernes. C'est cela qu'il faut comprendre avant de pouvoir songer à la
paix. La guerre est la juste punition de nos fautes, elle est due à l'oubli de notre nature spirituelle. Elle nous oblige à nous convertir.
    Ainsi, nous ne débouchons pas sur des solutions politiques, mais sur
une méditation religieuse, voire sur une expérience mystique. Cependant,
la guerre, là aussi, a obligé l'artiste à affronter la réalité, à sortir de sa
sphère. A y regarder de près pourtant, Doeblin est plus concret que Marc, car il essaie de comprendre comment les événements de 1914-1918 s'inscrivent dans la continuité de l'histoire allemande ; il pense qu'elle fait
avancer la démocratisation de l'Allemagne, tandis que Marc est surtout
sensible au salut individuel lié à l'épreuve justement subie par les hommes
qui ont failli à leur mission. Il est vrai que le peintre n'a plus connu la
défaite et l'interrègne entre la monarchie et la République de Weimar.
Mais à le voir au début de 1916 compter sur la victoire imminente des
armées allemandes, on ne peut s'empêcher de penser que l'effondrement
de 1918 l'aurait profondément traumatisé. L'on peut surtout se demander
comment de la victoire allemande aurait pu sortir cette transformation
spirituelle en laquelle il met tous ses espoirs, alors que par ailleurs, si
nous l'en croyons, l'Allemagne n'a pas été à la hauteur de sa tâche. Plus
lucide et plus logique que lui, Nietzsche avait souligné en 1871 que la...
					
55. Ibid., p. 126, 3 février 1916.
56. Ibid., p. 101, 21 novembre 1915.
 
57. Ibid., p. 82, 12 septembre 1915.