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mercredi 18 décembre 2024

Le libéralisme, le national-socialisme et le managérialisme

 


🔸Depuis que Hannah Arendt a inventé et popularisé le terme de totalitarisme dans les années 1950, le cliché suivant s'est imposé dans les manuels d'histoire de l'Europe occidentale.

🔸Trois systèmes totalitaires ont vu le jour après le siècle de la Première Guerre mondiale :
- Le socialisme soviétique ;
- Le fascisme italien ;
- Le national-socialisme allemand.

🔸La démocratie libérale occidentale s'oppose à ces trois systèmes totalitaires. Le fascisme et le nazisme ont été vaincus pendant la Seconde Guerre mondiale et, après la chute du mur de Berlin en 1989, les démocraties libérales occidentales ont finalement vaincu le totalitarisme. Les auteurs libéraux de tendance hégélienne, comme Francis Fukuyama, parlent même de la fin de l'histoire.

🔸Il y a un "petit" mais important écueil dans cet exposé facile à comprendre : le modèle économique de ces trois régimes.
L'étude des fondements économiques du fascisme, du nazisme et du socialisme par l'école dite révisionniste américaine et d'éminents auteurs français comme Annie Lacroix-Riz, Christian Ingrao, Johan Chapoutot conduit à la conclusion que le terme de totalitarisme est excellent d'un point de vue idéologique (notamment dans la lutte contre le socialisme dans la seconde moitié du XXe siècle), mais qu'il est totalement inopérant d'un point de vue purement historique.

🔸Dans son livre Le choix de la défaite, l'historienne française Anne Lacroix Riz démontre de manière convaincante, en s'appuyant sur des archives d'un volume et d'un contenu impressionnants, les liens étroits entre les capitaux français et allemands avant et pendant la Première Guerre mondiale. Cette collaboration fructueuse s'est poursuivie pendant la Seconde Guerre mondiale.

🔸La Banque de France a soutenu économiquement le mouvement fasciste en Italie avec un objectif strictement défini : le remboursement des dettes des industriels et aristocrates italiens. Le mouvement fasciste promet la destruction des syndicats italiens, l'imposition par la force de bas salaires et d'une "haute productivité" comme programme économique pour le remboursement des dettes.

🔸Les "réparations de Versailles" sont l'une des explications les plus courantes de l'émergence du national-socialisme en Allemagne.
On parle rarement du fait que les principaux bailleurs de fonds qui ont financé la France et l'Angleterre pendant la Première Guerre mondiale - les banques américaines Morgan, National City Bank.

🔸First National Bank, Rothschild Bank, n'ont pas permis de rembourser plus de 15% des réparations imposées à l'Allemagne, car en plus de financer une partie de l'effort de guerre allemand, les banques en question ont financé l'industrialisation d'après-guerre qui a couvert les nouveaux armements de la République de Weimar.


🔸Depuis le mardi noir du 29 octobre 1929 à Wall Street, l'un des problèmes des banques mentionnées est le remboursement des emprunts dits "allemands".

🔸La politique "réussie" menée par B. Mussolini qui, s'appuyant sur une idéologie de nature nationaliste, a réussi à détruire les syndicats ouvriers, à réduire les salaires de 50 % dans l'intérêt du capital transnational et, en ce sens, à mener une défense efficace contre le "péril rouge" qui est édifiante.

🔸Sans le soutien financier crucial d'un capital intrinsèquement transnational, le parti national-socialiste d'Hitler aurait eu des chances similaires à celles de Mussolini en 1922 sans le soutien du capital français.

🔸Une autre chose dont on parle peu est le fait que les dettes aux banques américaines pendant la Seconde Guerre mondiale ont été payées "religieusement" grâce aux réserves d'or des pays conquis par le Troisième Reich (par exemple, en 1939, la Belgique a placé ses réserves d'or en "lieu sûr" auprès de la Banque de France, qui n'a pas hésité, quelques mois avant l'offensive allemande, à remettre ces fonds à Hitler, qui en a profité pour continuer à payer ses "dettes américaines"). Le plus intéressant est que le dernier paiement qui clôturait les dettes susmentionnées auprès des banques américaines a été transféré par la Reichsbank en avril 1945 !

🔸Après ce tableau général, il convient de s'attarder sur certains détails de la politique et de la pratique économique du Troisième Reich qui semblent curieusement "modernes".

🔸La République de Weimar a créé l'un des systèmes éducatifs les plus brillants d'Europe et du monde. Il "produit" un grand nombre de super-diplômés pour lesquels il n'y a tout simplement pas d'emplois décents, que ce soit dans les universités ou dans les entreprises privées.

🔸L'un des rares débouchés possibles pour leur développement "professionnel" était de faire partie de l'élite du mouvement SS national-socialiste allemand.

🔸Dans son livre "Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS", Christian Ingrao se penche sur la biographie de 40 docteurs en sciences qui sont devenus l'élite de la SS et se sont même élevés au rang de généraux SS.


🔸À partir de ses recherches approfondies, je voudrais me concentrer sur quelques faits : ces intellectuels (docteurs en droit, en histoire, en géographie, en économie, en philosophie) ne sont pas seulement devenus des idéologues intellectuels et des architectes de la structure économique et politique du Troisième Reich.

🔸Nombre d'entre eux ont participé directement aux commandos Einsatzgruppen dont la tâche directe était l'extermination physique des Juifs et des Slaves. Comment des pelotons de paisibles « hamburgers » ont-ils pu se transformer en tueurs en série, tuant chacun entre 100 à 3 000 personnes par jour ? Comment peut-on être convaincu qu'il faut tuer des femmes et des enfants sans défense ? Au nom de quoi ?

🔸Une telle transformation nécessite une motivation intellectuelle, idéologique et "scientifique" sérieuse, qui ne peut être fournie que par des intellectuels qui semblent "toucher à la réalisation" d'une utopie. Ils se sentent les acteurs directs de la construction de l'histoire et parviennent à convaincre massivement le reste de la société, usant pour ce faire d’un fanatisme hurlant, qu'ils ont eux aussi un rôle décisif et tangible à jouer dans la création du Reich de mille ans.

🔸Que valent les morts de quelques milliers, de quelques millions de femmes et d'enfants par rapport à la possibilité "concrète" de réaliser une utopie ?


🔸Ces intellectuels allemands, comme le national-socialisme lui-même, ne sont pas la création des Indiens Nambiquara ou des Zoulous. Ils font partie de la culture européenne. Ils y sont profondément enracinés et en sont même l'un des fruits les plus visibles.

🔸Il n'est donc pas étonnant que l'on puisse facilement reconnaître dans leurs paroles le colonialisme, le racisme et le darwinisme social inhérents à leurs idéologies néolibérales contemporaines.

🔸La seule différence est que les Espagnols, les Belges, les Néerlandais, les Français et les Anglais les ont appliquées en Amérique du Sud, en Afrique, en Inde et en Asie du Sud, alors que l'impulsion coloniale allemande a eu pour cadre l'Europe de l'Est et en particulier les territoires de la Pologne, de l'Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie.

Partie 1. Partie 2. Partie 3. Partie 4👇

🔸Depuis le XIIe siècle, la mission sacrée de l'Ordre Teutonique n'est plus tant la défense de Jérusalem que la conversion des barbares d'Europe de l'Est au catholicisme.

🔸Quoi de plus normal que le Troisième Reich cherche "légitimement" son espace vital ("Lebensraum") à l'Est ?
Les nouveaux docteurs en sciences sociales sont ceux qui non seulement développeront ce rêve sur le plan idéologique, historique et économique, mais participeront concrètement à sa réalisation.

🔸Il est peu connu que lorsque l'armée d'Hitler, forte de cinq millions d'hommes, a attaqué l'URSS en 1941, pas un seul pfennig n'a été prévu pour sa subsistance - elle devait non seulement subvenir à ses besoins, mais aussi envoyer de la nourriture en Allemagne pour éviter que la population du Reich ne connaisse la famine pendant la guerre.

🔸Dans les calculs et les plans de guerre, il est admis comme un prix tout à fait raisonnable que cela entraînera la mort par famine de plus de 30 millions de Slaves, qui sont considérés plus ou moins comme des sous-hommes (Untermensch) par rapport aux "maîtres allemands" (Herrenmensch).

🔸Herbert Backe, secrétaire du ministère de l'agriculture puis ministre (à partir de 1942) dans le cadre du plan quadriennal qu'il a élaboré pour le développement des terres d'Europe de l'Est, appelé "Plan Faim", a accepté ce fait assez froidement.

🔸Dans ce plan, on peut lire : "L'important est d'agir", de "prendre des décisions rapidement sans scrupule bureaucratique (keine Aktenwirtschaft). "Les dirigeants fixent un objectif (Endzeil) que les exécutants doivent atteindre sans perdre de temps, sans exiger de ressources supplémentaires... Ce qui importe, c'est que la mission soit accomplie, sans se soucier de la façon dont elle est accomplie. Becke recommande " la plus grande élasticité possible dans les méthodes utilisées ".

🔸Le choix de ces "méthodes est laissé à l’appréciation de chaque individu". ... Backe se considère comme un "homme performаnt" (Leistungsmensch) et regrette que son prédécesseur Darré ait été trop mou, c'est-à-dire un "loser" (Versager), terme que l'on pourrait facilement traduire par "perdant". "p.14-15 - "Libres d'obéir" J. Chapoutot.

🔸Faut-il s'étonner de la présence d'une terminologie néolibérale bien connue comme les oppositions : gagnant - perdant ; initiative - inertie ; flexibilité - rigidité, adaptation - bureaucratie ?

🔸Si nous continuons à lire les écrits d'éminents intellectuels allemands devenus cadres dans les SS et SD, nous trouverons une utilisation extensive de termes qui nous sont familiers dans le management néolibéral moderne, tels que "efficacité", "prise de responsabilité", "délégation de responsabilité", "joie dans le travail", "objectifs" et "missions".
Dans le "travail" de ces intellectuels nazis, nous trouverons leur intérêt particulier pour "l'organisation du travail" (Menshenfürung), que nous pourrions facilement traduire par "gestion".

🔸L'accent est mis sur la capacité à assurer une direction et une gestion efficaces - Fürung - ainsi que sur la délégation des responsabilités afin d'accomplir les missions aussi rapidement et efficacement que possible grâce à la gestion des "ressources humaines" et du "matériel humain". Dans un régime de guerre totale où il y a de moins en moins de personnel qualifié disponible et où il faut faire plus avec "moins", le problème très concret qui se pose est le suivant : "comment administrer un Reich en expansion constante avec de moins en moins de ressources et de personnel" ?

🔸Werner Best (l'un des chefs de la SS, conseiller juridique de la Gestapo) déclare: "Il faut administrer un peu, à bon prix, et dans l'intérêt du peuple", en d'autres termes: "Administrer à bon prix signifie administrer au coût le plus bas possible"
Mais comment cela se traduit-il dans la pratique ?

🔸Reinhard Höln (1904-2000), l'un des juristes et théoriciens juridiques les plus éminents du Troisième Reich, nous donne des réponses intéressantes et étrangement actuelles: en réduisant la charge de l'administration de l’État; en confiant ces missions à des "agences privées" qui entrent en concurrence les unes avec les autres afin d'être en mesure d'accomplir les missions assignées de la manière la plus efficace et au coût le plus bas possible.

🔸En d'autres termes, le Troisième Reich soutient intrinsèquement le "darwinisme social", qui est censé minimiser le "fardeau" de l'appareil d'État.

🔸D'autre part, le parti national-socialiste soutient le développement des entreprises privées et de l'industrie allemande, en créant les conditions optimales pour leur développement, en apportant une solution radicale à l'une des questions les plus délicates pour les entreprises, celle de la main-d'œuvre.

🔸Le paiement des salaires et de la sécurité sociale est l'une des principales dépenses de toute grande entreprise. Dans le Troisième Reich, le problème des mouvements syndicaux et des demandes d'amélioration sociale a été résolu encore plus rapidement et plus efficacement qu'en Italie.

🔸Mais cela ne semble pas suffire : il reste le problème des salaires, qui doivent toujours être payés pour éviter que les travailleurs ne meurent de faim.

🔸Ce "problème" trouve également sa solution dans l'utilisation d'une main-d'œuvre esclave provenant de toute l'Europe et en particulier de Pologne, d'Ukraine, de Biélorussie et de Russie. Les travailleurs peuvent mourir de faim et d'épuisement simplement parce qu'on leur trouve un remplaçant rapide dans les camps de travail et de concentration.

🔸D'autre part, les travailleurs allemands qualifiés doivent être motivés et efficaces pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions.

🔸L'organisation DAF qui a remplacé les syndicats allemands a pour mission d'optimiser le lieu de travail. Sa section loisirs, le KdF, "vise à rendre le lieu de travail beau et heureux et à permettre ainsi aux travailleurs de retrouver leur force productive". Le Kdf - a initié des activités telles que des excursions organisées, des compétitions sportives dans la nature, des croisières maritimes et fluviales, des vacances dans des stations de montagne et des stations balnéaires.

🔸Ainsi, les vacances ne sont pas seulement destinées à permettre au travailleur qualifié de se reposer, de revenir avec joie et force sur son lieu de travail, mais aussi de se sentir partie prenante du collectif, de s'engager dans le processus de travail, de faire preuve d'initiative. En d'autres termes, d'être LIBRE D’OBEIR.

🔸Le Troisième Reich est devenu un laboratoire fructueux pour les expériences néolibérales. Dans les années 1930 et 1940, les actions des entreprises allemandes constituaient l'investissement le plus rentable pour le capital "démocratique".


🔸Faut-il se demander pourquoi des entreprises comme Rhein Metal, Porsche, Zeiss, Bayern, malgré leur collaboration évidente avec le Troisième Reich et l'utilisation de "main-d'œuvre esclave", n'ont pas disparu après la Seconde Guerre mondiale, mais se sont contentées de verser à leurs actionnaires des compensations limitées, sans commune mesure avec les milliards de bénéfices qu'ils ont engrangés au cours des douze années de national-socialisme ?

🔸Les relations entre les cadres de la SS et les entreprises allemandes se sont poursuivies après 1945.
Pour contrer la menace soviétique, qui de mieux que les anciens cadres de la SS et du SD?

🔸Le modèle économique allemand et les pratiques économiques néolibérales du national-socialisme se sont développées, et trouvent leur continuité en devenant l'ordo-libéralisme.

🔸Il peut être intéressant de retracer le destin du professeur de droit constitutionnel et économique à l'université de Berlin, général dans la SS, Reinhard Höln.

🔸Après 1945, il s'est vu retirer son doctorat, ce qui l'a amené à en rédiger un nouveau.
Dans la mesure où il n'a pas participé directement à des meurtres de masse, il n'a pas été condamné.

🔸Grâce à l'aide d'Ernst Ashenbah, qui s'occupe de la réhabilitation et de l'aménagement du travail des anciens cadres SS et SD, Reinhard Höln, deviendra en 1953 directeur de la Société allemande de politique économique (Deutche Volkswirstschaftliche Gesellshaft, DVG), dont l'objectif est de "développer et enseigner des stratégies de gestion des ressources humaines adaptées à notre époque" - en d'autres termes, des managers sur le modèle américain. Le modèle, c'est la Harvard Business School, l'INSEAD en France.

🔸Campus de la DVG à Bad Harzburg. Sous la direction charismatique de Reinhard Höln, une école a été créée, par laquelle plus de 500 000 employés allemands d'Audi, Aldi, Bayern, Porche, etc... sont passés de 1953 à 1980 (date à laquelle un scandale a éclaté concernant son passé de général SS). En outre, un contrat-cadre a été signé pour rationaliser l'administration allemande.


🔸Le professeur Höln a publié plus de 40 livres qui sont devenus des best-sellers tels que : "Le pain quotidien du management", "La secrétaire et son patron", "Un guide de la société anonyme", dont la pierre angulaire est le concept de "management par délégation de responsabilités", qui est devenu la carte de visite de la méthode dite de Bad Harzburg.

🔸Ne nous méprenons pas : nous ne voulons en aucun cas dire qu'il existe un lien de cause à effet entre la gestion néolibérale et ses stratégies, et le national-socialisme.

🔸Tout ce que nous essayons de faire, c'est de dissiper le nuage rose qui fait du néolibéralisme un combattant de la liberté et des droits de l'homme s'opposant au totalitarisme.

🔸Nous avons essayé de montrer que ces pratiques économiques peuvent parfaitement exister et se développer dans le cadre d'un régime autoritaire de Führung (direction), qui peut facilement conduire à la "nécessité" d'un Führer.

🔸Un regard attentif et idéologiquement impartial sur le passé devrait nous donner les moyens d'une autodéfense intellectuelle face aux mécanismes et pratiques économiques néolibérales qui conduisent à la transformation des citoyens en un troupeau de travailleurs dociles et complaisants.

🔸Loin d'être une garantie de démocratie et de liberté, le libéralisme peut parfaitement exister au sein d'un régime autoritaire qui, grâce à une habile propagande, nous permet de baigner dans une illusion de liberté. LIBERTÉ D'OBÉIR.

lundi 9 décembre 2024

Le Royaume-Uni et ses crimes contre l’humanité à travers l’histoire

 Source: https://www.legrandsoir.info/le-royaume-uni-et-ses-crimes-contre-l-humanite-a-travers-l-histoire.html


 
 

Plus personne n’ignore le rôle macabre que le Royaume-Uni joue dans les événements tragiques qui ont lieu en Ukraine.

Fin novembre 2023, David Arakhamia, qui n’est personne d’autre que le chef de la fraction parlementaire du parti de Volodymyr Zelensky « Serviteur du Peuple », a évoqué dans une interview accordée à la chaîne de télévision ukrainienne « 1+1 » les circonstances des négociations entre la Russie et l’Ukraine qui ont eu lieu à Istanbul en mars-mai 2022 alors qu’il était à la tête de la délégation ukrainienne.

Arakhamia se souvient de la position des Russes à l’époque : « Ils ont espéré presque jusqu’au dernier moment que nous allions accepter la neutralité. Cela était leur objectif principal. Ils étaient prêts à terminer la guerre si nous prenions la neutralité - comme la Finlande autre fois - et si nous prenions des obligations de ne pas entrer dans l’OTAN ».

En parlant des raisons de l’annulation de l’accord il n’en a évoqué qu’une seule sérieuse - la visite du premier ministre britannique Boris Johnson à Kiev, le 15 novembre 2022 : « ...Boris Johnson est venu à Kiev et a dit que « nous ne signerons rien du tout avec eux. Nous allons, tout simplement, faire la guerre ».

Il est à noter que le parlementaire n’a pas prononcé un seul mot concernant le massacre de Boutcha. Et, rappelons-nous, l’unique version officielle de Kiev et du camp « atlantiste » de l’époque de la raison de l’arrêt des pourparlers avec les Russes et de l’annulation de l’accord d’Istanbul était le prétendu « massacre de la population civile perpétré par des troupes russes à Boutcha ».

Ce bras droit de Zelensky termine son interview avec la grande fierté d’avoir dupé la délégation russe : « Nous avons accompli notre mission de faire trainer les choses avec la note 8 sur 10. Ils se sont [les russes] décontractés, sont partis - et nous avons pris la direction de la solution militaire ».

Cette révélation a fait découvrir au grand public ukrainien stupéfait la réalité de la guerre qui aurait pu aisément être arrêtée à ses débuts et que ce n’est qu’à l’initiative directe de l’Occident collectif via son émissaire Boris Johnson qu’elle a été relancée d’une manière forcée et a eu comme conséquences des centaines de milliers de morts ukrainiens et encore davantage de blessés graves et de mutilés, ainsi que la destruction quasi totale de l’économie et des infrastructures du pays. Il faudra des décennies au pays pour s’en remettre et revenir au niveau d’avant-guerre qui était déjà tout à fait déplorable.

Allocution du représentant de la Russie au conseil de sécurité de l’ONU

Ayant actuellement la présidence du Conseil de Sécurité de l’ONU, le Royaume-Uni a organisé, le 18 novembre 2024, une réunion sur l’Ukraine dédiée à 1000 jours depuis « l’agression de l’Ukraine par la Russie ».

Il y a beaucoup à dire sur les donneurs de leçon sur « la paix, la démocratie et les droits de l’homme » produite par les représentants de l’île britannique. Cela étant, dans ces pages je ne me limiterai qu’à l’exposition de la traduction intégrale de l’allocution de Vasiliy Nebenzia, représentant permanent de la Fédération de Russie à la réunion du conseil de sécurité de l’ONU sur l’Ukraine, qui expose précisément à qui nous avons affaire, quand on parle de la couronne britannique, et je ne rajouterai que quelques faits supplémentaires pour compléter la vision de la réalité souvent méconnue par un grand nombre de lecteurs :

« Monsieur le Président,

Il y a un certain symbolisme dans le fait que ce sont nos collègues britanniques qui présideront le Conseil de sécurité ce mois-ci, qui ont insisté pour que la réunion d’aujourd’hui coïncide avec 1 000 jours depuis que la crise ukrainienne est entrée dans une phase chaude. Nous avons, une fois de plus, eu une excellente occasion de nous assurer que, pour vous et vos collègues, il ne s’agit que d’un prétexte médiatique accrocheur pour diffamer la Russie, en y accrochant ces étiquettes éculées qui, comme on pouvait s’y attendre, abondaient dans les discours des membres occidentaux du Conseil. Et dans votre pays – la Grande-Bretagne – la russophobie a longtemps été élevée au rang de politique d’État, bien avant février 2022.

Permettez-moi de vous rappeler qu’en préparant la réunion d’aujourd’hui, vous avez manqué une autre occasion médiatique, bien plus importante dans le contexte de la crise ukrainienne que la date que vous avez choisie. Vendredi dernier, le 15 novembre, cela faisait exactement 950 jours depuis la visite de l’ancien chef du gouvernement britannique Boris Johnson à Kiev, lorsque, comme nous le savons tous avec certitude, il avait dissuadé le chef du régime de Kiev de signer un accord de paix avec la Russie, paraphée à Istanbul, qui mettrait un terme aux hostilités. Nous en étions alors très proches. En signe de bonne volonté, la Russie a même retiré ses troupes du nord de l’Ukraine, notamment à proximité immédiate de Kiev.

En d’autres termes, 50 jours après le début de notre opération militaire spéciale, alors que les pertes dans les rangs des forces armées ukrainiennes n’étaient pas si importantes, les opérations militaires avaient toutes les chances de prendre fin, sans l’intervention du Premier ministre britannique, qui a convaincu Zelensky qu’il devait continuer à se battre et qu’avec l’aide et le soutien des pays occidentaux il pourrait bien infliger à la Russie une défaite stratégique, ce qui intéressait précisément le Premier ministre britannique et ses complices occidentaux. Et pour expliquer d’une manière ou d’une autre un tel tournant de l’opinion publique ukrainienne et mondiale, avec la participation directe des services de renseignement britanniques et des médias, une provocation absolument maladroite a été concoctée à Boutcha, où, après le retrait de l’armée russe, des cadavres de personnes ont été amenés et étalés dans les rues, dont personne n’a pris la peine d’expliquer l’origine et la véritable cause du décès, malgré nos requêtes répétées.

De manière générale, il s’avère que la Grande-Bretagne a poussé le régime de Kiev vers une défaite inévitable, provoquant son choix en faveur de la poursuite de la confrontation avec la Russie. Je pense qu’en Ukraine, ils n’oublieront pas avant longtemps que c’est à cause des actions de votre pays que cet État se trouve aujourd’hui dans une situation économique terrible, a perdu la majeure partie de son armée et de son équipement militaire, et a également perdu au moins quatre régions, en plus de celle qui a été libérée en 2014 de la Crimée ukrainienne.

Les Ukrainiens ont depuis longtemps cessé de vouloir se battre ; l’armée ukrainienne a oublié depuis deux ans ce que sont les volontaires et le régime de Kiev, ayant empêché les hommes de quitter le pays, attrape aujourd’hui dans les rues les réfractaires, y compris en utilisant des armes à feu, et les envoie de force vers le hachoir à viande inutile et pratiquement sans préparation. Le front oriental des forces armées ukrainiennes dans le Donbass s’effondre sous nos yeux. Vous êtes bien conscient du rythme d’avancée de notre armée, et le régime de Zelensky, essayant de maintenir le soutien de l’Occident, a fait une incursion absolument insensée dans la région de Koursk et a tenté de s’emparer et de faire exploser la centrale nucléaire de Koursk, ce qui a coûté aux forces armées plusieurs dizaines de milliers de soldats bien entraînés. Cette aventure a été une erreur fatale et n’a fait qu’accélérer l’inévitable future défaite de l’Ukraine sur le champ de bataille, qu’aucune nouvelle arme occidentale ne pourra l’aider à éviter.

Les initiateurs de la réunion d’aujourd’hui devraient, par souci de transparence, partager avec nous les fabuleux bénéfices financiers que la Grande-Bretagne a reçus pendant près de trois ans de soutien militaire à l’Ukraine, comment vos sociétés d’armement se sont enrichies grâce au sang et aux tragédies des Ukrainiens ordinaires, et comment votre ministère de la Défense a réussi à se débarrasser de vieux équipements militaires en le vendant à des prix faramineux à l’Ukraine en guerre, au lieu de dépenser des sommes considérables pour les recycler. Il serait également intéressant de parler de la corruption qui accompagne ces processus, dont on ne peut que deviner l’ampleur. Ainsi, comme l’écrivent les médias ukrainiens eux-mêmes, après la victoire de Donald Trump aux élections aux EU, la panique s’est installée au sein de l’élite ukrainienne, non seulement parce que les États-Unis pourraient reconsidérer leur aide à l’Ukraine, mais parce que les nouvelles autorités pourraient vouloir gérer tout cet argent qui était envoyé en Ukraine et procéder à un audit comptable complet de l’aide déjà fournie. Ce scénario, comme le notent unanimement les experts ukrainiens, est bien le plus terrible pour Zelensky, car une partie importante de l’aide est simplement volée et appropriée par le président ukrainien périmé et son entourage.

Si l’on considère que le volume de l’aide militaire de la Grande-Bretagne à la junte de Kiev depuis février 2022 s’élève à lui seul à 9,7 milliards de dollars, votre pays apporte sans aucun doute également sa contribution à la croissance de la corruption en Ukraine. Certes, il est peu probable que nous attendions des enquêtes pertinentes de la part des autorités britanniques, car dans de tels cas, comme nous le savons, le plus important pour les enquêteurs c’est de ne pas trouver des coupables chez eux.

Monsieur le Président, en fait, pour ceux qui connaissent l’histoire du Royaume-Uni, ses nombreuses années d’intervention en Ukraine, qui ont abouti aux actions mentionnées ci-dessus, ne constituent nullement une révélation. Après tout, le Royaume-Uni se moque profondément de ses voisins, provoquant la discorde entre les États et les peuples, puis soutenant certains d’entre eux contre d’autres, avec enthousiasme et le savoir-faire acquis dans ce domaine depuis des siècles - toutes vos anciennes colonies peuvent en parler avec éclat. Soit dit en passant, sur les 193 membres actuels de l’ONU, seuls 22 États peuvent se vanter que leur territoire n’ait jamais été envahi ni combattu par la Grande-Bretagne. Notre pays ne fait pas exception à la règle : la dernière invasion de ce type a été l’intervention britannique après les événements révolutionnaires de 1917, lorsque divers prédateurs et vautours ont tenté de mettre la Russie en pièces.

Mais nous avons survécu, nous en sommes sortis, sommes devenus plus forts et sommes désormais contraints de lutter contre une nouvelle intervention par procuration des membres de l’OTAN luttant contre la Russie en Ukraine, y compris la Grande-Bretagne. C’est ainsi que l’on peut percevoir non seulement l’injection continue d’armes dans le régime de Kiev et son alimentation en données de renseignement, mais aussi la présence d’instructeurs et de mercenaires britanniques, dont des centaines ont déjà été éliminés, ainsi que les tentatives de spécialistes britanniques de créer la production de drones, de missiles et de bateaux sans pilote en Ukraine.

Nous comprenons qu’au XXIe siècle, il est difficile de laisser l’Ukraine et la Russie tranquilles, car les gènes des colonialistes qui, pendant des siècles, ont semé le chaos en Asie, en Afrique et en Europe, font des ravages. Nous savons tous que l’Empire britannique a réprimé brutalement et cyniquement la résistance de ses colonies pendant 250 ans, recourant à l’assimilation forcée et à la discrimination raciale, oubliant les valeurs humaines simples et les droits des peuples sous sa domination. Ce sont les populations civiles des pays colonisés qui ont payé de leur vie et de leur liberté les ambitions impériales de la métropole.

Il suffit de rappeler le nettoyage ethnique en Irlande, alors que sur une population de plus de 1,5 millions d’habitants, il n’en restait plus que 850 000 après la conquête britannique. Et pendant la Seconde Guerre des Boers, au tournant des XIXe et XXe siècles, ce sont les Britanniques qui furent les premiers à inventer les camps de concentration et à y rassembler la population civile pour qu’elle n’aide pas l’armée des Boers. On ne sait pas combien de personnes sont mortes à cette époque, car les Britanniques ne considéraient pas la population indigène d’Afrique comme un peuple et, en principe, n’avaient pas comptabilisé les pertes parmi les Africains. Bien que l’on sache qu’au Kenya, après le soulèvement de Mau-Mau, les Britanniques ont mené des répressions massives, assassinant environ 300 000 représentants de cette nation et chassant encore un million et demi de personnes dans des camps et en les transformant en esclaves. Et en Inde, qui a subi d’énormes dégâts pendant la période de domination britannique, entre 15 et 29 millions de personnes ont été victimes de la famine provoquée par la seule Grande-Bretagne.

Les conséquences des actions des anciens colonialistes se font encore sentir dans le monde moderne. Et bien que les empires coloniaux appartiennent formellement au passé, les anciennes méthodes – pression, manipulation et ingérence dans les affaires souveraines – continuent d’être utilisées sous de nouvelles formes. Non seulement la Grande-Bretagne n’est pas ici une exception, mais plutôt un « créateur de tendances » et, malgré tout, elle connaît des douleurs fantômes pour un empire sur lequel « le soleil ne se couchait jamais », nostalgique de la domination mondiale perdue, recourt au chantage et aux sanctions, en collaboration avec des partisans partageant les mêmes idées. Les Franco-Saxons sont engagés dans le renversement de gouvernements indésirables par le biais de « révolutions de couleur », dont l’une des victimes fut l’Ukraine en 2014.

Nous disons tout cela pour souligner qu’il n’y a pas et ne peut pas y avoir de droit moral de blâmer ou de reprocher quoi que ce soit à notre pays, qui s’est donné pour mission de se débarrasser du « nid de frelons » nationaliste et néo-nazi que vous nourrissez à nos frontières. Jusqu’à ce que ces menaces, y compris l’absorption de l’Ukraine par l’OTAN, soient éliminées, jusqu’à ce que cesse la discrimination contre la population russophone basée sur la langue, la foi, l’histoire, jusqu’à ce que l’Ukraine cesse de blanchir et de glorifier les complices d’Hitler, notre opération spéciale se poursuivra. Ces objectifs seront atteints dans tous les cas, diplomatiquement ou militairement, quels que soient les plans et projets de « paix » développés en Occident dans le but de sauver l’acteur du divertissement Zelensky et sa clique. Et indépendamment de la frénésie militariste de l’administration démocratique qui, après avoir lamentablement perdu les élections présidentielles et perdu la confiance de la majeure partie de sa propre population, est, selon les médias, en train de délivrer des « autorisations » suicidaires au régime Zelensky d’utiliser des armes à longue portée pour frapper en profondeur le territoire russe. Peut-être que Joe Biden lui-même, pour de nombreuses raisons, n’a rien à perdre, mais la myopie des dirigeants britanniques et français, qui se précipitent pour jouer le jeu de l’administration sortante et entraînent non seulement leurs pays, mais aussi l’ensemble du pays de l’Europe vers une escalade à grande échelle aux conséquences extrêmement graves, est frappant. C’est exactement ce à quoi nos anciens « partenaires » occidentaux feraient bien de réfléchir avant qu’il ne soit trop tard.

Ceux qui ont récemment parlé d’une sorte de « gel » du front et de divers projets similaires aux « accords de Minsk » rejetés à un moment donné par l’Ukraine et ses patrons occidentaux devraient également s’en souvenir. Ne perdez pas de temps, nous n’avons plus aucune confiance en vous et nous nous contenterons que d’une solution qui éliminera les causes profondes de la crise ukrainienne et ne permettra pas qu’une telle situation se reproduise. Et nous vous conseillons d’oublier les tentatives visant à vaincre la Russie sur le champ de bataille. L’Europe a essayé de le faire à plusieurs reprises, et on sait comment cela a abouti à chaque fois. Merci de votre attention. »

Le supplément de la réalité sur la grande « démocratie » Britannique : le cannibalisme à l’occidental

En exposant la véritable nature profondément sordide et sanguinaire de la couronne britannique (à ne pas confondre la couronne et son appareil exécutif avec le peuple), il est à souligner que le représentant de la Russie au conseil de sécurité de l’ONU a fait une remarquable preuve d’amabilité et de retenue en décrivant les « exploits » du pouvoir britannique à travers l’histoire et jusqu’à ce jour.

Notamment, en parlant des 15-29 millions de morts dus à la famine orchestrée par les Britanniques en Inde, considéré en tant que « joyau de la Couronne » britannique, il n’a pas précisé que selon les études historiques les plus sérieuses, la colonisation britannique de l’Inde a causé en tout non pas 29 millions, mais dans les 165 millions de morts Indiens tant par la famine que par les conditions de travail comparables à celles des esclaves en faveur de l’ile britannique. Ne serait-ce qu’entre 1875 et 1900, environ 26 millions de personnes y ont été mis à mort.

Lorsque les statistiques dignes de ce nom sont apparues, l’espérance de vie en Inde en 1911 n’était que de 22 ans. Cependant, l’indicateur le plus éloquent était l’accessibilité des céréales alimentaires. Si en 1900, la consommation annuelle par habitant était de 200kg, à la veille de la Seconde guerre mondiale elle était déjà de 157kg. En 1946, elle est tombée encore plus - à 137 kg/hab. Soit, proportionnellement, le petit-fils mangeait 1,5-2 fois moins que son grand-père à l’époque.

Winston Churchill, le grand démocrate et combattant pour la liberté face à l’obscurantisme, disait : « Je hais les Indiens ! Ce sont des gens semblables à des bêtes avec une religion bestiale. La famine - c’est leur propre faute, car ils se reproduisent comme des lapins ! »

Cependant, les lapins ne sont pas à blâmer : la famine en Inde était due quasi exclusivement au fait qu’en près de 200 ans de sa présence parasitaire en Inde, la « Grande » Bretagne a pompé du territoire occupé l’équivalent de 200 milliards de dollars d’aujourd’hui. Pour apprécier la démesure de cette exploitation, il suffit de se rappeler, par exemple, le PIB des Etats-Unis d’Amérique qui en 2023 était de 27,36 milliards de dollars.

Le représentant de la Russie à l’ONU, n’a pas mentionné non plus l’un des plus importants génocides dans l’histoire de l’humanité, directement organisé par la couronne britannique. Celui des Chinois au XIXème siècle.

À la suite des deux « guerres de l’opium » menées par la Grande Bretagne (appuyées par la France), dont l’une des principales raisons était le déséquilibre de la balance commerciale en faveur de la Chine, le 25 octobre 1860, le traité de Pékin a été signé par le gouvernement Qing défait.

Hormis un grand nombre de concessions en faveur des Britanniques, dont l’expropriation de Hong-Kong, c’est, surtout, l’ouverture du marché chinois à la production occidentale qui a eu lieu. La marchandise qui pouvait égaliser la balance commerciale, apportant au passage de faramineux profits financiers aux britanniques, était l’opium. Ainsi, le flux constant de quantités gigantesques d’opium vendu par les Britanniques en Chine, via la porte d’entrée qui est devenue Hong-Kong, a été mis en place et a conduit vers une propagation sans égale de la toxicomanie parmi les populations. La propagation qui a directement mené vers une gravissime dégradation de l’état de santé de la nation chinoise et vers l’extinction massive de la population.

Il est difficile de quantifier précisément le nombre de morts causés par les vendeurs de drogues en faveur de la couronne britannique : selon les diverses études il se situe entre 20 et 100 millions de victimes.

Lors de la réunion au conseil de sécurité de l’ONU, Vasiliy Nebenzia, représentant permanent de la Russie aux Nations unies, n’a pas mentionné non plus la grande famine organisée en 1943 par la couronne britannique au Bengale. Au cours des sept premiers mois de 1943, 80 000 tonnes de céréales alimentaires ont été exportées du Bengale déjà affamé. Les autorités britanniques, craignant l’invasion japonaise, ont utilisé la tactique de la terre brûlée, en ayant pas le moindre scrupule vis-à-vis des populations locales laissées d’une manière préméditée à la mort certaine de faim. Non seulement la nourriture a été volée, mais également tous les bateaux capables de transporter plus de 10 personnes (66 500 navires au total) ont été confisqués, ce qui a mis à mort la pêche locale, ainsi que le système de transport par voie navigable que les bengalis utilisaient pour livrer de la nourriture. Une fois de plus, les chiffres précis de la politique britannique au Bengale sont inconnus - le nombre de morts de faim est estimé de 0,8 à 3,8 millions de personnes. Certains chercheurs indépendants estiment que même le nombre proche de 4 millions de morts qui vient des sources britanniques est inférieur à la réalité.

Par ailleurs, les débuts du supplice du Bengale sous l’occupation britannique ne date guère de 1943. Déjà en 1770, lors d’une sécheresse qui a tué environ un tiers de la population du Bengale - près de 10 millions de personnes - la Compagnie britannique des Indes orientales, qui a occupé le pays pendant cinq ans, n’a jamais envisagé de prendre la moindre mesure pour contrer la tragédie qui s’est déroulée sous ses yeux. Bien au contraire : pendant cette famine qui fait partie des plus importantes dans l’histoire de l’humanité, les fonctionnaires britanniques coloniaux sur place faisaient des rapports de bonheur et de satisfaction à leurs supérieurs à Londres sur l’augmentation de leurs revenus financiers grâce au commerce et à l’exportation de produits alimentaires depuis le Bengale.

Un grand nombre de crimes contre l’humanité perpétrés pas la couronne britannique à travers l’histoire ne sont pas comptabilisés sur ses pages qui ne recensent qu’une partie de ces derniers et qui n’ont eu lieu qu’avant la fin de la seconde guerre mondiale.

Il faut bien plus de pages pour décrire toutes les atrocités, y compris celles dès 1946 et à ce jour, commises par Londres vis-à-vis de tant de peuples sous le mode opératoire et la devise principale « diviser pour régner et tirer les profits », dont la dernière en date est sa participation directe et majore dans la mise en place des éléments menant au déclenchement inévitable de la guerre sur le territoire de l’Ukraine et à la pérennisation du conflit qui a déjà causé plus d’un million de morts, de mutilés et de blessés parmi les deux peuples-frères pour la plus grande satisfaction et profit des tireurs de ficelles anglo-saxons qui agissent en bande organisée de pyromanes mettant le monde à feu et à sang et en donnant au passage des leçons sur la paix, la démocratie, la liberté et les droits de l’homme.

Oleg Nesterenko
Président du CCIE (www.c-cie.eu)
(Ancien directeur de l’Institut International de la Reconstruction Anthropologique, ancien directeur de l’MBA)

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1er décembre 1944 : Le massacre de Thiaroye : Morts par la France

Source: https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/1er-decembre-1944-le-massacre-de-thiaroye-morts-par-la-france/

Je suis le nouveau prof d′histoire,

le cours d’aujourd′hui c’est sur Thiaroye 44

Disiz la peste de son vrai nom Serigne M’Baye Gueye[1]

Qui a déjà entendu parler du massacre de Thiaroye ? Pour les Français, même militants, c’est un massacre parmi tant d’autres, mais pour les Africains, Thiaroye ne fut pas un fait divers. Il fut et il reste un marqueur pour toutes les générations. Aujourd’hui d’importantes cérémonies d’hommage sont prévues au Sénégal afin de faire la lumière sur ce crime colonial si peu connu en France et qui s’inscrit dans la droite ligne de tous les crimes impérialistes.

Il y a 80 ans, le 1er décembre 1944, à 15 kilomètres de Dakar au Sénégal, l’armée française commit en effet un épouvantable massacre. Le jour n’était pas encore levé sur le camp de Thiaroye (vaste camp de 40 km2), lorsque les tirailleurs dits « sénégalais » (il s’agissait en fait de soldats qui avaient été raflés dans l’ensemble de l’Afrique coloniale française) virent entrer des troupes coloniales dans le camp. Ces unités militaires – plus de mille « indigènes » et plus d’une centaine d’Européens, encore sous l’autorité vichyste – assistées d’armes lourdes – un char, des automitrailleuses, des half-tracks – rabattirent les tirailleurs sur une esplanade. Deux heures plus tard les corps des « tirailleurs » s’entassaient sur la vaste place rouge de sang.

Morts POUR la France ou morts PAR la France ?

Après la défaite de mai-juin 1940, ces troupes coloniales avaient été faites prisonnières et enfermées dans des Frontstalags[2] où elles furent d’abord gardées par des nazis puis carrément par leurs propres officiers (à partir de 1943, les Allemands obtinrent effectivement du gouvernement de Vichy que ces soldats soient surveillés par des gardiens français) lorsque les Allemands partirent s’embourber dans les vastes plaines russes. Quelle humiliation pour ces valeureux soldats qui étaient venus se battre pour la « mère patrie »[3] !

La guerre finie, 1200 à 1800 tirailleurs sénégalais qui avaient enduré le froid, la faim, la peur, la captivité et la souffrance, durent quitter la métropole – quelques centaines ayant refusé dès la France puis au Maroc de s’embarquer – en n’ayant touché qu’un quart de leur solde, et débarquèrent sur leur terre natale le 21 novembre 1944. À 15 km de Dakar, dans le camp de Thiaroye, ils attendirent donc leurs arriérés de solde, de prime, de démobilisation comme cela avait été le cas pour le reste des troupes françaises, refusant de rentrer dans leurs villages perdus du Soudan ou de Haute Volta sans leur dû. À leur départ de France, les autorités leur avaient expliqué que le paiement de leur solde ne pouvait pas se faire en métropole car soi-disant la monnaie française n’avait pas cours en Afrique équatoriale française et qu’ils seraient donc payés en Afrique.

Mais une fois arrivés à Dakar, plus question de paiement. Les pauvres tirailleurs eurent alors l’audace de protester. Le 28 novembre 1944, le général Marcel Dagnan se rendit à la caserne de Thiaroye, accompagné de quelques officiers, soi-disant pour écouter leurs doléances mais en fait surtout pour leur réitérer l’ordre arrogant de rentrer dans leurs villages. Les tirailleurs durcirent alors un peu le ton en réclamant leurs droits. Afin de pouvoir se sortir au plus vite de ce guêpier, le général leur fit la promesse qu’ils recevraient leur dû. Mais en fait de dû, il les accusa immédiatement de mutinerie.

Ces humbles soldats, originaires de toute l’Afrique occidentale française, furent rassemblés sur une esplanade et littéralement massacrés à la mitrailleuse[4]. Le bilan officiel de l’époque fut de 35 morts ! Allons donc ! Plus de 500 cartouches ont été retrouvées sur place ! Certains historiens, comme Armelle Malon, estiment plutôt que l’épouvantable bilan serait plutôt de l’ordre de 400 morts enfouis dans des fosses communes. Les rapports militaires contradictoires, totalement à charge, sont la preuve que « la fraude, l’écriture de faux, a été réalisée à une grande échelle. […] Dans la moiteur de l’Afrique tropicale – certes relative au mois de décembre à Dakar – c’est bien le haut commandement militaire français qui est impliqué dans cet « acte honteux », comme l’écrit Martin Mourre[5], chercheur affilié à l’Institut des mondes africains (IMAf-EHESS). Dans la préface de la thèse de ce chercheur, l’historien congolais Elikia M’bokolo qualifie ce massacre de « crime de guerre » et il ajoute : « Voilà ce que fut la tragédie de Thiaroye ! Que dis-je, non pas une tragédie, un crime de toute évidence ! Un crime de plus dans la longue, trop longue liste des crimes coloniaux »[6].

De fait, il s’agit bien d’un crime colonial. En effet, au lieu de suivre les demandes du député radical de gauche Gaston Monnerville qui réclamait une commission d’enquête, les autorités militaires désireuses d’inverser la charge de la responsabilité, arrêtèrent les prétendus meneurs et, en mars 1945 dans un procès militaire expéditif (pléonasme), condamnèrent 34 d’entre eux à de très lourdes peines allant de une à dix années de prison, principalement pour des faits de rébellion. Certains d’entre eux furent incarcérés à Gorée. Ce nom ne vous dit rien ? C’est de là que partirent durant plusieurs siècles, des bateaux chargés d’esclaves pour les Amériques. Vous rendez-vous compte du symbole ? D’autres furent emprisonnés en Mauritanie, dans des zones désertiques, dans des chaleurs éprouvantes. Finalement ils furent libérés, puis graciés au printemps 1947 (mais cinq d’entre eux étaient déjà morts et pour cause), ce qui ne les rétablissait absolument pas dans leurs droits.

L’avocat des tirailleurs sénégalais, maître Lamine GUEYE écrivit à propos de ces malheureux le 7 décembre 1944 à Gaston Monnerville : « Des hommes qui avaient combattu pour la France, avaient été prisonniers en France, avaient par miracle échappé à la mort. Quand ils sont revenus sur le sol natal, au moment de revoir leur foyer et leur famille, ils ont été tués par des balles françaises, pour une misérable question de sous. »[7].

Qu’à cela ne tienne, le général de la division Sénégal/Mauritanie, Marcel DAGNAN, ne démordra pas de son arrogante assurance : « Il était nécessaire de rétablir la discipline et l’obéissance par d’autres moyens que les discours et la persuasion. Tout est rentré tragiquement dans l’ordre. » Sinistre expression favorite des massacreurs de ce monde.

« L’ordre règne à Varsovie[8] », « l’ordre règne à Paris[9] », « l’ordre règne à Berlin[10] ». Tous les demi-siècles, les gardiens de « l’ordre » lancent ainsi dans un des foyers de la lutte mondiale leurs bulletins de victoire. Et ces « vainqueurs » qui exultent ne s’aperçoivent pas qu’un « ordre », qui a besoin d’être maintenu périodiquement par de sanglantes hécatombes, va inéluctablement à sa perte », prédisait déjà Rosa Luxembourg le 14 janvier 1919 (avant d’être assassinée le lendemain).

De l’hommage en poèmes, en musique et images à la lutte anticoloniale.

En réalité, en guise d’ordre, craignant des émeutes à Dakar et l’émotion que pouvait provoquer en métropole cet abominable massacre, les autorités françaises firent tout pour étouffer ce crime contre l’humanité. Mais par les ruelles, par les marchés, le bruit se répandit bien vite et s’amplifia en France, dans les textes des intellectuels, dans les rangs de l’Assemblée… Ainsi Léopold Sedar Senghor, alors député du Sénégal, qui fut lui aussi simple soldat fait prisonnier durant la Deuxième guerre mondiale et qui aurait pu faire partie des victimes, écrivit un poème « Tyaroye » paru dans « Hostie noires » en 1948.

« Prisonniers noirs, je dis bien prisonniers français, est­‐ce donc vrai que la France n’est plus la France ? […] Non, vous n’êtes pas des morts gratuits. Vous êtes les témoins de l’Afrique immortelle, vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain. »

Certes il n’eut guère d’influence lors de sa sortie. D’autant que dès que Senghor devint président du Sénégal en 1960, il ne revint jamais sur cet événement. Les militants de la gauche sénégalaise virent dans ce silence la preuve que Senghor n’avait pas rompu avec l’ancienne puissance coloniale. Ce beau chant funèbre en effet garantissait à ces victimes de la barbarie impérialiste « une survie dans l’honneur, dans l’espoir d’une future vie dans la mémoire de l’Afrique immortelle »[11], mais surtout permit à Senghor « d’éviter de parler des exactions du système colonial, purement et simplement, le travail forcé il ne s’indigne que des mauvais traitements […]. Il ne considère pas que la colonisation est un système, mais que c’est quelque chose que l’on peut corriger. »[12]

Beaucoup plus politique, en 1949, Fodeba Keita, écrivain guinéen engagé dans la dénonciation de l’arbitraire colonial, écrivit et mit en musique dans une œuvre audio, Aube africaine. Interdit en 1949 par un arrêté du gouverneur du Sénégal, il fut fort heureusement édité en France en 1950 par Pierre Seghers, un éditeur proche du Parti communiste français dans un recueil intitulé Poèmes africains.[13] En réaction à cette interdiction, le Réveil, le journal du Rassemblement démocratique Africain (RDA qui venait d’être fondé en 1946), insistait alors sur le fait que le système colonial passait aussi par la déculturation.

« Tous les Africains constateront qu’au moment où ces disques africains sont interdits, nous sommes envahis par une quantité de disque d’inspiration anglaise ou américaine dans lesquels l’exotisme du tam-tam ou de la guitare couvre une vulgarité décevante ; des disques où il n’y a que du rythme, du bruit que cadencent des chants faits de résignation »[14].

Le chant de Fodeba Keïta, au son de la guitare et du tam tam, ne fut pas celui de la résignation. Bien au contraire, il racontait l’histoire d’un paysan, Naman, appelé sous les drapeaux, décoré pour sa bravoure, blessé, puis fait prisonnier et finalement ramené à Thiaroye où un matin,

« C’était l’aube. Nous étions à Thiaroye-sur-Mer. Les premiers rayons du soleil frôlant à peine la surface de la mer doraient ses petites vagues moutonnantes. Au cours d’une grande querelle qui nous opposait à nos chefs blancs à Dakar, une balle a trahi Naman. Il repose en terre sénégalaise. […] Les corbeaux, en bandes bruyantes, venaient annoncer aux environs, par leur croassement, la tragédie qui ensanglantait l’aube de Tiaroye… »

Franz Fanon, à travers l’hommage qu’il rendra à ce poème, en montrera, dans Les damnés de la terre  en 1961, toute la dimension politique, lui qui avait bien compris qu’ « il existe […] une complicité objective du capitalisme avec les forces violentes qui éclatent dans le territoire colonial ».

« La compréhension du poème (Aube africaine) n’est pas seulement une démarche intellectuelle, mais une démarche politique. Comprendre ce poème c’est comprendre le rôle qu’on a à jouer, identifier sa démarche, fourbir ses armes. Il n’y a pas un colonisé qui ne reçoive le message contenu dans ce poème. Naman, héros des champs de bataille d’Europe, Naman qui ne cessa d’assurer à la métropole puissance et pérennité, Naman mitraillé par les forces de police au moment où il reprend contact avec sa terre natale, c’est Sétif en 1945, Fort-de-France, Saïgon, Dakar, Lagos. Tous ces nègres et tous ces bicots qui se sont battus pour défendre la liberté de la France ou la civilisation britannique se retrouvent dans ce poème de Keita Fodéba. »

Thiaroye fait bien partie de ces événements qui servent à la compréhension de l’Histoire pour engager la lutte puisque durant des décennies, les autorités françaises ont tout fait pour dissimuler cette « tache morale indélébile ».[15]  Dans les années 1970, Boubacar Boris Diop écrivit la pièce Thiaroye terre rouge (qui ne sera publiée qu’en 1981), impressionnante charge contre le colonialisme, et s’engagea sur un scénario de film, Thiaroye 44, qui ne vit jamais le jour, tandis que l’historien de formation Cheikh Faty Faye livrait Aube de sang. Tout ce souffle culturel permit de sensibiliser les populations à l’idée de la nation sénégalaise et les faire adhérer à la lutte politique.

Lorsque le film le film Camp de Thiaroye, d’Ousmane Sembène (ancien tirailleur) et Thierno Faty Sow, sortit en 1988, il reçut de nombreux prix, mais ne fut pas distribué en France, alors même qu’il avait été présélectionné pour le festival de Cannes et qu’il avait obtenu un prix spécial à la Mostra de Venise[16]. Il ne fut projeté en France que dans un cinéma d’art et d’essai, et encore… dix ans plus tard. Il paraît évident qu’une fois encore c’était dû à une pression de la Françafrique : censure ? De toute évidence, puisque pour les autorités françaises, Thiaroye restait une « mutinerie ». Il ne fut projeté que cette année en 2024, au Festival de Cannes, 36 ans après son interdiction. « Personne ne voulait que ce film se fasse », se souvient le comédien ivoirien Sidiki Bakaba qui avait joué alors le rôle de l’un de ces tirailleurs. « Lors du tournage, il y avait même des hélicos de l’armée française qui venaient voler au-dessus pour nous empêcher de filmer. »

« Qu’est-ce qui est plus illégal que le colonialisme ? »

(Biram Senghor, fils de M’Bap Senghor tué à Thiaroye)

A travers leur bataille culturelle, tous ces artistes de la gauche sénégalaise des années 1980 cherchèrent à se réapproprier leur histoire : « On nous a appris une autre histoire que la nôtre […]. Nous n’avons pas réellement écrit l’histoire de nos pays ni de l’Afrique, tout a été écrit par les Français. »[17] C’est pourquoi, pour Ousmane Sembène, « point de salut pour l’Afrique dans le cadre du colonialisme, envisagé comme un système conduisant aux pires atrocités ».

Ainsi Thiaroye a fait l’objet de nombreuses réappropriations culturelles au Sénégal – bien avant que les historiens ne se saisissent de l’événement à la fin des années 1990 – mais c’est dans le domaine politique que sa mémoire est demeurée la plus vivace.

Dès les années cinquante, le massacre de Thiaroye fut intégré dans tous les débats politiques, à un moment où, rappelons-le, les luttes de libération nationale éclataient un peu partout dans l’Empire français, en Indochine, à Madagascar, au Cameroun, en Algérie… Les militants de gauche voulurent alors réinvestir la mémoire de la répression, non seulement afin de mettre en lumière ce crime colonial et réintégrer « Thiaroye » dans l’histoire nationale, comme on vient de le voir mais aussi,

« afin de le relier à un avenir national et panafricain comme de l’inscrire dans les batailles qui sont celles de la lutte des classes ». Thiaroye « est devenu un symbole des luttes anticoloniales et plus largement anti-impérialistes. C’est bien ainsi que l’interprète une frange de la jeunesse sénégalaise qui, au sortir de la guerre, et plus spécifiquement au milieu des années 1950, commence à réclamer l’indépendance »[18].

Si jusqu’aux années 80, la mémoire de Thiaroye avait été entretenue par cette intelligentsia littéraire et développée par l’opposition politique (particulièrement communiste), avec le film Camp de Thiaroye la mémoire historique commença à devenir un patrimoine commun à toute la nation sénégalaise.

Depuis le début des années 2000, Thiaroye a fait au Sénégal l’objet d’une politique mémorielle officielle. La nouvelle classe politique dirigeante sénégalaise a voulu afficher elle aussi sa volonté de se réapproprier ce récit refusant que l’histoire soit écrite par les vainqueurs qui imposent leur récit face aux victimes de la violence coloniale.

Du discours anticolonialiste et anti-impérialiste, elle est passée à un discours panafricain susceptible de fédérer l’ensemble des pays voisins en proie à des guerres civiles, rappelant ainsi que ces tirailleurs n’étaient pas seulement sénégalais. Ils venaient de toutes les régions de l’ancienne Afrique occidentale française (AOF). Ils étaient aussi bien guinéens qu’ivoiriens, maliens, ou burkinabés. Tous avaient été victimes de la violence coloniale. Et c’est précisément cette image, bien plus complexe pourtant, de ce « tirailleur sénégalais », héros des deux guerres mondiales et malgré tout victime des violences coloniales, qu’ont voulu rétablir les hommes politiques (mettant plus ou moins sous le tapis qu’on l’obligea à être, entre autres violences, le bras armé de l’impérialisme européen).

De commémorations en émancipations

Ainsi, le 23 août 2004 fut organisée la première journée de commémoration des tirailleurs sénégalais, morts pour la France aux guerres 14-18 et 39-45. Cette commémoration montrait à la fois la volonté d’unir les anciens pays colonisés et frappés par le terrorisme, et la tentative de renforcer la cohésion nationale. Loin d’incriminer la France, avec qui les relations néo-coloniales étaient restées, toutes ces décennies, dirigées par des bourgeois africains compradores – les Sénégalais, selon les dires du président Abdoulaye Wade, avaient voulu instaurer « une commémoration tournante [qui] pourrait constituer une chaîne internationale de solidarité dont le noyau dur serait personnifié par l’Afrique et la France ». Et aujourd’hui encore, l’historien à l’université Columbia de New York Mamadou Diouf, qui est aussi le président du comité de commémoration du massacre de Thiaroye, écrit dans Le Monde le 11 novembre 2024 : « Ni les autorités sénégalaises, ni le comité ne sont mus par une lutte contre la France, mais par une volonté très forte d’éclairer les faits et de produire un récit historique le moins contestable possible. ».Un récit historique « le moins contestable possible » … afin de ne pas perdre les bénéfices de l’aide au développement, qui tout en étant une petite restitution des vols commis à grande échelle, ont tant servi aux élites corrompues.

C’est pourquoi les discours politiques ont mis en avant ces « oubliés de l’histoire », leur courage, afin d’interpeller les jeunes générations qui « ne se lasseront point de s’inspirer de [leur] sens de l’honneur et de [leur] esprit de sacrifice. Leur devise était « On nous tue mais on ne nous déshonore pas »[19]. Le cimetière de Thiaroye fut déclaré « cimetière national » en 2004 (et pas toujours entretenu depuis), alors que le nombre de morts réels dépasse très sûrement le nombre de tombes qu’on peut y voir. Où sont les autres morts ? On attend toujours les nécessaires fouilles archéologiques permettant de retrouver leurs dépouilles.

Depuis 2008, l’histoire des tirailleurs fait partie des programmes scolaires au Sénégal. Le massacre est entré dans les programmes d’histoire des classes de 3e et de 1re. Ce qui n’est toujours pas le cas en France où on s’émeut le 11 novembre de leur courage et de leur sacrifice lors de la Première Guerre mondiale. Mais le seul endroit à Paris où l’on trouve des stèles en leur honneur, dans le jardin d’agronomie tropicale René Dumont du bois de Vincennes, est plus ou moins laissé à l’abandon par la mairie de Paris, pourtant responsable de de ces stèles de mémoire[20].

Il a fallu attendre 2014 pour qu’un président français, en l’occurrence François Hollande, évoque à l’occasion d’une visite officielle au Sénégal le 30 novembre, la responsabilité de la France dans ce qu’il a alors appelé une « répression sanglante ».

« Les événements qui ont eu lieu ici en décembre 1944 sont tout simplement épouvantables, insupportables. Je voulais venir ici, à Thiaroye. Je voulais réparer une injustice et saluer la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leurs fusils, car c’est ce qui s’est produit. Ce fut la répression sanglante de Thiaroye. »

Le terme de « répression » ne fut pas du goût des descendants des tirailleurs, car il sous-entendait que cette « répression » faisait suite à une révolte, une mutinerie, empêchant de ce fait la tenue du procès en révision du camp de Thiaroye. Les familles espéraient, pour le moins, que soit reconnue clairement la responsabilité de l’État français colonialiste dans ce qu’ils considéraient à juste titre être un « crime colonial ». (Alors que 350 soldats français bénéficient toujours en 2024 de plusieurs bases militaires au Sénégal dans le cadre « d’accord de défense pour lutter contre les groupes djihadistes au Sahel » et que le franc CFA est toujours en usage… sans parler de la lourde présence américaine… Belle réussite en vérité…. Colonialisme quand tu nous tiens.)

Lors de cette visite, François Hollande promit également au Sénégal les copies des archives françaises. Une commission d’historiens avait même été nommée pour faire enfin la lumière sur ce crime emblématique de l’injustice coloniale. Il n’en est rien sorti. Rien n’a filtré de ces archives. Aujourd’hui encore, les historiens et les autorités sénégalaises suspectent l’existence de documents secrets puisque des historiens ont identifié une liste d’archives non remises.  

Le 18 juin 2024, l’État français, à la demande d’Emmanuel Macron, le président « philosophe et historien », a annoncé l’octroi de la mention « Morts pour la France » à six tirailleurs sénégalais (quatre Sénégalais, un Ivoirien et un Burkinabé) exécutés (assassinés serait un mot plus juste) ce 1er décembre 1944 à Thiaroye. Le nouveau Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a aussitôt répliqué que ce n’était pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d’Africains assassinés, ni la portée de la reconnaissance qu’ils méritent. Il est clair que les autorités françaises doivent enfin comprendre qu’elles ne peuvent plus mener une politique, même mémorielle, de type colonial dont les Africains (et pas uniquement les Sénégalais) ne veulent définitivement plus, comme le prouvent les réactions des pays du Sahel. Rien ne peut et rien ne doit se faire sans les pays concernés, à commencer par le Sénégal. Et ce, malgré toutes les entraves mises par la « Grande muette », cette hiérarchie militaire qui ne veut pas qu’on revienne sur le récit officiel. Car il est évident que s’ils sont « morts pour la France », ils ne pouvaient pas être des mutins.

C’est pourquoi en ce mois de novembre 2024, des historiens, membres d’associations, avocats et élus se sont réunis au palais Bourbon pour réclamer la reconnaissance officielle par l’État français de l’exécution de ces tirailleurs et le versement de réparations à leurs descendants, comme le réclame Birame Senghor depuis des décennies. On ne peut pas se contenter de la grâce si généreusement offerte en 1947. Il faut les réhabiliter. Pour cela, il faut ouvrir un nouveau procès en révision. Pour le moment, les propos tenus par Jean-Louis Thériot, ministre délégué aux Anciens combattants et à la Mémoire lors de la commission Défense le 14 octobre 2024, ne donnent guère d’espoir sur une suite favorable. Cela ressemble toujours à « une misérable question de sous » comme le disait Lamine Gueye.

« Toutes les archives concernant la mort des tirailleurs ont été scannées et transmises au gouvernement sénégalais. Rien ne prouve à ce jour l’existence de fosses communes. Le gouvernement sénégalais a créé une commission mais n’a transmis aucune demande financière à la France »[21].

Voilà qui n’augure rien de bon. Macron se rendra-t-il à Dakar le 1er décembre pour les commémorations du massacre, comme cela avait été annoncé lors des festivités du débarquement ? Peut-être, mais pourquoi faire ? S’acquitter enfin de la « dette de sang » française ? Rien ne semble le confirmer.

Le Sénégal, par l’ensemble des commémorations prévues du 1er décembre 2024 jusqu’à avril 2025, envisage une intégration panafricaine, fondée sur la rupture avec l’alignement hérité de la guerre froide et la « Françafrique », et espérons-le sur « l’union libre de peuples libres ». Espérons aussi que cette émancipation nationale soit accompagnée d’une véritable émancipation sociale faute de quoi, en régime capitaliste, ce fédéralisme resterait, comme le disait Lénine, « ou impossible ou réactionnaire ». Les nouveaux gouvernants sénégalais veulent proposer une histoire africaine du monde, faire mentir le très minable discours de Dakar d’un autre président-historien français, Nicolas Sarkozy, (discours il est vrai écrit par Henri Guaino), qui avait osé dire le 27 juillet 2007 :

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire […]. Jamais il ne s’élance vers l’avenir […]. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout est écrit d’avance. […] Il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ».

Ce discours colonialiste qu’on daterait aisément du XIXe siècle, oublieux « de la Françafrique, de ses scandales, de la collusion des intérêts politiques et pétrochimiques, de son soutien aux « satrapes » dans un « système de corruption réciproque »[22] correspond toujours aujourd’hui à L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, comme le disait Lénine.

En attendant, à partir du 21 novembre 2024 (jour anniversaire du retour des tirailleurs au Sénégal en 1944), à Bordeaux, Paris et Poitiers, et dans le cadre du 80e anniversaire de la Libération de la France, le réseau Mémoires & Partages propose aux établissements scolaires et à tous les publics, l’exposition documentaire Morts pour la France : les Tirailleurs de Thiaroye 44. Espérons que cette exposition, non visible à l’heure où ces lignes sont écrites, saura dépasser le stade de « la mémoire qui ne vaut pas que pour le souvenir mais aussi et surtout pour le devenir » et permettra de franchir ce qu’Amilcar Cabral appelait la « crise de la connaissance ».  

A l’heure où en France le racisme « décomplexé » est une opinion comme les autres, où les immigrés sont devenus plus que jamais les nouveaux boucs émissaires de la crise économique, sociale et politique, où le nouveau ministre de l’Intérieur, le vendéen Bruno Retailleau, ose déclarer que « l’immigration n’est pas une chance » – reprenant sans vergogne la formule de Jean-Marie Le Pen en 1995 : « L’immigration n’est pas une chance pour la France, c’est même un fléau » – il est bon d’ouvrir de nouvelles fenêtres sur de nouveaux horizons. La jeunesse immigrée pourra peut-être ainsi renouer certains fils de son histoire et se poser les questions que l’enseignement dévalué de la République ne lui a pas permis de se poser depuis tant d’années.

Concluons par ces mots du rappeur franco-sénégalais, Disiz la Peste, qui soufflent le vent d’une fenêtre à jamais ouverte :

« Mais cette nuit du 1er décembre 44 alors qu’ils dorment,

l’armée française est venue comme une traître.

Coup de mitraillettes.

Arrachés de leurs rêves,

on les tue simplement, froidement et plein de haine.

Ce fut le début du remerciement

la suite c’est maintenant

pour tous les immigrés en France »[23]


[1] Cours d’histoire est extrait du deuxième album du rappeur Disiz La Peste sorti en 2003 : Jeu de société.

[2] Camps de prisonniers à l’extérieur du Reich, sur le sol français en zone occupée, car les nazis ne voulaient pas de Noirs sur le sol aryen.

[3] Durant la Première guerre mondiale, 200 000 Africains venus d’AOF ont servi la France, dont 150 000 sur le sol européen ; 30 000 d’entre eux ne sont pas revenus. Entre 1939 et 1945, 180 000 soldats africains ont fait partie des troupes coloniales et 70 000 d’entre eux furent fait prisonniers par les Allemands. Près de 29 000 sont morts sur les champs de bataille.

[4] Voilà qui rappelle la triste histoire des soldats français de la garnison de Nancy, qui avaient eu le 30 août 1790 l’audace de réclamer leur solde, et que le marquis de Bouillé, aux ordres de notre héros national La Fayette, avait massacrés. Plusieurs centaines de morts. Les survivants furent soit emprisonnés, soit pendus et l’un d’eux subit même le supplice de la roue ! Marat prit leur parti en publiant un pamphlet, « L’affreux réveil », dans lequel il dénonçait les « menées atroces » des « ennemis de la Révolution ».

[5] https://books.openedition.org/pur/152435?lang=fr#bodyftn36  Martin Mourre, Thiaroye 1944, Histoire et mémoire d’un massacre colonial, Presses universitaire de Rennes, janvier 2022.

[6] https://academieoutremer.fr/presentation-bibliotheque-les-recensions-du-carasom/?aId=2814 Recension de Jean Nemo : Thiaroye 1944 : histoire et mémoire d’un massacre colonial

[7] Malheureusement, une fois devenu président de l’Assemblée nationale du Sénégal (de 1960 à 1968), il ne fit plus jamais allusion à ce carnage, se terrant ainsi dans un silence complice par intérêt politique vis-vis de la France.

[8] En référence à la déclaration du ministre des affaires étrangères, le comte Sebastiani en 1831, lors du massacre des Polonais par les troupes tsaristes.

[9] En référence à l’épouvantable massacre des Communards en 1871 par les troupes versaillaises.

[10] En référence au massacre des Spartakistes à Berlin en janvier 1919, par les troupes allemandes et les corps francs envoyés par « le chien sanguinaire » Gustav Noske (ministre SPD de la défense en 1918), qui assassineront R. Luxemburg et K. Liebknecht.  

[11] Riesz Janos, « Thiaroye 1944 : un événement historique et ses (re)présentations littéraires », in Bonnet Véronique (dir.), Conflits de mémoire, Paris, Karthala, 2004, p. 311.

[12] Dieng Amady Aly, Mémoires d’un étudiant, Vol. II, De l’université de Paris à mon retour au Sénégal, Dakar, Codesria, 2011, p. 146.

[13] Réveil, 28 novembre 1949. La postface d’Aube Africaine parue en 1994 signale que ce texte et le poème Minuit sont les deux seuls textes de la période coloniale à avoir fait l’objet d’une interdiction en AOF.

[14] Non signé, « Les disques de Fodéba Keita “Minuit” et “Aube africaine” sont interdits », Réveil, 28 novembre 1949.

[15] Mamadou Diouf, professeur d’Histoire et d’Études africaines à l’Université de Colombia à New York, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/11/11/mamadou-diouf-l-histoire-imperiale-ne-peut-plus-etre-enoncee-exclusivement-par-la-france_6387736_3212.html

[16] On peut voir le film sur ce site : https://www.au-senegal.com/camp-de-thiaroye-au-festival-de-cannes,8943.html

[17] Entretien de Martin Mourre avec Ben Diogaye Beye, Dakar en décembre 2010.

[18] https://books.openedition.org/pur/152435?lang=fr#bodyftn36  Thiaroye 1944, Histoire et mémoire d’un massacre colonial

Martin Mourre, Presses universitaire de Rennes, janvier 2022. Cet ouvrage est la version « grand public » d’une thèse de 2014 de l’auteur, De Thiaroye on aperçoit l’île de Gorée. Histoire, anthropologie et mémoire d’un massacre colonial au Sénégal.

[19] Thiam Abdoulaye, « Journée du tirailleur. Moment intense de communion », Le Soleil, 24 août 2006, discours du premier ministre Macky Sall en août 2006.

[20] https://www.facebook.com/cultureprime/videos/11-novembre-les-soldats-oubliés/1065471988233670/

[21] https://blogs.mediapart.fr/armelle-mabon/blog/141124/letat-francais-et-le-massacre-de-thiaroye-80-ans-apres

[22] https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/le-discours-de-dakar-une-insulte-a-l-afrique_2592.html

[23] Serigne M’Baye Gueye, Thiaroye, Sunu Music.