SOURCE: http://jmchesne.blogspot.com/
   Dès la fin du XVIIIe et au début
 du XIXe siècle on assiste à un mouvement de réappropriation de la 
campagne par la ville. C’est le début de la résidence secondaire qui 
touche toutes les couches de la société, même si certaines utopies 
rustiques sont imaginées par une élite intellectuelle et urbaine. Les 
faubourgs et les banlieues vont s’emplir de villas pittoresques, chalets
 rustiques, fausses grottes, guinguettes et kiosques en faux bois ou 
fausse pierre et c’est le triomphe de la rocaille.
 
   Cette invention romaine, 
redécouverte à la Renaissance, est de  nouveau au goût du jour et 
réalisable grâce en partie au nouveau ciment  «Portland». Ce matériau va
 permettre la reconnaissance d’une nouvelle  activité originale, celle 
des rocailleurs. Ces artisans, modestes à  l’origine, vont accéder à un 
autre statut qui leur permettra de signer  leurs œuvres.
  

 

 
  
    Les annuaires professionnels en
 portent le témoignage avec les  nouvelles rubriques de «rustiqueurs», 
«rocailleurs-paysagistes»,  «artistes-rocailleurs», 
«cimentiers-naturistes», «artistes en ciment»...  Je reproduis là 
quelques pages d’un  étonnant catalogue déniché par  hasard chez un 
brocanteur où l'on découvre avec amusement qu'on pouvait commander 
pratiquement par correspondance une grotte ou une passerelle pour son 
jardin. Le  trompe-l’œil redevenant  le critère du savoir-faire, on y retrouve au fil des pages toutes la  gamme des décors paysagers de l'époque, le tout promut grâce à des  formules chocs : "Des meubles rustiques en ciment et  fer !" ou bien ce "Belvédère
 rustique élevé sur trois arbres gigantesques, construit en ciment armé 
avec montée d'escalier en ciment et en  fer !"  

 
   Ce rêve d’exotisme n’est pas 
seulement naturaliste, c’est une échappée dans le temps avec ses faux 
temples, des fausses ruines, du faux gothique, mais aussi dans l’espace 
avec ses pagodes, chalets suisses, pyramides, le tout réalisé au mépris 
des spécificités locales. Le Midi semble privilégié (est-ce le manque de
 bois et la présence des maçons italiens ?), mais les «rocailleurs 
rustiques» sont partout. 
    
  Dans les jardins de plaisance le rocailleur dispose d’une relative 
liberté pour s’exprimer. Ainsi les rocailles apparaissent-elles comme un
 lieu privilégié pour découvrir les rêves entremêlés de ceux qui les 
produisent : des artisans nourris de culture populaire et la nouvelle 
bourgeoisie, à la fois romantique et ouverte aux conquêtes industrielles
 et coloniales. 
  
  
 La poésie et la nostalgie de ces grottes, de ces fausses ruines 
alimentent cette nouvelle forme d’art, à bien distinguer de l’Art 
Nouveau car il s’agit souvent d’œuvres d’autodidactes au service de 
nouvelles franges de citadins en quête de frissons exotiques et de rêves
 rustiques voulant apprivoiser une nature qui fait peur. 
  
 Par rapport à leur contemporain qu’était le facteur Cheval (dont on 
peut se demander s’il n’a pas lui-même suivi l’exemple de ces maçons) ou
 par rapport aux habitants paysagistes créateurs d’environnement dits 
Bruts, les rocailleurs étaient des inspirés à plein temps qui ont tenté 
grâce à des constructions destinées à d’autres, de préserver une part de
 création et de plaisir dans leur activité professionnelle.
    
  
 Je reproduis également quelques cartes qui montrent des édifices 
rustiques réalisés en bois ce qui les rendaient d’autant plus 
vulnérables. On imagine bien la complexité à bâtir en ciment dans des 
endroits reculés. Ici nous n’avons plus à faire à la poésie des ruines 
mais plutôt à l’attrait pour les cabanes, les habitations des forets et 
des champs et leurs «robinsonnades». Un bricolage rustique au service 
d’une vie naturelle idéalisée, plus symbolique que réelle. 

 

 
  
 Puis, la mode passant, on s’est pudiquement détourné de cette 
architecture produite par des artisans formés sur le tas. Beaucoup de 
rocailles ont été détruites, délaissées et abandonnées aux intempéries, à
 la végétation ou aux transformations. Les fausses ruines tombent en 
ruine à leur tour ; une sorte de mise en abyme du temps.  En ville et 
surtout dans les anciens parcs, on trouve encore parfois quelques traces
 de ces aménagements : un balcon, un petit pont ou une rambarde 
d’escalier ayant échappé à la destruction. Parfois, je me prends à rêver
 au retour de ces extravagances ; le désir d'habiter autrement et de 
l'utopie d'un imaginaire de vie cristallisés.
Toutes images et cartes postales : collection JM Chesné -  D.R.