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dimanche 29 juin 2025

Pierre Gaudibert : militant, critique, sociologue de l’art, expérimentateur de musée (colloque 2021)

A l’occasion de l’ouverture au public du fonds d’archives et de la bibliothèque personnelle de Pierre Gaudibert conservés au Musée d’Art Moderne de Paris, ce colloque propose de revenir aussi bien sur les réalisations et sur les engagements de cette figure-clé de la scène artistique française de l’après-guerre que sur les contextes intellectuels et politiques dont son parcours est révélateur.

Militant engagé dans des mouvements d’éducation populaire (l’association « Travail et culture », le réseau « Peuple et Culture ») ou au sein du Parti socialiste, critique et sociologue de l’art, selon ses propres mots, Pierre Gaudibert (1928-2006) a laissé son empreinte sur plusieurs institutions culturelles. Conservateur au Musée d’art moderne de la Ville de Paris de 1966 à 1972, il y fonde en 1967 le département Animation-Recherche-Confrontation (A.R.C.), une structure expérimentale promouvant un modèle muséographique inédit en France, favorisant la relation directe entre artistes, œuvres et visiteurs, ancré dans l’actualité et la variété des recherches artistiques, y compris à forte composante technologique et reproductible. Après son départ du musée – qui n’est pas sans lien avec un certain désenchantement de l’évolution des « années 1968 » –, Gaudibert dirige le musée de Grenoble de 1977 à 1985 et développe ses collections, contribue à la création du CNAC de Grenoble (le Magasin) et s’investit dans l’action culturelle à l’échelle de la ville, en y organisant, entre autres, un Festival africain en 1982. Affilié au musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO) à partir du milieu des années 1980 et jusqu’à sa retraite en 1994, il est chargé d’y constituer une collection d’art africain contemporain. S’il a été proche d’artistes comme Henri Cueco, les choix artistiques de Pierre Gaudibert ne se limitent pas à la figuration narrative mais côtoient des formes souvent minorées par les récits établis de l’histoire de l’art à l’époque (les arts populaires, l’art naïf) et des pratiques artistiques que l’on qualifie alors « du Tiers-Monde ». Dans les milieux muséaux, le rôle de Gaudibert demeure important pour la reconnaissance des arts d’Afrique et en faveur de la présence de l’art africain contemporain dans les collections muséales françaises. Parallèlement, Gaudibert rédige de nombreux essais, dont plusieurs volontairement polémiques, posant ouvertement la question de la place de l’art et de la culture dans la société, ou encore celle de la responsabilité des artistes et des acteurs culturels quant à la division sociale.

Par son parcours et par son œuvre, Pierre Gaudibert traverse l’histoire culturelle, celle des idées et des institutions artistiques en France de la deuxième moitié du 20e siècle. Son engagement, à la fois politique (en faveur de l’éducation populaire, de la culture comme moyen de construction démocratique) et artistique (en faveur de l’art contemporain dans sa plus grande diversité, dans son caractère expérimental comme dans ses formes populaires, en marge des valeurs établies par le consensus institutionnel), son intérêt pour les formes d’art dites « mineures » ou pour l’art créé « ailleurs », interrogent aussi bien la définition du champ de l’histoire de l’art que sa possible portée sociale et politique. Les idées formulées dans ses ouvrages des années 1970 pourraient être mises en parallèle avec celles élaborées dans les années 1960 par des théoriciens marxistes de la culture comme Raymond Williams. Cinquante ans plus tard, elles trouvent un écho dans le souci actuel de l’enseignement de l’histoire des arts à tous les niveaux du système scolaire et dans toutes les couches de la société, avec l’importance de décloisonner l’eurocentrisme implicite des discours dominants au profit d’histoires transnationales et transversales.

Tenant compte de l’héritage théorique et institutionnel de Pierre Gaudibert, de ses engagements mais aussi de ses désenchantements, impasses et limites, ce colloque vise à considérer les voies possibles que son travail a ouvertes à l’arrimage entre art et démocratie, à une pensée plurielle du « contemporain » et de l’« art », à une pratique désenclavée des institutions, à une ouverture vers des pratiques artistiques expérimentales, alternatives ou étrangères au canon occidental établi ; en un mot, à une pluralité des cultures et des pratiques artistiques.

À l’exception de quelques travaux universitaires, la figure et l’œuvre de Pierre Gaudibert n’ont jusqu’à présent pas fait l’objet d’un examen approfondi. Ce manque a été souligné par plusieurs chercheurs (Wilson 2018). De même, l’A.R.C. n’a pas fait en soi fait l’objet de colloques publics ou de publications d’ouvrages dédiés, à l’exception d’une thèse de référence (Ténèze 2004). Ce colloque souhaite combler cette lacune historiographique et permettre de réfléchir, à partir de la figure de Pierre Gaudibert, à un pan de l’histoire des idées, des pratiques culturelles et des institutions artistiques en France de l’après-guerre. Ainsi, les propositions de communication peuvent-elles s’inscrire dans un des axes proposés ci-dessous (liste non exhaustive) :

  • L’histoire et l’historiographie de l’action culturelle en France depuis le Front populaire, l’histoire et la pratique des associations comme « Peuple et culture », « Travail et culture » ; la place de la politique culturelle de la ville de Paris des années 1960 dans ce contexte ;
  • L’histoire de l’A.R.C. (Animation-Recherche-Confrontation) au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ; ses premières années d’existence (1967-1972) ; continuité et transformations depuis ; le pari de l’interdisciplinarité ; les liens de l’A.R.C. avec le CIMAM, l’ICOM et la muséographie expérimentale internationale en matière d’art contemporain au tournant des années 1960 (Pontus Hultén, Harald Szeemann, Duncan F. Cameron, Eduard de Wilde…) ;
  • La scène artistique et critique autour de Gaudibert : figuration narrative et autres scènes françaises, artistes français et étrangers, critiques d’art français et étrangers, revue Opus international, salons ;
  • Les réseaux internationaux de Gaudibert : rôle et place des structures transnationales et de collaboration internationale d’art et de culture durant la guerre froide (Salon de Mai à Cuba en 1967, congrès et rencontres de l’AICA, du CIMAM, de l’ICOM, de l’UNESCO) ;
  • Les réseaux amicaux, artistiques, intellectuels et politiques de Gaudibert (voir les dossiers de correspondance dans son fonds d’archives, du collectif des Malassis à Ousmane Saw, de Louis Althusser à Claude Mollard…) ;
  • Les politiques culturelles en France après 1968 : ambitions, réalisations, écarts, échecs ;
  • Les liens de Gaudibert et du PS (re)naissant (exposition sur le Front Populaire à l’ancienne gare de la Bastille, dans le cadre des États généraux du Parti socialiste de 1976 ; création du Secrétariat National à l’Action Culturelle ; création d’un groupe de réflexion « Musées ») ;
  • Les activités de Gaudibert au musée de Grenoble (acquisitions, expositions, hommage à Andry-Farcy, festival Africain) ; les réseaux culturels et politiques de Grenoble au tournant des années 1970 – début des années 1980 ; la préfiguration du CNAC de Grenoble ;
  • Gaudibert et l’émergence du champ de l’art contemporain africain en France dans les années 1980-1990 : expositions, publications (Revue noire), rôle des institutions (le MNAAO, les missions du ministère de la Culture, fondation Afrique en Création ; association Culture et Développement) ; parallèles et différences avec le contexte international ; collaborations avec des acteurs et des institutions en Afrique ;
  • Du marxisme à la spiritualité : tournant ou continuité ? (le manuscrit non publié de Gaudibert Présence des animismes, son ouvrage Du culturel au sacré) ;
  • Comment penser la variété de pratiques artistiques soutenues par Gaudibert : liens possibles, interprétations, dimension internationaliste/tricontinentale, conception de l’art, de son rôle, de son autonomie/hétéronomie…  

Session 1 : L’action culturelle : débats et pratiques Modération: Pascal Ory Anne Bergeaud : Éducation populaire et action culturelle : L’expérience croisée de Pierre Gaudibert de Peuple et Culture à l’A.R.C. (1964-1972). Annabelle Ténèze : L’A.R.C et Pierre Gaudibert : une institution artistique différente pour un public différent (1967-1972). Paula Barreiro-López : Action culturelle, révolution et tiers-mondisme dans l’axe La Havane-Paris-Grenoble : Pierre Gaudibert au carrefour des cultures tricontinentales. Zoe Stillpass : Grenoble et la cultivation d’une nouvelle génération d’artistes Jacques Leenhardt : Politique et action culturelle : Pierre Gaudibert au cœur du débat. Hélène Leroy : présentation de l’accrochage autour de Pierre Gaudibert au Musée d’art moderne de Paris. 

 

Session 2 : Dialogues croisés : art et critique Modération: Jacques Leenhardt Maëlle Coatleven : Pierre Gaudibert et Henri Cueco, une amitié critique-artiste. Julie Sissia : Pierre Gaudibert et Dada Berlin. L’Allemagne et la révolution à l’A.R.C. Léa Tichit : L’A.R.C. expose (aussi) l’architecture ! Marine Schutz : Pierre Gaudibert et les politiques du populaire. De la réception du Pop art à l’A.R.C. aux écrits sur l’art naïf (1967-1981). Sarah Wilson : Between Adami and Derrida : Pierre Gaudibert Derrière le miroir.

 

Session 3 : Pierre Gaudibert : politiques institutionnelles enjeux curatoriaux. Modération: Elitza Dulguerova Sophie Bernard : Un singulier à Grenoble : Pierre Gaudibert conservateur. Odile Burluraux : Y a-t-il eu une politique d’acquisition chez Pierre Gaudibert ? Léa Sallenave : Pierre Gaudibert et le CNAC ou l’histoire politico-culturelle d’une ambition contrariée.

 


Session 4 Pierre Gaudibert et l’émergence d’une scène mondialisée de l’art. Modération: Elitza Dulguerova Juliane Debeusscher : «De la contestation à la dissidence» – Situations, attitudes et productions visuelles dans l’orbite de Pierre Gaudibert. Anita Orzes : Pierre Gaudibert between the Biennials of Venice and Havana (1977 - 1991).  

 

 
 

dimanche 1 juin 2025

Radiaciones. El arte europeo y sus debates durante la Guerra Fría, 1944-1955 (Museo Reina Sofía, 2015)

Contribución, dentro del marco oficialista-institucional, para desenmascarar la cultura pro-Otan

 

La palabra “radiaciones” anuncia, en tono cómplice, el interesante pero también en cierto modo peligroso tema que presenta este seminario: la reverberación de los discursos artísticos en toda Europa durante el período de división que fue la Guerra Fría. Después de una omisión prolongada en el tiempo, hoy finalmente, impulsado por el reciente interés por lo global, es posible volver a plantear la importancia del arte producido fuera de los principales núcleos de poder en esta época, por lo general ignorados por las instituciones más poderosas. Ahora podemos, y este es el objetivo de este programa, proponer una relectura (sin canonizar a los artistas olvidados) de un momento de la historia reciente que se ha estudiado con demasiada frecuencia desde un enfoque plano en blanco y negro, de algún modo siguiendo la estela de la división en dos bloques que rigió la Guerra Fría. Esta fractura, subyacente a la amenaza real de una aniquilación nuclear, motivó que los discursos culturales se convirtiesen en una de las formas privilegiadas de hacer la guerra: una guerra de imágenes y palabras. 

A seguir, artículo completo. Seminarios, conferencias y audios relacionados: https://www.museoreinasofia.es/actividades/radiaciones-idea-arte-europeo-guerra-fria-1944-1955

 

(No creo que ninguna obra de J. Renau estuviese en la expo, habría que verificar) 


 

dimanche 6 avril 2025

Les artistes DEVANT les guerres mondiales (en dérivant dans ma bibliothèque et ailleurs)

 
 
Dès la veille de la Première Guerre mondiale, les premiers conflits dans les Balkans avaient laissé entrevoir l'apocalypse qui s'annonçait. Parmi d'autres, les "prophètes" du Blaue Reiter avaient anticipé le chaos et promis une destinée messianique aux artistes. Partagés entre l'attente de "l'homme nouveau" et la peur de la destruction, ils s'étaient résolus à prendre part au grand bouleversement. Beaucoup d'artistes ont alors partagé la volonté de s'emparer des armes nouvellement forgées par la politique, avec l'espoir de prendre part au combat et de regagner par là la légitimité sociale dont l'art pour l'art les avait privés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce n'est toutefois qu'après la guerre que le combat symbolique, devenu réel et éprouvé pour certains dans les tranchées, prit la forme organisée de groupes constitués sur le principe des formations politiques radicales. A Berlin, Dada s'était emparé des armes, et promettait dès ses débuts par les voix de Richard Huelsenbeck, Raoul Hausmann, Jefim Golyscheff, la formation d'une "union internationale et révolutionnaire de tous les hommes et femmes créateurs et intellectuels fondée sur un communisme radical".  











 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
À COMPARER AVEC AUJOURD'HUI,
notamment après la visite à la foire d'art contemporain Art Paris au Grand Palais. Il semblerait que tous les artistes se sont donnés pour mot d'ordre d'éviter le réel. C'est de l'art qui ressemble aux acheteurs, de l'art macronien. Le bâtiment est beau avec ce soleil, mais l'esprit l'a d'autant plus déserté. Un temps maussade, parigot, m'aurait rendu mélancolique, mais là c'est ce vide qui frappe: une serre à rien.
 



Brigitte Macron y a fait son petit tour samedi 5, elle est dans la ligne de ses ouailles: le savoir-vivre bidon, bidonné. Je retiens le travail de Marcos Carrasquer, peintre d'histoire contemporaine. Il le voit le réel, et celui de 2020 ressemble beaucoup à celui qu'annonce 2025. Ça sent la guerre, toujours plus vrai et spectaculaire, avec ses personnages qui s'entretuent pour trois rouleaux de papier-cul: c'est le struggle for life du ventre mou vraiment totalitaire, celui de l'occident terminal croqué et recroqué dans chacune de ses peintures. Les critiques de la foire et d'ailleurs disent de sa peinture qu'elle est grotesque, ironique, sarcastique, etc. Que l'humour soit une singularité, parmi le concours permanent des subjectivités spectacularisées, en dit suffisamment sur le nouveau désert, car l'humour a toujours été capture du réel (le "spectacle" est une socialisation et notamment par l'image: les séries de Netflix et d'autres plateformes similaires ont plus de poids dans la socialisation des nouvelles générations aux quatre coins du monde que d'autres, plus régionales, comme l'école - une socialisation globale devenue le règne de la séparation achevée).
 
On pouvait acheter dans la foire du vieux Bretécher, du vieux Wolinski, de l'humour de gôche, cette gauche qui voulut "changer la vie" avec le cagoulard Mitterrand mais surtout pas les rapports de production. De l'humour bien mort donc, mais toujours revendable à un autre mort-vivant à écharpe colorée (il faisait 24º). Et effectivement, c'est le réel qui s'amenuise quand toutes les stratégies l'évite. 

                   Marcos Carrasquer, The 2020 toilet paper rush, 2021

 

lundi 17 mars 2025

Art Basel Paris triomphe au Grand Palais

 Avant Art Paris 2025, retour sur Art basel Paris 2024, contribuant au Paris pâtissier des oligarques (le Louvre prend l'eau, il faut rénover! Vite! Et hop, Emmanuel Macron va ouvrir une nouvelle sortie du musée côté Est, donnant directement sur La Samaritaine et le LVMH de Bernard Arnault). Dans ce nouveau quartier enbanané d'art-luxe et de botox, tout le monde se mâte et se méprise : je confirme, ils/elles/iels/ sont tous moches.

SOURCE:  https://www.revueconflits.com/art-basel-paris-triomphe-au-grand-palais/ 

Art Basel Paris triomphe au Grand Palais
Entrée du Grand Palais avec l'affiche de l'édition d'Art Basel Paris 2024

Par Aude de Kerros (17 novembre 2024)

La foire Art Basel a fait salle comble au Grand Palais. Derrière cet événement planétaire se jour la guerre culturelle internationale et les jeux d’influence entre les capitales et les fondations artistiques.

La quatrième succursale de la Foire de Bâle nommée en 2024 Paris + par Art Basel est renommée, en 2024 Art Basel-Paris. Son nom ne sera pas traduit en français. Tout vainqueur devient maître des mots, de la langue et des symboles régaliens de sa conquête. Cette marque qui représente le très haut marché international de l’art est désormais installée au Grand Palais, un des lieux institutionnels et emblématiques de l’art en France.

Il a été construit sous la IIIe République dans le but d’affirmer l’idéal d’une création artistique et intellectuelle libre. Ce somptueux bâtiment situé dans le Triangle d’or du pouvoir en France, entre l’Élysée, l’Assemblée nationale et le Quai d’Orsay, a été conçu pour assurer la liberté des artistes. En s’associant pour créer divers Salons, ils pouvaient dès lors exposer indépendamment des institutions et des marchands, être vus par un large public. En 1880 Jules Ferry proclame ce statut libéral de l’artiste. En 1881 est votée la Loi sur la liberté de la presse qui donnera un grand essor à la critique d’art. Celle-ci contribuera à consacrer des artistes, français et étrangers, hors des circuits officiels. Cette liberté, ce palais ouvert à tous les courants, aux artistes du monde entier, feront de Paris la capitale des arts.

On notera qu’en 2024 la politique culturelle française du ministère de la Culture a été de  réduire encore la subvention[1] annuellement attribuée depuis le XIXe siècle aux Salons non commerciaux. Art Capital, qui réunit ces Salons chaque année au Grand Palais, pourra difficilement honorer le prix de la location du Palais sans augmenter la participation des artistes déjà très lourde. En conséquence, les salons ne peuvent pas faire une sélection des talents. Tout semble fait pour écarter les artistes indépendants de ce lieu régalien construit pour eux.

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« L’exception culturelle française ». L’État dirige l’art en ignorant les lois

Un triomphe médiatique : Art Basel a sauvé Paris ! 

Une victoire, cela se célèbre ! Le concert des médias est unanime et flatteur ! Ils titrent :   Paris sort de l’ombre ! Paris prend la deuxième place sur le marché de l’art mondial ! etc. Cette dernière affirmation est quelque peu duchampienne car, malgré le prestige de la foire de Bâle et les conséquences du Brexit, Paris reste à la quatrième place du marché, loin derrière l’Angleterre, la Chine et les USA. Certes, des galeries internationales se sont installées dernièrement à Paris afin de permettre à leur clientèle vivant en Europe de faire des transactions sans payer de taxes, cependant Londres garde sa clientèle mondiale et son rang.

La com. de Art Basel Paris est efficace. Experte, elle réussit à faire oublier les graves difficultés connues au moment de la pandémie par le groupe financier MCH qui détient le portefeuille des trois foires mondiales. En 2021 James Murdoch, grand magnat des médias américains, rachète 49% des parts et sauve le holding.  Son exigence première est de faire de Paris une nouvelle succursale complétant celles de Bâle, Hong Kong, Miami.

Paris, succursale de l’art

Paris offre de multiples avantages pour sortir MCH de ses difficultés. L’enjeu est de s’adapter d’urgence au contexte nouveau engendré par la pandémie, la fracturation du monde par les guerres, la montée de puissances économiques et culturelles non occidentales. L’hégémonie américaine est ébranlée. L’Art du très haut marché, qui se veut global, dépassant toute identité, doit trouver de nouvelles formes de légitimité pour échapper à l’étiquette néo-colonialiste. En conquérant Paris l’objectif majeur de Murdoch, au-delà des jeux subtils de l’influence, est de bénéficier des services empressés du Ministère de la Culture français qui met à disposition le grand patrimoine parisien, séduisant « show case »[2] qui communique son aura aux froids produits financiers du marché de l’art le plus cher du monde.

Ainsi, prennent place au pied des monuments parisien[3] les grandes installations conceptuelles de la Foire, le Grand Palais étant réservé aux œuvres plus commerciales. Très visibles et spectaculaires, leurs images, relayées par les médias,  feront le tour du monde. À cet avantage il faut ajouter la complaisance des musées de grande renommée pour y accueillir au milieu de leurs collections prestigieuses la monstration d’œuvres d’Art contemporain vendues à la Foire.

L’instrumentalisation de Paris offre mille opportunités. Ainsi en 2024 on voit sur les cimaises de la Foire, côte à côte, des œuvres modernes historiques, en particulier du courant Surréaliste, et des œuvres d’Art contemporain. Il est vrai que la grande exposition de l’année à Beaubourg, Surréalisme, sert de faire valoir.  Les galeries en bénéficieront pour la vente de sa marchandise tant moderne que contemporaine. Elles profiteront de l’opportunité pour lancer les femmes de ce mouvement, si injustement mal cotées. Vertueuse spéculation qui profitera aussi aux artistes émergentes, très tendance.

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Paris, capitale et ville globale

Le rôle des fondations parisiennes

Art Basel bénéficie aussi de la collaboration des Fondations parisiennes crées par les groupes financiers de la mode, dont les deux grandes, Vuitton et Artémis très impliquées dans l’Art contemporain et actrice de l’effacement des frontières entre œuvres d’art et produits de luxe. Art Basel profite en particulier du mécénat des Galeries Lafayette soutenant les nouvelles galeries dont le rôle et de présenter des artistes émergents. Paris devient ainsi le lieu tout particulier du lancement de nouveaux produits. Qui peut faire mieux ?

Ce qui est à noter est que les institutions françaises privées ou publiques fournissent tous ces services sans contrepartie. Les artistes français, officiels ou non, ne bénéficient pas de cette « Renaissance » parisienne proclamée par les médias. Patrimoniaux sont rares dans des lieux patrimoniaux et les stands des galeries d’Art Basel Paris. Un fait est éloquent: comme c’est la règle, toute foire labélisée « internationale » attribue 30% des stands à des galeries dites « locales » et 70% à des galeries de tous les pays, or en 2024 ont été classées « françaises » et introduites dans ce quota les succursales parisiennes de galeries internationales, ce qui a fortement réduit le nombre réel de galeries françaises. Plus encore, ces galeries ne comprennent généralement dans leur achalandage que 20% d’œuvres d’artistes français.

Si l’on compare les quatre foires de Bâle, trois d’entre elles sont accueillies dans d’immenses hangars de luxe situés à la périphérie de villes, seul Paris offre un monument historique et le cœur de la capitale comme décor.

Succès médiatique

L’encensement médiatique de la Foire de Bâle ne dit pas que ce très haut marché qu’elle représente est en souffrance. Depuis 2023, d’après Art Price, les enchères millionnaires d’Art contemporain en salle des ventes ont baissé de 45%.  En 2024 aucune enchère d’Art contemporain n’a dépassé les 50M$ alors même que les autres marchés de l’art, dont les prix ne sont pas financiers, mais commerciaux et raisonnables, ont beaucoup prospéré.  Dans son bilan annuel de 2023, Art Price résume ainsi la situation : le résultat des enchères est en repli alors que l’engouement des acheteurs est à son paroxysme sur les autres marchés non financiers de l’art.

Cette réalité explique le changement de stratégie commerciale que l’on observe en parcourant la foire, fruit d’une nécessaire adaptation au monde postCovid. Celui-ci est devenu multipolaire et connaît une révolution technologique numérique qui enlève aux mass-médias le monopole de la communication. Le numérique, devenu l’autre source d’information, de visibilité internationale, donne au public un rôle actif de recherche, de choix et avis et engendre de nouvelles formes de commerce.  Une concurrence naît là où il y avait une suprématie fondée sur le prix élevé d’une minute de visibilité. La communication digitale offre un accès gratuit sans intermédiaire.

Art Basel, fait aussi face à une évolution de sa clientèle, à de nouvelles générations de collectionneurs aux fortunes multimilliardaires qui ne sont plus principalement occidentales. Enfants du numérique, elles sont moins dociles, et pas contrôlables de la même façon.

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Nouvelle stratégie : Confusion-Hybridation-Historicisation

Dès les premiers mois de la pandémie en 2020, le très haut marché et sa chaine de production de la valeur : collectionneurs-hyper galeries-foires-salles des ventes-institutions, à changer ses stratégies en s’adaptant d’urgence aux écrans.

En l’espace de quelques mois de travail intense, le haut marché a fait entrer ses produits dans l’étroit format de poche d’un Smartphone. Pour cela il a été obligatoire de favoriser la marchandise en 2D la plus rétinienne possible et de mettre de côté les œuvres conceptuelles peu séduisantes pour l’œil. Ce marché a dû aussi adopter les méthodes du marketing numérique qui se fonde sur l’examen des data fournies par la clientèle potentielle afin de s’adapter à sa demande. Ainsi chaque amateur qui entre dans la foire, en retenant sa place en ligne, donne nom et autres informations, âge, sexe, nationalité, données bancaires, etc. Informations complétées quand le visiteur scannera avec son téléphone les QR codes de présentation des œuvres dans les galeries.

On comprendra que la stratégie du mépris, de l’intimidation, de la cooptation, si caractéristique de ce marché de l’offre qu’est le marché de l’Art contemporain, n’opère plus avec autant d’efficacité en raison d’un changement dans les rapports de pouvoir. Il faut donc, en partie, revenir à des stratégies de séduction.  En cela Paris offre, par le charme de son décor, un atout qui atténue la froideur de ce haut marché.

New-Look 2024 – Art Basel Paris

Le résultat de cette adaptation est très visible quand on se promène dans les allées du Grand Palais. On constate que l’époque de rupture entre Art contemporain conceptuel et art moderne esthétique est définitivement close ainsi que la diabolisation de la peinture. L’accrochage des œuvres d’Art Basel dans les galeries est systématiquement fondé sur un projet d’hybridation entre : art – art contemporain conceptuel – luxe. Cela se voit sur les cimaises. Sur le même mur alternent une œuvre historique moderne ou post war et une œuvre d’Art contemporain. Les codes sémantiques ont aussi changé. Désormais ce qui était nommé « Art contemporain » (sous-entendu art conceptuel) est aujourd’hui qualifié de « peinture » et « sculpture ». Ce jeu confusionnel permet une réécriture de l’histoire de l’art qui fait désormais de l’Art contemporain conceptuel la suite de l’art et non plus son exacte inversion. Un changement de story telling est en cours.

Le mariage Bâle-Paris est une hybridation intéressante à observer. Ce sont les noces du puritain et du glamour. Le Grand Palais, fantaisie architecturale, feu d’artifice de fer, verre et pierre, unissant tradition, modernité et technologies nouvelles, accueille un monde tout autre : le dressing code d’Art Basel est dogmatique et sévère : « White cube ». Toutes les galeries, sauf une, ont adopté le fond blanc éblouissant pour leurs cimaises.

Une autre importante métamorphose est très perceptible en 2024 à Art Basel Paris: le contenu et les œuvres ne sont plus les mêmes. C’est une « foire sage comme une image, chère comme un diamant » commente Guy Boyer dans sa chronique de Connaissance des arts. En effet on voit beaucoup moins d’œuvres d’artistes contemporains, trash, porno, gore. La tendance est plutôt soft, minimaliste, chic, ou spirituel, cool, allant jusqu’au néo-magique. On note l’abréviation des prêches sur les valeurs sociétales. Cependant, restent exclues les œuvres élégiaques ou ayant une beauté esthétique sans discours.

L’hybridation entre art et luxe a fait un grand pas. Les galeries de sacs à main, parfums, champagne, montres on été multipliées. Ces objets sont signés-numérotés, qualifiées d’œuvre d’art. Une boutique de produits dérivés a ouvert avec ses T-shirts, casquettes, pin’s, etc.

On remarquera par ailleurs une atténuation de l’habituel « french bashing ». Certes un Astérix au casque ailé, tirant la langue, est incrusté en haut de l’entrée du Petit Palais qu’aucun visiteur du Grand Palais ne peut manquer de voir. Mais qui a compris cette coquine moquerie ?  Quant à l’œuvre placée cette année place Vendôme, le Giant triple Mushrum de Carsten Höler, un champignon hallucinogène, toxique et gentiment phallique, elle n’a pas défrayé la chronique. Rien à voir avec l’humiliant Plug annal de Mac Carthy dressé en 2014.

En 2024, on ne « met plus en abîme », on fait tout « dialoguer » : le moderne et le contemporain, le luxe et l’art, le concept et l’artisanat, etc.  La stratégie de confusion générale masque, juste ce qu’il faut, le dogme toujours en vigueur de l’Art contemporain fondé sur la rupture, critique, déconstruction, devenu institutionnel.

Le charme de Paris, ajouté aux nouvelles stratégies de marketing et d’influence, réussira-t-il à sauver Art Basel ? C’est à suivre…

[1] Entre 2017 et aujourd’hui la subvention faite à Art Capital qui organise un Salon annuel regroupant plusieurs salons historiques est passée de 280 000 euros à 47 000 cette année. Le prix demandé pour louer Le Grand Palais est 1,4 M euros pour la semaine, tout compris.  Pour ce prix on les déplace cependant de la date prévue et il est question de leur supprimer le week-end. Les artistes payent 50 euros pour le dossier de candidature et si admis 400 euros pour un tableau accroché.

[2] Le Surréalisme à Beaubourg ? Tom Wesselman Fondation Vuitton, Arte Povera, Fondation Pinault, L’art nucléaire au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ali-Chery Musée Delacroix.

[3] Lieux investis ; Louvre, Tuileries, Hôtel de la Marine, Place Vendôme, Place Winston Churchill, Institut de France, École des Beaux-Arts de Paris, Palais d’Iéna, Théâtre du Châtelet.