SOURCE: https://dicodoc.blog/2018/03/04/3664/#_ftnref4
		
		
			E COMME ENTRETIEN – Litsa Boudalika
Comment avez-vous découvert Ado Kyrou ? L’avez-vous connu personnellement ?
            La lecture de son ouvrage « Le surréalisme au cinéma » A,
 je l’ai faite vers l’âge de seize ans, peu avant mon cursus d’études en
 réalisation Cinéma/TV. A Bruxelles, comme ailleurs, vers la fin des 
années ’70, une bonne initiation au cinéma passait souvent par la 
fréquentation de la Cinémathèque, aujourd’hui appelée « Cinematek » – 
oui, avec un -k à la fin, comme Kyrou. Sa monographie sur Luis Bunuel B
 a aussi été un fidèle compagnon de route pendant mes études 
artistiques. Normal, les apprentissages n’ont pas attendu les autoroutes
 de l’information pour instaurer un accompagnateur discret, voire un 
professeur, en chaque auteur que l’on choisit de lire.
Signature d’Ado Kyrou, depuis L’AGE D’OR DE LA CARTE POSTALE, Paris, édtions BALLAND, 1966
            Bien que ses idées 
avant-gardistes sur le cinéma aient été, depuis plus d’un demi-siècle, 
bien partagées, l’œuvre d’Ado Kyrou, écrite et filmique, reste assez 
méconnue. Ses écrits – à la fois révélateurs d’une érudition 
cinématographique rare et parés d’une posture assez subversive – lui 
valent-ils comme une sorte de …non-droit de cité dans la nébuleuse 
culturelle française? Encourager le spectateur à s’exprimer à haute voix
 dans les salles obscures, à aller voir les « mauvais » films qui, de 
son point de vue, sont parfois « sublimes », s’en prendre à Camus et à 
Truffaut pour dénoncer certaines assertions qu’il trouve conservatrices,
 rejeter quasi en bloc Bresson, Cocteau et Hitchcock, cela crée des 
inimitiés, peut-être même posthumes…
Page de couverture « Le Manuel du parfait petit spectateur », écrit 
par Ado Kyrou, 
illustré par Siné, Paris, éditions LE TERRAIN VAGUE, 
1958.
Page source : http://seriouspublishing.blogspot.gr/2008/12/manuel-du-parfait-petit-spectateur-ado.html
            Aux polémiques autrefois 
ouvertes autour du cinéma  – souvenons-nous  du  clivage à la fois 
esthétique et politique entre les revues « Positif » et « Cahiers du 
Cinéma » C
 –  a, peu à peu, succédé le conformisme, qui, déjà en 1980, le faisait 
affirmer que «les choses sont aujourd’hui données comme des cachets 
blancs qu’on avale» ; lui qui, par-delà la critique « de la réalité 
manifeste » revendiquait celle de la « réalité latente », invitant ainsi
 le critique de cinéma à entrer dans la poésie en dépassant le stade du 
journalisme, puisque « grands mythes et élans libérateurs se 
cristallisent sur l’écran, lieu prédestiné du hasard objectif ».
            Bien plus tard – dans les 
années 2000, une époque où j’enseigne le documentaire de manière 
intensive – je remets la main, quasi incidemment, sur un enregistrement 
intégral, effectué en 1980 par un camarade de classe, dans le cadre d’un
 exercice pratique de  « portrait radiophonique » en école de cinéma. 
Là, je découvre son récit de vie, depuis ses origines familiales et ses 
années athéniennes sous l’occupation, jusqu’à son exil en France en 
1945 ; ses engagements politiques et syndicaux, son entrée dans le 
groupe surréaliste de l’après-guerre et, bien sûr, son approche de 
critique et de praticien du cinéma. Autant parler d’un trésor de 
témoignage par cet « éternel révolté »D disparu à l’âge de 63 ans d’une rupture d’anévrisme en automne 1985, à Paris.
Portrait d’Ado Kyrou, image extraite d’un entretien vidéo (en grec) 
avec Nikos Giannopoulos (1985)
Page source : http://www.dailymotion.com/video/xvdvx5
Je ne l’ai donc pas connu personnellement, si ce n’est par ce témoignage unique ou encore les archives de l’INA E
 qui, par bribes, retracent son parcours d’auteur, de critique cinéma et
 de cinéaste d’inspiration surréaliste. Dans un monde culturel tout 
aussi sectorisé que celui de l’industrie, sa notoriété le cantonne 
exclusivement dans la critique cinématographique d’avant-garde, au point
 que l’on méconnaît aujourd’hui le Kyrou amateur de cartes postales et 
d’imagerie populaire F,
 le court-métragiste de talent et le téléaste de service public 
audiovisuel en fiction, en reportage, en variétés… Et aussi en film 
documentaire qui, en télévision, était produit sur support pellicule 
16mm jusqu’au début des années ’80, comme son « Zen sans gêne », d’une 
durée de 8 minutes et disponible en clair sur la toile : http://www.ina.fr/video/CPB8005286407/le-zen-sans-gene-video.html 
Dans sa période de collaborations 
régulières à l’ORTF et France 2, entre 1968 et 1984, les documentaires 
de 52’ qu’il réalise s’intitulent: « Le vieux Trocadéro », « Les 
francs-maçons à visage découvert », « Vivre le chômage », « Le musée 
Grévin », « L’habitat social: un constat », « Les artisans de 
l’éphémère », « Les gardiens du temps », « Ces enfants-là »…  Flux 
télévisuel oblige, l’enquête et le témoignage y sont nettement 
privilégiés, ce qui n’empêche pas une construction cinématographique 
rigoureuse et des envolées poétiques lors de nombreux passages dans la 
continuité audio-logo-visuelle. Accompagnement musical éclectique, 
reconstitution, farce et clin d’œil font partie des procédés fréquemment
 adoptés à la mise en scène ou au montage, qu’il évoque dans ces 
termes : « Il y a quinze jours, j’ai fini un film de commande – on est 
obligé de faire des films de commande de temps en temps – sur le Salon 
des arts ménagers. Et il y avait une section rétrospective avec de vieux
 appareils et de vieilles machines-à-coudre etc… J’ai fait un plan d’une
 vieille machine-à-coudre – très belle – et je l’ai couplée avec un 
parapluie… Bon, c’est la rencontre de la machine-à-coudre et du 
parapluie de Lautréamont G,
 personne ne comprendra ou alors une personne sur mille, mais, moi, ça 
me fait plaisir. Donc, si tu veux, cet état d’esprit de la blague, même 
personnelle, reste aussi vivace que toujours. (…) J’ai toujours dit – et
 Breton était d’ailleurs d’accord avec moi – que le surréalisme est 
avant tout un état d’esprit. Il n’existait pas de groupe surréaliste 
quand Rimbaud ou quand Lautréamont écrivaient ou quand Bosch peignait. 
Le groupe a simplement rassemblé, codifié et mis au clair. Et permis à 
tout le monde d’entrer, disons, dans la poésie.» Kyrou admet avoir 
appris énormément à travers le traitement du réel à la télévision. 
« J ‘en ai fait une soixantaine, des films d’une heure à peu près. Je 
sais que si un jour je refais du cinéma, j’introduirai de façon encore 
plus présente la réalité, c’est-à-dire que j’y introduirai même du 
documentaire à l’intérieur. »
 Photographie du groupe surréaliste au café de la place Blanche en 1953.
© Man Ray Trust / ADAGP, Paris, 2005.
Ado Kyrou est le cinquième en commençant par la gauche à partir du  rang du haut.
 
 
 Ses lettres de noblesse
 en court-métrage cinéma se situent dans la période 1957-1963, en plein 
essor du genre en France. Sur dix courts-métrages répertoriés à son nom,
 six sont des documentaires – films d’art inclus. L’archive, écrite ou 
audio-visuelle, y occupe une place prépondérante, à commencer par « Le 
temps des assassins » (15’, 1962), véritable plaidoyer antifasciste 
retraçant l’histoire de la 2ème guerre mondiale, co-signé avec Jean 
Vigne et entièrement réalisé à partir d’images d’actualités. Lors d’une 
présentation publique de son œuvre à la cinémathèque d’Athènes en 2012, 
en toute fin de projection, un spectateur s’est levé pour demander 
comment se procurer une copie du film, précisant qu’on devrait l’inclure
 dans le catalogue de toutes les vidéothèques scolaires. Pour « La 
déroute » (16’, 1957) – son tout premier court-métrage produit par le 
talentueux Anatole Dauman et encadré par Georges Franju au poste de 
conseiller technique – Kyrou aborde l’exploitation mercantile de la 
défaite des troupes napoléoniennes à Waterloo. Signé par Henri Colpi au 
montage, narré par Jean Servais à partir de textes de Victor Hugo, le 
film possède toutes les qualités d’un classique de ces années-là, dans 
le sens où sa partition cinématographique déploie un découpage et une 
continuité très soignée et ponctuée par les textes de Victor Hugo : « Ce
 fut là un lieu funèbre, le commencement de l’obstacle, la première 
résistance que rencontre à Waterloo ce grand bûcheron de l’Europe qu’on 
appelait Napoléon; le premier nœud sous le coup de hache. »
 Photogramme extrait du court-métrage LE PALAIS IDEAL réalisé par Ado Kyrou (1958)
Page source : http://animulavagula.hautetfort.com/tag/michel+guillemot
Lors de l’entretien sonore, 
le cinéaste se remémore son expérience en court-métrage cinéma : « J’en 
ai fait une vingtaine, je crois, vingt-deux. J’avais des producteurs, 
toujours ; une seule fois, j’ai produit un film sur le château du 
Facteur Cheval H – ça s’appelait « Le Palais idéal » – sans être payé et sans payer l’équipe, avec un prêt que m’avait fait mon ex-belle-mère »I.
 Ainsi, grâce au geste de sa mécène, Ado Kyrou peut enfin traiter un 
sujet cher aux surréalistes – auquel Jacques Brunius avait consacré un 
film dans les années ’30. Il s’agit du phénomène de l’artiste singulier 
Ferdinand Cheval connu aussi comme Facteur Cheval (1836-1924), 
originaire de Hauterives (Drôme). Nous sommes en 1956, une époque où la 
notoriété artistique du bâtisseur solitaire reste encore à faire. Ici, 
le cinéaste Kyrou opte pour le récit du facteur à la première personne, 
depuis ses premières intuitions jusqu’à l’achèvement du palais entièrement
 construit de ses mains, et selon les mots de l’artiste, grâce à « un 
génie bienfaisant (qui l’a) tiré du néant ». L’histoire de Ferdinand 
Cheval est narrée par Gaston Modot tandis qu’à l’image, le personnage 
est incarné par Monsieur Chautand, facteur à Hauterives en 1957 que la 
caméra de Kyrou suit jusqu’aux derniers gestes du personnage en train de
 bâtir, à l’âge de 86 ans, sa propre demeure éternelle qu’il nommera 
« le tombeau du silence et du repos sans fin ». La collaboration de 
Kyrou avec un maître du jazz comme André Hodeir et le Jazz Groupe de 
Paris, ainsi qu’un travail méticuleux de couplage son/image, créent la 
rencontre poétique entre l’étrangeté de l’œuvre monumentale de Ferdinand
 Cheval et son récit : « Fils de paysan et fils de mes oeuvres, facteur 
rural comme mes 25000 camarades, je déambulais chaque jour de Hautes 
Rives à Tersanne, courant tantôt dans la neige et la glace, tantôt dans 
la campagne fleurie. J’avais bâti dans un rêve, un château, un palais ou
 des grottes, je ne sais trop bien vous l’exprimer, le tout si joli, si 
pittoresque que l’image en demeura vivante pendant au moins dix ans dans
 mon cerveau. Je m’ traitais moi-même de fou, d’insensé. J’étais pas 
maçon, sculpteur, je ne connaissais pas l’ ciseau. Pour l’architecture, 
n’en parlons pas, je ne l’ai jamais étudiée. Or, au moment où mon rêve 
sombrait peu à peu dans les brouillards de l’oubli, mon pied heurtait 
une pierre si bizarre que je l’ai ramassée. Le lendemain, au même 
endroit, j’en trouvai une plus belle. Puisque la nature peut faire la 
sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture. » Ainsi parlait
 Cheval dans ce petit bijou cinématographique, austère et lyrique à la 
fois, où le cinéaste, entre reconstitution, respect du document et 
merveille du monument, revisite l’univers poétique du personnage.
 Le Palais idéal, œuvre monumentale de Ferdinand Cheval, carte postale d’époque
page source : www. facteur-cheval.fr
Pouvez-vous nous donner les éléments les plus importants de sa biographie.
Citoyen Kyrou naît dans 
l’Athènes de l’entre-deux guerres en 1923, au sein d’une famille aisée, 
et selon ses propres mots, « bourgeoise et, même, 
tout-à-fait réactionnaire ». Les Kyrou sont d’origine chypriote et 
propriétaires-éditeurs du quotidien conservateur « Estia », dont la 
direction lui est à priori destinée. Il en sera tout autrement pour le 
jeune Adonis qui, collégien dans les années ’30, commence par refuser de
 porter l’uniforme des jeunesses fascistes. Il ne tardera pas à 
rejoindre la résistance communiste pendant l’occupation où il n’a pas 
été accepté « les bras ouverts, c’est-à-dire qu’il y avait une méfiance,
 toujours – normale, normale. Et ils m’ont mis à l’épreuve. Alors, 
mettre à l’épreuve, ça donnait des résultats quelques fois tragiques 
pour un gosse de cet âge-là. J’ai eu des fois à trimballer, dans des 
sacs, des morceaux de mitraillette d’un bout d’Athènes à l’autre à pied,
 Alors, je me souviens de ma trouille, comme un gosse qui a peur, peur, 
comme les gosses dans « Les misérables », comme Cosette dans la forêt, 
quoi. J’allais d’Omonia à Pangràti, à pied, avec deux grands sacs. Les 
Allemands, je le voyais, ils étaient autour de moi, oui. Mais tu vois, 
ça, ça forme aussi.»
Peu après la libération 
d’automne 1944 – Churchill et Staline négocient le sort des Balkans et 
placent la Grèce sous influence britannique J
 – le pays ne tardera pas à sombrer, cinq ans durant,  dans une 
sanglante guerre civile ayant marqué la mémoire de plusieurs générations
 dans le pays. Gravement blessé à la colonne vertébrale, Kyrou survit 
aux balles des milices d’extrême droite et après quelques mois 
d’hôpital, il rejoint, en toute clandestinité, la France. « Un ami qui 
était le directeur du journal communiste « Rizospastis » m’a dit : 
« Comme je considère que tu es un bon communiste, ne va pas dans les 
pays dits ‘socialistes’.». C’est comme ça que je suis arrivé en France, 
avec des faux papiers, que je suis allée clandestinement sur un bateau 
anglais. J’ai mis presque trois mois pour arriver d’Athènes à Paris, 
c’était juste la fin de la guerre. Puis, je me suis trouvé tout seul, 
sans connaître personne. »
 Extrait de l’ouvrage d’Ado Kyrou L’AGE D’OR DE LA CARTE POSTALE, Paris, édtions BALLAND, 1966
page source: http://www.wanted-rare-books.com/carte-postale-kyrou.htm
Il est peut-être parmi les 
premiers en ce début de l’année 1945 mais près de 150 de ses congénères 
suivront à bord du bateau « Mataroa », certains d’entre eux comme 
étudiants boursiers de la France, fuyant clairement les représailles du 
fait de leur participation à la résistance. Ils s’appellent Kostas 
Axelos, Cornelius Castoriadis, Kostas Papaïoannou et seront philosophes.
 Nikos Svoronos deviendra historien, Mimika Kranaki, tête chercheuse en 
philosophie, poétesse et romancière. Georges Candylis, urbaniste auprès 
du Corbusier ainsi que l’architecte Yannis Xenakis, arrivé en 1947, qui 
sera compositeur.
« J’ai vécu très longtemps, plusieurs 
années », raconte Ado Kyrou,  « sept huit ans, oui, sans papiers, 
c’est-à-dire uniquement avec une carte de réfugié. J’ai fait même des 
travaux pour vivre; des travaux du genre débardeur aux Halles. J’ai fini
 ici ma licence ès Lettres, puis tout en écrivant, j’ai commence, petit a
 petit, à entrer dans le cinéma.  Je me suis d’abord spécialisé dans la 
critique cinématographique. »
Pendant plus de trente ans, les revues 
qu’il a fondées ou au sein desquelles il a fait équipe sont : « L’âge du
 cinéma », « Bizarre », « Positif », « Cinéma », « L’écran », 
« L’avant-scène du cinéma », « Midi-Minuit Fantastique »… K
Portrait d’Ado Kyrou, image extraite d’un
 entretien avec Jacques Nahum 
pour le documentaire « Le cinéma 
surréaliste existe-t-il ? » réalisé dans 
le cadre de l’émission « Démons
 et merveilles du cinéma », ORTF,  1966
Page source : www.inamediapro.com
Sa rencontre, d’une part avec Eric Losfeld L,
 son éditeur, ainsi que le groupe surréaliste déterminent son 
orientation intellectuelle : « J’ai trouvé là des gens qui disaient ce 
qu’ils pensaient, pour qui, les choses n’étaient pas une fois pour 
toutes définies. Qui n’obéissaient pas à la règle de l’histoire, même 
littéraire. Des gens auprès de qui je pouvais dire que La Fontaine est 
un sale con, sans qu’on me dise que je fais de la provocation ou que 
j’essaie de faire le malin. Donc, le surréalisme m’a beaucoup aidé pour 
avoir cette indépendance totale envers l’événement. Cela m’a porté 
beaucoup d’autres choses, c’est-à-dire que j’ai connu des personnages 
extraordinaires. Quelqu’un comme Prévert, par exemple, était un être 
extraordinaire, d’une valeur morale incroyable. Bunuel, aussi. Tout ça 
c’était des personnages qui existaient par eux-mêmes, sans faire de 
numéro à l’extérieur. (…) Resnais, c’est quelqu’un que j’aime bien 
humainement, on habitait rue des Plantes tous les deux, lui un peu plus 
loin que moi. Pendant Mai ’68, on avait rendez-vous au coin de la rue et
 on allait à pied à Vaugirard, à l’école de Vaugirard, où il y avait 
toutes les réunions. C’est quelqu’un qui a beaucoup pensé au 
surréalisme, qui a été très proche, très propre aussi. »
Quelle importance avait le documentaire pour lui ?
 Revendiquant l’essence 
surréaliste du cinéma – de par le simple fait que la caméra impose 
toujours un point de vue – c’est la poésie et l’absurdité du réel qui 
l’intéressent, y compris en fiction. Parmi ses œuvres les plus réussies,
 on peut citer deux «hybrides », à mi-chemin du documentaire et de la 
fiction, l’un placé sous le signe du désir de témoigner, l’autre sous 
celui de la créativité exponentielle à partir de documents visuels.
Il s’agit, d’une part, de 
« Bloko », long-métrage (74’, 1965) se référant à la période de 
l’occupation allemande en Grèce. La trame fictionnelle n’est qu’un 
prétexte à la reconstitution de faits historiques qui se sont déroulés 
en été 1944 dans le faubourg athénien de Kokkinia. La cartographie 
« occupants – résistants – collabos – population » y est minutieusement 
décrite à travers le bouclage barbare de la ville, suivi d’exécutions 
capitales collectives. Avec le temps – et surtout, la nécessaire 
distance des historiens et de l’opinion publique par rapport aux faits 
de guerre – le film est devenu une référence dans le cinéma grec. 
Pourtant, le cinéaste s’en souvient tout autrement lors de sa sortie : 
« Le film a été très mal accueilli en Grèce parce que pour la première 
fois, il y avait un film sur la résistance, sur l’occupation, sans 
héroïsme. Il n’y avait pas de personne qui n’avait pas peur. Il n’y 
avait pas de ces êtres immatériels qui parsèment tout le cinéma de 
guerre américain ou même tout ce qui a été fait sur la résistance en 
Grèce. J’avais essayé, d’une part, d’être complètement réel, 
c’est-à-dire d’écrire les choses telles que je les ai vues. Je n’ai pas 
vu l’événement même mais j’ai vu des événements équivalents. »
D’autre part, « Un honnête 
homme », (11’, 1963, Prix Louis Lumière 1964), renvoie clairement au 
documentaire de création construit à partir d’un matériau assez 
insolite: une collection de cartes postales en noir et blanc, filmées au
 banc-titre. Approche surréaliste oblige, la continuité visuelle de 
cette imagerie « belle époque «  est ponctuée par le récit biographique,
 en rimes, d’un présupposé fils de sabotier du Val-de-Loire M
 qui arrive à Paris pour étudier mais finit par y connaître la débauche,
 l’amour, puis la guerre avant le retrait et la paix… A l’image, donc, 
le document. Au son, la fiction aux vagues similitudes autobiographiques
 sur fond d’exode rural.
 Quelle place peut avoir aujourd’hui la connaissance de l’œuvre d’Ado Kyrou ?
Autant son œuvre que les 
points de vue qu’il a défendus rappellent l’effet d’un antidote à la 
culture sclérosée, si vous permettez l’expression. L’empreinte 
surréaliste sur son expression l’amène à affirmer « des choses qui ont 
paru à un certain public et surtout à une certaine élite comme des 
absurdités immenses. J’avais osé dire que « King Kong » était un grand 
film lorsque « King Kong » était considéré comme un petit film pour les 
petits enfants. Ou « L’île du Dr Moreau » ou n’importe quoi. 
Aujourd’hui, il y a des jeunes qui me demandent « Dis donc, comment 
avais-tu deviné que c’était un grand film ? » J’avais deviné rien du 
tout, ça m’avait plus, c’est tout. Et j’avais osé le dire ».
Extrait de presse en langue avec photographie de plateau depuis le 
tournage « Paix et vie », Athènes, 1962. Ado Kyrou, debout derrière la 
caméra, porte des lunettes foncées.
Page source : http://www.askiweb.eu/
            A la revendication de la 
liberté de penser, s’ajoute l’intérêt historique des sujets qu’il a 
traités, qu’ils soient en lien avec la littérature, l’art en général et 
le surréalisme en particulier. Quant à son style cinématographique, 
nourri d’une grande exigence artistique, il semble toujours à l’affût de
 la singularité « pour effacer toutes les différences, pour entrer dans 
toutes les différences pour les comprendre. Artaud était fou, et parce 
qu’il était fou il était Artaud.». Certaines séquences dans ses films 
pourraient être revisités comme des documents à part entière. Prenons 
l’exemple de « La chevelure » (19’, 1961), adapté à partir de la 
nouvelle homonyme de Guy de Maupassant. Aux côtés d’un Jean-Louis 
Trintignant dans l’un de ses tout premiers rôles, Kyrou s’amuse à 
insérer dans le film le passage de l’homme-orchestre, personnage 
ambulant de l’époque qui arpentait les quartiers de Paris sous le poids 
d’objets-instruments reproduisant sa « musique ». Idem pour l’apparition
 inattendue d’Henri Langlois dans « Le vieux Trocadéro » (archives INA 
1974), évoquant ses souvenirs du lieu avant la démolition, comme une 
caverne d’Ali Baba… Dans l’anticonformisme qui caractérise son parcours,
 l’histoire de la censure à la télévision française citera à nouveau son
 nom pour avoir « ridiculisé le personnage d’un officier de police » 
dans la série « Face aux Lancaster » (20X13’, 1971) N.
Dans son récit de vie, Ado 
Kyrou s’attarde sur une autre expérience heureuse de production 
collective, cette fois: «  C’était un film qui s’appelait « Parfois le 
Dimanche » (1960), un film-romance avec acteurs, avec, comme fond, la 
guerre d’Algérie. Celui-là, je l’ai fait en coopérative avec tous les 
techniciens sans qu’on n’ait payé un sou. On était deux réalisateurs, 
Raoul Sangla et moi. On avait des acteurs, des techniciens, c’était une 
production assez complète pour un film de 25 minutes, où tout le monde a
 été payé à part égale, c’est-à-dire que le machiniste a été payé autant
 que nous. Une fois le film vendu – le film a fait pas mal d’argent 
d’ailleurs – on était tous très heureux. C’était une entreprise rare 
dans le cinéma, où toute coopérative, comme ça, est considérée comme 
dangereuse parce que les gens ne voient jamais leur argent. Mais là, 
c’était peut-être le système qui n’était pas un système de hiérarchie 
mais un système d’égalité totale… Comme on avait signé tous nos contrats
 après avoir demandé l’aide du syndicat, il n’y a pas eu la moindre 
histoire. »
 Plan du parapluie et de la machine à coudre composé lors du tournage 
du « Salon des arts ménagers » (Paris, 1981), en référence aux « Chants 
de Maldoror de Lautréamont. Cliché pris depuis l’interface des archives audiovisuelles de l’INA.
Après l’écoute du témoignage d’Ado Kyrou,
 j’ai éprouvé la curiosité d’aller retrouver ce plan de la rencontre de 
la machine à coudre et du parapluie qu’il a composé à l’occasion du 
programme télévisé pour le Salon des arts ménagers de 1981. Entre 
rasoirs à main dentelés, ventilateurs « quatre saisons » et spatules de 
cuisine en nylon, la nature morte …gisait à la 37ème minute 
de l’émission, en noir et blanc, au beau milieu d’une séquence de poêles
 à bois en porcelaine peinte, le tout baignant dans une sorte dans 
l’anachronisme que procure le visionnage des programmes de ces 
années-là. Il faut dire qu’Ado était le téléaste habitué pour 
« Aujourd’hui Madame », devenu « Aujourd’hui la vie », programme 
prioritairement destiné à la bonne ménagère de l’époque (années ‘60 et 
’70), pour lequel il a, hormis les reportages sur le terrain, assuré les
 défilés annuels des grands couturiers entre la fin des années ’70 et le
 début des années ’80. Il a également réalisé quelques programmes 
musicaux pour « Dim, Dam, Dom », dont certains documents comme 
l’improvisation flamenco du grand guitariste gitan Manitas De Plata 
(1967)  https://www.youtube.com/watch?v=o92nOLWiduM ainsi que « Hey Joe » de Jimi Hendrix (1967).
Alors, on l’imagine volontiers, entre 
deux tournages en studio multi-caméra, bavarder à la cantine en 
compagnie de Carlos Vilardebo O ou de Jean-Christophe Averty P,
 évoquant tantôt l’essence surréaliste du cinéma tantôt les tracts du 
mouvement qu’il signait autrefois et qui, eux, n’ont rien perdu de leur 
modernité: « Ni école, ni chapelle, beaucoup plus qu’une attitude, le 
surréalisme est, dans le sens le plus agressif et le plus total du 
terme, une aventure. Aventure de l’homme et du réel lancés l’un par 
l’autre dans le même mouvement. N’en déplaise aux spirites de la 
critique attablés, toutes lumières éteintes, pour évoquer son ombre, le 
surréalisme continue de se définir par rapport à la vie dont il n’a 
cessé d’exalter les forces en s’attaquant à leur aliénation séculaire. » 
HAUTE FREQUENCE, tract surréaliste du 24 mai 1951
Notes
A Ado KYROU, Le surréalisme au cinéma, Paris, 1ère édition par LE TERRAIN VAGUE (1963) –   rééditions par  RAMSAY CINEMA (depuis 1985)
B Ado Kyrou, Luis Bunuel, Paris, édité par SEGHERS , coll. “Cinéma d’Aujourd’hui” (1962)
C Frémaux Thierry. L’aventure cinéphilique de positif (1952-1989). In: Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°23, juillet-septembre 1989. Dossier : Mai 68. pp. 21-34
http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1989_num_23_1_2831
D Ioanna PAPASPYRIDOU, Ado Kyrou, l’éternel révolté, Mélusine XXIV – Le cinéma des surréalistes. Article accessible en ligne : https://books.google.gr/books?id=yicoXwu_FbUC&pg=PA77&lpg=PA77&dq=film+documentaire+Ado+Kyrou&source=bl&ots=aYB1mKJsYN&sig=2fMjtX4GMw26CfnUQuN1JgrNuto&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjZp7mglMfZAhUEsaQKHe_vBb4Q6AEINjAE#v=onepage&q=film%20documentaire%20Ado%20Kyrou&f=false
E
 INA, Institut National de l’Audiovisuel chargé de la conservation des 
archives radiophoniques et télévisuelles des médias de service public 
depuis leur existence.
F  Ado KYROU, L’âge d’or de la carte postale, Paris, éditions BALLAND, 1966
G
 « (…) beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection 
d’une machine à coudre et d’un parapluie ! » , citation d’Isidore 
Ducasse dit le comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror (1869)
Texte en ligne page 124 sur 142 : http://www.poetes.com/textes/lau_mal.pdf
H site web du Palais idéal de Ferdinand Cheval : www.facteurcheval.com
I
 Article du quotidien le Dauphiné “Un film inédit sur le Facteur Cheval”
 relatant comment la copie du film d’Ado Kyrou a rejoint le site du 
älais idéal  en 2010: http://www.ledauphine.com/drome/2010/09/25/un-film-inedit-sur-le-facteur-cheval-et-son-palais-ideal
J À propos de “ l’accord des pourcentages” du 10 octobre 1944: https://www.herodote.net/10_octobre_1944-evenement-19441010.php
K Liste des articles de critique cinéma signés par Ado Kyrou https://calindex.eu/auteur.php?op=listart&num=14
L À propos d’Eric Losfeld: https://www.babelio.com/auteur/ric-Losfeld/170033  http://www.telerama.fr/livre/les-memoires-frondeuses-d-eric-losfeld-editeur-des-surrealistes,155586.php
M  Y aurait-il ici un clin-d’oeil au court-métrage de Jacques Demy “Le sabotier du Val-de-Loire” (26’, 1955)°?
N À propos de cet épisode de censure : http://www.tele70.com/article-30963759.html
O Carlos Vilardebo , cinéaste et téléaste d’origine portugaise, né en 1921: http://www.imdb.com/name/nm0897404/
P  Jean-Christophe Averty http://theconversation.com/jean-christophe-averty-melies-du-petit-ecran-74034
 
« Aimable public, ne va pas chercher dans ce film la vie de Sayat-Nova, grand poète arménien du XVIIIe siècle. Nous n'avons que tenté de rendre par les moyens du cinéma l'univers imagé de cette poésie dont le chantre russe Valéri Brioussov disait : "La poésie arménienne du Moyen-Âge est une des éclatantes victoires de l'esprit humain inscrites dans les annales de notre monde." » (Sergueï Paradjanov)