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jeudi 28 août 2025

L’État profond des géants de la Tech

La technologie numérique a été présentée comme un outil libérateur capable de soustraire les individus au pouvoir de l’État. Pourtant, l’appareil sécuritaire de l’État a toujours eu un point de vue différent – et aujourd’hui, il reprend le contrôle de sa propre création.

Source : Jacobin, Paolo Gerbaudo
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

 
Adam Goldstein, PDG d’Archer Aviation Inc. (à gauche), et Alexander Karp, PDG de Palantir Technologies Inc., lors de la conférence AIPCon à Palo Alto, en Californie, le 13 mars 2025. (David Paul Morris / Bloomberg via Getty Images)

Dans les années 1990, marquées par le néolibéralisme effréné, le techno-optimisme a atteint des sommets embarrassants. Imprégnés de l’imaginaire futile de ce que Richard Barbrook a qualifié « d’idéologie californienne », les travailleurs du secteur technologique, les entrepreneurs et les idéologues techno-visionnaires ont identifié la technologie numérique comme une arme de libération et d’autonomie personnelle. Cet outil, proclamaient-ils, permettrait aux individus de vaincre le Goliath honni de l’État, alors largement dépeint comme le géant défaillant du bloc soviétique en pleine implosion.

Pour quiconque ayant une connaissance superficielle des origines de la technologie numérique et de la Silicon Valley, cela aurait dû être, dès le départ, une croyance risible. Les ordinateurs étaient le produit des efforts de guerre du début des années 1940, développés comme moyen de décoder les messages militaires cryptés, avec la célèbre participation d’Alan Turing à Bletchley Park.

ENIAC, ou Electronic Numerical Integrator and Computer, considéré comme le premier ordinateur polyvalent utilisé aux États-Unis, a été développé pour effectuer des calculs d’artillerie et faciliter la mise au point de la bombe à hydrogène. Comme l’a tristement fait remarquer G. W. F. Hegel, la guerre est l’Etat dans sa forme la plus brutale : l’activité dans laquelle la puissance d’un État est mise à l’épreuve face à celle d’autres États. Les technologies de l’information sont devenues de plus en plus centrales dans cette activité typiquement étatique.

Certaines personnes croient peut-être encore au mythe selon lequel la Silicon Valley serait née naturellement de hackers soudant des circuits dans leurs garages. Mais la réalité est qu’elle n’aurait jamais vu le jour sans le soutien infrastructurel de l’appareil de défense américain et ses marchés publics garantissant la viabilité commerciale de nombreux produits et services que nous considérons aujourd’hui comme acquis. Cela inclut Internet lui-même, avec la Defense’s Advanced Research Projects Agency ou DARPA (Agence pour les projets de recherche avancée de défense) chargée de développer la technologie de commutation par paquets qui sous-tend encore aujourd’hui l’architecture de communication du web.

C’est vrai : à partir de cette incubation dans le secteur militaire, la Silicon Valley a progressivement évolué pour se concentrer principalement sur des applications civiles, des réseaux sociaux et le commerce électronique aux jeux vidéo, à la cryptographie et à la pornographie. Mais elle n’a jamais rompu ses liens avec les appareils de sécurité. Les révélations d’Edward Snowden en 2013 sur le programme Prism ont mis au jour une coopération profonde et presque inconditionnelle entre les entreprises de la Silicon Valley et les appareils de sécurité de l’État, tels que l’Agence nationale de sécurité (NSA). Les gens ont pris conscience que pratiquement tous les messages échangés via les grandes entreprises technologiques telles que Google, Facebook, Microsoft, Apple, etc. pouvaient être facilement espionnés grâce à un accès direct par une porte dérobée : une forme de surveillance de masse sans précédent par son ampleur et son omniprésence, en particulier dans les États démocratiques. Ces révélations ont suscité l’indignation, mais la plupart des gens ont finalement préféré détourner le regard de cette vérité dérangeante qui avait été mise à nu.

Les technologies vendues comme des outils de libération et d’autonomie se révèlent être des moyens de manipulation, de surveillance et de contrôle hiérarchique.