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vendredi 10 octobre 2025

Sophia : Kojève et la conscience de Staline

 


  " Des jeunes hommes graves qui s’assemblent dans un musico philosophique et religieux où l’on s’inquiète du sens général de l’Humanité... On y cherche à savoir si elle tourne sur elle-même ou si elle est en progrès. Ils étaient très embarrassés entre la ligne droite et la ligne courbe, ils trouvaient un non-sens au triangle biblique, et il leur est alors apparu je ne sais quel prophète qui s’est prononcé pour la spirale. – Des hommes réunis peuvent inventer des bêtises plus dangereuses, s’écria Lucien. – Tu prends ces théories-là pour des paroles oiseuses, mais il vient un moment où elles se transforment en coups de fusil ou en guillotine. " - H. Balzac, Illusions Perdues.

Ce livre de Kojève, écrit en 1941 mais surgissant seulement de nos jours, pourrait sembler n’être qu’un témoignage archéologique d’URSS, sorte de vestige philosophique émergé aux hasards de récentes découvertes réalisées dans les archives de la Bibliothèque nationale de France, un livre, somme toute, aussi inachevé que toutes les aspirations de cet empire. Pourtant, actuellement, ce vestige pourrait bien être perçu comme un cri, le cri testamentaire du vaincu : son idée, son idéal, son idéologie, sa lecture philosophique de l’Histoire universelle.

Cette Histoire, comprise et rédigée, non pas exactement par « les Soviétiques », mais par un Kojève qui souhaitait alors appartenir à cette « force historique consciente d’elle-même », est-elle réellement révolue ? La page est-elle définitivement tournée, le livre de l’Humanité refermé[1] ? Même pour celui qui en serait convaincu, il reste sans doute instructif de prêter l’oreille à cette narration « narration philosophique » du point de vue russo-soviétique, de lire cette épopée humaine naguère pleine de promesses.

ACTUALITÉ.

Le 26 décembre 1991, l’Union soviétique est dissoute. Les Etats-Unis sortent grand vainqueur d’une confrontation Est-Ouest, communisme-capitalisme, Empire contre Démocratie libérale. On proclame alors la « libération des nations » ou l’« autonomie des peuples ». La notion d’État-nation, plus ou moins recouverte sous celle de régime « démocratique », s’impose de nouveau comme une évidence à mesure que l’URSS se disloque. L’idée même d’Empire, associée à celle de « dictature », est universellement décriée. Pour certains, c’est la fin de l’Histoire. L’ordre des « démocraties-libérales », certes imparfait (de l’aveu même de ses partisans), paraît définitif et la « liberté » triomphante. Happy end.

Bien sûr, dans la mesure où la « reconnaissance sociale » (et la reconnaissance des droits) n’est pas acquise pour tous, dans la mesure où les inégalités socio-économiques se creusent (et les classes subsistent), dans la mesure où les conflits de frontières reprennent entre « nouvelles » nations, dans la mesure, enfin, où l’Humanité – dominée par le marché – demeure impuissante à se prendre en main et à s’unir pour prévenir résolument différents types d’« apocalypse » toujours possibles (guerre nucléaire ou catastrophe écologique, voire abêtissement irrémédiable et généralisé de l’individu humain sous flots d’« intelligence artificielle » non maîtrisée), l’Histoire semble s’achever... sur une interminable fausse note.

Quand elle est entendue (et il semble qu’elle se fasse de plus en plus criante), cette fausse note politique, les « réformateurs-démocrates » ne se proposent pas de la suprimer (ou de la « dépasser-dialectiquement ») dans l’« harmonie » parfaite du « meilleur des régimes », mais – attendu l’imperfection notoire et intrinsèque de ce qu’ils considèrent être « la nature humaine » – de l’amender autant que possible s’ils sont « optimistes » ou s’ils sont « réalistes » de la maintenir dans des proportions jugées acceptables.

A vrai dire, il s’agit moins de « politique » que d’une « sage administration » (ou réglementation) des choses, des techniques, des croyances et des hommes, conçue comme une correction asymptotique pour les plus « optimistes », comme une entrave momentanée à un irrémédiable déclin pour les dits « réalistes ». Dans les deux cas, toutefois, la « Démocratie » apparaît comme une tentative toujours recommencée d’équilibrer des forces antagonistes sur fond de « tolérance », du moins tant que les opinions ont le bon goût de rester à leur place.

Et, l’on est finalement en droit de se demander : va-t-on rester longtemps dans ce seul horizon politique du « statu-quo » qui, par inertie, se révèle toujours plus inique à mesure qu’il se détraque ? Ne peut-on espérer rien de mieux que de « contenir le temps », lequel n’est, sous cet angle, rien d’autre qu’une longue pente vers le chaos ou le pire ? Va-t-on pour toujours craindre de réveiller la puissance politique et la violence qu’elle entraîne ?

Peut-être est on arrivé au moment où ce statu-quo se transforme en crise, un moment où la « Démocratie-libérale de l’Etat-nation » ne paraît pas tant être la « fin de l’Histoire » que son « barrage momentané », une sorte d’« administration » lancée comme une entrave réglementarojuridique de moins en moins efficace contre les « tyrannies externes » et de plus en plus lâche devant ses forces internes particulières : les « grands du royaumes » et autres grands capitalistes dont certains souhaitent, en outre, se transformer en « acteurs politiques », changeant ainsi leur force en pouvoir.

Si tel était le cas, alors le livre que l’on tient entre les mains, cette justification d’un empire effondré aux prétentions universelles (dont l’étude aurait pu passer il y a quelques années encore pour « dépassée ») risque d’apporter un nouvel éclairage sur la situation présente et pour nos propres débats internes. Car, s’il s’agit de justifier l’URSS, il s’agit surtout de justifier et de conscientiser plus nettement l’aspiration ou l’idéologie d’un « Etat autoritaire » qui souhaitait faire de la politique au sens le plus fort et le plus violent du terme, à un moment à la fois de crise de la « démocratie », et de triomphe du fascisme-nazisme.

DÉMOCRATIES CONTRE DICTATURES

Par conséquent, pour éclairer ce livre sans le répéter ni le résumer, il convient de le resituer dans sa perspective politique. Or, un texte, encore inédit, intitulé Les Néoformations, est là pour nous y aider, en permettant de mettre en avant ce qui dans Sophia reste à l’arrière-plan, à savoir les combats de son temps, l’émergence du fascisme, du nazisme et du soviétisme à côté des systèmes démocratiques décriés.

Dans ce document de près de 400 pages, adressé à un ministre de Vichy (Henry Moysset) et rédigé peu de temps après Sophia, Kojève pose une question qui n’est pas sans rappeler notre époque et qui nous permettra d’esquisser sa doctrine du pouvoir : « Qu’a-t-on au juste en vue, se demande-t-il, lorsqu’on oppose les ‘‘Etats autoritaires ou totalitaires’’ quels qu’ils soient aux ‘‘Démocraties’’ ? » (p. 299). Et il répondait :

Du côté « démocratique », on reproche généralement aux Etats « autoritaires » d’être des Dicatures personnelles. Les partisans de ces Etats se défendent : soit en niant le fait, soit, s’ils sont plus sincères et honnêtes, en l’admettant, mais en affirmant que le régime personnel en question n’a rien à voir avec ce qu’on appelle couramment une « Dictature », c’est-à-dire un régime fondé sur l’oppression et la violence et non pas sur la « reconnaissance » consciente et libre du pouvoir, sur la Force et non sur l’Autorité. Ils affirment au contraire que seul leur régime est librement accepté par les citoyens (ou tout au moins par l’immense majorité des citoyens), tandis que le régime « démocratique » n’est qu’une « dictature » camouflée, fondée en fait sinon sur la violence ouverte, du moins sur la tromperie et l’oppression, c’est-à-dire en fin de compte sur la force (économique) et non sur l’Autorité reconnue librement et en pleine « connaissance de cause ». D’autre part, ils reprochent aux Démocraties leur caractère « féodal ». Ne disposant pas d’une Autorité politique véritable, ces Etats s’appuient en fait non pas sur l’ensemble des citoyens, mais sur un groupe formé autour d’intérêts privés (économiques). Ainsi, si les Démocraties ne sont pas des dictatures personnelles, elles sont néanmoins bel et bien des dictatures, à savoir des « dictatures de classes » (« ploutocratie », « capitalisme ») ». (p. 299-300)

      À en croire Kojève, l’Etat dit « démocratique » ne serait donc qu’un trompe-l’œil destiné à maintenir un équilibre précaire d’intérêts divergents où, somme toute, les plus riches continueront d’occuper, par manipulation (et d’abord manipulation médiatique s’apparentant à une oppression), les premières places.

Toutefois, aux yeux du penseur d’origine russe, dans un tel système, ces premières places sont aussi – du moins tant que fonctionne la « démocratie-libérale » – des places politiquement d’impuissants. Car telle serait la fonction de la « Démocratie » : paralyser le politique. En « démocratie », il ne s’agit pas, en effet, de faire l’Histoire, de proposer un idéal, de conscientiser une force en la transformant en pouvoir, d’avoir une aspiration neuve ou même de réaliser sérieusement une aspiration ancienne, mais seulement de conserver les places et les classes déjà existantes, de maintenir en circulation des rôles depuis longtemps usés, lesquels, cependant, octroient pour ceux qui ne sont pas lassés de les jouer leur part de prestige social et de bien-être matériel. Il n’est donc pas étonnant que les « démocraties-libérales » soient « sorties de l’histoire », puisque leur principe même est de ne pas y entrer.

Avec la « démocratie », on espère l’Histoire close sur ce nœud juridique de forces antagonistes, sur cette « alternance du pouvoir », sur cette fin du politique, trop heureuse en réalité de faire du « surplace ». « Que faire » quand on est un penseur « démocrate » ? Pas grand chose en vérité, si ce n’est déplorer l’imperfection humaine, justifier l’équilibre de ce qui est, imaginer des conditions « parfaites » (ou utopiques) de débat et de délibération juridique, tout en s’effrayant du fond chaotique qu’on pourrait réveiller en aspirant à mieux ou en dénonçant la « tromperie ou l’oppression » des dites délibérations publiques dans la « plouto-démocratie ». C’est un genre de fin d’histoire comme une fin de non recevoir.

Kojève appelle cela « féodalisme », car il y a effectivement quelque chose d’ancien régime dans cette « pratique du pouvoir ». Le « monarque » n’est, de ce point de vue, qu’un équilibriste entre « grands du royaume » (quels qu’ils soient et quoi qu’ils représentent). Si l’un monte trop haut, il faudra l’affaiblir en jouant (par la réglementation) une autre puissance. Quant à la « politique extérieure », le seul espoir réside, non dans une quelconque victoire et encore moins dans l’empire universel, mais dans la mécanique des forces nationales (selon l’adage « la force arrête la force »). On maintient ainsi coûte-que-coûte une stabilité qui s’apparente surtout à une perpétuelle stagnation où aucune puissance émergente (porteuse de nouvelles espérances) ne doit surgir sous peine de déstabiliser le système et de provoquer par là même violence et, éventuellement, guerre civile (ou, à une autre échelle, guerre tout court).

Néanmoins, compte tenu, de l’inertie des forces (poussant en direction d’une injustice sociale de plus en plus insoutenable), compte tenu de l’oubli du peuple parmi les forces qui finissent par compter, compte tenu également de cette métamorphose toujours possible d’une force interne en pouvoir (en ce qu’elle ne se contente plus de sa « première place », mais veut être au centre), il arrive un temps où la « démocratie-libérale » est et se sait sérieusement menacée, en ce qu’elle est décriée dans son principe même d’équilibrer les classes, et dans sa façon « trompeuse » (car viciée par la « force économique ») de le faire. Ou pour le répéter avec Kojève :

Il ne s’agit plus de supprimer les « classes », mais uniquement de leur permettre de coexister indéfiniment (c’est-à-dire « pacifiquement », sans rupture marquée d’équilibre). Or, c’est précisément là le but que se posent les Etats « non-totalitaires » en particulier les « Démocraties capitalistes » tant décriées » (p. 166).

Quand ce but n’est plus rempli ou lorsqu’il paraît par trop inique en dépit de tous les « camouflages », alors refait surface le vieux rêve de prendre le temps en main et de faire de nouveau avancer l’Histoire universelle, comme refait surface l’idée d’« Etat autoritaire », voire d’Empire universel, qui ne se contenterait pas, lui, d’un « équilibre des forces » mais qui aurait en vu sa suppression dans l’« union » afin de réaliser un idéal définitif d’avenir, en un mot une « idéologie ». 

L’Etat autoritaire, continue Kojève dans ce même texte de 1942, se solidarise avec une idéologie universelle et s’emploie à la réaliser. Au contraire, la Démocratie se désintéresse en principe des questions idéologiques. L’Etat démocratique n’est pas là pour éduquer ses citoyens, pour mener la nation vers un but idéal. Sa fonction consiste au maintien du statu-quo. Et ce statu-quo est censé être tel que n’importe quelle idéologie puisse y être admise par les citoyens. Certes, s’il venait à l’idée de ces citoyens de réaliser l’une des idéologies possibles, ceci pourrait aboutir à un conflit avec l’Etat démocratique.

      Que le statu-quo – tant interne qu’externe – ne soit plus tenable, que des acteurs se politisant s’emparent sérieusement d’idéologies et qu’ils subissent dès lors la censure de l’« Etat démocratique » n’ayant, quant à lui, d’autre idéologie que de maintenir le temps dans un éternel présent de la stagnation ou de l’« ordre établi », c’était ce qui apparaissait évident au Kojève des années 30-40.

L’expression « Etat démocratique » est une sorte de cercle carré. L’Etat qui se solidarise avec l’idéologie démocratique n’est pas un Etat au sens propre et fort du terme. C’est une administration, une police, une organisation purement technique qui a pour but d’assurer aux « citoyens » la possibilité de mener sans encombre une existence privée, c’est-à-dire non politique : sociale, économique, culturelle, religieuse, etc. C’est ce qui explique la tolérance et la « liberté » qui caractérisent les Démocraties et les distinguent des Etats autoritaires, par définition intolérants. Une idéologie politique prise au sérieux exclut les idéologies incompatibles, et l’Etat qui se solidarise avec l’une d’elle doit supprimer toutes les autres, dans la mesure du possible. Mais quand l’Etat n’est pas un véritable Etat, quand il n’a pas à sa base une idée vraiment politique, il peut fort bien se désintéresser de toutes les idéologies et les « tolérer » toutes. Mais sa tolérance ne peut s’étendre qu’aux idéologies qui n’impliquent pas comme but la politisation de la société, c’est-à-dire la création d’un véritable Etat, à base d’idéologie politique. C’est pourquoi les Démocraties n’ont toléré le Communisme et le « Fascisme » que dans la mesure où ils étaient inopérants. Au moment où il a été question d’appliquer ces idéologies respectives à l’Etat lui-même, le principe « démocratique » de tolérance a été abrogé. (p. 319) 

      Paradoxalement, en censurant, la Démocratie pourrait, à la rigueur, apparaître comme un « Etat proprement dit ». Pourquoi ? Parce qu’alors, elle s’empare consciemment du temps, en reconnaissant que sa fin est le « présent », qu’importe que celui-ci apparaisse à certains comme un marais et à d’autres d’une iniquité insupportable.

 EN AMONT DU FASCISME.

       Kojève n’est donc pas (en tout cas à ce moment-là de sa carrière) ce que l’on peut appeler un « démocrate ». Aussi Sophia est-elle une justification du pouvoir, la conscientisation d’un idéal politique, autrement dit une « idéologie ». Mais pas de n’importe quelle politique et, dès lors, ce n’est pas n’importe quelle « idéologie ». Car, si, pour le dire avec Kojève : « [Sophia] est écrite dans une société socialiste [en URSS] », elle en « est en quelque sorte l’idéologie » (p. 507). Or, cette société a pour adversaire principal, non pas tant la démocratie, que le fascisme-nazisme. 

En d’autres termes, après ou derrière la démocratie-libérale, c’est la politique d’« ultradroite » qui est visée, de sorte que les « démocrates » ne sont pas ses véritables opposants. Ils ne sont, pour ainsi dire, qu’une entrave temporaire, un temps d’accalmie volontaire (et volontairement incapacitant) avant le vrai combat politique : fascisme-communisme ou, dans les termes actuels du débat, « ultra-droite » contre « extrême gauche ». Quant aux démocrates, Kojève juge qu’ils seront vite oubliés ainsi qu’il le rappelle au début de Sophia :

Les sociaux-démocrates vont bien vite quitter la scène historique, pour – on va l’espérer – ne jamais y revenir. On peut même conclure qu’ils sont déjà morts. Les anciens Romains considéraient qu’il fallait bien parler des défunts ou alors ne rien en dire du tout. Pour notre part, puisqu’on ne saurait rien dire de bon des sociaux-démocrates, il est préférable que l’on cesse d’en parler tout à fait (Sophia, p. 48).

      A vrai dire, tel qu’il la comprend, c’est-à-dire comme un équilibre (plus ou moins tolérant et surtout plus ou moins inique et trompeur) de forces qui, elles-mêmes, se répartissent (et se conscientisent) en classes, la « démocratie-libérale » n’est, en définitive (et prise de façon dynamique), que l’antichambre du fascisme ou, plus exactement, l’amont d’un fleuve qui y conduit comme irrémédiablement. Et, de ce point de vue (soviétique), le fascisme n’est pas l’opposé de la « démocratie-libérale », mais son avant-garde ou son futur.

Ce paradoxe est simple à saisir. Tandis que le communisme veut l’abolition des classes, le fascisme se pense comme une justification par la biologie ou l’ethnie de la place que l’on occupe dans la hiérarchie sociale. La solution fasciste est alors de privilégier la classe « paysanne » qui, rattachée à la terre, est censée incarner de façon plus pure (et majoritaire) l’essence de la nation.

Il s’agit donc [dans le fascisme-nazisme] de conserver à tout prix une classe de propriétaires fonciers, liés et fixés dans leur existence toute entière à cette propriété même, c’est-à-dire à un « sol » bien déterminé, inchangeable et immuable. L’Etat « communiste » par contre se pose comme but la suppression de la paysannerie en tant que classe. Il s’agit de « déraciner » tous les citoyens, de les placer dans un état de mobilité absolue, de les rattacher et de les fixer non pas par le bas, au sol, mais par le haut, à l’entité idéelle de l’Etat en tant que tel. Pour l’Etat « fasciste » le citoyen est citoyen parce qu’il est lié au sol qui est le territoire de l’Etat. Pour l’Etat « communiste » par contre, le territoire n’est rien que parce qu’il est habité par ses citoyens, qui ne sont en rapport avec tel ou tel sol que parce qu’ils sont des citoyens, auxquels l’Etat a assigné une fonction agricole. Bref, l’Etat « communiste » veut « prolétariser » tous ses citoyens, en faire des « fonctionnaires » de l’Etat, même si leur fonction est agraire, c’est-à-dire même si elle les lie par la force des choses à un sol déterminé (p. 325-326)

En laissant de côté la politique de l’Etat communiste, on constate que si la « démocratie libérale » peine à justifier l’existence des classes (qu’elle maintient cependant au détriment de la majorité, « des petites gens »), le fascisme transforme ce problème social en justification raciale, en attribuant le sommet de la pyramide (comme principe de son gouvernement) à la classe paysanne, aux petites gens, ou encore à la majorité qui ne souhaite plus être politiquement « silencieuse », bref aux « authentiques citoyens ». Contrairement aux « démocraties-libérales » qui maintiennent les classes sans les justifier, ces dernières sont ici maintenues et justifiées (seulement leur justification prétend à une nouvelle répartition ou hiérarchisation). Quoi qu’il en soit, on peut dire avec Kojève :

C’est ce qui explique le fait qu’une « démocratie de droite » qui reconnaît plus ou moins ouvertement l’existence politique des classes, opte toujours pour le « fascisme » lorsqu’elle est réellement placée devant l’alternative « fascisme » ou « communisme ». Même si, par ailleurs, elle les dit et les croit être également haïssables. (p. 167-168).

Dans un tel projet, la classe devient une race. Ce sont les étrangers et les élites mondialisés (donc étrangères) qui déstabilisent le pays, le déséquilibrent, fomentent les troubles, et deviennent responsables de tous les maux. Ces gens, dit-on, ne partagent pas nos valeurs, sont intrinsèquement inassimilables, n’aiment pas le pays, etc. Cela devient aussi une opposition ville-campagne, le citadin est déraciné, l’ouvrier corrompu[2], etc. (dans les termes actuels du débat, le « jeune urbain » l’est au point d’être « wokiste », c’est-à-dire de ne plus respecter les frontières biologiques du genre).

A terme, cela implique d’imposer la « dictature de la paysannerie », c’est-à-dire un retour au « bon sens », au peuple et à la terre, à la majorité des petites gens. Mais comme tout le monde ne peut pas être paysans, ni ethniquement purs, cela demande de nouveau un équilibre (hiérarchisé) entre classes.

Les Etats dits « fascistes » affirment […] que les « classes » n’ont chez eux aucune réalité politique. Mais il est facile de voir qu’il s’agit là d’un simple thème de propagande « socialisante » ou « anti-capitaliste », voire « anti-démocrato-ploutocratique », qui ne correspond nullement à la réalité. En effet, lorsqu’un Etat croit et dit que l’existence de la classe paysanne est indispensable à son existence en tant qu’Etat, s’il veut conserver cette classe à tout prix, c’est qu’elle a à ses yeux, et par conséquent en fait, une valeur et une réalité nettement politique. […] Alors de deux choses l’une. Ou bien l’Etat n’attribue une valeur et une réalité politique qu’à la seule classe paysanne, et alors c’est un « gouvernement de classe » au sens fort du terme, une « dictature de la paysannerie » analogue à « la dictature du prolétariat » des débuts de l’URSS. Ou bien on reconnaît politiquement aussi la classe « non-paysanne », avec toutes ses subdivisions ; et l’Etat a alors pour but d’établir un équilibre des choses.

      Et Kojève peut conclure un peu plus loin : « Du moment qu’il s’agit non pas de supprimer les ‘‘classes’’, mais d’assurer leur équilibre, ces Etats [dit ‘‘fascistes’’] sont infiniment plus proches des ‘‘démocratie’’ que de l’URSS ». (p. 167).

MÉTAPHYSIQUE DE LHUMANITÉ.

Bien sûr, Sophia ne traite pas exactement de cela. Ce que l’on vient d’exposer avec ce texte inédit – ces Néoformations adressées à Henri Moysset sert plutôt, répétons-le, d’arrière-plan et doit être vu comme la condition historique implicite qui nous permet de mieux comprendre le théâtre de sa rédaction (et peut-être d’en apprécier l’actualité). Car, Sophia ne se situe pas tant sur le terrain de la théorie politique que sur le terrain plus fondamental de l’anthropologie philosophique. Kojève y livre – en particulier avec ce second tome – une « métaphysique de l’homme ». Une remarque incidente des Néoformations permet d’en rendre compte.

Il est facile de voir que cette différence [entre fascisme-nazisme et soviétisme] découle d’une différence dans la conception métaphysique de l’homme : c’est une différence entre deux anthropologies philosophiques. Ici [dans le cadre des Etats dit « fascistes »], l’homme est une plante qui s’épanouit ; là [en URSS] l’homme est un ange déchu qui reste un étranger sur terre. Mais je ne peux pas insister en ce lieu sur cette question (nous soulignons, p. 326-327)

Le lieu où « il insiste sur cette question », où il élabore cette « métaphysique soviétique de l’homme » est bel et bien notre livre. En effet, si dans le premier tome de Sophia, il était essentiellement question de méthodologie (rendant compte du sens qu’il donne aux termes « philosophie » et « phénoménologie »), il s’agit ici d’élaborer les fondements anhistoriques qui rendent possible et expliquent l’Histoire et son sujet, à savoir l’Humanité.

Avec cet ouvrage, nous sommes donc en dehors du temps, avant l’Histoire, ou plutôt dans l’élaboration d’une anthropologie censée la conditionner. Et, c’est pourquoi nous avons retenu pour ce second tome le titre de Métaphysique de l’Humanité. Il exprime, selon nous, le sous-titre que Kojève avait, quant à lui, choisi pour cette partie : Les Fondements antéhistorique des apparitions de l’existence historique de l’homme. Kojève, en effet, expose les « conditions » qui rendent compte, à ses yeux, de l’entrée de l’Humanité dans l’Histoire, ou plus exactement qui expliquent ses différentes apparitions dans un récit dynamique (ou dialectique) qui n’est autre que celui de son identité en voie d’achèvement dans l’unité, la sagesse et la toute-puissance (et, partant, comme divinité).

Autrement dit, nous avons affaire dans ce livre à une proposition d’anthropologie philosophique rendant compte des différentes « apparitions » ou « figures » d’une seule et même humanité sur la scène de sa propre histoire.

En un autre sens, il s’agit également d’un défi adressé à une anthropologie fascisante. A charge à ses adversaires de proposer une autre explication des ressorts de l’Histoire, ressorts qui doivent embrasser et désarmer sa propre hypothèse anthropologique mieux que lui-même ne le fait avec les propositions concurrentes.

Le Désir de Désir.

Comment qualifier dès lors sa proposition ? Kojève, on l’a vu, la présente sous les termes d’« ange déchu ». Bien sûr, sous cette expression, on retrouvera probablement des allusions à la culture russe, au Démon de Lermontov (qu’il cite d’ailleurs dans le premier tome de Sophia3) ou même aux Démons de Dostoïevski. De la même façon, il emploie pour la première fois à notre connaissance l’expression « métaphysique de l’Humanité » pour qualifier le système du père de la philosophie russe (sur lequel il avait écrit sa thèse), à savoir Vladimir Soloviev : « Sa métaphysique [celle de Soloviev] était avant tout une métaphysique de l’humanité, et c’est l’importance énorme attribuée à l’homme qui en formait le trait le plus personnel ».

Dans notre essai, La Conscience de Staline, nous avons montré ce que Kojève doit à ses prédécesseurs russes, en montrant que le couronnement de sa pensée s’apparentait à l’inversion du Dieu-homme en Homme-dieu, du Christ en Antéchrist, reprenant ainsi la suite du Court récit sur l’Antéchrist de Soloviev (que Kojève jugeait être l’un des textes les plus profonds de Soloviev). Ne nous attardons pas davantage .

 

[1] On rappelera que Kojève a qualifié son projet comme étant une « Autobiographie de l’Humanité ». Or, il a appelé ce livre justement Sophia (reprenant, par là, un vieux concept de la philosophie de Soloviev désignant sous ce terme précisément l’Humanité achevée ou idéale). 

[2] « Se solidariser avec la paysannerie, c’est tout naturellement se solidariser aussi avec son caractère ethnique : un Etat paysan est naturellement porté à rester un Etat-peuple. On peut donc dire que le ‘‘populisme’’ du IIIe Reich est une conséquence naturelle et nécessaire de sa politique paysanne. Le rapport entre la paysannerie et la nation est moins direct : il semble que cette dernière ne peut pas se constituer sans l’apport de la Ville. Mais dans la mesure où la paysannerie subsiste à côté de la ville (en principe toujours cosmopolite, du moins en puissance), la nation conserve une base ethnique et se crée autour d’un peuple. Ce n’est, d’ailleurs, qu’ainsi qu’elle est vraiment une ‘‘nation’’ et non un ‘‘empire’’. Son expansion n’est donc pas indéfinie. Si elle transcende l’élément ethnique en le remplaçant par un substrat culturel, elle ne peut absorber des cultures extérieures que dans la mesure où celles-ci sont compatibles avec la culture du peuple qui sert de base à la nation »


vendredi 26 septembre 2025

Théologie de la libération, une révolution culturelle massacréé : Marx »» Câmara »» Jean-Paul II »» Ratzinger

Religion et révolution:
  
« La religion est l’opium du peuple »
Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843
 

Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu'a l'homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l'arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole.

                                                                                        Traduction de M. Simon-Aubier, 1971    

 
« Quand j'aide les pauvres, on dit que je suis un saint. 
Lorsque je demande pourquoi ils sont pauvres, on me traite de communiste »    

                                                                                                                        Hélder Câmara

***

Killers au service de l'hégémon: 

Jean-Paul II (le pape précédent est mort subitement, au bout de 30 jours de pontificat...) rappelle avec force à Puebla au Mexique en 1979: « La présentation du Christ comme révolutionnaire, le subversif de Nazareth, n'est pas en accord avec la catéchèse de l'Eglise. » 

La Congrégation pour la doctrine de la foi publia en 1984 l’« Instruction sur quelques aspects de la théologie de la libération », rédigée par le cardinal Ratzinger. Le document rend justice à l’expression et aux buts de la théologie de la libération, mais avertit les chrétiens d’un risque inhérent à une acceptation sans critique du marxisme comme un principe dominant de l’effort de réflexion théologique. 

lundi 14 octobre 2024

1848, una revolución europea. Sobre «Primavera revolucionaria», de Christopher Clark

FUENTE: https://nuso.org/articulo/312-1848-una-revolucion-europea/

 Nueva Sociedad 312 / Julio - Agosto 2024    Edgar Straehle

Pese a haber sido un proceso a escala continental, de Palermo a París, de Roma a Praga, de Berlín a Viena, pasando por Budapest o Copenhague, la revolución de 1848 no dejó símbolos ni lemas y la memoria no fue tan generosa con ella. En su nuevo libro, el historiador Christopher Clark recrea este año extraordinario en la historia europea y nos permite pensar de manera más amplia la historia de las revoluciones y los procesos de transformación política y social.

 

1848, una revolución europea  Sobre «Primavera revolucionaria», de Christopher Clark 
‘Lamartine, ante el Hôtel de Ville, París, rechaza la bandera roja’ (1848), 
de Henri Félix Emmanuel Philippoteaux (Petit Palais)

 

Primavera revolucionaria. La lucha por un mundo nuevo 1848-1849, de Christopher Clark1, es una monumental historia de las revoluciones de 1848. Con un gran estilo narrativo y un sugerente abordaje analítico de los acontecimientos, este historiador ha sido capaz de reunir en cerca de mil páginas, muy bien hiladas, conocimientos y nombres propios al alcance de muy pocas personas. Se trata de un escrito tan deslumbrante como por ello mismo apabullante, que genera la sensación de tener muy poco que añadir a lo leído y mucho que aprender y releer una y otra vez con lo relatado de manera pormenorizada. Deliberadamente, el libro se apoya también en numerosas figuras y testimonios, como el futuro canciller Otto von Bismarck, que tendrán su auténtico protagonismo más tarde, si bien la narración de su experiencia en esos años ya nos permite comprender sus futuras trayectorias y provee a este escrito de cierta dimensión prospectiva. No creo que sea muy arriesgado profetizar que esta obra se ha convertido ya en un clásico reciente para este periodo. 

Además, para comprender la complejidad y el mérito del libro, hay que tener en cuenta que la oleada revolucionaria de 1848 es extremadamente difícil de narrar a causa de la gran cantidad de territorios que involucró y las múltiples conexiones e influencias que hubo entre ellos, no siempre sincronizadas ni unívocas. Clark mismo señala que las revoluciones de 1848 «se caracterizaron en todo momento por su multitud de voces, su falta de coordinación y la superposición de muchos vectores transversales de intención y conflicto»2.

Eso explica que en las primeras páginas se avise de que «debido a su combinación de intensidad y extensión geográfica, las revoluciones de 1848 fueron únicas», aunque también se deja caer que fue «la única revolución auténticamente europea que ha habido jamás». De hecho, y pese a que en algún momento se informa de su impacto a escala mundial, se podría aventurar que el verdadero sujeto oculto de esta portentosa narración es la propia Europa, abordada aquí desde ángulos diversos pero interconectados. El libro se aleja así de una historia –y sobre todo una memoria– por lo general excesivamente galocéntrica en la narración de estas revoluciones y otorga gran protagonismo a geografías a menudo olvidadas o postergadas, como Valaquia o las islas Jónicas, donde el británico Sir Henry Ward impulsó una represión brutal.

Al fin y al cabo, una de las grandes metas perseguidas consiste en el intento (logrado) de reflejar la complejidad de esos episodios y evitar reduccionismos o simplificaciones, como catalogar a estas revoluciones simplemente de liberales o de nacionalistas. Para ello, la explicación histórica también presta atención a movimientos como los radicales socialistas de la época, los sacerdotes partidarios de la revolución, como en Valaquia o en el Reino de las Dos Sicilias, o los luchadores por la emancipación de los judíos en un contexto plagado de antisemitismo. Asimismo, se trata el abolicionismo, sin restringirlo a una Francia que prohibió oficialmente la esclavitud en 1848 (si bien no la erradicó por completo en territorios como el África occidental francesa hasta 1905), ya que también se acuerda de los intentos provisionalmente fallidos de emancipar a los numerosos esclavos romaníes en Moldavia y Valaquia. Por supuesto, el libro no se olvida de las luchas por los derechos de las mujeres, sistemáticamente negados en las revoluciones de 1848 pese a la activa participación e implicación política de ellas, incluso en las calles y barricadas.

De esta manera, se proporciona un escorzo heterogéneo y vívido, reforzado además por la inclusión de otros elementos como imágenes, canciones o anécdotas del momento. Algunas de estas últimas son muy curiosas y no poco interesantes, como el estallido de la revolución de Palermo a inicios de 1848, anunciada unos días antes mediante notas impresas por Francesco Bagnasco en solitario, pese a que las firmara pomposamente en nombre de un inexistente Comité Revolucionario. Solamente se agradecería una buena cronología con la que orientar a un lector que fácilmente se pierde ante el inmenso aluvión de nombres y acontecimientos interrelacionados de diferentes países que se explican y a los que separa poco tiempo. De hecho, uno de los aspectos más logrados del libro es su explicación de cómo ante las crisis políticas que se iban desencadenando, las decisiones de los diferentes Estados quedaban condicionadas por los repentinos acontecimientos que tenían lugar en otros países.

Hay que tener en cuenta que la oleada revolucionaria afectó a toda Europa y que, como recuerda Clark, numerosas palabras comunes resonaron por todas partes (palabras como Constitución, libertad, libertad de prensa, asociación y reunión, guardia civil o nacional o reforma electoral), aunque también se debe decir que no en todos los países lo hizo con la misma fuerza ni tampoco adquirió una auténtica dimensión revolucionaria. El libro también se preocupa por resaltar esos casos distintos y menos espectaculares, pero no por ello poco importantes. Por ejemplo, el rey Guillermo ii supo reaccionar con celeridad en Países Bajos y alejó la tormenta revolucionaria gracias a la promulgación de una Constitución liberal. Este país no evitó la crisis revolucionaria, sino que, como se explica, consiguió «absorber con éxito e interpretar la crisis revolucionaria que asolaba Europa». Algo semejante, si bien con menos concesiones legislativas y con un mayor papel preventivo de la vigilancia y la represión, sucedió en una Bélgica que 18 años antes ya había tenido su propia revolución. Desde una óptica semejante, Clark estudia el caso de Gran Bretaña con el fin de poner fin al mito de que no hubo un «1848 británico». Algo similar se podría decir de una España no olvidada en el libro y donde ya en una fecha temprana como el 13 de marzo, Ramón María Narváez impulsó una Ley de Poderes Extraordinarios que no impidió el estallido de revueltas más tarde reprimidas. Se agradece que Clark no caiga en interpretaciones excepcionalistas de la historia española y se posicione frente al «supuesto caso especial ibérico que a veces se sugiere en los libros, una España aislada por los Pirineos y encerrada en un ciclo de contiendas civiles que la mantenía al margen de la vida política del resto del continente». 

Por ello, el libro no solo se desmarca de lecturas, por así decir, meramente difusionistas, sino que pone de relieve que también la propia historia local influyó en sus erupciones revolucionarias. Como se cuida de especificar Clark:

las revoluciones no fueron causa unas de otras, como las fichas en fila de un dominó hacen caer a las que siguen. Pero tampoco fueron mutuamente independientes, porque estaban emparentadas, arraigadas en el mismo espacio económico interconectado, y se desarrollaban en órdenes culturales y políticos afines, impulsadas por procesos de cambios sociopolíticos e ideológicos interconectados desde siempre a escala trasnacional. Cuando estallaron las revoluciones en 1848, los efectos sincrónicos de propagación interactuaron con las situaciones de inestabilidad.

Dicho de otra manera, la sincronía no se puede entender sin la propia diacronía de cada uno de los territorios en cuestión. Cada una de las revoluciones tuvo elementos en común, y también se despertaron mutuas oleadas de simpatía y solidaridad, incluso de apoyo. No obstante, eso no evitó que hubiera diferencias significativas, las cuales podían ir desde los ritmos o la intensidad de los acontecimientos hasta los tipos de demandas o de reacciones por parte de los gobiernos de turno. Por ejemplo, la vía republicana emprendida en Francia no fue la mayoritaria en Europa. Y eso por no hablar de la importante diferencia entre las ciudades y un campo muchas veces desatendido o mal comprendido por los revolucionarios. O de la difícil o imposible armonización de movimientos nacionalistas que, por decirlo con Clark, ciertamente estimularon nuevas solidaridades y cooperaron de manera destacada en numerosas ocasiones, pero también desencadenaron no pocos recelos o enfrentamientos muchas veces en nombre de un pasado mítico o directamente imaginado. Un conflicto interesante fue el de Schleswig-Holstein, que enfrentó a daneses y alemanes, adquirió una repercusión europea y acabó por generar tensiones entre la Prusia de Federico Guillermo iv y la alemana Asamblea Nacional de Fráncfort. 

También se desataron conflictos entre los propios revolucionarios, palabra que en verdad englobaba un amplio abanico de posiciones ideológicas. Un factor conocido fueron los resultados de las elecciones convocadas por ellos mismos y que mayormente favorecieron a liberales y conservadores moderados. Eso condujo a desplazar la agenda social y a conocidas crisis como las Jornadas de Junio de París, que podemos ver como una revolución contra la propia revolución. Este alzamiento, violentamente reprimido, estalló a raíz del cierre de los efímeros talleres nacionales que debían dar respuesta al «derecho al trabajo» enarbolado entonces, reconocido por el primer borrador de la Constitución francesa de 1848 y finalmente revocado en su versión definitiva. Como se sabe, a los pocos meses nuevas elecciones dieron el poder a Luis Napoleón Bonaparte, con quien de paso se aplastó la revolución romana en 1849 y quien más tarde instauró el Segundo Imperio francés. Un caso complejo fue el austríaco, no solo restringido a la insurrección vienesa, sino también directamente afectado por los acontecimientos en Hungría, Chequia, Croacia y diversas partes de Italia. En poco tiempo se llegaron a redactar dos Constituciones, la de Kremsier y la de marzo, para volver a fines de 1851 a la situación anterior por medio de la Patente de Nochevieja. 

Por todo ello, se debería decir que, aunque el estallido de otras revoluciones sin duda influyó bajo la forma más bien de desencadenantes, las causas más profundas se deben buscar en la propia historia de cada una de las geografías en cuestión. Eso explica su aparente espontaneidad y también que se dedique gran parte del libro al periodo anterior a las revoluciones de 1848, y que de este modo dé cuenta mejor de lo ocurrido desde una pluralidad de precedentes tanto religiosos como económicos o políticos, como las revueltas de Lyon a partir de 1831 en Francia, la de los tejedores silesios en 1844, la de Galitzia en 1846, la guerra suiza del Sonderbund de 1847 o, por supuesto, la oleada revolucionaria de 1830, la cual, si bien con menor fuerza y difusión, anticipó de algún modo la de 1848. Para ello, Clark también hace ciertas incursiones en la historia intelectual y se detiene en algunos influyentes pensadores de la época, como Félicité Robert de Lamennais o Vincenzo Gioberti, así como en historiadores que, sobre todo desde marcos nacionalistas, ayudaron a suministrar relatos utilizados a lo largo de 1848, como fueron los casos del italiano Michele Amari, del checo František Palacký o del alemán Friedrich Christoph Dahlmann. En cambio, y más allá del enormemente influyente Alphonse de Lamartine, el resto de la muy importante historia revolucionaria recibe poca atención. Mientras que esta historia ya había sido exitosamente cultivada en lustros anteriores en Francia por figuras de primer orden como Adolphe Thiers o François-Auguste Mignet, o en Inglaterra por Thomas Carlyle, no hay que olvidar que justo en 1847 tanto Louis Blanc como Jules Michelet publicaron el primer volumen de sus respectivas obras Historia de la Revolución Francesa. Ese mismo año salió también a la luz la Histoire des montagnards de Alphonse Esquiros, en cuyo final escribió que la memoria de la Revolución Francesa es «la columna de fuego que guía a las generaciones errantes e indecisas en busca de una nueva tierra prometida»3

Ahora bien, también respecto a las causas, Clark procura desmarcarse de interpretaciones simples y problematiza la conexión directa entre la economía y la política, o entre la pobreza y la insurrección revolucionaria. Al respecto, remarca las diferencias entre «la geografía del hambre en 1845-1847 y la geografía de la revolución de 1848-1849». Además, explica que fueron las zonas de mayor hambruna de ese entonces las que precisamente menos se movilizaron, y por ello llega a concluir que «las revoluciones son acontecimientos políticos, procesos en que la política goza de cierta autonomía. No son simplemente una consecuencia necesaria de la presión acumulada por la aflicción y el resentimiento dentro de un sistema social».

Eso seguramente explique que esta historia sea fundamentalmente de carácter político y que funcione con especial brillantez en el complejo relato de carácter «evenemencial» de lo acontecido en 1848. En cambio, otros aspectos como la memoria no merecen una gran atención. Eso no impide que, gracias al generoso despliegue de información que logra Clark, esté reiteradamente presente a lo largo de la narración, o que se afirme que «las revoluciones de 1848 estallaron en un mundo que recordaba una época anterior de transformación» y que «desde los gorros frigios y las escarapelas a los árboles de la libertad y las banderas tricolor, los revolucionarios de toda Europa adornaron su empresa con los símbolos y costumbres de la gran predecesora». Sin embargo, esas relaciones con el pasado suelen ser más apuntadas o dichas de pasada que propiamente analizadas o problematizadas, lo que quizá explique ausencias en la bibliografía como el muy interesante libro Le procès de la liberté [El proceso de la libertad] de Michèle Riot-Sarcey4.

En este contexto se puede recordar que, en otro gran libro sobre las revoluciones de 1848, Jonathan Sperber había ido más lejos y había destacado que:

El factor más importante, si no el único, que configuró la doctrina política en la Europa de mediados del siglo xix fue la herencia de la Revolución Francesa de 1789. La revolución había creado la idea ahora familiar de espectro político, es decir, de colocar las posiciones políticas en una escala de izquierda a derecha. Además, las doctrinas políticas específicas de la década de 1840 se basaban en cuestiones planteadas por la Revolución: a veces, las respuestas propuestas se basaban a su vez en las ofrecidas por primera vez en la década posterior a 1789; otras, surgían del deseo de ir más allá de las soluciones ensayadas entonces. En cualquier caso, testimoniaron la enorme influencia de la Revolución en la evolución del siglo xix5.

Es decir, la memoria de la Revolución Francesa, sentida por muchos protagonistas como más próxima que la estrictamente más cercana en el plano cronológico de 1830, se plasmó en una pluralidad de aspectos que evidenciaron su influencia, tanto directa como indirecta. Por ello, no está de más resaltar que la primavera revolucionaria de 1848 no solo lo fue de hechos, sino también de recuerdos asimismo revolucionarios, que conectaron con la gran ebullición emocional de ese momento. De unos recuerdos vinculados a la memoria de la Revolución Francesa que se exhibieron estéticamente (como por medio de la bandera tricolor, los árboles de la libertad, los gorros frigios o los diferentes eslóganes y canciones revolucionarias) y se caracterizaron por su amplia transversalidad, tanto ideológica como geográfica. A fin de cuentas, esa memoria fue marcadamente plural, tanto que la propia monarquía de Orleans, de la mano de figuras centrales como François Guizot o Adolphe Thiers, ya había buscado establecer previamente una relación productiva con ella (y también con la de Napoleón, cuyas cenizas, a instancias del propio Thiers, retornaron a Francia en 1840). El gobierno de Luis Felipe, hijo de un conocido protagonista y a la vez víctima de la Revolución Francesa como el llamado Felipe Igualdad, incluso había aceptado la tricolor como la bandera nacional de Francia (mientras que, por el contrario, la Constitución de su monarquía no era más que una versión revisada de la Carta otorgada de Luis xviii). En 1848 esa misma bandera fue objeto de litigio, pues muchos revolucionarios reivindicaron una roja que simbolizaba las luchas emprendidas en los lustros anteriores y que, sin embargo, fue célebremente rechazada por Lamartine. Según lo señalado por Louis Ménard en su Prologue d’une révolution [Prólogo de una revolución] (1849), en un principio se prometió que, en compensación, se cambiaría el orden de los colores, lo que al final nunca se materializó, y al poco tiempo se proscribieron los gorros frigios (jacobinos) y la memoria de 17936. Con ello se evidenciaba que no solo se admiraba la Revolución Francesa, sino que también se temían algunos de sus recuerdos y legados. Por su parte, la propia Marsellesa condujo a variadas disputas y, pese a ser repetidamente entonada por muchos revolucionarios en todo el continente, no fue aceptada por su carácter sedicioso como himno oficial francés, y se prefirió escoger el hoy olvidado «Le chant des girondins» [El canto de los girondinos]. 

Así pues, la relación que a la hora de la verdad se estableció con ese pasado no dejó de ser compleja, y estuvo atravesada tanto por continuidades como por discontinuidades, tanto por admiración como por no pocos temores, y también por no pocas discrepancias acerca de cuál debía ser su legado para el presente. Por ello mismo, no hubo una sola memoria de la Revolución Francesa sino varias, cada una con sus propias narraciones e interpretaciones del pasado, que podían provenir de perspectivas como las jacobinas, las liberales o también las monárquicas. O, asimismo, de un cristianismo que en los lustros anteriores a 1848 defendió interpretaciones de un Jesús proletario y se entremezcló incluso con la memoria jacobina7. También podían cultivarse desde una óptica feminista, representada sin ir más lejos por figuras de primera línea como Jeanne Deroin8. Un aspecto paradójico es que, cada uno a su manera y con sus límites, tanto la monarquía de Orleans como la Segunda República Francesa, y más tarde el Segundo Imperio de Napoleón iii, compartieron su reivindicación de la Revolución Francesa, en este último caso, como se explicitó en la Constitución de 1852, supeditada al legado de Napoleón i. Es decir, tres regímenes políticos muy diferentes apelaron cada uno a su manera a una «misma» memoria de forma simbólica para legitimarse (si bien, como se suele decir, el diablo estaba en los detalles). Por otro lado, y pasando de lo diacrónico a lo sincrónico, el mismo recuerdo de la Revolución Francesa estuvo muy presente en el resto de Europa a lo largo de 1848, aunque de una manera compleja y problemática, no pocas veces meramente estética, y se podía amalgamar con las propias tradiciones o recuerdos de los territorios respectivos. Sin ir más lejos, el famoso lema «Libertad, igualdad, fraternidad» resonó más allá de las fronteras del país galo. Incluso el segundo principio inscrito al comienzo de la Constitución de 1849 de la efímera República romana afirmaba en un claro guiño a esa memoria que «el régimen democrático tiene por regla la igualdad, la libertad y la fraternidad». Además, esa memoria también podía generar sus variantes, y por ejemplo la asociación de trabajadores de Colonia, además de recurrir a la bandera roja, usó como divisa la tríada «libertad, fraternidad, trabajo»9. Entre los carteles, proclamas u octavillas parisinos también circularon variaciones como «Libertad, orden, reforma», «Libertad, igualdad, fraternidad, unidad» o «Libertad, igualdad, fraternidad, solidaridad»10.

Ejemplos prácticos muy interesantes, y mencionados a lo largo del libro, fueron la institución de Comités de Seguridad Pública y de Guardias Nacionales (o Civiles) en diferentes partes de la geografía europea. Además, en muchas partes, lo que se produjo fue una suerte de mestizaje. Como recuerda Clark, en Croacia se mezclaron escarapelas y banderas tricolor con gorros rojos y surkas (chaquetas tradicionales) azules. 

Para acabar, esa memoria no solo fue recordada por sus actores o partidarios, sino también por sus detractores o enemigos, quienes de este modo se retroalimentaron. En el contexto transnacional de 1848 eso podía servir para intentar desautorizar las ideas revolucionarias fuera del país galo al presentarlas como francesas o foráneas. Por ejemplo, el entonces influyente teólogo Ernst Wilhelm Hengstenberg denunció en abril de 1848 que «los radicales de París han remodelado Alemania. En todo, grande y pequeño, desde el ateísmo hasta las elecciones primarias, desde las barricadas hasta la tricolor, estamos copiando exactamente el modelo francés»11. El propio Federico Guillermo iv de Prusia había alentado el mito de que la revolución alemana de marzo de 1848 había sido un acontecimiento promovido y dirigido por extranjeros, especialmente franceses. Estas pocas cuestiones, aquí meramente esbozadas o apuntadas con gran brevedad, sirven para recordar que la historia también está compuesta de memoria y que las dos se entrecruzan de múltiples maneras. Al fin y al cabo, lo sucedido en 1848 destacó no solo por una gran complejidad histórica, magistralmente explicada por Clark, sino también por una gran complejidad memorística. 

Curiosamente, la propia cuestión de la memoria, si bien desde una óptica más prospectiva que retrospectiva, se encuentra a su manera muy presente en el libro, pues este no pretende ser solo una historia de 1848, sino también una suerte de reivindicación de lo acaecido ese año. Por un lado, Clark desliza bastantes analogías o paralelismos entre ese pasado y el presente. Por el otro, porque, siguiendo la línea de otros autores como Jonathan Sperber, el libro desafía la retórica del «supuesto fracaso de 1848». Frente a la fugacidad de los acontecimientos históricos revolucionarios, Clark pone de relieve la perdurabilidad de unas cuantas de sus conquistas. Para empezar, porque el triunfo de la contrarrevolución no significó el regreso al statu quo prerrevolucionario. De hecho, afirma Clark, el orden posrevolucionario habría sido tan eficaz «a la hora de controlar el terreno intermedio de la política, que consiguió marginar tanto a la izquierda democrática como a la vieja derecha». Por ello, recalca, incluso los conservadores se tuvieron que adaptar en muchos casos a un nuevo escenario constitucional o parlamentario que supuso no pocos cambios y posibilitó otros en el futuro. Todo ello redundó en una profunda transformación en las prácticas políticas y administrativas de todo el continente, derivando en lo que en el libro se llega a denominar una «revolución gubernativa europea». Además, Clark destaca la relevancia de la redacción de muchas nuevas constituciones en esos años. Algunas efímeras e infecundas, pero otras no tanto, como el piamontés Statuto Albertino que luego serviría de base para el futuro Estado italiano. Por otro lado, otras no muy conocidas, como la valaca Proclamación de Islaz de 1848 y la Constitución de la República romana de 1849, destacaron por ser las primeras en abolir la pena de muerte. Un caso remarcable fue el de Dinamarca, país que habría protagonizado en 1849 una «revolución constitucional» que transformó la monarquía absolutista anterior en una de «las culturas políticas más democráticas del mundo» y cuya influencia, vía reformas constitucionales intermedias, llega hasta el presente. Todavía hoy, el 5 de junio es un día festivo en Dinamarca que recuerda el día de la Constitución de 1849.

Un detalle interesante es que esta reivindicación de Clark, que podríamos calificar más de histórica que de política, se sustenta en una visión reformista. Del libro parece concluirse que las revoluciones más exitosas fueron aquellas que supieron canalizar el impulso revolucionario hacia vías reformistas y constitucionales. Los mejores ejemplos serían seguramente los citados de Dinamarca e incluso Países Bajos, donde en verdad la reacción gubernamental pareció ser más bien preventiva. En cambio, las revoluciones más osadas fueron ahogadas y las nuevas repúblicas, como la francesa o la romana, derrocadas al poco tiempo.

Por ello, sería interesante ahondar en esta perspectiva de Clark, y también complementarla con una lectura más desde la memoria que desde la historia, el lugar en el que preponderantemente se mueve el libro. Para empezar, no hay que olvidar que la importancia de las revoluciones de 1848 ya había sido anteriormente recordada y reivindicada por numerosos historiadores, como se vio durante la celebración de su sesquicentenario. Antes Maurice Agulhon había comenzado su libro dedicado a Les quarante-huitards [Los del 48] (1975) señalando que «1848 nos parece una revolución olvidada, o menospreciada, por la inmensa mayoría de nuestros contemporáneos, y nos parecía que allí había una injusticia, una pendiente que remontar, o una reputación que reconstruir»12. Se trata de una tesis repetida en diversas ocasiones y que ha desembocado en estudios como 1848, la révolution oubliée [1848, la revolución olvidada] (2009) de Michèle Riot-Sarcey y Maurizio Gribaudi o está presente en otros como Quand la republique était révolutionnaire. Citoyenneté et répresentation en 1848 [Cuando la república era revolucionaria. Ciudadanía y representación en 1848] (2014) de Samuel Hayat, obra cuya cronología se centra sintomáticamente en lo acontecido hasta junio de 1848.

Por ello, no está de más resaltar que, pese a los reiterados esfuerzos historiográficos, 1848 en el ámbito público se ha seguido caracterizando por cierta «desherencia» a escala internacional (mientras que su recuerdo todavía permanece bastante vivo a escala nacional en países como Dinamarca o Hungría, cuyo día nacional, celebrado el 15 de marzo, hace referencia al estallido de la revolución de 1848 en Budapest).

Paradójicamente, se podría decir que la Revolución Francesa fue una historia preponderantemente nacional que logró generar una gran memoria de alcance internacional, mientras que las revoluciones transnacionales de medio siglo después no han podido ir más allá de memorias nacionales, en plural, cada una con sus propios relatos, recorridos y conflictos, a su manera ligados por ejemplo al Sonderweg alemán o al Risorgimento italiano13. Una derivación curiosa fue que en italiano la expresión «fare un quarantotto» se convirtió en sinónimo de causar un gran desorden o confusión. 

Además, y a causa del galocentrismo de la memoria revolucionaria a lo largo del siglo xix, la experiencia de 1848 se asoció tempranamente a la decepción padecida en Francia. De ahí que ese año no posea ningún símbolo equivalente a los de la Bastilla, la Marsellesa, la Tricolor o la famosa tríada revolucionaria «Libertad, igualdad, fraternidad». De hecho, la mayoría de los que empleó fueron directa o indirectamente prestados y no supo generar ninguno con un impacto semejante a escala internacional. Eso explica que, aunque la memoria de 1848 no dejara de tener sus partidarios, la de la primera Revolución Francesa continuara siendo la más importante en el país galo y fuera la principal tanto durante la Comuna parisina de 1871 como durante la Tercera República Francesa. Como se sabe, los principales símbolos nacionales franceses todavía enlazan hoy en día con los hechos de 1789. Y es que a veces los pasados lejanos pueden ser los más próximos desde el punto de vista emotivo.

Respecto a la tesis del fracaso, también hay que tener en cuenta que las opiniones negativas vertidas hacia las revoluciones de 1848, y que en muchos casos convendría englobar bajo el rótulo de la decepción, provinieron de figuras que con el tiempo se consolidaron como personajes de primer orden en la historia política y, en concreto, de la revolucionaria. Tal es el caso de Karl Marx, Friedrich Engels, Pierre-Joseph Proudhon, Mijaíl Bakunin e incluso Louis Auguste Blanqui. Un problema decisivo fue que en 1848 se abrieron horizontes de ruptura tan grandes y esperanzadores que su desenlace posterior, con episodios tan determinantes y significativos para la memoria revolucionaria como las Jornadas de Junio, condujo a una terrible desilusión, la cual se plasmó incluso en desafecciones a la misma creencia en la revolución, hasta que el estallido de la Comuna de París en 1871 condujo a su posterior reactivación. Pese a que se trató de un acontecimiento mucho más local y fue rápidamente aplastada y, por tanto, en muchos sentidos un fracaso, la experiencia communarde se convirtió en un símbolo de referencia y de esperanza a escala internacional que contrastó vivamente con los procesos de 1848. 

Por ello mismo, mientras que la primera pasó a ser ampliamente reivindicada por referentes revolucionarios como Marx, Engels o Bakunin, la segunda quedó por contraste reducida a ese estatuto de farsa, o de traición según el anarquista ruso, con el que se la asoció de manera exagerada a causa de las célebres líneas iniciales de la obra El 18 Brumario de Luis Bonaparte. La posteridad de 1848, al menos en términos de memoria, fue mucho menos fructífera que la de 1789 o 1871.Por ello, la revolución de 1848, sobre todo analizada desde la óptica francesa, fue presentada de diversas maneras como una gran lección para los revolucionarios; esta debía servir para comprender que la revolución no podía ser meramente política, sino que también debía atreverse a ser social; debía atreverse a ser ambiciosa y audaz y escapar a la imagen de impotencia; debía comprender que la burguesía ya no formaba parte de los movimientos revolucionarios y que, como mostraron las Jornadas de Junio, podía reprimir a la clase obrera en beneficio de sus propios intereses; y, finalmente, no debía caer en ficciones políticas como la de la fraternidad, celebrada pomposamente como festivo en Francia el 20 de abril de 1848 y que congregó tres días antes de las elecciones cerca de un millón de personas, sino que, por decirlo con Marx, debía comprender la lucha revolucionaria desde otros marcos, sobre todo desde la lucha de clases. 

Todo eso no impidió que, de todos modos, como en el caso de Marx, se reivindicara a ciertos revolucionarios de 1848, como los sublevados en las Jornadas de Junio, pero su memoria quedó opacada por sus vencedores. Por cierto, el propio pensador alemán interpretó en parte las otras revoluciones coetáneas desde la óptica de la francesa y por ejemplo definió la berlinesa como una «parodia de 1789»14.

Sin duda, la lectura de Clark sirve para problematizar con profundidad y brillantez toda esta visión desde la historia, aunque el estudio de estas cuestiones también ayuda a comprender el (reducido) papel que, con algunas excepciones como las comentadas, las revoluciones de 1848 tienen en la memoria contemporánea. Con ello, pues, esta obra también puede ser provechosamente utilizada para ahondar en el sempiterno debate entre la historia y la memoria, especialmente interesante a lo largo de estos convulsos episodios del pasado. A fin de cuentas, su libro es un magnífico ejemplo de cómo hacer una muy buena historia, así como una referencia en lo sucesivo ineludible para comprender en su complejidad esa oleada revolucionaria desde una óptica transnacional.

  • 1.

    Galaxia Gutenberg, Barcelona, 2024.

  • 2.

    C. Clark: ob. cit. En adelante, todas las citas de la obra corresponden a la edición mencionada en su versión para Kindle.

  • 3.

    A. Esquiros: Histoire des montagnards 2, Victor Lecou, París, 1847, p. 475.

  • 4.

     La Découverte, París, 2016.

  • 5.

     J. Sperber: The European Revolutions, 1848-1851, Cambridge UP, Cambridge, 2005, p. 65.

  • 6.

    L. Ménard: Prologue d’une révolution, Bureau du Peuple, París, 1849, pp. 59-60

  • 7.

    V. al respecto Franck Paul Bowman: Le Christ des barricades, 1789-1848, Les Editions du Cerf, París, 1987.

  • 8.

    V. al respecto Sara Sánchez: Jeanne Deroin: una voz para las oprimidas. Vida, revolución y exilio, Comares, Granada, 2023.

  • 9.

    Jonathan Sperberg: Rhineland Radicals: The Democratic Movement and the Revolution of 1848- 1849, Princeton UP, Princeton, 1993, p. 290.

  • 10.

    Charles Boutin: Les murailles révolutionnaires de 1848 1, Picard, París, 1868, pp. 19, 38 y 237.

  • 11.

    Cit. en Rüdiger Hachtmann: 1848: Revolution in Berlin, Edition Q, Berlín, 2022.

  • 12.

    M. Agulhon: Les quarante-huitards, Gallimard, París, 1975, p. 10.

  • 13.

    Para estas cuestiones, y otras vinculadas a la memoria, v. Axel Körner (ed.): 1848: A European Revolution? International Ideas and National Memories of 1848, Palgrave Macmillan, Houndmills, 2000.

  • 14.

    K. Marx: «El proyecto de ley sobre la abolición de las cargas feudales» en K. Marx y F. Engels: Las revoluciones de 1848, FCE, Ciudad de México, 2006, pp. 201-202.