La peinture de Pollock représente effectivement "le monde libre et démocratique à la hauteur de l'Amérique", c'est-à-dire qu'elle est impérialiste: je n'ai pas d'autres lectures possibles, c'est une peinture d'extorsion planétaire.
Contrairement à la conclusion du film, je ne crois pas que l'art américain subsiste à la décadence de l'Empire du Bien: l'un et l'autre sont aussi "inflatoires".
L'auteur ne connaît rien au monde rouge, donc il véhicule tous les clichés sur son supposé "archaïsme" (vision de l'Occident sur l'Orient qui a tenu 500 ans, mais là c'est la quille).
Les frères Dulles, qu'il nomme, ont autant fait la promotion de
l'expressionnisme abstrait que celui des fascistes dans la guerre du Monde libre contre le communisme.
Il a eu ce lien "improbable" sous la main dans son documentaire sur Yves Klein, artiste d'avant-garde et fasciste, notamment phalangiste. Mais il ne l'a pas vu comme si l'un ne pouvait aller avec l'autre: cécité qui est le reflet de sa classe croyant en savoir suffisamment sur l'axe du Mal et ne sachant pas grand chose, ou se l'occultant, sur le Monde libre.
« On peut discuter de tout
indéfiniment, mais je ne suis capable que de négation, sans la moindre
grandeur d’âme, sans force ; chez moi, la négation même est mesquine.
Tout est plat et flasque. » Nicolaï Stavroguine, dans les Démons de Dostoievski« Comment en sommes-nous arrivés là ? » : telle est la question qui
revient souvent aujourd’hui à gauche, et parfois même chez les gens
intelligents à droite, devant l’ampleur et l’évidence du désastre total
présent tant national qu’international. Le petit livre paru début
septembre aux éditions Delga, intitulé Requiem pour laFrench Theory1 ,
tente de poser des jalons pour répondre à cette question, sur le plan
de la théorie, et de ses implications pour la pratique politique. Écrit
sous la forme d’un entretien entre G. Rockhill, un professeur
d’université américain, et A. Monville, auteur et éditeur français,
l’ouvrage tente de façon remarquable de synthétiser les problèmes les
plus brûlants de l’actualité théorico-politiques des deux côtés de
l’Atlantique, jetant des ponts trop rares par les temps qui courent.
Car en effet, le réveil actuel est dur pour tout le monde, que ce soit pour la gauche, ou pour « l’Occident collectif2 ».
Pour la première, la défaite est totale depuis les années 80, et la fin
de l’URSS : elle a entamé un déclin et un recul de plus en plus
inexorable, et ne parvient pas à comprendre pourquoi elle régresse
partout, et se réduit de plus en plus à une série de groupes qui ne
parlent qu’à eux-mêmes, et ignorent purement et simplement les masses.
Quel résultat pour celle qui s’était crue triomphante dans les années 60
et 70, à l’époque des grands mouvements étudiants, et surtout du
socialisme réel, et des luttes anti-coloniales victorieuses ! Pour le
second, après avoir cru à « la société de consommation » (pour s’en
réjouir ou pour le regretter), puis à la « Fin de l’Histoire » après la
fin du « cauchemar communiste », et enfin après avoir joué à se faire
peur avec un « Choc des civilisations » qui n’est jamais arrivé, le
réveil est encore plus brutal. Le système impérialiste peine désormais à
imposer sa volonté, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient, sans
même parler de la Mer de Chine et la péninsule coréenne, et se trouve
désormais, à l’image de son chef sur le départ, frappé de sénilité, et
de graves difficultés à agir. Les deux-tiers du monde contournent ses
décisions impuissantes dans la plus grande impunité, et celui-ci peine à
montrer les dents3 :
le meilleur exemple récent est probablement la victoire stratégique
totale remportée par les Houthis en Mer Rouge – des insurgés d’un des
pays les plus pauvres du monde peuvent menacer depuis un an un quart du
commerce maritime mondial, et les puissances occidentales être dans
l’incapacité de l’arrêter. Ne parlons même pas du sommet de Kazan,
organisé par la Russie, qui a ridiculisé les défenseurs du bloc
impérialiste4.
Qui aurait pu imaginer une telle situation il y a seulement 20 ans ? La
crise de structure du modèle capitaliste né dans l’après-guerre est
donc devenue une crise existentielle tant pour les défenseurs de ce
système, que pour ses opposants apparents (la gauche, qui est en réalité
son meilleur allié).
Pour trouver les racines intellectuelles de cette crise, le livre des deux auteurs se propose de repartir d’une analyse de la French Theory, dont l’aveu de platitude et de mesquinerie du Stravoguine de Dostoïevski à la fin des Démons
pourrait être la confession. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de
trouver une racine absolue à tout ceci, une sorte de péché originel qui
serait apparu dans un monde où tout allait bien (soit filant gentiment
vers le communisme mondial, soit vivant confortablement dans le
capitalisme débonnaire et plein de bonhommie des États-Unis des années
50). Il s’agit plutôt d’analyser un embranchement capital, un moment
crucial, où la théorie a pris un chemin particulier, qu’elle aurait pu
ne pas prendre, et qui a à la fois accompagné, unifié et amplifié, un
ensemble de pratiques sociales et politiques qui lui préexistait. La
théorie ne crée pas la pratique, mais elle n’est pas non plus un spectre
passif : elle lui donne une forme et une consistance qu’elle avait pas
avant elle. La French Theory fut ce moment crucial en France,
au tournant des années 60 et 70, où un certain nombre de penseurs
français se sont inscrits (ou ont prétendu s’inscrire) dans le sillage
de Mai 68, afin de donner corps à ce qu’ils ont pensé être les
intentions des étudiants et des manifestants : individualisme et
hédonisme, relativisme et refus de la discipline et de l’autorité dans
toutes les sphères de la société. Un programme gauchiste et anarchisant
en apparence, le tout bien sûr vigoureusement anti-communiste et
anti-soviétique. Les noms les plus connus sont devenus tellement fameux
que pour un certain nombre, il n’est point besoin au lecteur d’avoir lu
leurs ouvrages pour savoir ce qu’ils ont dit et pensé : Foucault,
Deleuze, Derrida, Lévy-Strauss, Lacan, Baudrillard, Lyotard, Barthes,
Bourdieu pour la première génération (nés en gros pour la plupart entre
1920 et 1930), et Badiou, Balibar et Rancière pour la seconde (nés
plutôt dans l’immédiate avant-guerre), auxquels on peut parfois
adjoindre de façon plus périphérique les « nouveaux philosophes »
(surtout au début de leur carrière), plus cantonnés au débat français
(Glucksmann père, BHL, Bruckner, Finkielkraut, ect). A la lecture de la
liste, on voit donc que chacun de ces penseurs est très différent des
autres et a sa spécificité, mais ce qu’il s’agit ici de penser, c’est,
comme le dirait Hegel, l’identité de la différence. C’est d’ailleurs
sous le signe d’une unité marketing, et en un sens conceptuel, que ces penseurs seront exportés aux États-Unis dans les années 80, sous le nom de French Theory.
Outre leur origine française, un certain nombre de traits communs
frapperont les intellectuels américains, et amèneront à les associer :
une certaine radicalité politique et théorique apparente, mais toujours
anti-communiste ; une pensée fortement influencée par le structuralisme
français ; un certain relativisme épistémologique qui les fait souvent
combattre de concert Hegel et Marx, tout en se positionnant sur
l’échiquier du marketing politique « à gauche ». Le lecteur
averti n’aura pas manqué de reconnaître ici tout l’arsenal conceptuel de
ce que l’on peut nommer « l’anti-totalitarisme »5.
Passée aux États-Unis, cette théorie fut le fer de lance du désossage
mondiale de la gauche, et l’achèvement de son ralliement au système
otanien dans ses grandes lignes : telle est, en gros, la thèse du livre
de G. Rockhill et A. Monville. Elle ne l’a certes pas causé (cette cause
est à rechercher bien sûr dans les mutations de l’économie capitaliste à
l’époque), mais elle l’a rendu possible, et l’a accompagné, en
convertissant de larges pans de la jeunesse et des intellectuels à des
idées en apparence radicales, mais anti-marxistes dans le fond.
Si la thèse semblera familière aux lecteurs de Clouscard, auquel elle
doit bien entendu énormément, l’originalité et l’intérêt foncier du
livre, qui justifient à eux seuls une recension, tient à deux points
absolument capitaux que nous allons maintenant exposer.
Le premier de ces points est que ce livre est en quelque sorte le
premier paru en français, et qui expose à un lecteur francophone, la
convergence, et même l’identité, entre les aspects réactionnaires sur le
plan théorique et ceux sur le plan pratique des pensées des auteurs de
la French Theory. Expliquons-nous : jusqu’à présent, on avait
tendance à séparer les deux, à les traiter comme deux choses
indépendantes, soit par cécité idéologique, soit par manque de sources
qui ne sont apparues qu’avec le temps. Ainsi, Clouscard avait bien vu
que sur le plan théorique, ces penseurs qui se prétendaient de gauche
avaient tous en réalité une pensée qui plongeaient ses racines dans la
droite, c’est-à-dire dans les pensées irrationalistes, subjectivistes,
relativistes, anti-marxistes et anti-hégéliennes6.
Clouscard pensait que les pensées de ces auteurs, indépendamment de
leurs intentions objectives, avaient des conséquences réactionnaires. Il
était cependant loin de se douter, et d’avoir les preuves, que Herbert
Marcuse était vraiment un agent de la CIA7, que la carrière de Pierre Bourdieu avait été lancée par le Congress for Cultural Freedom, un organisme financé par la CIA8, que l’EHESS a été construit puis agrandi avec l’argent de la fondation Rockfeller, puis de la fondation Ford9,
et ainsi de suite. A l’inverse, un bon nombre d’ouvrages d’historiens
(surtout publiés en anglais), on mit en évidence les liens financiers et
organisationnels entre les penseurs « radicaux » de la French Theory
et les organes de l’avant-garde du grand Capital, mais ils les ont
traités comme une inconséquence incompréhensible, comme si de grands
penseurs de gauche avaient pu s’allier, sans aucune raison théorique,
avec leurs apparents grands ennemis. Pour la première fois, un livre
fait le lien entre les deux, en montrant qu’il n’y a pas là
d’inconséquence grossière de la part de ces théoriciens, mais au
contraire une très grande cohérence : des théoriciens réactionnaires ont
collaboré avec les organismes gouvernementaux les plus réactionnaires
pour combattre le progrès humain, incarné par le communisme. La vérité
est aussi simple que cela, et donne une ampleur jamais espérée aux
thèses de Clouscard sur cette « idéologie du désir » bien
« néo-fasciste » qu’est la French Theory : tel est le grand
mérite du livre de le mettre parfaitement en évidence, références
scientifiques en note (malheureusement souvent en anglais uniquement)
pour les plus curieux. On comprend dans ces conditions pourquoi
l’éditeur gauchiste La Fabrique a finalement annulé l’édition prévue en
français d’un livre de G. Rockhill au titre prometteur : « les
intellectuels et la CIA ». On allait tout de même pas mettre ces
informations sur la place publique, et ainsi risquer de nuire à un petit
business aussi juteux. Las, le site Amazon annonce la publication de
l’ouvrage pour… 209910
(sic) ! Le petit livre de Delga a ainsi le mérite de mettre l’essentiel
de ces informations dans les mains du public français, et ainsi de
participer au démasquage de ces tartuffes. D’où son utilité publique, et
le devoir de le diffuser le plus possible : pour au moins rabattre la
morgue et l’arrogance de leurs disciples, qui se croient plus radicaux
que tout le monde en singeant leurs maîtres serviles.
Le lecteur apprendra en outre que diverses fondations de
philanthropes américains ont versé à Judith Butler et ses équipes des
millions de dollars pour développer ses activités et ses laboratoires de
recherche11 :
et après, on s’étonne du succès de ces pensées ! Bien sûr, certains
d’entre eux ont été de parfaits idiots utiles (même si Derrida et
Foucault ont énormément œuvré en toute conscience contre la
Tchécoslovaquie et la Pologne communistes12), et c’est un point important que met en évidence l’ouvrage : « la French Theory a
été promue aux États-Unis par des propagandistes qui aveint perçu,
beaucoup mieux sans doute que les prometteurs de ladite théorie, son
potentiel réactionnaire13 ».
Les agents directs de l’impérialisme sont toujours plus matérialistes
et rationalistes que leurs forces d’appoint dans la petite-bourgeoisie
idéaliste.
A ce sujet, le lecteur découvrira également que la plupart des penseurs de la French Theory
de la première génération étaient avant Mai 68 de parfaits
petits-bourgeois conformistes, pour certains plutôt de droite,
parfaitement intégrés dans l’appareil d’État gaulliste14 :
rien ne les prédestinait donc à être des théoriciens « radicaux »,
coqueluches de toute la jeunesse d’extrême-gauche des 50 prochaines
années. On voit ici le point de passage chez ces penseurs d’un
conformisme apolitique plutôt de droite, à un activisme gauchiste
frénétique : l’unité du tout étant bien entendu assumé par
l’anti-communisme. On notera qu’il n’en sera pas de même pour la seconde
génération de la French Theory, plus tôt jeté dans le bain des
mouvements gauchistes, en général plutôt maoïstes ou anarchisants
(pensons à la star d’entre eux : l’omniprésent Badiou15).
C’est ainsi d’ailleurs que la French Theory permet de
diagnostiquer une rupture majeure dans l’histoire du gauchisme : jusqu’à
Mai 68, le gauchisme est principalement issu de groupes petit-bourgeois
militants, petits, mais plus ou moins partie prenante du mouvement
ouvrier – principalement l’anarchisme, le trotskisme, et le maoïsme
jusqu’à un certain point. Il s’agit souvent certes de déviations
anti-communistes, et toujours férocement critiques du socialisme réel,
mais au moins, ils ont un lien minimal avec le mouvement ouvrier : c’est
le gauchisme classique analysé par Lénine. Avec la French Theory,
changement drastique de cap : la critique anti-communiste et
anti-réformiste à gauche ne proviendra pas de déviations
petite-bourgeoises du mouvement ouvrier, mais de portions de la
petite-bourgeoisie totalement extérieures à lui. Cette
petite-bourgeoisie est parfaitement conformiste, souvent apolitique,
parfois de droite : tous sont des enfants d’une bourgeoisie classique,
qui ont passé ensuite l’ENS et l’agrégation, s’intègrent à la société
d’après-guerre et n’ont jamais remis en question leur milieu d’origine16.
Rappelons qu’à l’époque de leur formation, dans l’immédiat
après-guerre, le nombre de bacheliers annuels en France est à peine de
600017 :
c’est donc un tout petit monde, auquel l’intégration demande une grande
dose de conformisme. D’où la métamorphose d’un Foucault ou d’un
Deleuze : le premier participait au plan européen de Fouchet pour
réformer l’éducation, le second était un professeur d’université
parfaitement discret ; après Mai 68, les deux sont devenus les
agitateurs que l’on connaît. Deleuze se trouvera même l’anarchiste
Guattari pour intégrer le milieu gauchiste, et s’y donner une
légitimité. La French Theory a donc été l’acte de naissance
d’un gauchisme 100 % extra-ouvrier, et déconnecté des luttes concrètes,
et qui n’a pu s’y rattacher que de façon tardive et artificielle. Ce
fait remarquable méritait d’être souligné, et constitue un mérite du
livre de le mettre en évidence.
Enfin, si le livre s’appelle Requiem pour la French Theory,
c’est que ce Requiem n’est pas tellement à l’optatif, mais plutôt à
l’indicatif : il n’exprime pas seulement un souhait, mais analyse plutôt
objectivement le recul de cette théorie, son remplacement par des
produits de substitution incolores et sans saveur (intersectionalisme,
« wokisme », identity politics…), qui en sont à la fois le
prolongement, et en même temps la négation, basculant souvent dans
l’anti-intellectualisme primaire, et l’indigence théorique total18. L’apport conceptuel original du livre tient ainsi dans le concept de « petite-bourgeoisie compradore nationale 19» :
de la même façon que le colonialisme du XIXe siècle a du créer pour
subsister une bourgeoisie nationale artificielle acquise à ses intérêts,
« compradore », de la même façon, l’impérialisme américain a crée, à la
fois chez lui, et dans tous les pays à demi-colonisés par lui, une
petite-bourgeoisie intellectuelle qui joue le même rôle, qui a la même
culture, les mêmes intérêts de classe, et n’a aucune conscience
nationale propre20. Cette petite-bourgeoisie nationale compradore est la couche sociale qui est le support matériel de la French Theory,
et à ce titre, elle est l’ennemi le plus immédiat du marxisme, car elle
est l’adjuvant du grand Capital, et comme elle est au fond une couche
intermédiaire, elle est celle qui peut le plus agir directement sur les
couches populaires, pour les neutraliser idéologiquement.
Le deuxième point capital qui fait l’intérêt du livre, c’est bien
entendu son rôle de premier jalon publié en France pour amorcer la
traduction en anglais de Clouscard, et donc sa réception internationale.
Une campagne a en effet été lancée début 2023 pour faire traduire
Clouscard en anglais, afin de faire connaître sa pensée à
l’internationale21.
On sait l’importance d’une traduction en anglais pour toucher, non pas
seulement un public anglo-saxon, mais chinois, indien, africain ou
sud-américain. C’est dire l’importance de l’événement : Clouscard,
penseur snobé par l’intelligentsia française de l’époque, a tout vu, ou
presque, des grandes mutations du capitalisme contemporain. Il est le
premier penseur mondial à avoir vu le rôle absolument décisif
qu’allaient jouer les nouvelles couches moyennes dans les luttes des
classes contemporaines, remettant tout en question, et balayant les
catégories et clivages politiques traditionnels. Ce ne sont pas
seulement les pays occidentaux qui sont ébranlés par ces mutations
sociologiques : c’est la Chine, c’est l’Inde, c’est la Russie, l’Iran,
les pays arabes et sud-américains, et demain les pays africains, qui
subissent de plein fouet cette mutation, sans toujours comprendre
exactement d’où elle vient, sa puissance et sa profondeur, sa
dangerosité et comment lutter contre. Clouscard est malheureusement
décédé il y a près de 15 ans, et ne pourra bien sûr pas répondre
directement à toutes ces questions nouvelles qui ont surgies. Mais il
doit pouvoir donner à tous les jeunes et moins jeunes intellectuels des
pays du « Sud Global » les outils intellectuels et les catégories
fondamentales pour penser leur situation présente, et surmonter les
graves difficultés, qui eux aussi, les menacent : la dangerosité des
couches moyennes, la tentation de « révolutions oranges » dont elles
seraient la base matérielle, et surtout, la régression spiritualiste et
idéaliste qui mènent à des dérives droitières parfaitement inutiles et
contre-productives (anti-wokisme poutinien stérile, nostalgie du
tsarisme en Russie ou fétichisation de la pensée « éternelle » de
Confucius en Chine…). Dans ce moment crucial de la lutte des classes
internationale, la meilleure chose que puisse faire la France, pays des
Lumières et de la Révolution universelle, c’est d’offrir au monde la
pensée d’un de ses plus grands philosophes contemporains qu’a été Michel
Clouscard. Snobé par les intellectuels de son pays, Clouscard a su, par
la justesse de ses analyses, et son travail humble et clair, séduire
toute un pan de la jeunesse de France, bien loin des effets de modes et
de manches médiatiques. Il n’y a aucun doute qu’il saura aider demain
les intellectuels du monde entier, dans ce grand travail intellectuel
collectif qui s’annonce, qu’est de refaire le communisme international,
afin de sortir de l’impasse mortifère de l’Occident actuel, et de la
politique hésitante et timorée de trop de pays du Sud Global.
Ce petit livre des éditions Delga a donc également la lourde tâche
d’être le premier essai pour exposer à un public français l’importance
de ce travail, afin que la réception internationale de Clouscard soit la
plus efficace possible, et qu’elle ait enfin des répercussions dans
notre beau pays, si malmené ces derniers temps. Que la naissance
théorique de Clouscard à l’international soit également sa renaissance
en France auprès du grand public, qu’elle entraîne le chant du cygne des
nouvelles couches moyennes finissantes, et le début d’une nouvelle aube
pour la lutte des classes dans notre pays, qui, plus que jamais, en a
cruellement besoin.
2
Nulle considération géographique ou civilisationnel ici : il s’agit
d’un syntagme pratique pour désigner le bloc constitué par le principal
pays impérialiste, à savoir les États-Unis, et ses vassaux
semi-colonisés, principalement les pays membres de l’OTAN et de l’OCDE.
3
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas encore incroyablement
dangereux : chacun sait que la bête blessée et acculée est bien plus
dangereuse que la bête en bonne santé et en sécurité, et si les pays
occidentaux ont démantelé une partie de leurs forces conventionnelles
pour des raisons budgétaires ces dernières années, leur arsenal
nucléaire reste largement suffisant pour infliger des dégâts
effroyables.
6 Par exemple dans le lumineux Néo-fascisme et idéologie du désir. Le lecteur pourra constater au fil de l’ouvrage tout ce que doivent les penseurs de la French Theory
a Nietzsche et Heidegger, deux penseurs qu’aucun historien sérieux, ni
personne en Allemagne, ne pourrait pas considérer comme « très à
droite ».
20
C’est ce qui fait par exemple que cette petite-bourgeoisie compradore
peut être parfaitement chauvine aux Etats-Unis, pour défendre le système
impérial qui la protège, et parfaitement cosmopolite et haineuse de la
nation en Europe, par exemple en France : on voit ici qu’il n’y a là
aucune contradiction, mais parfaite complémentarité.
No se puede negar que el proyecto editorial de Ruedo Ibérico
tuvo una importancia crucial en el apoyo y desarrollo del
antifranquismo en los últimos lustros de la dictadura. Desde su
fundación en 1961 en Paris, José Martínez Guerricabeitia y los otros
socios fundadores: Elena Romo, Nicolás Sánchez Albornoz, Ramón Viladás y
Vicente Girbau crearon un magnífico dispositivo de lucha contra el
franquismo. Sus libros prohibidos por la censura y su revista Cuadernos de Ruedo Ibérico
alimentaron la resistencia en el interior y las esperanzas del exilio
en México, si bien con muchas interferencias y dificultades. Sin
embargo, sobre ese ambicioso proyecto se ciernen en la actualidad
algunas sombras. Ruedo Ibérico, como muchas otras editoriales y
revistas que funcionaban en los años sesenta, no fue ajena a la acción
del Congreso para la Libertad de la Cultura, el principal organismo
pantalla a través del que la CIA creó una red de influencia cultural en
Europa y en la mayor parte del mundo en esos años de la Guerra Fría.
José Martínez Guerricabeitia (1921-1986)
Los actores, Pepe Martínez y Julián Gorkin
La correspondencia entre José Martínez Guerricabeitia, director de Ruedo Ibérico,
y Julián Gorkin, que se conserva en el Instituto Social de Amsterdam,
pone en evidencia la existencia de una corriente activa de simpatía e
influencia mutua a lo largo de más de una década, entre 1964 y 1977. Los
dos compartían afinidades ideológicas de origen que los unían en el
anticomunismo que siempre cultivaron. Pepe Martínez había sido
anarquista, aguilucho de la FAI, en su juventud en Valencia durante la
guerra civil y ese pedigrí siempre le acompañó. Sus recuerdos de la
contienda eran “metafóricamente triunfales”, según su biógrafo Albert Forment. En los años sesenta le confesaba a una amiga italiana, Magali Sarfati: “Tener
quince años y estar en Valencia con granadas en el cinto y saber que
uno es el dueño de la ciudad son cosas de las que uno no se cura”.[1]
Con el tiempo se convirtió en “un personaje molesto, histórica y
personalmente hablando” —en palabras de su amigo Gérard Imbert Martí—
“la mala conciencia encarnada, la mala leche personificada y, al mismo
tiempo, una persona intelectualmente fascinante; muy ecléctica, en el
mejor sentido de la palabra, por vocación, curiosidad, siempre atento a
lo último aquí, ahí y de donde viniera, curioso como el buen humanista
que era en el fondo, enciclopédico en su saber”.[2]
Él y Julián Gorkin eran refugiados políticos de procedencia valenciana
que vivían en París desde 1948. El segundo había sido dirigente del POUM
durante la guerra y había estado antes exiliado en México. Mientras que
Pepe Martínez, que era muy joven en 1939, no fue encarcelado al
terminar la contienda —al contrario que su hermano y su padre, también
anarquistas— pero sí estuvo interno en un centro reformatorio en
Burjassot (Valencia) por sus antecedentes políticos.[3]
En realidad, Julián Gorkin era un
pseudónimo de Julián Gómez García, un español que estaba al frente desde
1960 del Centro de Documentación y de Estudios en París, un organismo
controlado por la CIA y dirigido por este histórico dirigente del POUM y
del PCE, que había pasado ocho años exiliado en México. Gorkin era un
activo antifranquista y al mismo tiempo un furibundo anticomunista a las
órdenes de Washington, si bien nunca fue un agente en nómina de la CIA,
en opinión de Andrés Ortí Buig, autor de una interesante tesis doctoral
sobre el personaje. “El anticomunismo de Gorkín primaba por encima de su antifranquismo y el propio régimen supo aprovecharse de ello”.[4]
Durante su estancia en México, Gorkin
estableció contacto con el Consulado de EEUU en fechas muy tempranas y
desde 1940 hasta su salida del país azteca en 1948 estuvo colaborando en
la denuncia de comunistas españoles (algunos de ellos, como el escritor
Max Aub, no lo eran, pero fueron objeto de sus acusaciones; otros sí
que lo eran, como Joan Comorera, del PSUC). A cambio, reiteradamente,
solicitó un visado para viajar a EEUU que le fue denegado por sus
antecedentes comunistas. En cualquier caso, no fue el único que colaboró
con la Inteligencia americana en busca de un pasaje. Fueron muchos y
entre ellos el pintor Diego Rivera, militante del PCM, que sí consiguió
su objetivo de viajar a EEUU.[5] Gorkin no lo logró, pero se ganó la fama de trabajar para los intereses del imperialismo estadounidense y de ser trotskista.[6] En París, algunos años después, se convirtió en “el organizador de la obra propagandística de la CIA para el mundo hispánico a través de la revista Cuadernos del Congreso por la Libertad de la Cultura», según Paul Preston.[7]
Gorkin también era en ese momento un referente entre los exiliados
españoles que vivían en París. Una especie de “conseguidor”, conocido
por sus medios y contactos, al que recurrían muchos para pedirle trabajo
y favores.[8]
Entre Julián Gorkin y José Martínez
Guerricabeitia había una sinergia de intereses. Ambos valoraban el hecho
de que la editorial Ruedo Ibérico pudiera funcionar como un
buen ariete en la lucha antifranquista. Pepe Martínez aspiraba a
controlar un mercado potencial de libros en España, al que tenía que
acceder sorteando las trabas impuestas por la censura. Buscaba un perfil
de lector crítico, ávido de conocimiento y sensible a la evolución
política del país. Ese público lector se complementaba con el nicho de
mercado que representaba el lector francés interesado por temáticas
relacionadas con España.[9] Se lo explicaba muy claro a su amigo Francisco Carrasquer en una carta: “el
objetivo es publicar para el público hispánico libros españoles o
extranjeros que nuestros editores no publican, y para el público
extranjero, libros sobre España que sus editores no publican”.[10] También a su amigo Gorkin le informaba en los mismos términos: “la
finalidad perseguida por nuestra empresa es publicar en lengua
española libros que la censura franquista prohíbe en España y hacerlos
llegar a nuestros compatriotas”.[11] Gorkin veía en Ruedo Ibérico
la oportunidad de publicar determinados libros y de difundir a través
de ellos su mensaje anticomunista y filoestadounidense entre la
resistencia antifranquista del interior de España y sobre todo entre la
juventud universitaria, que empezaba a protagonizar sonoras protestas.
Las redes del Congreso por la Libertad de la Cultura (CLC) alcanzan a Ruedo Ibérico
Al igual que Max Aub, que no puede ser
considerado sospechoso de simpatías anticomunistas, muchos intelectuales
pensaron que los libros y la revista Cuadernos de Ruedo Ibérico cumplían “una función de lucha activa contra el régimen de Franco”
y, ciertamente así era, pero cuando se analiza con detalle la
correspondencia de José Martínez Guerricabeitia con Julian Gorkin en
esos años, se aprecia que no existía una línea cien por cien
independiente en la editorial y el historiador Manuel Tuñón de Lara no
iba tan desencaminado cuando aconsejaba a su amigo Max Aub que no
escribiera en los Cuadernos:
[…] Comprendo que estás en relaciones de autor-editor con [José]
Martínez, pero si quieres un consejo de amigo que te quiere, es que
evites publicar en esos «Cuadernos», por lo menos por ahora. Tú no
tienes necesidad de ello y ellos la tienen de ti.[12]
Las redes de la actividad del Congreso
por la Libertad de la Cultura (CLC), organismo pantalla de la CIA,
tenemos indicios de que alcanzaban de forma subrepticia a la editorial Ruedo Ibérico,
al igual que a otros cientos de revistas culturales y políticas en todo
el mundo. Esa tela de araña se extendía desde Washington y configuraba
un gigantesco mapa en la guerra fría cultural.[13]
En los años sesenta el apoyo económico proveniente del CLC —que se
nutría de fondos de los sindicatos y fundaciones privadas de EEUU—
oxigenó muchas actividades del antifranquismo: congresos (incluido el
Contubernio de Múnich de 1962), publicaciones y todo tipo de actos. El
investigador que más ha profundizado en la conexión entre Gorkin, el CLC
y el Congreso de Múnich es Jordi Amat en su tesis doctoral que después
plasmó en su libro La primavera de Múnich.[14]
Se ha conocido, asimismo, que después de que el equipo de la editorial Ruedo Ibérico
se decantara por los expulsados del PCE, Fernando Claudín y Jorge
Semprún, el CLC le ayudó a asegurar una mayor difusión de sus libros a
través del Comité d’Écriteurs et Écrivains.[15]
Las guerras intestinas dentro del PCE a principios de los sesenta
tuvieron un eco muy importante en las batallas internas que libraron los
socios de Ruedo Ibérico, especialmente en los enfrentamientos
entre Vicente Girbau y Pepe Martínez, y condujeron finalmente al segundo
a la gerencia de Ruedo Ibérico. Algunos de los colaboradores
más importantes de la editorial, como Ignacio Fernández de Castro y
Francisco Farreras trabajaban para la oficina del Congreso para la
Libertad y la Cultura, que dirigía el antiguo miembro del POUM Gorkin,
y, al igual que uno de los fundadores de Ruedo Ibérico, el
abogado Ramón Viladás, percibieron fondos del CLC para su mantenimiento
en París en esos años. En una carta que envía Victoria Kent a Gorkin en
1958 le anunciaba que había podido enviar a Viladàs y Farreras la
cantidad de 12.600 francos a través de la Spanish Refugee Aid de McDonald,
una institución fundada por Nancy McDonald en 1953, que desde entonces
fue la entidad que posibilitó el envío de los fondos que Gorkín solicitó
para ayudar a los nuevos exiliados.[16]
Muchos de ellos eran miembros de la Asociación Socialista Universitaria
(ASU) y del Frente de Liberación Popular (FLP) y huían de la represión
de las revueltas universitarias en España. La pluralidad ideológica de
la que hacía gala la revista Cuadernos de Ruedo Ibérico se nutría especialmente de ex miembros del PCE, militantes del FLP, trotskistas y libertarios, pero no incluía a comunistas.[17]
Ejemplares
de la revista Cuadernos de Ruedo Ibérico en la exposición ‘Ruedo
ibérico. Un exilio intelectual en tiempos del franquismo’, en la Sala
Alfons Roig del MuVIM.
En una carta de 8 de enero de 1966,
Julián Gorkin le escribió a José Martínez Guerricabeitia para decirle
que había leído con mucho interés los tres primeros números de Cuadernos de Ruedo Ibérico y, aunque no estaba de acuerdo con todos los textos publicados, creía que Cuadernos de Ruedo Ibérico y Mañana,[18]
la revista mensual editada en español por el Centro de Documentación y
de Estudios de París, impulsada y financiada por el CLC, podían ser dos
tribunas complementarias con la misma finalidad de oposición
antifranquista.[19] José Martínez le contestó dando muestras de manifiesta identificación con el ideario del CLC:
Querido amigo:
he leído con evidente satisfacción tu carta del 8 de enero. El programa
que expones al final de la misma es el nuestro y en el campo que nos
asignas tú con tu buen sentido. No sé si seremos capaces de
desarrollarlo, pero personalmente me esfuerzo y me esforzaré en que así
sea. Nos hacen falta nuevas informaciones, nuevas ideas, pero también
nuevos hábitos. Y esto último no es lo de menor importancia. En este
contexto créeme que tu carta me sirve de aliento.[20]
Las relaciones entre Julian Gorkin y
José Martínez Guerricabeitia están plasmadas en la correspondencia que
se conserva en el archivo del editor en el Instituto Social de
Amsterdam, como ya hemos dicho, pero también en el interesante libro de
Gloria Glondys sobre la guerra fría cultural se da cuenta de la
actividad de Ruedo Ibérico en ese contexto. En una carta de Julián Gorkin a Joaquín Maurín, datada el 6 de julio de 1965, Gorkin afirmaba:
Te diré que después de haberme mantenido alejado de Ruedo Ibérico, porque lo mediatizaban comunistas y comunizantes, al entrar en crisis sería el PCE y decantarse los que rodean a Ruedo Ibérico por los escisionistas, entablé relación con ellos e incluso les presté el ejemplar español de tu libro […].[21]
Las afinidades anarquistas y del POUM
que unían a José Martínez y Julián Gorkin afloran con frecuencia en las
cartas. Hablaban de la publicación de determinados libros, como Revolución y Contrarrevolución en España (1966) de Joaquín Maurín o Los problemas de la revolución española de Andrés Nin (1971) y Gorkin le insistía sobre la traducción y publicación de otros, como Spanien de Hans Joaquim Sell, un antiguo soldado de la Wehrmacht
alemana, que entre 1960 a 1968 fue corresponsal extranjero en España
hasta que el gobierno de Franco le revocó el permiso de trabajo y que en
1965 era miembro del PEN Club Internacional que dirigía Julián Gorkin.La mano del excomunista también podría estar detrás de la edición de los libros del miembro del Opus Dei Rafael Calvo Serer en Ruedo Ibérico por las múltiples alusiones que encontramos.[22]
Catálogo de la colección España Contemporánea e índice del número 1 de Cuadernos de Ruedo Ibérico
En el caso de las editoriales ese era el
mecanismo que utilizaba el CLC para influir en la línea editorial.
Primero recomendaba los libros que podían ser publicados y a
continuación compraba centenares de copias y apoyaba sus lanzamientos en
periódicos y revistas, mediante escritores y periodistas que
colaboraban con el CLC.[23]
Según se dice en la correspondencia, el Centro de Documentación y de
Estudio de París había comprado 60 ejemplares del libro de Herbert R.
Southworth, El mito de la cruzada de Franco.[24]
Un libro muy alabado por Tuñón de Lara y cuyo autor norteamericano
curiosamente nada tenía que ver con el CLC. Para Paul Preston “la
importancia de Southworth radica en que fue un luchador cultural que se
esforzó por combatir no sólo las políticas culturales represivas del
régimen franquista, sino también las actividades, a menudo paralelas,
del CLC”.[25]
No utiliza Preston términos tan elogiosos cuando se refiere al escritor
Burnett Bolloten, íntimo amigo de Julián Gorkin y muy influido por él.
Dice de él que —al igual que Georges Orwell— adoptó en sus obras “una
línea de guerra fría, es decir, que presentaba como cuestión central de
la guerra española el papel de los comunistas españoles y de sus
patrocinadores rusos en la represión de los anarquistas y del POUM,
semitrotskista. Solo Southworth combatió activamente esa idea”.[26]
Esa era la línea de pensamiento que apoyaba el CLC y que Gorkin
defendía. En la correspondencia, José Martínez le comentaba al respecto
del libro LaRévolution espagnole de Burnett Bolloten, publicado por Ruedo Ibérico en 1977, que le había dado mucho trabajo, pero era un buen libro:
Le puedes decir a Bolloten que mande lo que quiera introducir en su libro, tras la lectura del tuyo
[El proceso de Moscú en Barcelona]. El libro de Bolloten está ya
compuesto. Ya él ha corregido las primeras pruebas. Me ha dado mucha
guerra el tal libro. La traducción y su corrección por el autor ha
llevado más de dos años. En realidad, hubo que traducirlo dos veces. Con
otro autor así, cerramos la tienda. Claro, el libro es bueno. Pero no
me ha cedido, por motivos que no comparto, la edición española, la única
rentable.[27]
José Martínez, acuciado por las deudas,
se mostraba siempre muy dado a quejarse de sus problemas económicos y a
solicitar ayudas. En una carta del 5 de mayo de 1964 le pedía a Gorkin
que le facilitara la difusión de las obras publicadas por Ruedo Ibérico
—que muchas veces tenían que lidiar con la censura franquista, el veto
en Francia y la falta de resonancia en determinados foros
antifranquistas— y “un fichero con direcciones de personas y centros susceptibles de interesarse por nuestros libros”.[28]
Gorkin le facilitó las direcciones de algunos de los colaboradores del
CLC, como Victoria Kent, Eugenio F. Granell y Joaquín Maurín. Los tres
vivían en Nueva York y tenían medios para hacer publicidad de Ruedo Ibérico y de sus premios. Victoria Kent a través de su revista Ibérica, Granell en España Libre
y Maurín era el que mejor podía hacer difusión porque tenía una agencia
de prensa con 32 periódicos de lengua española en los EE.UU. y en
Latinoamérica.[29]
Julián Gorkin era en ese momento, como
ya hemos dicho, una especie de “conseguidor” al que recurrían muchos
españoles refugiados para pedirle trabajo y favores.[30]
A José Martínez le prestaba una ayuda interesada y estaba muy al tanto
de las batallas que se libraban en el seno de la editorial. En una
carta dirigida a Maurín le decía «Parece que han salido de los líos que tenían, que disponen ya de medios […]». [31] Buena parte de las crisis periódicas por las que atravesaba Ruedo Ibérico estaban causadas por la propia ambigüedad ideológica del proyecto. En opinión de la historiadora Aranzazu Sarriá Buil: “Era
difícil diferenciar si se trataba de un grupo político constituido bajo
forma de empresa comercial o era una empresa comercial que asumía las
tareas de un grupo político”.[32]
A mediados de los años sesenta los
rumores sobre la financiación del CLC por el Gobierno norteamericano que
circulaban en los ambientes intelectuales y políticos de Europa y
América eran un clamor. Desde 1955 Indalecio Prieto venía denunciando
las conexiones entre la revista Cuadernosdel Congreso por la Libertad de la Cultura y la CIA y manteniendo agrias polémicas con Julian Gorkin sobre el tema.[33] En 1966 aparecieron cinco artículos en el New York Times
que denunciaban la vinculación entre el CLC y la CIA y estalló el
escándalo de la financiación, que no dejó indemne a Gorkin. Significó el
final de su etapa más gloriosa. Sin los fondos y el respaldo de la CIA
el viejo excomunista tuvo que reinventarse para ganarse la vida. Y no
tardó en hacerlo. En 1969 fue nombrado presidente del Pen Club
Internacional de escritores. Era el último favor que le hicieron sus
amigos estadounidenses. Una forma de pagar su lealtad al CLC y
agradecerle los servicios prestados.[34] El PEN Club Internacional, como constató Stonor Saunders en su libro La CIA y la guerra fría cultural, fue otra de las instituciones intervenidas por la Inteligencia estadounidense.
Viñeta
del cómic ‘La saga del Príncipe Bormanus y de la princesa creuteuboba o
el carismático Francoráculo’, de GES, publicado por Cuadernos de Ruedo
Ibérico en 1972.
Coda final
Los avatares en la vida de Gorkin no
interrumpieron la relación de amistad y colaboración profesional, que
continuó siendo buena hasta el final entre los dos. En la última carta
de marzo de 1977, Pepe Martínez le escribe a Gorkin diciéndole que ya ha
pedido el pasaporte y piensa volver a España para abrir Ruedo Ibérico en Barcelona, aunque, a decir verdad, según le cuenta: “no
tengo ningún deseo de ir a nuestra tierra, ni la grande, ni la pequeña,
pero sí la voluntad de hacerlo en cuanto tenga el pasaporte”.[35] En palabras de su amigo Luciano Rincón: “En
realidad, nunca volvió del exilio, aunque viviera en Madrid. Cuando
murió [accidental y prematuramente por una explosión de gas en su
domicilio] algunos quizá respiraron aliviados: era un testigo incómodo. A
otros, su muerte nos hizo daño”.[36]
Durante su estancia en España se mostró exageradamente crítico con la
forma en que se llevó a cabo la Transición democrática, que para él
estuvo amañada. “No es cierto que encajara mal su inserción en esta
democracia. Lo que encajaba mal era su construcción sietemesina, los
desgarros y desesperanzas que padecía la sociedad civil estupefacta por
el espectáculo de avidez, cinismo y depredación de su clase política”,
según Alberto Hernando.[37]
Julián Gorkin, por su parte, en la
última etapa de su vida continuó con su evolución ideológica y se afilió
al PSOE. Además, según el historiador Andrés Ortí Buig, “explotó
a fondo su pasado y ofreció su testimonio sobre algunos de los pasajes
más importantes de su vida. Participó en documentales, programas de
televisión y actos de homenaje en memoria de sus antiguos compañeros del
POUM. Fantaseó e inventó a conveniencia para reforzar su papel en la
historia en lo que quedó como una prueba más de la vanidad que le
acompañó hasta su fallecimiento a los 86 años en París”.[38]
Analizar el pasado desde el presente
nunca es fácil. “El pasado es un país extranjero y juzgar el pasado con
los criterios del presente es un anacronismo y es el triunfo del
provincianismo”, nos dice Carlo Ginzburg.[39]
En este artículo no hemos pretendido restar importancia histórica a la
empresa de José Martínez Guerricabeitia, solo hemos querido situarla en
el contexto de guerra fría cultural en el que nació y tuvo su
desarrollo. Ruedo Ibérico fue una más de la pléyade de
editoriales y revistas que en los años sesenta cayeron en las redes del
Congreso para la Libertad de la Cultura, el principal organismo pantalla
creado por la Inteligencia norteamericana para extender su influencia
cultural en Europa y en la mayor parte del mundo en esos años de la
Guerra Fría, pero eso no quita para que cumpliera un papel determinante
en apoyo del antifranquismo.
Stand de la editorial Ruedo Ibérico en la feria de Frankfurt del año 1973 (foto: Blogs Canal Sur)
Notas
[1] FORMENT, Albert, José Martínez: la epopeya de Ruedo Ibérico, Barcelona, Anagrama, 2000, p. 74.
[2] IMBERT MARTÍ, Gérard, “José Martínez. El deber de la memoria”, en HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez: la imposibilidad feroz de lo posible, Logroño, Editorial Pepitas de Calabaza, 2017, pp. 15-16.
[3] FORMENT, Albert, José Martínez: la epopeya de Ruedo Ibérico, Barcelona, Anagrama, 2.000, p. 86.
[4] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto, Tesis doctoral, Universidad Rey D. ORTÍ Jaime (UJI), Castellón de la Plana, 2020, p. 305 y 314.
[5] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, pp. 151-157.
[7] PRESTON, Paul, “Guerra Fría e historiadores anglosajones”, Revista de Estudios Globales. Análisis Histórico y Cambio Social, 2/2023, N.º 4, p. 199.
[8] BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 320.
[9] SARRÍA BUIL, Aránzazu, “Oponerse al franquismo editando en París: Ruedo Ibérico y les Éditions Maspero”, Laberintos. Revista de estudios sobre los exilios españoles, València, 2020, p. 318.
[10]
IIHS, Amsterdam, Carta de José Martínez a Francisco Carrasquer, París,
15 de enero de 1961, en SARRÍA BUIL, Aránzazu, “Oponerse al franquismo
editando en París: Ruedo Ibérico y les Éditions Maspero”, Laberintos. Revista de estudios sobre los exilios españoles, València, 2020, p. 318.
[11] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 5 de mayo de 1964.
[12]
Archivo Max Aub (en adelante AMA), Correspondencia Max Aub y Manuel
Tuñón de Lara, caja 14, N.º 47, carta de 10 de agosto de 1965.
[13] JANNELLO, Karina, “La guerra fría cultural en sus revistas. Programa para una cartografía”, Universum, vol. 36, n.º 1, 2021, pp. 131-151.
[14] AMAT, Jordi, La primavera de Múnich, Tusquets,
Barcelona, 2016. Véase también AMAT, Jordi, “Europeísmo, Congreso por
la Libertad de la Cultura y Oposición antifranquista (1953-1966), Historia y Política, n.º 21, Madrid, 2009, pp. 55-72.
[15] GLONDYS, Olga, La guerra fría cultural y el exilio republicano español: Cuadernos del congreso por la libertad de la cultura (1953-1965), Madrid, Editorial CSIC Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 2012, p. 299.
[16] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 280.
[17] HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez: La imposibilidad de lo imposible, Logroño, Editorial Pepitas de calabaza, 2017, p. 33.
[18] La revista Mañana,
dirigida por Dionisio Ridruejo desde España, pero publicada en París,
tuvo una vida efímera de enero de 1965 hasta octubre de 1966.
Desapareció de manera abrupta con el escándalo internacional que probó
que el CLC estaba financiado por la CIA. ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, pp. 314-315.
[19] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Carta de Julián Gorkin a José Martínez, 8 de enero de 1966.
[20] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 18 de enero de 1966.
Atentado a la librería en octubre de 1975 Foto: A. FORMENT, José Martínez: la epopeya de Ruedo ibérico.)
[21] GLONDYS, Olga, La guerra fría cultural y el exilio republicano español…, p. 299.
[22] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 5 de abril y 28 de abril de 1972.
[23] GLONDYS, Olga, La guerra fría cultural y el exilio republicano español…, p. 299.
[25] PRESTON, Paul, “Guerra Fría e historiadores anglosajones”, Revista de Estudios Globales. Análisis Histórico y Cambio Social, 2/2023, N.º 4, p. 199.
[27] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 2 de marzo de 1977. El subrayado está en la carta original.
[28] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 5 de mayo de 1964.
[29] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 8 de mayo 1973.
[30] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto, Tesis doctoral, Universidad Rey D. ORTÍ Jaime (UJI), Castellón de la Plana, 2020, p. 320.
[31] GLONDYS, Gloria, La Guerra Fría cultural y el exilio republicano español...p. 299.
[32] HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez…, p. 33.
[33] GLONDYS, Gloria, La Guerra Fría cultural y el exilio republicano español...pp. 281-282.
[34] BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 322.
[35] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 2 de marzo de 1977.
[36] RINCÓN, Luciano, “Ruedo Ibérico”, El País, 11 de marzo de 1989.
[37] HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez…, p. 123.
[38] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 347.
[39]
TAPIA, Francisco, Entrevista a Carlo Ginzburg, “Juzgar el pasado con
los criterios del presente es el triunfo del provincianismo”, Revista Santiago. Ideas, Crítica y Debate, 24 de septiembre de 2021.
Fuente: Conversación sobre la historia
Portada: Ilustración de Antonio Saura para la cubierta de España hoy (presentación y montaje de I. Fernández de Castro y J. Martínez), París: Ruedo Ibérico, 1963. Fondos del Centro de Documentación del Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía
Gabriel Rockhill es un filósofo, escritor, crítico cultural y profesor de Filosofía en la Universidad de Villanova de Filadelfia, especializado en el estudio de lo que él mismo ha calificado como la "Industria de la Teoría Global".
"Un sistema de producción, circulación y consumo" de ideas financiado por las grandes corporaciones capitalistas y agencias de inteligencia como la CIA la USAID, la NED o el MI6 que, en muchas ocasiones se presentan como "críticas" con el capitalismo pero que, finalmente, transmiten la idea de que cualquier alternativa socialista sería siempre una opción"totalitaria" e inviable.
En esta entrevista concedida a Tita Barahona, en exclusiva para Canarias-semanal, el profesor Rockhill explica cómo conocidos intelectuales, desde los históricos fundadores de la Escuela de Franckfurt a autores postmodernos como Jacques Derrida o Foucault, forman parte de este mercado de idas que se encarga de establecer "los parámetros de debate público aceptables", controlando donde se ubica "el flanco izquierdo de la crítica".
L’histoire
de la CIA (Central Intelligence Agency) – ses coups montés, ses
assassinats, ses enlèvements, sa pratique de la torture, ses « sites
noirs », ses meurtres par drone, ses sales guerres et le parrainage de
régimes dictatoriaux [1] – souligne non seulement le rôle sanguinaire et
réactionnaire joué par l’impérialisme américain mais surtout la peur
mortelle de l’élite dirigeante face à la classe ouvrière internationale.
Dès
sa fondation en 1947, le CIA a reconnu que Washington ne pourrait
réaliser et maintenir son hégémonie mondiale par la seule répression.
Les luttes anticoloniales, les luttes révolutionnaires en Grèce et à
travers l'Europe, les grèves de masse autour du monde (dont la grande
vague de grèves de 1945-46 aux Etats-Unis [2]) étaient profond&eac
The Mighty Wurlitzer
Un livre détaillé sorti en 2008, The Mighty Wurlitzer: How the CIA Played America,
(Le puissant Wurlitzer : comment la CIA joue l’Amérique) de Hugh
Wilford, examine la lutte idéologique menée par la CIA entre 1947 et
1967 afin de rallier « les cœurs et les esprits » au capitalisme
américain et poursuivre la guerre froide.
C’est une sale besogne.
La CIA a créé ou manipulé des associations, des universités, des
médias, des groupes d’artistes, des fondations et des associations
caritatives pour les mettre au service de sa propagande – cherchant à
appliquer un vernis « progressiste » et même « humanitaire » au contrôle
grandissant exercé par Washington.
Malgré le temps écoulé depuis
sa publication, ce livre est toujours pertinent, car il révèle le
fonctionnement des campagnes idéologiques de la CIA et en particulier le
rôle joué par une section de l’intelligence libérale. Il ouvre les yeux
à une nouvelle génération soumise aux des tentatives incessantes de
blanchiment de la CIA et du militarisme américain. L’on se fait une idée
des opérations antidémocratiques et réactionnaires menées par
l’impérialisme américain et son appareil de renseignement, et de la
nature foncièrement criminelle et mensongère du capitalisme américain.
Surtout,
le livre démontre au lecteur l'importance que l’élite dirigeante
américaine accorde à la lutte idéologique contre le socialisme.
L’auteur
écrit à juste titre : « Ces pratiques se sont en fait intensifiées ces
dernières années ; la ‘guerre contre le terrorisme’ recrée la
mobilisation totale qui a marqué les premières années de la Guerre
froide. » Il ajoute que la CIA est « une force croissante sur les
universités. » [3]
La terme « puissant Wurlitzer » (Mighty
Wurlitzer) avait été inventé par Frank Wisner, le chef du Bureau de
coordination politique (OPC), un groupe chargé d’opérations
paramilitaires et psychologiques, créé en 1948 et intégré à la CIA en
1951. Il se targuait de coordonner un réseau capable de jouer sur
demande n’importe quel air de propagande, le comparant ainsi au célèbre
orgue de théâtre Wurlitzer.
Le CIA sélectionnait ceux qui
pourraient s’orienter dans une direction socialiste, en ciblant des
groupes ayant des griefs contre le statu quo. Elle a choisi des
représentants de groupes ethniques, de femmes, d’Afro-américains,
ouvriers, d’intellectuels et d’universitaires, d’étudiants, de
catholiques et d’artistes pour en faire des groupes écrans
anticommunistes. Ces liens fournissaient à leur tour à l’agence la
couverture requise pour influencer d’importants secteurs de la
population mondiale.
Fait plutôt ironique, alors que l'Etat
menait ses chasses-aux-sorcières maccarthystes et dressait une Liste
d'Organisations Subversives, prétendument pour démasquer les « groupes
de façade » du Parti communiste, la CIA s'occupait précisément à créer
des groupes de façade afin d'intégrer des milliers d’Américains à leur
insu dans des opérations psychologiques clandestines.
Le livre
dévoile comment des syndicalistes, artistes, et membres des professions
libérales « radicaux » ou « ex-radicaux » se sont retrouvés à
l'intérieur de ce « Wurlitzer ». [4] Ceci incluait une couche d’anciens
membres ou compagnons de route du Parti communiste, dont le romancier
Richard Wright, qui, déçus par l’expérience faite avec ce parti
réactionnaire stalinisé, n’ont pas trouvé le chemin vers le trotskysme,
mais ont trouvé une place au sein de l’appareil de renseignement
américain.
L’agence a influencé ces groupes très hétéroclites et
parfois divisés grâce essentiellement à deux méthodes. La première était
l’octroi de vastes sommes d’argent, soit par l’intermédiaire
d’entreprises telles ITT, soit par des particuliers fortunés ou par des
fondations. La seconde consistait à formater les directions de ces
groupes écrans, et en faisant ensuite prêter aux dirigeants le serment
du secret.
Wilford explique comment ces serments étaient prêtés à
l'Association nationale des étudiants (NSA), contrôlée par la CIA. «
Lorsque la CIA jugeait nécessaire d'informer un responsable de bonne foi
[ignorant le contrôle de la CIA] de l'origine du financement de
l’organisation, elle organisait une réunion entre l’individu en
question, un collègue qui était au courant, et un ancien responsable de
la NSA devenu agent de la CIA. Sur un signal convenu à l’avance, le
responsable au courant quittait la pièce. L’agent de la CIA (encore
identifié comme étant un ex-NSA) expliquait que le responsable de bonne
foi devait prêter serment de discrétion avant d’être mis au courant de
secrets vitaux. Après que le responsable ait signé un engagement formel,
l’agent révèlait alors que la CIA jouait un rôle dans les affaires de
l'association. »
Les serments étaient pour de vrai. Une violation
était passible d’une peine de prison de 20 ans. Plus tard, certains des
collaborateurs dénoncèrent l’opération comme étant un piège et qu'ils
avaient « été induits en erreur lors de l’entrée en relation avec la
CIA. » D’autres ont exprimé un accord politique et/ou l’ont considéré
comme une bonne opportunité de carrière.
Les origines des groupes écrans de la CIA
Wilford
retrace les origines des groupes secrets financés par la CIA à la
réorganisation de l’Etat effectuée sous le président Harry S. Truman.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis étaient la force
économique, politique et militaire dominante, la classe dirigeante
américaine a vite cherché à profiter de cette position pour asseoir son
hégémonie mondiale.
Truman signe la loi qui créa la CIA et le Conseil de sécurité nationale (NSC)
Truman
a restructuré les forces armées et le renseignement américains pour
mener la Guerre froide, selon sa stratégie géopolitique surnommée «
Doctrine Truman ». Le Congrès, grâce au National Security Act de 1947,
avait établi la CIA, le premier appareil de renseignement permanent aux
Etats-Unis, et le Conseil de sécurité nationale (NSC). Dès ses débuts,
une controverse opposa ceux qui disaient que la CIA devait se limiter à
la collecte d'informations, et ceux qui disaient qu'elle devait aussi
mener des actions secrètes.
Les « interventionnistes »
(pro-action secrète) l’emportèrent, explique Wilford. George Kennan, le
diplomate auteur de la doctrine de l’« endiguement » (« containment »)
face à l’URSS, affirmait que les politiciens devaient surmonter l’«
attachement populaire au concept d’une différence fondamentale entre la
paix et la guerre » et adopter les actions secrètes comme partie
intégrante de leur stratégie mondiale.
George F. Kennan, défenseur des actions secrètes de la CIA
Kennan
préconisait des activités paramilitaires secrètes et la création de «
comités de libération » afin d’encourager des activités antisoviétiques
par des « éléments autochtones anticommunistes » dans des « pays menacés
du monde libre ». Selon Wilford, ces idées « ont guidé toutes les
opérations de première ligne des Etats-Unis durant premières cinq années
de la Guerre froide ».
La première cible du recrutement secret
furent les émigrés d’Allemagne, d’Europe de l’Est et d’URSS. Wilford
cite l'Opération « PAPERCLIP », l’acheminement vers les USA d’ancies
Nazis disposant d’un savoir-faire militaire ou technique. Il relève le
recours aux services du général nazi Reinhard Gehlen, le chef du
renseignement militaire d’Hitler sur le front Est, dont le réseau fut «
incorporé » au renseignement américain, puis au renseignement allemand.
La
fâcheuse tendance de Wilford de laver l’impérialisme américain réduit
la force de ses divulgations, notamment de celle du lien avec Gehlen.
Wilford en fait une narration plutôt sèche, mais Joseph Trento, auteur
de The Secret History of the CIA, décrit les faits ainsi :
«
… Gehlen convainquit [Alan] Dulles [le premier directeur civil de la
CIA, anciennement du Bureau des services stratégiques (OSS) et du Bureau
de coordination politique (OPC)] que les Etats-Unis devaient garantir
la protection de milliers de nazis de haut rang… ‘Rien n’est plus
important que de recruter ces nazis enfuis dans le monde entier… Vous
devez vous rappeler qu’on les considérait comme les anticommunistes les
plus déterminés… les autorités américaines étaient prêtes à recruter
n’importe quel nazi jugé utile… »
Trento cite Robert T. Crowley,
qui a joué un rôle significatif dans la gestion des nazis pour
Washington. Trento conclut par l’appréciation suivante : « Ce
partenariat entre les ex-nazis et l’OSS/CIA a dominé les activités
antisoviétiques américaines pendant trois décennies. » [5]
Wilford
n’est pas prêt à avancer de telles évaluations générales, mais il peut
dévoiler et d’exposer les détails des réseaux complexes montés par la
CIA. Ceci est particulièrement convaincant lorsqu’il remonte la piste de
l’argent, un aspect solide de The Mighty Wurlitzer et qui est de toute évidence le résultat de recherches assidues.
Wilford
montre comment la formule de financement du Comité national pour une
Europe libre (NCFE, créé par la CIA en 1949) est devenue un prototype.
On présentait le NCFE comme une organisation humanitaire et
indépendante, montée par des citoyens américains afin de secourir des
réfugiés d’Europe de l’Est. En fait, elle était dirigée par la CIA.
Afin
de justifier les bureaux cossus et les comptes en banque bien garnis du
NCFE, on monta une campagne de collecte de fonds, la Croisade pour la
liberté (« Crusade for Freedom »). Les fonds recueillis ne servaient pas
à couvrir les dépenses, payées par la CIA, mais à éviter que sa
richesse ne soulève des questions. L’expérience des campagnes du Conseil
de la publicité de guerre, qui avait « renforcé le moral des civils »
lors de la Seconde Guerre mondiale, servit ensuite à « vendre » la
Guerre froide. C’est de là que Radio Free Europe (Radio Europe libre)
est finalement issue.
Publicité pour la Radio Europe libre : «
Bien sûr que je veux combattre le communisme, mais comment » ? « Avec
des dollars de la vérité, voilà comment » !
Ad for Radio Free Europe
Le
NCFE fut la première d’une centaine d’organisations de ce genre à
apparaître en Europe de l’Est. Elles ont soutenu des projets «
scientifiques », leur propre maison d’édition, et une multitude de
conseils nationaux de minorités ethniques aux Etats-Unis. Elles ont
aussi acheminé de l’argent à des organisations pro-fascistes « telles
l’Assemblée des nations européennes captives » de Brutus Coste.
La
CIA a poursuivi en ciblant davantage de groupes d’adversaires
idéologiques potentiels. Ce compte-rendu examinera quelques unes de ces
opérations afin de donner une idée de l’ampleur et de la portée de la
crainte de la révolution sociale éprouvée par le gouvernement américain
et de la préoccupation de la CIA d’encourager l’anticommunisme.
Les journalistes
Aujourd'hui,
la suppression d’informations et la collusion de journalistes avec la
CIA passent à peine pour une révélation. Néanmoins, le livre met en
exergue la profondeur de cette relation depuis le tout début des
opérations de la CIA.
En 1977, Carl Bernstein a calculé que
depuis 1952, quelques 400 journalistes avaient travaillé pour la CIA.
Mais Wilford écrit correctement que le nombre de journalistes
qui écrivaient de la propagande gouvernementale était bien moins
important que la collaboration institutionnelle entre la CIA et les
grands médias.
L’auteur indique qu’Arthur Hays Sulzberger, l'éditeur du New York Times,
était un ami proche du directeur de la CIA Allen Dulles et avait signé
un accord secret avec l’agence. En vertu de cet arrangement, le Times a fourni des couvertures de journaliste ou de correspondants à au moins dix agents de la CIA ; le Times encourageait
aussi ses employés à faire de l'espionnage. Dulles entretenait des
relations avec les médias, qu'il considérait être d’excellentes sources
d’informations à l’étranger.
Selon Wilford, le chef des
informations de la chaîne Columbia Broadcasting System appelait si
souvent le quartier général de la CIA que, lassé d'avoir à quitter son
bureau pour passer l'appel, il a fait installer une ligne privée pour
contourner le standard téléphonique.
Une troisième voie de
diffusion des « informations » de la CIA étaient les agences de presse,
dont l’Associated Press et l’United Press International, ainsi que
l’opération interne de la CIA, la « Forum World Features. »
Il y avait aussi les magazines. Tout comme le New York Times, le Time
de Henry Luce fournissait aux agents de la CIA des cartes de presse.
Selon, Wilford « en général… la collaboration était si réussie qu’il
était difficile de dire exactement où se terminait le réseau de
renseignement outre-mer de Luce et où celui de la CIA commençait. »
Il
y avait aussi les services indispensables à l’Association des
journalistes américains (ANG), le syndicat des journalistes. L’ANG fut
un membre fondateur de la Fédération internationale des journalistes,
une fédération de syndicats anticommunistes établie en 1952 à Bruxelles
pour s’opposer à la Fédération internationale des journalistes, marquée à
gauche.
Financée par les syndicats américains mais lancée par la
CIA, l’ANG a monté une campagne destinée aux journalistes africains et
asiatiques. Un de ses représentants dirigeait l’Inter-American
Federation of Working Newspapermen’s étroitement liée au front syndical
de la CIA en Amérique latine, l’Institut américain pour le développement
libre du travail (AIFLD). Ces groupes prodiguaient un grand nombre de
services gratuits, techniqus ou éducationnels, financés par des
fondations intermédiaires liées à la CIA.
Les étudiants
Redoutant
l’attraction qu’exerçait le socialisme sur les jeunes, la CIA a établi
dès le début une présence sur les campus universitaires. En 1947, elle a
formé l'association nationale des étudiants (NSA) des Etats-Unis, et
ensuite un service international estudiantin d’information, afin de
doter le NSA d'attaches à l’étranger. Wilford décrit comment la CIA a
formé et passé au crible tous les agents du NSA. Beaucoup d'entre eux
ont ensuite poursuivi des carrières à la CIA.
La NSA animait des
séminaires annuels sur les relations internationales et octroyait des
bourses à des étudiants venus de « pays en voie de développement »,
ainsi que pour de longs voyages à l’étranger. En 1967, elle comptait 400
organisations sur les campus américains.
La CIA et le NSA ont
aussi parrainé des festivals internationaux de jeunesse pour « sauver la
jeunesse du tiers monde des griffes des propagandistes communistes. »
Gloria Steinem fut l’icône féministe à la tête de cette opération. Elle
avait accepté un poste rémunéré comme directrice de l’Independent
Service for Information, « une opération de la CIA du début à la fin, »
selon Wilford, et mise en œuvre « sciemment. » Parmi ses compatriotes y
figurait Zbigniew Brzezinski, un diplômé de Harvard qu’elle décrivait
comme « un membre vedette de l’Independent Service », et qui allait
deveinr un des principaux stratèges de l'impérialisme américain.
Gloria Steinam, 1987
Dans une partie très pertinente de The Mighty Wurlitzer, Wilford
explique comment les professeurs, notamment des universités d’élite «
Ivy League », ont servi de recruteurs pour l’agence. L’auteur s
concentre sur les activités de William Y. Elliott de Harvard, un
professeur du département du gouvernement qui était aussi le doyen de la
célèbre Ecole d’été de Harvard.
Elliott a activement « branché »
des étudiants choisis dans les opérations de la CIA. Il a utilisé la
prestigieuse Ecole d’été pour élargir le recrutement international de la
CIA. Parmi les diplômés de Harvard « encadrés » par Elliott se trouvait
Henry Kissinger, qui a joué un rôle éminent dans les cours d’été et qui
s’en est servi pour entamer sa carrière gouvernementale.
Dans sa
conclusion, l’auteur écrit que ces opérations universitaires ne sont de
toute évidence pas terminées, mais sont en hausse. Il donne l’exemple
des résultats de la commission Church (Church Committee) [6] de l’«
utilisation opérationnelle » par la CIA d’universitaires individuels,
dont « des rôles de premier plan et des mises en contact à des fins de
renseignement, de collaboration dans le domaine de la recherche et de
l’analyse, de collecte de renseignements à l’étranger et de la
préparation de livres et autre matériel de propagande. »
Les syndicats: l'AFL-CIO et l’« AFL-CIA »
Les
opérations anticommunistes menées en Europe par le syndicat American
Federation of Labor ont débuté en 1944 avec le Comité des Syndicats
Libres (FTUC). Le FTUC était financé par le syndicat américain de la
confection féminine (International Ladies’ Garment Workers’ Union)
dirigé par David Dubinska, et géré par Jay Lovestone, l’ancien
secrétaire national du Parti communiste américain devenu anticommuniste,
et par son protégé Irving Brown. Brown avait travaillé pour l’OSS
durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’OSS fut dissout, Brown et
Lovestone ont dirigé ses opérations, en se vantant que « nos relations
et nos programmes syndicaux ont pénétré tous les pays d’Europe. »
Jay Lovestone à droite, rangée arrière
D’ici
janvier 1949, le budget du FTUC venait de fonds de la CIA déguisés en
dons privés. A la fin de l’année, la part de ses revenus provenant des
cotisations ouvrières avait été éclipsée par l’argent de la CIA, blanchi
par Lovestone à New York et transféré via divers comptes en banque.
L’argent fut versé à des syndicats anticommunistes à travers l'Europe,
dont Force ouvrière (né d’une scission d’avec le syndicat CGT dominé par
le Parti communiste français, PCF) et le Comité de Vigilance
méditerranéen en France, les syndicalistes sociaux-démocrates en Italie,
y compris la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori, et
l’Organisation centrale des syndicats finlandais. Il y eut d’autres
opérations organisées en dehors de l’Europe, telles l’Alliance centrale
syndicale pan-indonésienne.
Il y eut cependant une autre demande
de licence. Victor Reuther, le frère du président de l’UAW, Walter, a
ouvert un bureau à Paris. Le syndicat de l’automobile UAW, adhérent du
CIO et réputé combatif, passait mieux à l’étranger que le « syndicalisme
corporatiste » discrédité de l’AFL ; ainsi l’UAW était plus à même de
fournir à la CIA des contacts au sein du mouvement ouvrier.
Le
début de la fin du parrainage par la CIA de l’AFL eut lieu le 20
novembre1950. Le directeur de l’agence de renseignement, Walter Bedell
Smith, et Frank Wisner rencontrèrent Lovestone, le secrétaire-trésorier
de l’AFL, George Meany, David Dubinsky, et le vice-président de l’AFL,
Matthew Woll, pour décider quelle syndicat mènerait les opérations
secrètes de la CIA.
Meany a vigoureusement dénoncé le CIO, en «
citant des dates, des noms et des lieux » de l’infiltration de son rival
par les communistes, mais en vain. Le directeur adjoint de la CIA, Alan
Dulles, a déclaré qu'il « s’intéressait fortement au mouvement syndical
» et croyait que le CIO devrait être impliqué dans les opérations
secrètes de la CIA.
Les recherches de Wilford montrent le
directeur des affaires internationales du CIO, Mike Ross, a acheminé des
milliers de dollars de la CIA vers les opérations parisiennes de Victor
Reuther.
Les Afro-Américains
La répression et les
meurtres de militants des droits civiques américains au début des années
1950, avec la diffusion d’images où la police utilisait les chiens et
les canons à eau contre des manifestants, ont miné les tentatives de
Washington d’étendre son influence en Afrique.
C’était là une
préoccupation majeure, alors que l'impérialisme européen se faisait
expulser de ses colonies et que le mouvement anticolonial se propageait
comme une trainée de poudre. « Dans ce contexte, les agences du
gouvernement américain, y compris la CIA, ont commencé à auditionner un
peu partout pour le rôle de dirigeants noirs américains qui pourraient
brosser un tableau positif des relations raciales de leur pays, et aider
les pays africains nouvellement indépendants à se détourner du camp
communiste, » écrit Wilford dans le chapitre sur le recrutement
d’Afro-Américains par la CIA.
La principale opération fut
l’American Society of African Culture (AMSAC). Après une réunion en 1954
au domicile de l’ancien secrétaire exécutif du NAACP (National
Association for the Advancement of Colored People), Walter White, à
laquelle participèrent Eleanor Roosevelt et Victor Reuther, on fonda une
organisation permanente afin de « minimiser parmi les Africains
l’anticolonialisme socialiste en faveur de l’anticommunisme libéral. »
De
nombreux Américains qui admirent Richard Wright pour son honnêteté
littéraire et sa volonté de mettre à nu la brutalité du racisme furent
surpris d’apprendre qu’il avait rejoint le groupe écran de la CIA.
Wright s'est présenté à l'ambassade américaine à Paris et offrert ses
services pour « combattre les tendances gauchistes » lors d’un congrès
international des écrivains et artistes noirs (Congress of Negro Writers
and Artists) en 1956. Selon Wilford, il s’était rendu à plusieurs
reprises à l’ambassade pour discuter comment « contrecarrer l’influence
communiste. »
Richard Wright
Wright
trouva l’argent et organisa depuis les Etats-Unis une équipe de 5
personnes pour participer au congrès de Paris. Quant à W.E.B. Du Bois,
il se vit refuser l’octroi d’un passeport et publia une déclaration
cinglante : « Tout Negro-Américain se rendant de nos jours à l’étranger
doit… dire ce que le Département d’Etat veut qu’il dise. »
Le
groupe de Paris créa la Société africaine de Culture (SAC). La création
de l’American Society of African Culture (AMSAC) suivit en juin 1957. Le
financement était typique : les fonds de la start-up provenaient de
Matthew McCloskey, un magnat du bâtiment de Philadelphie et un avocat de
Wall Street, et Bethuel Webster (qui aux années 1950 avait contribué à
mettre en place l’American Fund for Free Jurist pour véhiculer les fonds
vers l’International Commission of Jurists.)
L’AMSAC
avait plusieurs objectifs. Il faisait de la propagande, dont une série
de publications très ambitieuses ; il organisa des conférences annuelles
auxquelles participait une série de brillants intellectuels, artistes
et interprètes noirs (Nina Simone, Lionel Hampton, etc.) ainsi que des
festivals parrainés à la fois par les Etats-Unis et l’Afrique.
L'AMSAC
a aussi aidé la CIA dans ses tentatives plus impitoyables d'écraser la
combativité africaine. Suite au meurtre aux mains de la CIA du président
congolais Patrice Lumumba, l’agent de l’AMSAC, Ted Harris, fut muté de
son bureau de New York à Léopoldville dans le but « d’entraîner les
politiciens locaux dans les techniques administratives occidentales. »
Wright
fut finalement déçu. En novembre 1960, il prononça un discours
surprenant à l’Eglise américaine de Paris qui dénonçait Washington pour
avoir espionné les expatriés et tenté de les museler. « Je dirais que la
plupart des mouvements révolutionnaires à l'Occident sont parrainés par
des gouvernements, » a dit Wright au public. « Ils sont lancés par des agents provocateurs
dans le but d’organiser les mécontents pour que le gouvernement puisse
garder un œil sur eux. » Il laissa entendre qu'il ferait de nouvelles
révélations à venir, puis mourut dans une clinique parisienne quelques
semaines plus tard à l’âge de 52 ans. Selon l’auteur, des rumeurs
circulèrent qu’il avait été assassiné.
La dernière opération
menée avec succès par l’AMSAC fut une vaste tournée du défenseur des
droits civiques James Farmer en Afrique, destinée à contrer l’impact des
visites précédentes de Malcom X. Ave l’aide de Carl T. Rowan, le
premier Afro-Américain à siéger au Conseil de sécurité nationale, Farmer
arriva en janvier 1965 en Afrique. Il se rendit dans neuf pays, eut des
entretiens avec presque tous les chefs d’Etat, donna des cours aux
étudiants, rencontra des membres du parlement et intervint devant les
syndicats.
Les femmes
Entre 1952 et 1966, la CIA
finança et coordonna un groupe secret de femmes, le Committee of
Correspondence (Comité de correspondance), avec une devise bien ironique
: « La vérité vous rendra libre. » (« The Truth Shall Make You Free. »)
Au
départ, le groupe débitait de l’anticommunisme primaire, avec des
communiqués et des bulletins qui accusaient l’URSS de contraindre les
femmes à travailler pour que l’Etat puisse exercer « un contrôle absolu
sur l’enfant », etc. Les inquiétudes de l'Etat quant au mouvement
anticolonial montait, toutefois, et le comité organisa des activités en
Iran, en Afrique et en Amérique du Sud.
Cette initiative concordait avec le projet du gouvernement
Eisenhower d’humaniser l’image américaine (développé ensuite par le
Corps de la Paix -Peace Corps- créé par John F. Kennedy en 1961) tout en
renforçant le consensus de la Guerre froide à l’intérieur des USA. Ceci
n’empêcha pas le comité d’exécuter une série de « missions spéciales »
pour surveiller et établir des rapports sur les conférences de paix
appuyées par le Parti communiste.
Wilford cite l’évaluation de la
CIA de l’importance stratégique croissante des femmes aux années 1950,
notamment dans l’éducation. « Il est évident que les femmes sont
maintenant un facteur très important dans l’édification de la nation qui
se passe dans une grande partie du monde, » aurait déclaré un agent du
renseignement. Les réseaux créés par les comités de correspondance
étaient considérés comme relevant d’une astucieuse tactique de la Guerre
froide et la base des futures opérations de renseignement.
Tout
comme de nombreux autres fronts de travail de la CIA, le comité fut
généreusement financé par une série de fondations et de groupes
patronaux, dont : le Dearborn Foundation, l’Asia Foundation, le J.
Frederick Brown Foundation, le Florence Foundation, le Hobby Foundation
et le Pappas Charitable Fund.
Les artistes
La CIA
était très préoccupée par un grand nombre d’artistes. La Grande
dépression avait discrédité le capitalisme et l’épanouissement de la
culture après la Révolution russe avait influencé le monde entier. La
CIA voulait contrecarrer l’excellence du cinéma, de la dance, de l’art,
de la musique, du théâtre et de l’architecture soviétiques ainsi que la
revendication de l’URSS d’être l'héritierdes Lumières en Europe. La CIA
s’est efforcée de dépeindre l’art américain comme le terreau des
impulsions les plus créatrices de la culture moderne.
Cette
initiative fut en effet un grand défi, particulièrement vu le
conformisme philistin et petit bourgeois de l’élite américaine (moqué
par le terme « Babbitry »). The Mighty Wurlitzer signale la célèbre expression de Harry Truman concernant l’oeuvre de Yasuo Kuniyoshi: « Si ça c’est de l’art, moi je suis un hottentot. »
L’agence
avait fondé en 1950 le Congrès pour la liberté de la culture (CCF), qui
a financé un nombre sans précédent de prix littéraires, d’expositions
d’art et de festivals de musique. A son apogée, il avait des bureaux
dans 35 pays et publiait plus d’une vingtaine de magazines, dont le
magazine littéraire Encounter, édité par le néoconservateur
Irving Kristol (qui a également bénéficié du soutien de MI6). La
Fondation Ford a aussi financé le CCF.
La CIA oeuvra pour obtenir
des contrats d’édition pour ses écrivains encartés aux maisons
d’édition auxquelles participait l’agence, dont la maison d’édition
Frederick A. Praeger. Wilford a particulièrement tenu à documenter le
soutien financier de l’agence pour Partisan Review qui fut
initialement l’organe culturel du Parti communiste pour devenir
antistalinien plus tard, flirtant avec le trotskysme avant de s’aligner
sur la « gauche non conformiste » et les néoconservateurs James Burnham
et Sidney Hook.
Le livre de Frances Stonor Saunders de 1999 Who Paid the Piper, partiellement racontédans The Mighty Wurlitzer,
met en évidence la protection par la CIA de l’expressionnisme abstrait
aux Etats-Unis. Wilford décrit le genre d’entreprise publique-privée qui
faisait ce travail, qui impliquait généralement le Musée d’Art moderne
(MoMa) Rokefeller et le CCF. Entre autres, les peintures de Jackson
Pollock, Mark Rothko et de Franz Kline furent promues comme étant l’antithèse du réalisme soviétique et la soi-disant preuve que le capitalisme était mieux à même de promouvoir la culture.
Evoquant
le « ‘cordon ombilical en or’ qui unit l’espion et l’artiste, » Wilford
explique en détail toute une série d’activités. L’un des grands projets
était le « Hollywood consortium », un groupe informel mais influent
d’acteurs et de magnats du cinéma qui travaillaient avec la CIA, dont
John Ford, John Wayne, Darryl Zanuck et Cecil B. DeMille. Les Studios
Paramount disposaient de leur propre agent interne de la CIA qui se
consacrait à censurer certains films et à en saboter d’autres. (En même
temps, la liste noire anticommuniste à Hollywood détruisait des carrières et des vies.)
The Mighty Wurlitzer démontre
comment le gouvernement américain a dépensé des millions de dollars,
sur des décennies, pour miner la pensée socialiste et donner
àl’anticommunisme un nouveau visage culturel, social et humanitaire.
Dans
le dernier chapitre, l’auteur écrit que les groupes écrans de la CIA
sont toujours vivants et se portent bien. Il cite des rapports qui
relient le best-seller Reading Lolita in Tehran: A Memoir in Books
aux efforts visant à recourir à l’artifice des « droits de la femme »
pour préparer l’opinion publique à une éventuelle invasion américaine de
l’Iran.
Le principal inconvénient du livre est le décalage entre
les opérations secrètes et leur objectif politique. L’on pourrait lire
la plus grande partie du livre et conclure que le gouvernement américain
était simplement hypocrite, antidémocratique et manipulateur.
Le
lecteur doit garder à l’esprit les conséquences épouvantables des
activités de la CIA partout dans le monde – les millions de morts, les
attaques contre la démocratie, la mise en place de despotes et
d’oligarques par des coups. On ne voit jamais d'allusion à ces sales
opérations dans The Mighty Wurlitzer.
L’auteur, tout en
dévoilant les activités de l’impérialisme américain, ne cesse de les
édulcorer. C’est un partisan journalistique du gouvernement américain.
Sa conclusion, intimement liée au libéralisme américain, est que les
groupes écrans secrets, qui sont en désaccord avec une démocratie
américaine par ailleurs est en bonne santé, ont « entaché » la
réputation des Etats-Unis et occasionné divers retours de manivelle.
Quoiqu’il
en soit, malgré ces insuffisances graves, l’auteur doit être reconnu
pour être un journaliste d’investigation opiniâtre au vu de « la chape
du secret officiel qui entoure encore actuellement » les opérations
secrètes. En fait, après que plus de 50 ans se soient écoulés, le
gouvernement refuse de divulguer les dossiers concernant ces opérations.
Les lecteurs d’aujourd’hui du The Mighty Wurlitzer traversent
une période durant laquelle les Etats-Unis sont allés bien au-delàde
ces efforts pour censurer et manipuler l'opinion. Sous nos yeux, les
tribunaux et l'Etat –y compris l’appareil militaire et du renseignement
qui ne cesse de croître –réduisent ànéant l’ensemble du cadre des droits
légaux et démocratiques gagnés après des siècles de lutte.
La
capacité du livre d’apporter un témoignage des activités farouchement
antidémocratiques et réactionnaires de la CIA à une période antérieure
souligne les craintes grandissantes et légitimes ressentie de nos jours
par la bourgeoisie face au pouvoir révolutionnaire de la véritable
pensée socialiste.
Les notes
1. Les brutales opérations
secrètes de la CIA couvrent la période qui démarre peu après sa création
en 1947 – du coup d’Etat syrien de 1949 (dans l’intérêt de la
construction du Trans-Arabian Pipeline) au renversement en 1953 du
premier ministre iranien Mohammed Mossadegh (qui avait menacé de
nationaliser l’industrie pétrolière iranienne, alors sous le contrôle de
l’Aglo-Iranian Oil Company, maintenant BP), à l’éviction en 1954 du
président Jacobo Arbenz au Guatemala (qui avait menacé les exploitations
de l’United Fruit Company), à la chute et au meurtre subséquent du
premier ministre congolais et dirigeant anticolonialiste Patrice Lumumba,
jusqu’au coup militaire du général Suharto et le massacre de près d’un
million d’Indonésiens entre 1965 et 1966, au « coup d’Etat de Canberra »
en 1975 avec l’éviction du gouvernement travailliste en Australie, en
passant par le coup d’Etat fasciste de 1973 au Chili, et la déstabilisation des décennies durant de l’Irak, au déploiement d’armées privées en Afghanistan et au Pakistan jusqu’au parrainage par la CIA des fascistes qui sont actuellement à l’œuvre en Ukraine.
2.
Plus de sept millions de travailleurs américains ont participé à la
grande vague de grèves de 1945-46. Ces grèves se déroulèrent dans des
milliers de lieux de travail, avec des grèves générales dans des villes
entières. Quatre-vingt usines de General Motors furent touchées dans 50
villes. En à peine plus de 18 mois, 144 millions de journées de travail
furent perdues.
3. Cité par Wilford dans, « In From the Cold: After Sept 11, the CIA Becomes a Growing Force on Campus, » Wall Street Journal, 4 octobre 2002
5. Trento, Joseph J., L’histoire secrète de la CIA (The Secret History of the CIA), Carroll & Graf Publishers, New York, 2001, p 23.
6.
Entre 1975 et 1976, la commission sénatoriale présidée par le sénateur
américain Frank Church avait enquêté sur les activités illégales de la
CIA, du NSA et du FBI après le scandale du Watergate. Un grand nombre de
rapports de la commission sont encore classés secrets. Parmi les
affaires examinées, figurent les tentatives du gouvernement américain
d’assassiner Patrice Lumumba, Rafael Trujillo et les frères Diem au
Vietnam. La commission Church a aussi divulgué l’opération du FBI
surnommée COINTELPRO, qui servit à infiltrer et à espionner le Socialist
Workers Party, le Parti communiste, le Black Panther Party et de
nombreux groupes de gauche.