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vendredi 6 juin 2025

La Face cachée de l'art américain (François Lévy-Kuentz, 2019)

 



La peinture de Pollock représente effectivement "le monde libre et démocratique à la hauteur de l'Amérique", c'est-à-dire qu'elle est impérialiste: je n'ai pas d'autres lectures possibles, c'est une peinture d'extorsion planétaire.

Contrairement à la conclusion du film, je ne crois pas que l'art américain subsiste à la décadence de l'Empire du Bien: l'un et l'autre sont aussi "inflatoires". 

L'auteur ne connaît rien au monde rouge, donc il véhicule tous les clichés sur son supposé "archaïsme" (vision de l'Occident sur l'Orient qui a tenu 500 ans, mais là c'est la quille). 

 Les frères Dulles, qu'il nomme, ont autant fait la promotion  de l'expressionnisme abstrait que celui des fascistes dans la guerre du Monde libre contre le communisme. 

Il a eu ce lien "improbable" sous la main dans son documentaire sur Yves Klein, artiste d'avant-garde et fasciste, notamment phalangiste. Mais il ne l'a pas vu comme si l'un ne pouvait aller avec l'autre: cécité qui est le reflet de sa classe croyant en savoir suffisamment sur l'axe du Mal et ne sachant pas grand chose, ou se l'occultant, sur le Monde libre.


 

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La Grande laisse (Marcos Carrasquer, 2018)

dimanche 15 décembre 2024

« Requiem pour la French Theory » : A propos d’un ouvrage de G. Rockhill & A. Monville

 SOURCE: https://grosrougequitache.fr/requiem-pour-la-french-theory-a-propos-dun-ouvrage-de-g-rockhill-a-monville/

Par Victor Sarkis, publié le 13/11/2024 

 
« On peut discuter de tout indéfiniment, mais je ne suis capable que de négation, sans la moindre grandeur d’âme, sans force ; chez moi, la négation même est mesquine. Tout est plat et flasque. »    Nicolaï Stavroguine, dans les Démons de Dostoievski
« Comment en sommes-nous arrivés là ? » : telle est la question qui revient souvent aujourd’hui à gauche, et parfois même chez les gens intelligents à droite, devant l’ampleur et l’évidence du désastre total présent tant national qu’international. Le petit livre paru début septembre aux éditions Delga, intitulé Requiem pour la French Theory1 , tente de poser des jalons pour répondre à cette question, sur le plan de la théorie, et de ses implications pour la pratique politique. Écrit sous la forme d’un entretien entre G. Rockhill, un professeur d’université américain, et A. Monville, auteur et éditeur français, l’ouvrage tente de façon remarquable de synthétiser les problèmes les plus brûlants de l’actualité théorico-politiques des deux côtés de l’Atlantique, jetant des ponts trop rares par les temps qui courent.

Car en effet, le réveil actuel est dur pour tout le monde, que ce soit pour la gauche, ou pour « l’Occident collectif2 ». Pour la première, la défaite est totale depuis les années 80, et la fin de l’URSS : elle a entamé un déclin et un recul de plus en plus inexorable, et ne parvient pas à comprendre pourquoi elle régresse partout, et se réduit de plus en plus à une série de groupes qui ne parlent qu’à eux-mêmes, et ignorent purement et simplement les masses. Quel résultat pour celle qui s’était crue triomphante dans les années 60 et 70, à l’époque des grands mouvements étudiants, et surtout du socialisme réel, et des luttes anti-coloniales victorieuses ! Pour le second, après avoir cru à « la société de consommation » (pour s’en réjouir ou pour le regretter), puis à la « Fin de l’Histoire » après la fin du « cauchemar communiste », et enfin après avoir joué à se faire peur avec un « Choc des civilisations » qui n’est jamais arrivé, le réveil est encore plus brutal. Le système impérialiste peine désormais à imposer sa volonté, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient, sans même parler de la Mer de Chine et la péninsule coréenne, et se trouve désormais, à l’image de son chef sur le départ, frappé de sénilité, et de graves difficultés à agir. Les deux-tiers du monde contournent ses décisions impuissantes dans la plus grande impunité, et celui-ci peine à montrer les dents3 : le meilleur exemple récent est probablement la victoire stratégique totale remportée par les Houthis en Mer Rouge – des insurgés d’un des pays les plus pauvres du monde peuvent menacer depuis un an un quart du commerce maritime mondial, et les puissances occidentales être dans l’incapacité de l’arrêter. Ne parlons même pas du sommet de Kazan, organisé par la Russie, qui a ridiculisé les défenseurs du bloc impérialiste4. Qui aurait pu imaginer une telle situation il y a seulement 20 ans ? La crise de structure du modèle capitaliste né dans l’après-guerre est donc devenue une crise existentielle tant pour les défenseurs de ce système, que pour ses opposants apparents (la gauche, qui est en réalité son meilleur allié).

Pour trouver les racines intellectuelles de cette crise, le livre des deux auteurs se propose de repartir d’une analyse de la French Theory, dont l’aveu de platitude et de mesquinerie du Stravoguine de Dostoïevski à la fin des Démons pourrait être la confession. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de trouver une racine absolue à tout ceci, une sorte de péché originel qui serait apparu dans un monde où tout allait bien (soit filant gentiment vers le communisme mondial, soit vivant confortablement dans le capitalisme débonnaire et plein de bonhommie des États-Unis des années 50). Il s’agit plutôt d’analyser un embranchement capital, un moment crucial, où la théorie a pris un chemin particulier, qu’elle aurait pu ne pas prendre, et qui a à la fois accompagné, unifié et amplifié, un ensemble de pratiques sociales et politiques qui lui préexistait. La théorie ne crée pas la pratique, mais elle n’est pas non plus un spectre passif : elle lui donne une forme et une consistance qu’elle avait pas avant elle. La French Theory fut ce moment crucial en France, au tournant des années 60 et 70, où un certain nombre de penseurs français se sont inscrits (ou ont prétendu s’inscrire) dans le sillage de Mai 68, afin de donner corps à ce qu’ils ont pensé être les intentions des étudiants et des manifestants : individualisme et hédonisme, relativisme et refus de la discipline et de l’autorité dans toutes les sphères de la société. Un programme gauchiste et anarchisant en apparence, le tout bien sûr vigoureusement anti-communiste et anti-soviétique. Les noms les plus connus sont devenus tellement fameux que pour un certain nombre, il n’est point besoin au lecteur d’avoir lu leurs ouvrages pour savoir ce qu’ils ont dit et pensé : Foucault, Deleuze, Derrida, Lévy-Strauss, Lacan, Baudrillard, Lyotard, Barthes, Bourdieu pour la première génération (nés en gros pour la plupart entre 1920 et 1930), et Badiou, Balibar et Rancière pour la seconde (nés plutôt dans l’immédiate avant-guerre), auxquels on peut parfois adjoindre de façon plus périphérique les « nouveaux philosophes » (surtout au début de leur carrière), plus cantonnés au débat français (Glucksmann père, BHL, Bruckner, Finkielkraut, ect). A la lecture de la liste, on voit donc que chacun de ces penseurs est très différent des autres et a sa spécificité, mais ce qu’il s’agit ici de penser, c’est, comme le dirait Hegel, l’identité de la différence. C’est d’ailleurs sous le signe d’une unité marketing, et en un sens conceptuel, que ces penseurs seront exportés aux États-Unis dans les années 80, sous le nom de French Theory. Outre leur origine française, un certain nombre de traits communs frapperont les intellectuels américains, et amèneront à les associer : une certaine radicalité politique et théorique apparente, mais toujours anti-communiste ; une pensée fortement influencée par le structuralisme français ; un certain relativisme épistémologique qui les fait souvent combattre de concert Hegel et Marx, tout en se positionnant sur l’échiquier du marketing politique « à gauche ». Le lecteur averti n’aura pas manqué de reconnaître ici tout l’arsenal conceptuel de ce que l’on peut nommer « l’anti-totalitarisme »5.

Passée aux États-Unis, cette théorie fut le fer de lance du désossage mondiale de la gauche, et l’achèvement de son ralliement au système otanien dans ses grandes lignes : telle est, en gros, la thèse du livre de G. Rockhill et A. Monville. Elle ne l’a certes pas causé (cette cause est à rechercher bien sûr dans les mutations de l’économie capitaliste à l’époque), mais elle l’a rendu possible, et l’a accompagné, en convertissant de larges pans de la jeunesse et des intellectuels à des idées en apparence radicales, mais anti-marxistes dans le fond.

Si la thèse semblera familière aux lecteurs de Clouscard, auquel elle doit bien entendu énormément, l’originalité et l’intérêt foncier du livre, qui justifient à eux seuls une recension, tient à deux points absolument capitaux que nous allons maintenant exposer.

Le premier de ces points est que ce livre est en quelque sorte le premier paru en français, et qui expose à un lecteur francophone, la convergence, et même l’identité, entre les aspects réactionnaires sur le plan théorique et ceux sur le plan pratique des pensées des auteurs de la French Theory. Expliquons-nous : jusqu’à présent, on avait tendance à séparer les deux, à les traiter comme deux choses indépendantes, soit par cécité idéologique, soit par manque de sources qui ne sont apparues qu’avec le temps. Ainsi, Clouscard avait bien vu que sur le plan théorique, ces penseurs qui se prétendaient de gauche avaient tous en réalité une pensée qui plongeaient ses racines dans la droite, c’est-à-dire dans les pensées irrationalistes, subjectivistes, relativistes, anti-marxistes et anti-hégéliennes6. Clouscard pensait que les pensées de ces auteurs, indépendamment de leurs intentions objectives, avaient des conséquences réactionnaires. Il était cependant loin de se douter, et d’avoir les preuves, que Herbert Marcuse était vraiment un agent de la CIA7, que la carrière de Pierre Bourdieu avait été lancée par le Congress for Cultural Freedom, un organisme financé par la CIA8, que l’EHESS a été construit puis agrandi avec l’argent de la fondation Rockfeller, puis de la fondation Ford9, et ainsi de suite. A l’inverse, un bon nombre d’ouvrages d’historiens (surtout publiés en anglais), on mit en évidence les liens financiers et organisationnels entre les penseurs « radicaux » de la French Theory et les organes de l’avant-garde du grand Capital, mais ils les ont traités comme une inconséquence incompréhensible, comme si de grands penseurs de gauche avaient pu s’allier, sans aucune raison théorique, avec leurs apparents grands ennemis. Pour la première fois, un livre fait le lien entre les deux, en montrant qu’il n’y a pas là d’inconséquence grossière de la part de ces théoriciens, mais au contraire une très grande cohérence : des théoriciens réactionnaires ont collaboré avec les organismes gouvernementaux les plus réactionnaires pour combattre le progrès humain, incarné par le communisme. La vérité est aussi simple que cela, et donne une ampleur jamais espérée aux thèses de Clouscard sur cette « idéologie du désir » bien « néo-fasciste » qu’est la French Theory : tel est le grand mérite du livre de le mettre parfaitement en évidence, références scientifiques en note (malheureusement souvent en anglais uniquement) pour les plus curieux. On comprend dans ces conditions pourquoi l’éditeur gauchiste La Fabrique a finalement annulé l’édition prévue en français d’un livre de G. Rockhill au titre prometteur : « les intellectuels et la CIA ». On allait tout de même pas mettre ces informations sur la place publique, et ainsi risquer de nuire à un petit business aussi juteux. Las, le site Amazon annonce la publication de l’ouvrage pour… 209910 (sic) ! Le petit livre de Delga a ainsi le mérite de mettre l’essentiel de ces informations dans les mains du public français, et ainsi de participer au démasquage de ces tartuffes. D’où son utilité publique, et le devoir de le diffuser le plus possible : pour au moins rabattre la morgue et l’arrogance de leurs disciples, qui se croient plus radicaux que tout le monde en singeant leurs maîtres serviles.

Le lecteur apprendra en outre que diverses fondations de philanthropes américains ont versé à Judith Butler et ses équipes des millions de dollars pour développer ses activités et ses laboratoires de recherche11 : et après, on s’étonne du succès de ces pensées ! Bien sûr, certains d’entre eux ont été de parfaits idiots utiles (même si Derrida et Foucault ont énormément œuvré en toute conscience contre la Tchécoslovaquie et la Pologne communistes12), et c’est un point important que met en évidence l’ouvrage : « la French Theory a été promue aux États-Unis par des propagandistes qui aveint perçu, beaucoup mieux sans doute que les prometteurs de ladite théorie, son potentiel réactionnaire13 ». Les agents directs de l’impérialisme sont toujours plus matérialistes et rationalistes que leurs forces d’appoint dans la petite-bourgeoisie idéaliste.

A ce sujet, le lecteur découvrira également que la plupart des penseurs de la French Theory de la première génération étaient avant Mai 68 de parfaits petits-bourgeois conformistes, pour certains plutôt de droite, parfaitement intégrés dans l’appareil d’État gaulliste14 : rien ne les prédestinait donc à être des théoriciens « radicaux », coqueluches de toute la jeunesse d’extrême-gauche des 50 prochaines années. On voit ici le point de passage chez ces penseurs d’un conformisme apolitique plutôt de droite, à un activisme gauchiste frénétique : l’unité du tout étant bien entendu assumé par l’anti-communisme. On notera qu’il n’en sera pas de même pour la seconde génération de la French Theory, plus tôt jeté dans le bain des mouvements gauchistes, en général plutôt maoïstes ou anarchisants (pensons à la star d’entre eux : l’omniprésent Badiou15).

C’est ainsi d’ailleurs que la French Theory permet de diagnostiquer une rupture majeure dans l’histoire du gauchisme : jusqu’à Mai 68, le gauchisme est principalement issu de groupes petit-bourgeois militants, petits, mais plus ou moins partie prenante du mouvement ouvrier – principalement l’anarchisme, le trotskisme, et le maoïsme jusqu’à un certain point. Il s’agit souvent certes de déviations anti-communistes, et toujours férocement critiques du socialisme réel, mais au moins, ils ont un lien minimal avec le mouvement ouvrier : c’est le gauchisme classique analysé par Lénine. Avec la French Theory, changement drastique de cap : la critique anti-communiste et anti-réformiste à gauche ne proviendra pas de déviations petite-bourgeoises du mouvement ouvrier, mais de portions de la petite-bourgeoisie totalement extérieures à lui. Cette petite-bourgeoisie est parfaitement conformiste, souvent apolitique, parfois de droite : tous sont des enfants d’une bourgeoisie classique, qui ont passé ensuite l’ENS et l’agrégation, s’intègrent à la société d’après-guerre et n’ont jamais remis en question leur milieu d’origine16. Rappelons qu’à l’époque de leur formation, dans l’immédiat après-guerre, le nombre de bacheliers annuels en France est à peine de 600017 : c’est donc un tout petit monde, auquel l’intégration demande une grande dose de conformisme. D’où la métamorphose d’un Foucault ou d’un Deleuze : le premier participait au plan européen de Fouchet pour réformer l’éducation, le second était un professeur d’université parfaitement discret ; après Mai 68, les deux sont devenus les agitateurs que l’on connaît. Deleuze se trouvera même l’anarchiste Guattari pour intégrer le milieu gauchiste, et s’y donner une légitimité. La French Theory a donc été l’acte de naissance d’un gauchisme 100 % extra-ouvrier, et déconnecté des luttes concrètes, et qui n’a pu s’y rattacher que de façon tardive et artificielle. Ce fait remarquable méritait d’être souligné, et constitue un mérite du livre de le mettre en évidence.

Enfin, si le livre s’appelle Requiem pour la French Theory, c’est que ce Requiem n’est pas tellement à l’optatif, mais plutôt à l’indicatif : il n’exprime pas seulement un souhait, mais analyse plutôt objectivement le recul de cette théorie, son remplacement par des produits de substitution incolores et sans saveur (intersectionalisme, « wokisme », identity politics…), qui en sont à la fois le prolongement, et en même temps la négation, basculant souvent dans l’anti-intellectualisme primaire, et l’indigence théorique total18. L’apport conceptuel original du livre tient ainsi dans le concept de « petite-bourgeoisie compradore nationale 19» : de la même façon que le colonialisme du XIXe siècle a du créer pour subsister une bourgeoisie nationale artificielle acquise à ses intérêts, « compradore », de la même façon, l’impérialisme américain a crée, à la fois chez lui, et dans tous les pays à demi-colonisés par lui, une petite-bourgeoisie intellectuelle qui joue le même rôle, qui a la même culture, les mêmes intérêts de classe, et n’a aucune conscience nationale propre20. Cette petite-bourgeoisie nationale compradore est la couche sociale qui est le support matériel de la French Theory, et à ce titre, elle est l’ennemi le plus immédiat du marxisme, car elle est l’adjuvant du grand Capital, et comme elle est au fond une couche intermédiaire, elle est celle qui peut le plus agir directement sur les couches populaires, pour les neutraliser idéologiquement.

Le deuxième point capital qui fait l’intérêt du livre, c’est bien entendu son rôle de premier jalon publié en France pour amorcer la traduction en anglais de Clouscard, et donc sa réception internationale. Une campagne a en effet été lancée début 2023 pour faire traduire Clouscard en anglais, afin de faire connaître sa pensée à l’internationale21. On sait l’importance d’une traduction en anglais pour toucher, non pas seulement un public anglo-saxon, mais chinois, indien, africain ou sud-américain. C’est dire l’importance de l’événement : Clouscard, penseur snobé par l’intelligentsia française de l’époque, a tout vu, ou presque, des grandes mutations du capitalisme contemporain. Il est le premier penseur mondial à avoir vu le rôle absolument décisif qu’allaient jouer les nouvelles couches moyennes dans les luttes des classes contemporaines, remettant tout en question, et balayant les catégories et clivages politiques traditionnels. Ce ne sont pas seulement les pays occidentaux qui sont ébranlés par ces mutations sociologiques : c’est la Chine, c’est l’Inde, c’est la Russie, l’Iran, les pays arabes et sud-américains, et demain les pays africains, qui subissent de plein fouet cette mutation, sans toujours comprendre exactement d’où elle vient, sa puissance et sa profondeur, sa dangerosité et comment lutter contre. Clouscard est malheureusement décédé il y a près de 15 ans, et ne pourra bien sûr pas répondre directement à toutes ces questions nouvelles qui ont surgies. Mais il doit pouvoir donner à tous les jeunes et moins jeunes intellectuels des pays du « Sud Global » les outils intellectuels et les catégories fondamentales pour penser leur situation présente, et surmonter les graves difficultés, qui eux aussi, les menacent : la dangerosité des couches moyennes, la tentation de « révolutions oranges » dont elles seraient la base matérielle, et surtout, la régression spiritualiste et idéaliste qui mènent à des dérives droitières parfaitement inutiles et contre-productives (anti-wokisme poutinien stérile, nostalgie du tsarisme en Russie ou fétichisation de la pensée « éternelle » de Confucius en Chine…). Dans ce moment crucial de la lutte des classes internationale, la meilleure chose que puisse faire la France, pays des Lumières et de la Révolution universelle, c’est d’offrir au monde la pensée d’un de ses plus grands philosophes contemporains qu’a été Michel Clouscard. Snobé par les intellectuels de son pays, Clouscard a su, par la justesse de ses analyses, et son travail humble et clair, séduire toute un pan de la jeunesse de France, bien loin des effets de modes et de manches médiatiques. Il n’y a aucun doute qu’il saura aider demain les intellectuels du monde entier, dans ce grand travail intellectuel collectif qui s’annonce, qu’est de refaire le communisme international, afin de sortir de l’impasse mortifère de l’Occident actuel, et de la politique hésitante et timorée de trop de pays du Sud Global.

Ce petit livre des éditions Delga a donc également la lourde tâche d’être le premier essai pour exposer à un public français l’importance de ce travail, afin que la réception internationale de Clouscard soit la plus efficace possible, et qu’elle ait enfin des répercussions dans notre beau pays, si malmené ces derniers temps. Que la naissance théorique de Clouscard à l’international soit également sa renaissance en France auprès du grand public, qu’elle entraîne le chant du cygne des nouvelles couches moyennes finissantes, et le début d’une nouvelle aube pour la lutte des classes dans notre pays, qui, plus que jamais, en a cruellement besoin.

1 https://editionsdelga.fr/produit/requiem-pour-la-french-theory/

2 Nulle considération géographique ou civilisationnel ici : il s’agit d’un syntagme pratique pour désigner le bloc constitué par le principal pays impérialiste, à savoir les États-Unis, et ses vassaux semi-colonisés, principalement les pays membres de l’OTAN et de l’OCDE.

3 Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas encore incroyablement dangereux : chacun sait que la bête blessée et acculée est bien plus dangereuse que la bête en bonne santé et en sécurité, et si les pays occidentaux ont démantelé une partie de leurs forces conventionnelles pour des raisons budgétaires ces dernières années, leur arsenal nucléaire reste largement suffisant pour infliger des dégâts effroyables.

4 Pour lire un commentaire impérial pusillanime typique : https://www.lefigaro.fr/international/a-kazan-antonio-guterres-brise-l-isolement-de-poutine-sur-la-scene-internationale-20241023

5 Cf. : https://www.youtube.com/watch?v=_S57l_EgUFQ

https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=mYqwkb–hSo

6 Par exemple dans le lumineux Néo-fascisme et idéologie du désir. Le lecteur pourra constater au fil de l’ouvrage tout ce que doivent les penseurs de la French Theory a Nietzsche et Heidegger, deux penseurs qu’aucun historien sérieux, ni personne en Allemagne, ne pourrait pas considérer comme « très à droite ».

7 p. 109 et 112

8 p. 23

9 p. 23-24

10 https://www.amazon.fr/CIA-intellectuels-souterraine-Francfort-philosophes/dp/2358721727/ref=sr_1_3?dib=eyJ2IjoiMSJ9.Jpy6zh-hzxJbMwJODgpk21tFL8EGOrA-u_0iPQsJwEu2LjAnQ2VcxPcfazdaoraLBwp1lUYx0YvL0PCC0SaxXie6TSeBujfKFtQs3Nm9BbV3vmbXb3oa0PN-9XYe_QPk8KdDFgehOFD41T_elqrAjh_nbyUyPlZ3zIuLEIPx6iO4sVdXyTrPEsOsjoZ97K4NYzP2ybjTMKRxNeOGBTzOA6QB8h4ocAw6_X9SfywtS3U.Yv_QHq4_jqAh5HSe-jc_M4ciZzyZh7f-Yx-GN3P_6cM&dib_tag=se&qid=1730039801&refinements=p_27%3AGabriel+Rockhill&s=books&sr=1-3

11 p. 27

12 pp. 106-107

13 p. 33

14 p. 55-56. Llyotard est en réalité la seule exception, à être politisé à gauche avant mai 68.

15 Pour un commentaire de sa prétention à être « le philosophe français vivant le plus traduit, lu et commenté à travers le monde, voir : https://shs.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-38?lang=fr

16 Baudrillard étant d’ailleurs la seule vraie exception à ce schéma, ce qui lui donne une trajectoire plus erratique.

17 En 2024, pour indication, on est à 684 200, pour une population de classe d’age a peu près équivalente.

18 Foucault, Marx et Homère ont ainsi tendance à devenir de plus en plus des « vieux mâles blancs morts » indistincts.

19 p. 71

20 C’est ce qui fait par exemple que cette petite-bourgeoisie compradore peut être parfaitement chauvine aux Etats-Unis, pour défendre le système impérial qui la protège, et parfaitement cosmopolite et haineuse de la nation en Europe, par exemple en France : on voit ici qu’il n’y a là aucune contradiction, mais parfaite complémentarité.

21 https://editionsdelga.fr/campagne-pour-la-traduction-de-michel-clouscard-en-anglais-par-avec-dominique-pagani/

https://gavrochemedia.fr/entretien-dominique-pagani/t-l/

lundi 14 octobre 2024

La editorial Ruedo Ibérico en la guerra fría cultural

 FUENTE: https://conversacionsobrehistoria.info/2024/09/30/la-editorial-ruedo-iberico-en-la-guerra-fria-cultural/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_source_platform=mailpoet#_ftnref26

Margarita Ibáñez Tarín
doctora en Historia Contemporánea

 

No se puede negar que el proyecto editorial de Ruedo Ibérico tuvo una importancia crucial en el apoyo y desarrollo del antifranquismo en los últimos lustros de la dictadura. Desde su fundación en 1961 en Paris, José Martínez Guerricabeitia y los otros socios fundadores: Elena Romo, Nicolás Sánchez Albornoz, Ramón Viladás y Vicente Girbau crearon un magnífico dispositivo de lucha contra el franquismo. Sus libros prohibidos por la censura y su revista Cuadernos de Ruedo Ibérico alimentaron la resistencia en el interior y las esperanzas del exilio en México, si bien con muchas interferencias y dificultades. Sin embargo, sobre ese ambicioso proyecto se ciernen en la actualidad algunas sombras. Ruedo Ibérico, como muchas otras editoriales y revistas que funcionaban en los años sesenta, no fue ajena a la acción del Congreso para la Libertad de la Cultura, el principal organismo pantalla a través del que la CIA creó una red de influencia cultural en Europa y en la mayor parte del mundo en esos años de la Guerra Fría.

José Martínez Guerricabeitia (1921-1986)

Los actores, Pepe Martínez y Julián Gorkin

La correspondencia entre José Martínez Guerricabeitia, director de Ruedo Ibérico, y Julián Gorkin, que se conserva en el Instituto Social de Amsterdam, pone en evidencia la existencia de una corriente activa de simpatía e influencia mutua a lo largo de más de una década, entre 1964 y 1977. Los dos compartían afinidades ideológicas de origen que los unían en el anticomunismo que siempre cultivaron. Pepe Martínez había sido anarquista, aguilucho de la FAI, en su juventud en Valencia durante la guerra civil y ese pedigrí siempre le acompañó. Sus recuerdos de la contienda eran metafóricamente triunfales, según su biógrafo Albert Forment. En los años sesenta le confesaba a una amiga italiana, Magali Sarfati: Tener quince años y estar en Valencia con granadas en el cinto y saber que uno es el dueño de la ciudad son cosas de las que uno no se cura.[1] Con el tiempo se convirtió en “un personaje molesto, histórica y personalmente hablando” —en palabras de su amigo Gérard Imbert Martí— “la mala conciencia encarnada, la mala leche personificada y, al mismo tiempo, una persona intelectualmente fascinante; muy ecléctica, en el mejor sentido de la palabra, por vocación, curiosidad, siempre atento a lo último aquí, ahí y de donde viniera, curioso como el buen humanista que era en el fondo, enciclopédico en su saber”.[2] Él y Julián Gorkin eran refugiados políticos de procedencia valenciana que vivían en París desde 1948. El segundo había sido dirigente del POUM durante la guerra y había estado antes exiliado en México. Mientras que Pepe Martínez, que era muy joven en 1939, no fue encarcelado al terminar la contienda —al contrario que su hermano y su padre, también anarquistas— pero sí estuvo interno en un centro reformatorio en Burjassot (Valencia) por sus antecedentes políticos.[3]

En realidad, Julián Gorkin era un pseudónimo de Julián Gómez García, un español que estaba al frente desde 1960 del Centro de Documentación y de Estudios en París, un organismo controlado por la CIA y dirigido por este histórico dirigente del POUM y del PCE, que había pasado ocho años exiliado en México. Gorkin era un activo antifranquista y al mismo tiempo un furibundo anticomunista a las órdenes de Washington, si bien nunca fue un agente en nómina de la CIA, en opinión de Andrés Ortí Buig, autor de una interesante tesis doctoral sobre el personaje. El anticomunismo de Gorkín primaba por encima de su antifranquismo y el propio régimen supo aprovecharse de ello.[4]

Durante su estancia en México, Gorkin estableció contacto con el Consulado de EEUU en fechas muy tempranas y desde 1940 hasta su salida del país azteca en 1948 estuvo colaborando en la denuncia de comunistas españoles (algunos de ellos, como el escritor Max Aub, no lo eran, pero fueron objeto de sus acusaciones; otros sí que lo eran, como Joan Comorera, del PSUC). A cambio, reiteradamente, solicitó un visado para viajar a EEUU que le fue denegado por sus antecedentes comunistas. En cualquier caso, no fue el único que colaboró con la Inteligencia americana en busca de un pasaje. Fueron muchos y entre ellos el pintor Diego Rivera, militante del PCM, que sí consiguió su objetivo de viajar a EEUU.[5] Gorkin no lo logró, pero se ganó la fama de trabajar para los intereses del imperialismo estadounidense y de ser trotskista.[6] En París, algunos años después, se convirtió en el organizador de la obra propagandística de la CIA para el mundo hispánico a través de la revista Cuadernos del Congreso por la Libertad de la Cultura», según Paul Preston.[7] Gorkin también era en ese momento un referente entre los exiliados españoles que vivían en París. Una especie de “conseguidor”, conocido por sus medios y contactos, al que recurrían muchos para pedirle trabajo y favores.[8]

Entre Julián Gorkin y José Martínez Guerricabeitia había una sinergia de intereses. Ambos valoraban el hecho de que la editorial Ruedo Ibérico pudiera funcionar como un buen ariete en la lucha antifranquista. Pepe Martínez aspiraba a controlar un mercado potencial de libros en España, al que tenía que acceder sorteando las trabas impuestas por la censura. Buscaba un perfil de lector crítico, ávido de conocimiento y sensible a la evolución política del país. Ese público lector se complementaba con el nicho de mercado que representaba el lector francés interesado por temáticas relacionadas con España.[9] Se lo explicaba muy claro a su amigo Francisco Carrasquer en una carta: el objetivo es publicar para el público hispánico libros españoles o extranjeros que nuestros editores no publican, y para el público extranjero, libros sobre España que sus editores no publican.[10] También a su amigo Gorkin le informaba en los mismos términos: la finalidad perseguida por  nuestra empresa es publicar en lengua española libros que la censura franquista prohíbe en España y hacerlos llegar a nuestros compatriotas.[11] Gorkin veía en Ruedo Ibérico la oportunidad de publicar determinados libros y de difundir a través de ellos su mensaje anticomunista y filoestadounidense entre la resistencia antifranquista del interior de España y sobre todo entre la juventud universitaria, que empezaba a protagonizar sonoras protestas.

Julián Gorkin (1901-1987). (Foto: Fundación Andreu Nin)

Las redes del Congreso por la Libertad de la Cultura (CLC) alcanzan a Ruedo Ibérico

Al igual que Max Aub, que no puede ser considerado sospechoso de simpatías anticomunistas, muchos intelectuales pensaron que los libros y la revista Cuadernos de Ruedo Ibérico cumplían una función de lucha activa contra el régimen de Franco y, ciertamente así era, pero cuando se analiza con detalle la correspondencia de José Martínez Guerricabeitia con Julian Gorkin en esos años, se aprecia que no existía una línea cien por cien independiente en la editorial y el historiador Manuel Tuñón de Lara no iba tan desencaminado cuando aconsejaba a su amigo Max Aub que no escribiera en los Cuadernos:

[…] Comprendo que estás en relaciones de autor-editor con [José] Martínez, pero si quieres un consejo de amigo que te quiere, es que evites publicar en esos «Cuadernos», por lo menos por ahora. Tú no tienes necesidad de ello y ellos la tienen de ti.[12]

Las redes de la actividad del Congreso por la Libertad de la Cultura (CLC), organismo pantalla de la CIA, tenemos indicios de que alcanzaban de forma subrepticia a la editorial Ruedo Ibérico, al igual que a otros cientos de revistas culturales y políticas en todo el mundo. Esa tela de araña se extendía desde Washington y configuraba un gigantesco mapa en la guerra fría cultural.[13] En los años sesenta el apoyo económico proveniente del CLC —que se nutría de fondos de los sindicatos y fundaciones privadas de EEUU— oxigenó muchas actividades del antifranquismo: congresos (incluido el Contubernio de Múnich de 1962), publicaciones y todo tipo de actos. El investigador que más ha profundizado en la conexión entre Gorkin, el CLC y el Congreso de Múnich es Jordi Amat en su tesis doctoral que después plasmó en su libro La primavera de Múnich. [14]

Se ha conocido, asimismo, que después de que el equipo de la editorial Ruedo Ibérico se decantara por los expulsados del PCE, Fernando Claudín y Jorge Semprún, el CLC le ayudó a asegurar una mayor difusión de sus libros a través del Comité d’Écriteurs et Écrivains.[15] Las guerras intestinas dentro del PCE a principios de los sesenta tuvieron un eco muy importante en las batallas internas que libraron los socios de Ruedo Ibérico, especialmente en los enfrentamientos entre Vicente Girbau y Pepe Martínez, y condujeron finalmente al segundo a la gerencia de Ruedo Ibérico. Algunos de los colaboradores más importantes de la editorial, como Ignacio Fernández de Castro y Francisco Farreras trabajaban para la oficina del Congreso para la Libertad y la Cultura, que dirigía el antiguo miembro del POUM Gorkin, y, al igual que uno de los fundadores de Ruedo Ibérico, el abogado Ramón Viladás, percibieron fondos del CLC para su mantenimiento en París en esos años. En una carta que envía Victoria Kent a Gorkin en 1958 le anunciaba que había podido enviar a Viladàs y Farreras la cantidad de 12.600 francos a través de la Spanish Refugee Aid de McDonald, una institución fundada por Nancy McDonald en 1953, que desde entonces fue la entidad que posibilitó el envío de los fondos que Gorkín solicitó para ayudar a los nuevos exiliados.[16] Muchos de ellos eran miembros de la Asociación Socialista Universitaria (ASU) y del Frente de Liberación Popular (FLP) y huían de la represión de las revueltas universitarias en España. La pluralidad ideológica de la que hacía gala la revista Cuadernos de Ruedo Ibérico se nutría especialmente de ex miembros del PCE, militantes del FLP, trotskistas y libertarios, pero no incluía a comunistas.[17]

Ejemplares de la revista Cuadernos de Ruedo Ibérico en la exposición ‘Ruedo ibérico. 
Un exilio intelectual en tiempos del franquismo’, en la Sala Alfons Roig del MuVIM.

En una carta de 8 de enero de 1966, Julián Gorkin le escribió a José Martínez Guerricabeitia para decirle que había leído con mucho interés los tres primeros números de Cuadernos de Ruedo Ibérico y, aunque no estaba de acuerdo con todos los textos publicados, creía que Cuadernos de Ruedo Ibérico y Mañana,[18] la revista mensual editada en español por el Centro de Documentación y de Estudios de París, impulsada y financiada por el CLC, podían ser dos tribunas complementarias con la misma finalidad de oposición antifranquista.[19] José Martínez le contestó dando muestras de manifiesta identificación con el ideario del CLC:

Querido amigo: he leído con evidente satisfacción tu carta del 8 de enero. El programa que expones al final de la misma es el nuestro y en el campo que nos asignas tú con tu buen sentido. No sé si seremos capaces de desarrollarlo, pero personalmente me esfuerzo y me esforzaré en que así sea. Nos hacen falta nuevas informaciones, nuevas ideas, pero también nuevos hábitos. Y esto último no es lo de menor importancia. En este contexto créeme que tu carta me sirve de aliento.[20]

Las relaciones entre Julian Gorkin y José Martínez Guerricabeitia están plasmadas en la correspondencia que se conserva en el archivo del editor en el Instituto Social de Amsterdam, como ya hemos dicho, pero también en el interesante libro de Gloria Glondys sobre la guerra fría cultural se da cuenta de la actividad de Ruedo Ibérico en ese contexto. En una carta de Julián Gorkin a Joaquín Maurín, datada el 6 de julio de 1965, Gorkin afirmaba:

Te diré que después de haberme mantenido alejado de Ruedo Ibérico, porque lo mediatizaban comunistas y comunizantes, al entrar en crisis sería el PCE y decantarse los que rodean a Ruedo Ibérico por los escisionistas, entablé relación con ellos e incluso les presté el ejemplar español de tu libro […].[21]

Las afinidades anarquistas y del POUM que unían a José Martínez y Julián Gorkin afloran con frecuencia en las cartas. Hablaban de la publicación de determinados libros, como Revolución y Contrarrevolución en España (1966) de Joaquín Maurín o Los problemas de la revolución española de Andrés Nin (1971) y Gorkin le insistía sobre la traducción y publicación de otros, como Spanien de Hans Joaquim Sell, un antiguo soldado de la Wehrmacht alemana, que entre 1960 a 1968 fue corresponsal extranjero en España hasta que el gobierno de Franco le revocó el permiso de trabajo y que en 1965 era miembro del PEN Club Internacional que dirigía Julián Gorkin.  La mano del excomunista también podría estar detrás de la edición de los libros del miembro del Opus Dei Rafael Calvo Serer en Ruedo Ibérico por las múltiples alusiones que encontramos.[22]

Catálogo de la colección España Contemporánea 
e índice del número 1 de Cuadernos de Ruedo Ibérico

En el caso de las editoriales ese era el mecanismo que utilizaba el CLC para influir en la línea editorial. Primero recomendaba los libros que podían ser publicados y a continuación compraba centenares de copias y apoyaba sus lanzamientos en periódicos y revistas, mediante escritores y periodistas que colaboraban con el CLC.[23] Según se dice en la correspondencia, el Centro de Documentación y de Estudio de París había comprado 60 ejemplares del libro de Herbert R. Southworth, El mito de la cruzada de Franco.[24] Un libro muy alabado por Tuñón de Lara y cuyo autor norteamericano curiosamente nada tenía que ver con el CLC. Para Paul Preston “la importancia de Southworth radica en que fue un luchador cultural que se esforzó por combatir no sólo las políticas culturales represivas del régimen franquista, sino también las actividades, a menudo paralelas, del CLC”.[25] No utiliza Preston términos tan elogiosos cuando se refiere al escritor Burnett Bolloten, íntimo amigo de Julián Gorkin y muy influido por él. Dice de él que —al igual que Georges Orwell— adoptó en sus obras una línea de guerra fría, es decir, que presentaba como cuestión central de la guerra española el papel de los comunistas españoles y de sus patrocinadores rusos en la represión de los anarquistas y del POUM, semitrotskista. Solo Southworth combatió activamente esa idea.[26] Esa era la línea de pensamiento que apoyaba el CLC y que Gorkin defendía. En la correspondencia, José Martínez le comentaba al respecto del libro La Révolution espagnole de Burnett Bolloten, publicado por Ruedo Ibérico en 1977, que le había dado mucho trabajo, pero era un buen libro:

Le puedes decir a Bolloten que mande lo que quiera introducir en su libro, tras la lectura del tuyo [El proceso de Moscú en Barcelona]. El libro de Bolloten está ya compuesto. Ya él ha corregido las primeras pruebas. Me ha dado mucha guerra el tal libro. La traducción y su corrección por el autor ha llevado más de dos años. En realidad, hubo que traducirlo dos veces. Con otro autor así, cerramos la tienda. Claro, el libro es bueno. Pero no me ha cedido, por motivos que no comparto, la edición española, la única rentable.[27]

José Martínez, acuciado por las deudas, se mostraba siempre muy dado a quejarse de sus problemas económicos y a solicitar ayudas. En una carta del 5 de mayo de 1964 le pedía a Gorkin que le facilitara la difusión de las obras publicadas por Ruedo Ibérico —que muchas veces tenían que lidiar con la censura franquista, el veto en Francia y la falta de resonancia en determinados foros antifranquistas— y un fichero con direcciones de personas y centros susceptibles de interesarse por nuestros libros.[28] Gorkin le facilitó las direcciones de algunos de los colaboradores del CLC, como Victoria Kent, Eugenio F. Granell y Joaquín Maurín. Los tres vivían en Nueva York y tenían medios para hacer publicidad de Ruedo Ibérico y de sus premios. Victoria Kent a través de su revista Ibérica, Granell en España Libre y Maurín era el que mejor podía hacer difusión porque tenía una agencia de prensa con 32 periódicos de lengua española en los EE.UU. y en Latinoamérica.[29]

Julián Gorkin era en ese momento, como ya hemos dicho, una especie de “conseguidor” al que recurrían muchos españoles refugiados para pedirle trabajo y favores.[30] A José Martínez le prestaba una ayuda interesada y estaba muy al tanto de las batallas que se libraban en el seno de la editorial.  En una carta dirigida a Maurín le decía «Parece que han salido de los líos que tenían, que disponen ya de medios […]». [31] Buena parte de las crisis periódicas por las que atravesaba Ruedo Ibérico estaban causadas por la propia ambigüedad ideológica del proyecto. En opinión de la historiadora Aranzazu Sarriá Buil: Era difícil diferenciar si se trataba de un grupo político constituido bajo forma de empresa comercial o era una empresa comercial que asumía las tareas de un grupo político”.[32]

A mediados de los años sesenta los rumores sobre la financiación del CLC por el Gobierno norteamericano que circulaban en los ambientes intelectuales y políticos de Europa y América eran un clamor. Desde 1955 Indalecio Prieto venía denunciando las conexiones entre la revista Cuadernos del Congreso por la Libertad de la Cultura y la CIA y manteniendo agrias polémicas con Julian Gorkin sobre el tema.[33] En 1966 aparecieron cinco artículos en el New York Times que denunciaban la vinculación entre el CLC y la CIA y estalló el escándalo de la financiación, que no dejó indemne a Gorkin. Significó el final de su etapa más gloriosa. Sin los fondos y el respaldo de la CIA el viejo excomunista tuvo que reinventarse para ganarse la vida. Y no tardó en hacerlo. En 1969 fue nombrado presidente del Pen Club Internacional de escritores. Era el último favor que le hicieron sus amigos estadounidenses. Una forma de pagar su lealtad al CLC y agradecerle los servicios prestados.[34] El PEN Club Internacional, como constató Stonor Saunders en su libro La CIA y la guerra fría cultural, fue otra de las instituciones intervenidas por la Inteligencia estadounidense.

Viñeta del cómic ‘La saga del Príncipe Bormanus y de la princesa creuteuboba 
o el carismático Francoráculo’, de GES, publicado por Cuadernos de Ruedo Ibérico en 1972.

Coda final

Los avatares en la vida de Gorkin no interrumpieron la relación de amistad y colaboración profesional, que continuó siendo buena hasta el final entre los dos. En la última carta de marzo de 1977, Pepe Martínez le escribe a Gorkin diciéndole que ya ha pedido el pasaporte y piensa volver a España para abrir Ruedo Ibérico en Barcelona, aunque, a decir verdad, según le cuenta: no tengo ningún deseo de ir a nuestra tierra, ni la grande, ni la pequeña, pero sí la voluntad de hacerlo en cuanto tenga el pasaporte”.[35] En palabras de su amigo Luciano Rincón: En realidad, nunca volvió del exilio, aunque viviera en Madrid. Cuando murió [accidental y prematuramente por una explosión de gas en su domicilio] algunos quizá respiraron aliviados: era un testigo incómodo. A otros, su muerte nos hizo daño”.[36] Durante su estancia en España se mostró exageradamente crítico con la forma en que se llevó a cabo la Transición democrática, que para él estuvo amañada. “No es cierto que encajara mal su inserción en esta democracia. Lo que encajaba mal era su construcción sietemesina, los desgarros y desesperanzas que padecía la sociedad civil estupefacta por el espectáculo de avidez, cinismo y depredación de su clase política”, según Alberto Hernando.[37]

Julián Gorkin, por su parte, en la última etapa de su vida continuó con su evolución ideológica y se afilió al PSOE. Además, según el historiador Andrés Ortí Buig, explotó a fondo su pasado y ofreció su testimonio sobre algunos de los pasajes más importantes de su vida. Participó en documentales, programas de televisión y actos de homenaje en memoria de sus antiguos compañeros del POUM. Fantaseó e inventó a conveniencia para reforzar su papel en la historia en lo que quedó como una prueba más de la vanidad que le acompañó hasta su fallecimiento a los 86 años en París”.[38]

Analizar el pasado desde el presente nunca es fácil. “El pasado es un país extranjero y juzgar el pasado con los criterios del presente es un anacronismo y es el triunfo del provincianismo”, nos dice Carlo Ginzburg.[39] En este artículo no hemos pretendido restar importancia histórica a la empresa de José Martínez Guerricabeitia, solo hemos querido situarla en el contexto de guerra fría cultural en el que nació y tuvo su desarrollo. Ruedo Ibérico fue una más de la pléyade de editoriales y revistas que en los años sesenta cayeron en las redes del Congreso para la Libertad de la Cultura, el principal organismo pantalla creado por la Inteligencia norteamericana para extender su influencia cultural en Europa y en la mayor parte del mundo en esos años de la Guerra Fría, pero eso no quita para que cumpliera un papel determinante en apoyo del antifranquismo.

Stand de la editorial Ruedo Ibérico en la feria de Frankfurt del año 1973 
(foto: Blogs Canal Sur)

Notas

[1] FORMENT, Albert, José Martínez: la epopeya de Ruedo Ibérico, Barcelona, Anagrama, 2000, p. 74.

[2] IMBERT MARTÍ, Gérard, “José Martínez. El deber de la memoria”, en HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez: la imposibilidad feroz de lo posible, Logroño, Editorial Pepitas de Calabaza, 2017, pp. 15-16.

[3] FORMENT, Albert, José Martínez: la epopeya de Ruedo Ibérico, Barcelona, Anagrama, 2.000, p. 86.

[4] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto, Tesis doctoral, Universidad Rey D. ORTÍ Jaime (UJI), Castellón de la Plana, 2020, p. 305 y 314.

[5] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, pp. 151-157.

[6] Ibid., p. 162.

[7] PRESTON, Paul, “Guerra Fría e historiadores anglosajones”, Revista de Estudios Globales. Análisis Histórico y Cambio Social, 2/2023, N.º 4, p. 199.

[8] BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 320.

[9] SARRÍA BUIL, Aránzazu, “Oponerse al franquismo editando en París: Ruedo Ibérico y les Éditions Maspero”, Laberintos. Revista de estudios sobre los exilios españoles, València, 2020, p. 318.

[10] IIHS, Amsterdam, Carta de José Martínez a Francisco Carrasquer, París, 15 de enero de 1961, en SARRÍA BUIL, Aránzazu, “Oponerse al franquismo editando en París: Ruedo Ibérico y les Éditions Maspero”, Laberintos. Revista de estudios sobre los exilios españoles, València, 2020, p. 318.

[11] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 5 de mayo de 1964.

[12] Archivo Max Aub (en adelante AMA), Correspondencia Max Aub y Manuel Tuñón de Lara, caja 14, N.º 47, carta de 10 de agosto de 1965.

[13] JANNELLO, Karina, “La guerra fría cultural en sus revistas. Programa para una cartografía”, Universum, vol. 36, n.º 1, 2021, pp. 131-151.

[14] AMAT, Jordi, La primavera de Múnich, Tusquets, Barcelona, 2016. Véase también AMAT, Jordi, “Europeísmo, Congreso por la Libertad de la Cultura y Oposición antifranquista (1953-1966), Historia y Política, n.º 21, Madrid, 2009, pp. 55-72.

[15] GLONDYS, Olga, La guerra fría cultural y el exilio republicano español: Cuadernos del congreso por la libertad de la cultura (1953-1965), Madrid, Editorial CSIC Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 2012, p. 299.

[16] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 280.

[17] HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez: La imposibilidad de lo imposible, Logroño, Editorial Pepitas de calabaza, 2017, p. 33.

[18] La revista Mañana, dirigida por Dionisio Ridruejo desde España, pero publicada en París, tuvo una vida efímera de enero de 1965 hasta octubre de 1966. Desapareció de manera abrupta con el escándalo internacional que probó que el CLC estaba financiado por la CIA. ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, pp. 314-315.

[19] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Carta de Julián Gorkin a José Martínez, 8 de enero de 1966.

[20] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 18 de enero de 1966.

Atentado a la librería en octubre de 1975 
Foto: A. FORMENT, José Martínez: la epopeya de Ruedo ibérico.)

[21] GLONDYS, Olga, La guerra fría cultural y el exilio republicano español…, p. 299.

[22] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 5 de abril y 28 de abril de 1972.

[23] GLONDYS, Olga, La guerra fría cultural y el exilio republicano español…, p. 299.

[24] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez,

[25] PRESTON, Paul, “Guerra Fría e historiadores anglosajones”, Revista de Estudios Globales. Análisis Histórico y Cambio Social, 2/2023, N.º 4, p. 199.

[26] Ibid., p. 207.

[27] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 2 de marzo de 1977. El subrayado está en la carta original.

[28] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 5 de mayo de 1964.

[29] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 8 de mayo 1973.

[30] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto, Tesis doctoral, Universidad Rey D. ORTÍ Jaime (UJI), Castellón de la Plana, 2020, p. 320.

[31] GLONDYS, Gloria, La Guerra Fría cultural y el exilio republicano español...p. 299.

[32] HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez…, p. 33.

[33] GLONDYS, Gloria, La Guerra Fría cultural y el exilio republicano español...pp. 281-282.

[34] BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 322.

[35] IISH Amsterdam, José Martínez Guerricabeitia Papers – ARCH00859, Correspondencia Julián Gorkin-José Martínez, 2 de marzo de 1977.

[36] RINCÓN, Luciano, “Ruedo Ibérico”, El País, 11 de marzo de 1989.

[37] HERNANDO, Alberto, Ruedo Ibérico y José Martínez…, p. 123.

[38] ORTÍ BUIG, Andrés, Julián Gorkin (1901-1987). Un viaje a lo opuesto…, p. 347.

[39] TAPIA, Francisco, Entrevista a Carlo Ginzburg, “Juzgar el pasado con los criterios del presente es el triunfo del provincianismo”, Revista Santiago. Ideas, Crítica y Debate, 24 de septiembre de 2021.

Fuente: Conversación sobre la historia

Portada: Ilustración de Antonio Saura para la cubierta de España hoy (presentación y montaje de I. Fernández de Castro y J. Martínez), París: Ruedo Ibérico, 1963. Fondos del Centro de Documentación del Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía

dimanche 6 octobre 2024

Gabriel Rockhill: La "Industria de la Teoría Global" capitalista al descubierto (vídeo)

 FUENTE: https://canarias-semanal.org/art/33563/gabriel-rockhill-la-industria-de-la-teoria-global-capitalista-al-descubierto-video


REDACCIÓN CANARIAS-SEMANAL.ORG.-

    Gabriel Rockhill  es un filósofo, escritor, crítico cultural y profesor de Filosofía en la Universidad de Villanova de Filadelfia, especializado en el estudio de lo que él mismo ha calificado como la "Industria de la Teoría Global".

   "Un sistema de producción, circulación y consumo" de ideas financiado por las grandes corporaciones capitalistas y agencias de inteligencia como la CIA  la USAID, la NED o el MI6 que, en muchas ocasiones se presentan como "críticas" con el capitalismo pero que, finalmente, transmiten la idea de que cualquier alternativa socialista sería siempre una opción "totalitaria" e inviable.

   En esta entrevista concedida a Tita Barahona, en exclusiva para Canarias-semanal, el profesor Rockhill explica cómo conocidos intelectuales, desde los históricos fundadores de la Escuela de Franckfurt a autores postmodernos como  Jacques Derrida o Foucault, forman parte de este mercado de idas que se encarga de establecer "los parámetros de debate público aceptables", controlando donde se ubica "el flanco izquierdo de la crítica".

 


jeudi 25 juillet 2024

Le puissant Wurlitzer : comment la CIA joue l’Amérique (le visage humain de l'anticommunisme)

 

L’histoire de la CIA (Central Intelligence Agency) – ses coups montés, ses assassinats, ses enlèvements, sa pratique de la torture, ses « sites noirs », ses meurtres par drone, ses sales guerres et le parrainage de régimes dictatoriaux [1] – souligne non seulement le rôle sanguinaire et réactionnaire joué par l’impérialisme américain mais surtout la peur mortelle de l’élite dirigeante face à la classe ouvrière internationale.

Dès sa fondation en 1947, le CIA a reconnu que Washington ne pourrait réaliser et maintenir son hégémonie mondiale par la seule répression. Les luttes anticoloniales, les luttes révolutionnaires en Grèce et à travers l'Europe, les grèves de masse autour du monde (dont la grande vague de grèves de 1945-46 aux Etats-Unis [2]) étaient profond&eac

 
The Mighty Wurlitzer

Un livre détaillé sorti en 2008, The Mighty Wurlitzer: How the CIA Played America, (Le puissant Wurlitzer : comment la CIA joue l’Amérique) de Hugh Wilford, examine la lutte idéologique menée par la CIA entre 1947 et 1967 afin de rallier « les cœurs et les esprits » au capitalisme américain et poursuivre la guerre froide.

C’est une sale besogne. La CIA a créé ou manipulé des associations, des universités, des médias, des groupes d’artistes, des fondations et des associations caritatives pour les mettre au service de sa propagande – cherchant à appliquer un vernis « progressiste » et même « humanitaire » au contrôle grandissant exercé par Washington.

Malgré le temps écoulé depuis sa publication, ce livre est toujours pertinent, car il révèle le fonctionnement des campagnes idéologiques de la CIA et en particulier le rôle joué par une section de l’intelligence libérale. Il ouvre les yeux à une nouvelle génération soumise aux des tentatives incessantes de blanchiment de la CIA et du militarisme américain. L’on se fait une idée des opérations antidémocratiques et réactionnaires menées par l’impérialisme américain et son appareil de renseignement, et de la nature foncièrement criminelle et mensongère du capitalisme américain.

Surtout, le livre démontre au lecteur l'importance que l’élite dirigeante américaine accorde à la lutte idéologique contre le socialisme.

L’auteur écrit à juste titre : « Ces pratiques se sont en fait intensifiées ces dernières années ; la ‘guerre contre le terrorisme’ recrée la mobilisation totale qui a marqué les premières années de la Guerre froide. » Il ajoute que la CIA est « une force croissante sur les universités. » [3]

La terme « puissant Wurlitzer » (Mighty Wurlitzer) avait été inventé par Frank Wisner, le chef du Bureau de coordination politique (OPC), un groupe chargé d’opérations paramilitaires et psychologiques, créé en 1948 et intégré à la CIA en 1951. Il se targuait de coordonner un réseau capable de jouer sur demande n’importe quel air de propagande, le comparant ainsi au célèbre orgue de théâtre Wurlitzer.

Le CIA sélectionnait ceux qui pourraient s’orienter dans une direction socialiste, en ciblant des groupes ayant des griefs contre le statu quo. Elle a choisi des représentants de groupes ethniques, de femmes, d’Afro-américains, ouvriers, d’intellectuels et d’universitaires, d’étudiants, de catholiques et d’artistes pour en faire des groupes écrans anticommunistes. Ces liens fournissaient à leur tour à l’agence la couverture requise pour influencer d’importants secteurs de la population mondiale.

Fait plutôt ironique, alors que l'Etat menait ses chasses-aux-sorcières maccarthystes et dressait une Liste d'Organisations Subversives, prétendument pour démasquer les « groupes de façade » du Parti communiste, la CIA s'occupait précisément à créer des groupes de façade afin d'intégrer des milliers d’Américains à leur insu dans des opérations psychologiques clandestines.

Le livre dévoile comment des syndicalistes, artistes, et membres des professions libérales « radicaux » ou « ex-radicaux » se sont retrouvés à l'intérieur de ce « Wurlitzer ». [4] Ceci incluait une couche d’anciens membres ou compagnons de route du Parti communiste, dont le romancier Richard Wright, qui, déçus par l’expérience faite avec ce parti réactionnaire stalinisé, n’ont pas trouvé le chemin vers le trotskysme, mais ont trouvé une place au sein de l’appareil de renseignement américain.

L’agence a influencé ces groupes très hétéroclites et parfois divisés grâce essentiellement à deux méthodes. La première était l’octroi de vastes sommes d’argent, soit par l’intermédiaire d’entreprises telles ITT, soit par des particuliers fortunés ou par des fondations. La seconde consistait à formater les directions de ces groupes écrans, et en faisant ensuite prêter aux dirigeants le serment du secret.

Wilford explique comment ces serments étaient prêtés à l'Association nationale des étudiants (NSA), contrôlée par la CIA. « Lorsque la CIA jugeait nécessaire d'informer un responsable de bonne foi [ignorant le contrôle de la CIA] de l'origine du financement de l’organisation, elle organisait une réunion entre l’individu en question, un collègue qui était au courant, et un ancien responsable de la NSA devenu agent de la CIA. Sur un signal convenu à l’avance, le responsable au courant quittait la pièce. L’agent de la CIA (encore identifié comme étant un ex-NSA) expliquait que le responsable de bonne foi devait prêter serment de discrétion avant d’être mis au courant de secrets vitaux. Après que le responsable ait signé un engagement formel, l’agent révèlait alors que la CIA jouait un rôle dans les affaires de l'association. »

Les serments étaient pour de vrai. Une violation était passible d’une peine de prison de 20 ans. Plus tard, certains des collaborateurs dénoncèrent l’opération comme étant un piège et qu'ils avaient « été induits en erreur lors de l’entrée en relation avec la CIA. » D’autres ont exprimé un accord politique et/ou l’ont considéré comme une bonne opportunité de carrière. 

Les origines des groupes écrans de la CIA 

Wilford retrace les origines des groupes secrets financés par la CIA à la réorganisation de l’Etat effectuée sous le président Harry S. Truman. Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis étaient la force économique, politique et militaire dominante, la classe dirigeante américaine a vite cherché à profiter de cette position pour asseoir son hégémonie mondiale. 

 
Truman signe la loi qui créa la CIA et le Conseil de sécurité nationale (NSC)

Truman a restructuré les forces armées et le renseignement américains pour mener la Guerre froide, selon sa stratégie géopolitique surnommée « Doctrine Truman ». Le Congrès, grâce au National Security Act de 1947, avait établi la CIA, le premier appareil de renseignement permanent aux Etats-Unis, et le Conseil de sécurité nationale (NSC). Dès ses débuts, une controverse opposa ceux qui disaient que la CIA devait se limiter à la collecte d'informations, et ceux qui disaient qu'elle devait aussi mener des actions secrètes.

Les « interventionnistes » (pro-action secrète) l’emportèrent, explique Wilford. George Kennan, le diplomate auteur de la doctrine de l’« endiguement » (« containment ») face à l’URSS, affirmait que les politiciens devaient surmonter l’« attachement populaire au concept d’une différence fondamentale entre la paix et la guerre » et adopter les actions secrètes comme partie intégrante de leur stratégie mondiale.

 
George F. Kennan, défenseur des actions secrètes de la CIA

Kennan préconisait des activités paramilitaires secrètes et la création de « comités de libération » afin d’encourager des activités antisoviétiques par des « éléments autochtones anticommunistes » dans des « pays menacés du monde libre ». Selon Wilford, ces idées « ont guidé toutes les opérations de première ligne des Etats-Unis durant premières cinq années de la Guerre froide ».

La première cible du recrutement secret furent les émigrés d’Allemagne, d’Europe de l’Est et d’URSS. Wilford cite l'Opération « PAPERCLIP », l’acheminement vers les USA d’ancies Nazis disposant d’un savoir-faire militaire ou technique. Il relève le recours aux services du général nazi Reinhard Gehlen, le chef du renseignement militaire d’Hitler sur le front Est, dont le réseau fut « incorporé » au renseignement américain, puis au renseignement allemand.

La fâcheuse tendance de Wilford de laver l’impérialisme américain réduit la force de ses divulgations, notamment de celle du lien avec Gehlen. Wilford en fait une narration plutôt sèche, mais Joseph Trento, auteur de The Secret History of the CIA, décrit les faits ainsi :

« … Gehlen convainquit [Alan] Dulles [le premier directeur civil de la CIA, anciennement du Bureau des services stratégiques (OSS) et du Bureau de coordination politique (OPC)] que les Etats-Unis devaient garantir la protection de milliers de nazis de haut rang… ‘Rien n’est plus important que de recruter ces nazis enfuis dans le monde entier… Vous devez vous rappeler qu’on les considérait comme les anticommunistes les plus déterminés… les autorités américaines étaient prêtes à recruter n’importe quel nazi jugé utile… » 

Trento cite Robert T. Crowley, qui a joué un rôle significatif dans la gestion des nazis pour Washington. Trento conclut par l’appréciation suivante : « Ce partenariat entre les ex-nazis et l’OSS/CIA a dominé les activités antisoviétiques américaines pendant trois décennies. » [5]

Wilford n’est pas prêt à avancer de telles évaluations générales, mais il peut dévoiler et d’exposer les détails des réseaux complexes montés par la CIA. Ceci est particulièrement convaincant lorsqu’il remonte la piste de l’argent, un aspect solide de The Mighty Wurlitzer et qui est de toute évidence le résultat de recherches assidues.

Wilford montre comment la formule de financement du Comité national pour une Europe libre (NCFE, créé par la CIA en 1949) est devenue un prototype. On présentait le NCFE comme une organisation humanitaire et indépendante, montée par des citoyens américains afin de secourir des réfugiés d’Europe de l’Est. En fait, elle était dirigée par la CIA.

Afin de justifier les bureaux cossus et les comptes en banque bien garnis du NCFE, on monta une campagne de collecte de fonds, la Croisade pour la liberté (« Crusade for Freedom »). Les fonds recueillis ne servaient pas à couvrir les dépenses, payées par la CIA, mais à éviter que sa richesse ne soulève des questions. L’expérience des campagnes du Conseil de la publicité de guerre, qui avait « renforcé le moral des civils » lors de la Seconde Guerre mondiale, servit ensuite à « vendre » la Guerre froide. C’est de là que Radio Free Europe (Radio Europe libre) est finalement issue.

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Le NCFE fut la première d’une centaine d’organisations de ce genre à apparaître en Europe de l’Est. Elles ont soutenu des projets « scientifiques », leur propre maison d’édition, et une multitude de conseils nationaux de minorités ethniques aux Etats-Unis. Elles ont aussi acheminé de l’argent à des organisations pro-fascistes « telles l’Assemblée des nations européennes captives » de Brutus Coste.

La CIA a poursuivi en ciblant davantage de groupes d’adversaires idéologiques potentiels. Ce compte-rendu examinera quelques unes de ces opérations afin de donner une idée de l’ampleur et de la portée de la crainte de la révolution sociale éprouvée par le gouvernement américain et de la préoccupation de la CIA d’encourager l’anticommunisme.  
Les journalistes
 
Aujourd'hui, la suppression d’informations et la collusion de journalistes avec la CIA passent à peine pour une révélation. Néanmoins, le livre met en exergue la profondeur de cette relation depuis le tout début des opérations de la CIA.

En 1977, Carl Bernstein a calculé que depuis 1952, quelques 400 journalistes avaient travaillé pour la CIA. Mais Wilford écrit correctement que le nombre de journalistes qui écrivaient de la propagande gouvernementale était bien moins important que la collaboration institutionnelle entre la CIA et les grands médias.

L’auteur indique qu’Arthur Hays Sulzberger, l'éditeur du New York Times, était un ami proche du directeur de la CIA Allen Dulles et avait signé un accord secret avec l’agence. En vertu de cet arrangement, le Times a fourni des couvertures de journaliste ou de correspondants à au moins dix agents de la CIA ; le Times encourageait aussi ses employés à faire de l'espionnage. Dulles entretenait des relations avec les médias, qu'il considérait être d’excellentes sources d’informations à l’étranger.

Selon Wilford, le chef des informations de la chaîne Columbia Broadcasting System appelait si souvent le quartier général de la CIA que, lassé d'avoir à quitter son bureau pour passer l'appel, il a fait installer une ligne privée pour contourner le standard téléphonique.

Une troisième voie de diffusion des « informations » de la CIA étaient les agences de presse, dont l’Associated Press et l’United Press International, ainsi que l’opération interne de la CIA, la « Forum World Features. »

Il y avait aussi les magazines. Tout comme le New York Times, le Time de Henry Luce fournissait aux agents de la CIA des cartes de presse. Selon, Wilford « en général… la collaboration était si réussie qu’il était difficile de dire exactement où se terminait le réseau de renseignement outre-mer de Luce et où celui de la CIA commençait. »

Il y avait aussi les services indispensables à l’Association des journalistes américains (ANG), le syndicat des journalistes. L’ANG fut un membre fondateur de la Fédération internationale des journalistes, une fédération de syndicats anticommunistes établie en 1952 à Bruxelles pour s’opposer à la Fédération internationale des journalistes, marquée à gauche.

Financée par les syndicats américains mais lancée par la CIA, l’ANG a monté une campagne destinée aux journalistes africains et asiatiques. Un de ses représentants dirigeait l’Inter-American Federation of Working Newspapermen’s étroitement liée au front syndical de la CIA en Amérique latine, l’Institut américain pour le développement libre du travail (AIFLD). Ces groupes prodiguaient un grand nombre de services gratuits, techniqus ou éducationnels, financés par des fondations intermédiaires liées à la CIA. 

Les étudiants 

Redoutant l’attraction qu’exerçait le socialisme sur les jeunes, la CIA a établi dès le début une présence sur les campus universitaires. En 1947, elle a formé l'association nationale des étudiants (NSA) des Etats-Unis, et ensuite un service international estudiantin d’information, afin de doter le NSA d'attaches à l’étranger. Wilford décrit comment la CIA a formé et passé au crible tous les agents du NSA. Beaucoup d'entre eux ont ensuite poursuivi des carrières à la CIA.

La NSA animait des séminaires annuels sur les relations internationales et octroyait des bourses à des étudiants venus de « pays en voie de développement », ainsi que pour de longs voyages à l’étranger. En 1967, elle comptait 400 organisations sur les campus américains.

La CIA et le NSA ont aussi parrainé des festivals internationaux de jeunesse pour « sauver la jeunesse du tiers monde des griffes des propagandistes communistes. » Gloria Steinem fut l’icône féministe à la tête de cette opération. Elle avait accepté un poste rémunéré comme directrice de l’Independent Service for Information, « une opération de la CIA du début à la fin, » selon Wilford, et mise en œuvre « sciemment. » Parmi ses compatriotes y figurait Zbigniew Brzezinski, un diplômé de Harvard qu’elle décrivait comme « un membre vedette de l’Independent Service », et qui allait deveinr un des principaux stratèges de l'impérialisme américain. 

 
Gloria Steinam, 1987

Dans une partie très pertinente de The Mighty Wurlitzer, Wilford explique comment les professeurs, notamment des universités d’élite « Ivy League », ont servi de recruteurs pour l’agence. L’auteur s concentre sur les activités de William Y. Elliott de Harvard, un professeur du département du gouvernement qui était aussi le doyen de la célèbre Ecole d’été de Harvard.

Elliott a activement « branché » des étudiants choisis dans les opérations de la CIA. Il a utilisé la prestigieuse Ecole d’été pour élargir le recrutement international de la CIA. Parmi les diplômés de Harvard « encadrés » par Elliott se trouvait Henry Kissinger, qui a joué un rôle éminent dans les cours d’été et qui s’en est servi pour entamer sa carrière gouvernementale.

Dans sa conclusion, l’auteur écrit que ces opérations universitaires ne sont de toute évidence pas terminées, mais sont en hausse. Il donne l’exemple des résultats de la commission Church (Church Committee) [6] de l’« utilisation opérationnelle » par la CIA d’universitaires individuels, dont « des rôles de premier plan et des mises en contact à des fins de renseignement, de collaboration dans le domaine de la recherche et de l’analyse, de collecte de renseignements à l’étranger et de la préparation de livres et autre matériel de propagande. » 

Les syndicats: l'AFL-CIO et l’« AFL-CIA » 

Les opérations anticommunistes menées en Europe par le syndicat American Federation of Labor ont débuté en 1944 avec le Comité des Syndicats Libres (FTUC). Le FTUC était financé par le syndicat américain de la confection féminine (International Ladies’ Garment Workers’ Union) dirigé par David Dubinska, et géré par Jay Lovestone, l’ancien secrétaire national du Parti communiste américain devenu anticommuniste, et par son protégé Irving Brown. Brown avait travaillé pour l’OSS durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’OSS fut dissout, Brown et Lovestone ont dirigé ses opérations, en se vantant que « nos relations et nos programmes syndicaux ont pénétré tous les pays d’Europe. »

 
Jay Lovestone à droite, rangée arrière

D’ici janvier 1949, le budget du FTUC venait de fonds de la CIA déguisés en dons privés. A la fin de l’année, la part de ses revenus provenant des cotisations ouvrières avait été éclipsée par l’argent de la CIA, blanchi par Lovestone à New York et transféré via divers comptes en banque. L’argent fut versé à des syndicats anticommunistes à travers l'Europe, dont Force ouvrière (né d’une scission d’avec le syndicat CGT dominé par le Parti communiste français, PCF) et le Comité de Vigilance méditerranéen en France, les syndicalistes sociaux-démocrates en Italie, y compris la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori, et l’Organisation centrale des syndicats finlandais. Il y eut d’autres opérations organisées en dehors de l’Europe, telles l’Alliance centrale syndicale pan-indonésienne.

Il y eut cependant une autre demande de licence. Victor Reuther, le frère du président de l’UAW, Walter, a ouvert un bureau à Paris. Le syndicat de l’automobile UAW, adhérent du CIO et réputé combatif, passait mieux à l’étranger que le « syndicalisme corporatiste » discrédité de l’AFL ; ainsi l’UAW était plus à même de fournir à la CIA des contacts au sein du mouvement ouvrier.

Le début de la fin du parrainage par la CIA de l’AFL eut lieu le 20 novembre1950. Le directeur de l’agence de renseignement, Walter Bedell Smith, et Frank Wisner rencontrèrent Lovestone, le secrétaire-trésorier de l’AFL, George Meany, David Dubinsky, et le vice-président de l’AFL, Matthew Woll, pour décider quelle syndicat mènerait les opérations secrètes de la CIA.

Meany a vigoureusement dénoncé le CIO, en « citant des dates, des noms et des lieux » de l’infiltration de son rival par les communistes, mais en vain. Le directeur adjoint de la CIA, Alan Dulles, a déclaré qu'il « s’intéressait fortement au mouvement syndical » et croyait que le CIO devrait être impliqué dans les opérations secrètes de la CIA.

Les recherches de Wilford montrent le directeur des affaires internationales du CIO, Mike Ross, a acheminé des milliers de dollars de la CIA vers les opérations parisiennes de Victor Reuther. 

Les Afro-Américains 

La répression et les meurtres de militants des droits civiques américains au début des années 1950, avec la diffusion d’images où la police utilisait les chiens et les canons à eau contre des manifestants, ont miné les tentatives de Washington d’étendre son influence en Afrique.

C’était là une préoccupation majeure, alors que l'impérialisme européen se faisait expulser de ses colonies et que le mouvement anticolonial se propageait comme une trainée de poudre. « Dans ce contexte, les agences du gouvernement américain, y compris la CIA, ont commencé à auditionner un peu partout pour le rôle de dirigeants noirs américains qui pourraient brosser un tableau positif des relations raciales de leur pays, et aider les pays africains nouvellement indépendants à se détourner du camp communiste, » écrit Wilford dans le chapitre sur le recrutement d’Afro-Américains par la CIA.

La principale opération fut l’American Society of African Culture (AMSAC). Après une réunion en 1954 au domicile de l’ancien secrétaire exécutif du NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), Walter White, à laquelle participèrent Eleanor Roosevelt et Victor Reuther, on fonda une organisation permanente afin de « minimiser parmi les Africains l’anticolonialisme socialiste en faveur de l’anticommunisme libéral. »

De nombreux Américains qui admirent Richard Wright pour son honnêteté littéraire et sa volonté de mettre à nu la brutalité du racisme furent surpris d’apprendre qu’il avait rejoint le groupe écran de la CIA. Wright s'est présenté à l'ambassade américaine à Paris et offrert ses services pour « combattre les tendances gauchistes » lors d’un congrès international des écrivains et artistes noirs (Congress of Negro Writers and Artists) en 1956. Selon Wilford, il s’était rendu à plusieurs reprises à l’ambassade pour discuter comment « contrecarrer l’influence communiste. »

 
Richard Wright

Wright trouva l’argent et organisa depuis les Etats-Unis une équipe de 5 personnes pour participer au congrès de Paris. Quant à W.E.B. Du Bois, il se vit refuser l’octroi d’un passeport et publia une déclaration cinglante : « Tout Negro-Américain se rendant de nos jours à l’étranger doit… dire ce que le Département d’Etat veut qu’il dise. »

Le groupe de Paris créa la Société africaine de Culture (SAC). La création de l’American Society of African Culture (AMSAC) suivit en juin 1957. Le financement était typique : les fonds de la start-up provenaient de Matthew McCloskey, un magnat du bâtiment de Philadelphie et un avocat de Wall Street, et Bethuel Webster (qui aux années 1950 avait contribué à mettre en place l’American Fund for Free Jurist pour véhiculer les fonds vers l’International Commission of Jurists.)

L’AMSAC avait plusieurs objectifs. Il faisait de la propagande, dont une série de publications très ambitieuses ; il organisa des conférences annuelles auxquelles participait une série de brillants intellectuels, artistes et interprètes noirs (Nina Simone, Lionel Hampton, etc.) ainsi que des festivals parrainés à la fois par les Etats-Unis et l’Afrique.

L'AMSAC a aussi aidé la CIA dans ses tentatives plus impitoyables d'écraser la combativité africaine. Suite au meurtre aux mains de la CIA du président congolais Patrice Lumumba, l’agent de l’AMSAC, Ted Harris, fut muté de son bureau de New York à Léopoldville dans le but « d’entraîner les politiciens locaux dans les techniques administratives occidentales. »

Wright fut finalement déçu. En novembre 1960, il prononça un discours surprenant à l’Eglise américaine de Paris qui dénonçait Washington pour avoir espionné les expatriés et tenté de les museler. « Je dirais que la plupart des mouvements révolutionnaires à l'Occident sont parrainés par des gouvernements, » a dit Wright au public. « Ils sont lancés par des agents provocateurs dans le but d’organiser les mécontents pour que le gouvernement puisse garder un œil sur eux. » Il laissa entendre qu'il ferait de nouvelles révélations à venir, puis mourut dans une clinique parisienne quelques semaines plus tard à l’âge de 52 ans. Selon l’auteur, des rumeurs circulèrent qu’il avait été assassiné.

La dernière opération menée avec succès par l’AMSAC fut une vaste tournée du défenseur des droits civiques James Farmer en Afrique, destinée à contrer l’impact des visites précédentes de Malcom X. Ave l’aide de Carl T. Rowan, le premier Afro-Américain à siéger au Conseil de sécurité nationale, Farmer arriva en janvier 1965 en Afrique. Il se rendit dans neuf pays, eut des entretiens avec presque tous les chefs d’Etat, donna des cours aux étudiants, rencontra des membres du parlement et intervint devant les syndicats. 

Les femmes 

Entre 1952 et 1966, la CIA finança et coordonna un groupe secret de femmes, le Committee of Correspondence (Comité de correspondance), avec une devise bien ironique : « La vérité vous rendra libre. » (« The Truth Shall Make You Free. »)

Au départ, le groupe débitait de l’anticommunisme primaire, avec des communiqués et des bulletins qui accusaient l’URSS de contraindre les femmes à travailler pour que l’Etat puisse exercer « un contrôle absolu sur l’enfant », etc. Les inquiétudes de l'Etat quant au mouvement anticolonial montait, toutefois, et le comité organisa des activités en Iran, en Afrique et en Amérique du Sud.

Cette initiative concordait avec le projet du gouvernement Eisenhower d’humaniser l’image américaine (développé ensuite par le Corps de la Paix -Peace Corps- créé par John F. Kennedy en 1961) tout en renforçant le consensus de la Guerre froide à l’intérieur des USA. Ceci n’empêcha pas le comité d’exécuter une série de « missions spéciales » pour surveiller et établir des rapports sur les conférences de paix appuyées par le Parti communiste.

Wilford cite l’évaluation de la CIA de l’importance stratégique croissante des femmes aux années 1950, notamment dans l’éducation. « Il est évident que les femmes sont maintenant un facteur très important dans l’édification de la nation qui se passe dans une grande partie du monde, » aurait déclaré un agent du renseignement. Les réseaux créés par les comités de correspondance étaient considérés comme relevant d’une astucieuse tactique de la Guerre froide et la base des futures opérations de renseignement.

Tout comme de nombreux autres fronts de travail de la CIA, le comité fut généreusement financé par une série de fondations et de groupes patronaux, dont : le Dearborn Foundation, l’Asia Foundation, le J. Frederick Brown Foundation, le Florence Foundation, le Hobby Foundation et le Pappas Charitable Fund. 

Les artistes 

La CIA était très préoccupée par un grand nombre d’artistes. La Grande dépression avait discrédité le capitalisme et l’épanouissement de la culture après la Révolution russe avait influencé le monde entier. La CIA voulait contrecarrer l’excellence du cinéma, de la dance, de l’art, de la musique, du théâtre et de l’architecture soviétiques ainsi que la revendication de l’URSS d’être l'héritierdes Lumières en Europe. La CIA s’est efforcée de dépeindre l’art américain comme le terreau des impulsions les plus créatrices de la culture moderne.

Cette initiative fut en effet un grand défi, particulièrement vu le conformisme philistin et petit bourgeois de l’élite américaine (moqué par le terme « Babbitry »). The Mighty Wurlitzer signale la célèbre expression de Harry Truman concernant l’oeuvre de Yasuo Kuniyoshi: « Si ça c’est de l’art, moi je suis un hottentot. »

L’agence avait fondé en 1950 le Congrès pour la liberté de la culture (CCF), qui a financé un nombre sans précédent de prix littéraires, d’expositions d’art et de festivals de musique. A son apogée, il avait des bureaux dans 35 pays et publiait plus d’une vingtaine de magazines, dont le magazine littéraire Encounter, édité par le néoconservateur Irving Kristol (qui a également bénéficié du soutien de MI6). La Fondation Ford a aussi financé le CCF.

La CIA oeuvra pour obtenir des contrats d’édition pour ses écrivains encartés aux maisons d’édition auxquelles participait l’agence, dont la maison d’édition Frederick A. Praeger. Wilford a particulièrement tenu à documenter le soutien financier de l’agence pour Partisan Review qui fut initialement l’organe culturel du Parti communiste pour devenir antistalinien plus tard, flirtant avec le trotskysme avant de s’aligner sur la « gauche non conformiste » et les néoconservateurs James Burnham et Sidney Hook.

Le livre de Frances Stonor Saunders de 1999 Who Paid the Piper, partiellement racontédans The Mighty Wurlitzer, met en évidence la protection par la CIA de l’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis. Wilford décrit le genre d’entreprise publique-privée qui faisait ce travail, qui impliquait généralement le Musée d’Art moderne (MoMa) Rokefeller et le CCF. Entre autres, les peintures de Jackson Pollock, Mark Rothko et de Franz Kline furent promues comme étant lantithèse du réalisme soviétique et la soi-disant preuve que le capitalisme était mieux à même de promouvoir la culture.

Evoquant le « ‘cordon ombilical en or’ qui unit l’espion et l’artiste, » Wilford explique en détail toute une série d’activités. L’un des grands projets était le « Hollywood consortium », un groupe informel mais influent d’acteurs et de magnats du cinéma qui travaillaient avec la CIA, dont John Ford, John Wayne, Darryl Zanuck et Cecil B. DeMille. Les Studios Paramount disposaient de leur propre agent interne de la CIA qui se consacrait à censurer certains films et à en saboter d’autres. (En même temps, la liste noire anticommuniste à Hollywood détruisait des carrières et des vies.)

The Mighty Wurlitzer démontre comment le gouvernement américain a dépensé des millions de dollars, sur des décennies, pour miner la pensée socialiste et donner àl’anticommunisme un nouveau visage culturel, social et humanitaire.

Dans le dernier chapitre, l’auteur écrit que les groupes écrans de la CIA sont toujours vivants et se portent bien. Il cite des rapports qui relient le best-seller Reading Lolita in Tehran: A Memoir in Books aux efforts visant à recourir à l’artifice des « droits de la femme » pour préparer l’opinion publique à une éventuelle invasion américaine de l’Iran.

Le principal inconvénient du livre est le décalage entre les opérations secrètes et leur objectif politique. L’on pourrait lire la plus grande partie du livre et conclure que le gouvernement américain était simplement hypocrite, antidémocratique et manipulateur.

Le lecteur doit garder à l’esprit les conséquences épouvantables des activités de la CIA partout dans le monde – les millions de morts, les attaques contre la démocratie, la mise en place de despotes et d’oligarques par des coups. On ne voit jamais d'allusion à ces sales opérations dans The Mighty Wurlitzer.

L’auteur, tout en dévoilant les activités de l’impérialisme américain, ne cesse de les édulcorer. C’est un partisan journalistique du gouvernement américain. Sa conclusion, intimement liée au libéralisme américain, est que les groupes écrans secrets, qui sont en désaccord avec une démocratie américaine par ailleurs est en bonne santé, ont « entaché » la réputation des Etats-Unis et occasionné divers retours de manivelle.

Quoiqu’il en soit, malgré ces insuffisances graves, l’auteur doit être reconnu pour être un journaliste d’investigation opiniâtre au vu de « la chape du secret officiel qui entoure encore actuellement » les opérations secrètes. En fait, après que plus de 50 ans se soient écoulés, le gouvernement refuse de divulguer les dossiers concernant ces opérations.

Les lecteurs d’aujourd’hui du The Mighty Wurlitzer traversent une période durant laquelle les Etats-Unis sont allés bien au-delàde ces efforts pour censurer et manipuler l'opinion. Sous nos yeux, les tribunaux et l'Etat –y compris l’appareil militaire et du renseignement qui ne cesse de croître –réduisent ànéant l’ensemble du cadre des droits légaux et démocratiques gagnés après des siècles de lutte.

La capacité du livre d’apporter un témoignage des activités farouchement antidémocratiques et réactionnaires de la CIA à une période antérieure souligne les craintes grandissantes et légitimes ressentie de nos jours par la bourgeoisie face au pouvoir révolutionnaire de la véritable pensée socialiste.

Les notes

1. Les brutales opérations secrètes de la CIA couvrent la période qui démarre peu après sa création en 1947 – du coup d’Etat syrien de 1949 (dans l’intérêt de la construction du Trans-Arabian Pipeline) au renversement en 1953 du premier ministre iranien Mohammed Mossadegh (qui avait menacé de nationaliser l’industrie pétrolière iranienne, alors sous le contrôle de l’Aglo-Iranian Oil Company, maintenant BP), à l’éviction en 1954 du président Jacobo Arbenz au Guatemala (qui avait menacé les exploitations de l’United Fruit Company), à la chute et au meurtre subséquent du premier ministre congolais et dirigeant anticolonialiste Patrice Lumumba, jusqu’au coup militaire du général Suharto et le massacre de près d’un million d’Indonésiens entre 1965 et 1966, au « coup d’Etat de Canberra » en 1975 avec l’éviction du gouvernement travailliste en Australie, en passant par le coup d’Etat fasciste de 1973 au Chili, et la déstabilisation des décennies durant de l’Irak, au déploiement d’armées privées en Afghanistan et au Pakistan jusqu’au parrainage par la CIA des fascistes qui sont actuellement à l’œuvre en Ukraine.

2. Plus de sept millions de travailleurs américains ont participé à la grande vague de grèves de 1945-46. Ces grèves se déroulèrent dans des milliers de lieux de travail, avec des grèves générales dans des villes entières. Quatre-vingt usines de General Motors furent touchées dans 50 villes. En à peine plus de 18 mois, 144 millions de journées de travail furent perdues.

3. Cité par Wilford dans, « In From the Cold: After Sept 11, the CIA Becomes a Growing Force on Campus, » Wall Street Journal, 4 octobre 2002

4. Cf. l’explication approfondie de l’effondrement du libéralisme américain au chapitre 3 de La Révolution russe et le XXe siècle inachevé (The Russian Revolution and the Unfinished Twentieth Century) par David North, Mehring Books 2014.

5. Trento, Joseph J., L’histoire secrète de la CIA (The Secret History of the CIA), Carroll & Graf Publishers, New York, 2001, p 23.

6. Entre 1975 et 1976, la commission sénatoriale présidée par le sénateur américain Frank Church avait enquêté sur les activités illégales de la CIA, du NSA et du FBI après le scandale du Watergate. Un grand nombre de rapports de la commission sont encore classés secrets. Parmi les affaires examinées, figurent les tentatives du gouvernement américain d’assassiner Patrice Lumumba, Rafael Trujillo et les frères Diem au Vietnam. La commission Church a aussi divulgué l’opération du FBI surnommée COINTELPRO, qui servit à infiltrer et à espionner le Socialist Workers Party, le Parti communiste, le Black Panther Party et de nombreux groupes de gauche.

(Article original paru le 17 août 2015)