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vendredi 25 octobre 2024

POÉTIQUE BÉTONNÉE DES RUINES ET ROCAILLES

 SOURCE: http://jmchesne.blogspot.com/

   Dès la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle on assiste à un mouvement de réappropriation de la campagne par la ville. C’est le début de la résidence secondaire qui touche toutes les couches de la société, même si certaines utopies rustiques sont imaginées par une élite intellectuelle et urbaine. Les faubourgs et les banlieues vont s’emplir de villas pittoresques, chalets rustiques, fausses grottes, guinguettes et kiosques en faux bois ou fausse pierre et c’est le triomphe de la rocaille.




   Cette invention romaine, redécouverte à la Renaissance, est de nouveau au goût du jour et réalisable grâce en partie au nouveau ciment «Portland». Ce matériau va permettre la reconnaissance d’une nouvelle activité originale, celle des rocailleurs. Ces artisans, modestes à l’origine, vont accéder à un autre statut qui leur permettra de signer leurs œuvres.
 

  
    Les annuaires professionnels en portent le témoignage avec les nouvelles rubriques de «rustiqueurs», «rocailleurs-paysagistes», «artistes-rocailleurs», «cimentiers-naturistes», «artistes en ciment»...  Je reproduis là quelques pages d’un  étonnant catalogue déniché par hasard chez un brocanteur où l'on découvre avec amusement qu'on pouvait commander pratiquement par correspondance une grotte ou une passerelle pour son jardin. Le trompe-l’œil redevenant  le critère du savoir-faire, on y retrouve au fil des pages toutes la gamme des décors paysagers de l'époque, le tout promut grâce à des formules chocs : "Des meubles rustiques en ciment et  fer !" ou bien ce "Belvédère rustique élevé sur trois arbres gigantesques, construit en ciment armé avec montée d'escalier en ciment et en  fer !" 



   Ce rêve d’exotisme n’est pas seulement naturaliste, c’est une échappée dans le temps avec ses faux temples, des fausses ruines, du faux gothique, mais aussi dans l’espace avec ses pagodes, chalets suisses, pyramides, le tout réalisé au mépris des spécificités locales. Le Midi semble privilégié (est-ce le manque de bois et la présence des maçons italiens ?), mais les «rocailleurs rustiques» sont partout. 
   


  Dans les jardins de plaisance le rocailleur dispose d’une relative liberté pour s’exprimer. Ainsi les rocailles apparaissent-elles comme un lieu privilégié pour découvrir les rêves entremêlés de ceux qui les produisent : des artisans nourris de culture populaire et la nouvelle bourgeoisie, à la fois romantique et ouverte aux conquêtes industrielles et coloniales. 


 
   La poésie et la nostalgie de ces grottes, de ces fausses ruines alimentent cette nouvelle forme d’art, à bien distinguer de l’Art Nouveau car il s’agit souvent d’œuvres d’autodidactes au service de nouvelles franges de citadins en quête de frissons exotiques et de rêves rustiques voulant apprivoiser une nature qui fait peur. 



   Par rapport à leur contemporain qu’était le facteur Cheval (dont on peut se demander s’il n’a pas lui-même suivi l’exemple de ces maçons) ou par rapport aux habitants paysagistes créateurs d’environnement dits Bruts, les rocailleurs étaient des inspirés à plein temps qui ont tenté grâce à des constructions destinées à d’autres, de préserver une part de création et de plaisir dans leur activité professionnelle.
   


   Je reproduis également quelques cartes qui montrent des édifices rustiques réalisés en bois ce qui les rendaient d’autant plus vulnérables. On imagine bien la complexité à bâtir en ciment dans des endroits reculés. Ici nous n’avons plus à faire à la poésie des ruines mais plutôt à l’attrait pour les cabanes, les habitations des forets et des champs et leurs «robinsonnades». Un bricolage rustique au service d’une vie naturelle idéalisée, plus symbolique que réelle. 


   Puis, la mode passant, on s’est pudiquement détourné de cette architecture produite par des artisans formés sur le tas. Beaucoup de rocailles ont été détruites, délaissées et abandonnées aux intempéries, à la végétation ou aux transformations. Les fausses ruines tombent en ruine à leur tour ; une sorte de mise en abyme du temps.  En ville et surtout dans les anciens parcs, on trouve encore parfois quelques traces de ces aménagements : un balcon, un petit pont ou une rambarde d’escalier ayant échappé à la destruction. Parfois, je me prends à rêver au retour de ces extravagances ; le désir d'habiter autrement et de l'utopie d'un imaginaire de vie cristallisés.
Toutes images et cartes postales : collection JM Chesné -  D.R.


jeudi 24 octobre 2024

René Gabriel, un designer avant la lettre

 SOURCE: https://explore.psl.eu/fr/le-magazine/focus/rene-gabriel-un-designer-avant-la-lettre

Une vie = une œuvre

Aucune image de l’homme ou de ses proches, pas de documents administratifs, de correspondance : les quelque 3 500 archives de René Gabriel, accessibles via la bibliothèque numérique de PSL, sont exclusivement des travaux préparatoires et des photographies de ses productions. La vie de cet artiste au parcours éclatant reste dans l’ombre.

René Gabriel, Publicité. Dessin à la mine de plomb et à la gouache
Publicité. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, 1940 (© René Gabriel. Droits réservés)

René Gabriel naît en 1890 à Maisons-Alfort, dans un milieu modeste. Il entre à l’École Germain Pilon en 1912 puis à l’École supérieure des Arts Décoratifs (aujourd’hui l’EnsAD, établissement associé de l’Université PSL), dont il sort diplômé en 1917. Désargenté, il gagne sa vie en montant des décors de spectacles et se lie alors d’amitié avec l’homme de théâtre Léon Chancerel.

Sigismond Chrome, dominotier

En 1919, René Gabriel s’établit dominotier, c’est-à-dire fabricant artisanal de papier peint, ouvrant une boutique rue de Solferino. Il refuse la mécanisation et travaille « à la planche ».

La publicité pour ses produits passe par un personnage imaginaire, « Sigismond Chrome », vieux dominotier inventé par Léon Chancerel et s’exprimant par sa plume. René Gabriel lui dessine un visage et met en page ses slogans, démarrant à cette occasion une activité durable de graphiste et d’illustrateur.

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Sigismond Chrome. Impression d’un dessin de René Gabriel, 1929 (© René Gabriel. Droits réservés)
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Table d’impression d’un dominotier. Dessin à l’encre, 1931 (© René Gabriel. Droits réservés)
Projet de céramique pour la Manufacture de Sèvres. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, 1927 (© René Gabriel. Droits réservés)
Projet de céramique pour la Manufacture de Sèvres. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, 1927 (© René Gabriel. Droits réservés)

Un créateur polyvalent

En 1919, René Gabriel crée également des meubles, qu’il présente au Salon d’Automne et au Salon des Artistes Décorateurs, le SAD ; il acquiert très vite succès et notoriété. À partir de 1924, il enseigne le dessin à l’École des Arts appliqués de la Ville de Paris.

Son travail se diversifie encore au cours des années vingt puisqu’il dessine des céramiques et réalise des décors de théâtre.

De l’Art Déco à l’épure

Les premières créations de René Gabriel s’inscrivent dans le style « Art déco », qui donne une place importante à l’ornementation. Cependant, l’artiste s’oriente rapidement vers des formes simples et des matériaux peu coûteux.

Son importante participation à l’Exposition internationale des Arts Décoratifs en 1925 témoigne d’un style moderne tranchant sur les décors surchargés qui dominent.

Cuisine. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, 1925
Cuisine. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, 1925 (© René Gabriel. Droits réservés)

La technique à visage humain

En 1929, René Gabriel revend sa boutique pour rejoindre l’entreprise Viacroze, qui édite et diffuse son mobilier et ses papiers peints.

Ceux-ci sont désormais produits mécaniquement : l’artiste prend le tournant de l’industrialisation mais il saura, tout au long de sa carrière, donner à la production industrielle un visage humain.

Son travail s’incarne d'ailleurs à nouveau dans un personnage : « l’Oncle Sébastien », vieillard imaginaire dont il dessine les traits en masque de théâtre et qui vante les produits Viacroze par la plume de Léon Chancerel.

Les Propos de l’Oncle Sébastien
Les Propos de l’Oncle Sébastien : gazette de bonne entente commerciale paraissant six fois l'an, éditée par Viacroze à l'intention des dépositaires et collaborateurs de la maison. Imprimé, s.d. (© René Gabriel. Droits réservés)
Bar avec comptoir courbe, chaises et tables en tube métallique
Bar avec comptoir courbe, chaises et tables en tube métallique. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, 1932 (© René Gabriel. Droits réservés)

Un modernisme social

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Éléments RG : meubles avec liseré bleu. Dessin à la mine de plomb et au crayon de couleur, s.d. (© René Gabriel. Droits réservés)

Avec la crise des années trente, René Gabriel fait montre d'un souci accru d’économie et de gain de place, auquel s’ajoute l’objectif de la fabrication en série. Il conçoit des meubles composés de modules baptisés « éléments RG », dont les multiples assemblages et combinaisons possibles permettent d’optimiser de petits espaces. 

Car René Gabriel est un artiste socialement engagé ; à sa mort, Léon Chancerel soulignera dans son hommage funèbre que son ami a « voué sa vie à la création et à la diffusion d'un mobilier et d'un équipement susceptibles d'apporter le confort et la joie à ceux qui n'étaient pas des privilégiés de la fortune. »

Le mot « populaire » fait donc sens lorsque, en 1934, René Gabriel quitte Viacroze pour fonder les « Ateliers d’Art Populaire », à la même adresse que le centre d’art dramatique dirigé par Léon Chancerel.

Théâtre

René Gabriel s’est intéressé à l’espace théâtral assez tôt dans sa carrière, scénographiant dès 1927 des mises en scène de Louis Jouvet. Pour le théâtre, il invente des machineries sophistiquées, des scènes rondes ou rectilignes, des salles de spectacle, et même des costumes. Il réalise les programmes et les décors des « Comédiens Routiers », troupe fondée par Léon Chancerel au sein du mouvement scout, et travaille aussi pour le « Théâtre de l’Oncle Sébastien ».

Salle de théâtre avec scène surélevée. René Gabriel
Salle de théâtre avec scène surélevée. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, s.d. (© René Gabriel. Droits réservés)

Esprit d’enfance

Le Village des enfants : le « Théâtre municipal ». René Gabriel
Le Village des enfants : le « Théâtre municipal ». Dessin au crayon et à la gouache, 1937 (© René Gabriel. Droits réservés)

Car l’Oncle Sébastien, ancien porte-parole de Viacroze, s’est mué en effigie d’un théâtre pour enfants fondé par Chancerel. Le bonhomme est aussi devenu l’emblème d’une collection de livres pour la jeunesse, les « Albums de l’Oncle Sébastien », illustrés par René Gabriel.

Celui-ci n’a jamais eu d’enfant mais nombre de ses créations manifestent une proximité avec le monde de l’enfance, s’exprimant principalement dans ses papiers peints par des couleurs fraîches, des tracés clairs et des thèmes naïfs.

En 1937, René Gabriel construit le « Village des enfants » de l’Exposition internationale de Paris, décor rural de carton-pâte traversé d’une rivière, où les petits visiteurs peuvent déambuler.

Le Village des enfants, avec présence d'enfants. Jean Collas
Le Village des enfants, avec présence d'enfants. Tirage photographique, 1937 (© photographie Jean Collas. © René Gabriel. Droits réservés)

La notoriété

Pavillon de la France, Groupe des matières premières pour la parfumerie, à l’exposition internationale de New York
Pavillon de la France, Groupe des matières premières pour la parfumerie, à l’exposition internationale de New York. Dessin à la mine de plomb et à la gouache, 1939 (© René Gabriel. Droits réservés)

Au cours des années trente, René Gabriel expose régulièrement au Salon des Artistes Décorateurs (SAD) et, à partir de 1935, il participe chaque année au Salon des Arts Ménagers. L’Exposition internationale de 1937 à Paris, puis celle de New York en 1939, comprennent des pavillons, des halls et des stands entièrement aménagés et décorés par l’artiste.

Son modernisme sensible, encore marginal au milieu des années vingt, rencontre, une décennie plus tard, la tendance devenue majoritaire chez les décorateurs, convertis à l’épure mais rejetant le purisme froid d’une avant-garde radicale.

Pauvres et riches

En 1938, René Gabriel abandonne les Ateliers d’art populaire pour ouvrir son agence à Montparnasse. Maître incontesté du mobilier industriel de qualité, il fait distribuer ses meubles en bois blanc dans les grands magasins, tout en créant aussi de luxueux ensembles sur mesure pour une clientèle aisée.

Dès 1940, la guerre plonge dans le dénuement des milliers de sinistrés. En 1941, le Service des Constructions Provisoires commande pour eux du mobilier d’urgence. René Gabriel exécute alors un nombre considérable de dessins et de plans pour ce type d’équipements.

Chambre d’étudiant sous les combles. René Gabriel
Chambre d’étudiant sous les combles. Dessin au crayon et à la gouache, s.d. (© René Gabriel. Droits réservés)
Bureau d’un dirigeant, mobilier en bois ciré. René Gabriel
Bureau d’un dirigeant, mobilier en bois ciré. Dessin au crayon et à la gouache, s.d. (© René Gabriel. Droits réservés)

Consécration d’un visionnaire

Après la guerre, le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) sollicite architectes et décorateurs pour redonner un cadre de vie aux plus démunis. Les meubles en série ont prouvé leur nécessité, ils connaissent un franc succès au SAD de 1946. René Gabriel est alors nommé président de la Société des Artistes Décorateurs. Le MRU fait appel à lui pour meubler les cités expérimentales construites après-guerre et, en 1947, il collabore avec Auguste Perret aux nouveaux appartements du Havre.

La même année, il devient chef d’atelier à l’École nationale des Arts décoratifs.

Mobilier pour sinistrés. © René Gabriel.
Mobilier pour sinistrés. Dessin à la mine de plomb sur calque, 1944 (© René Gabriel. Droits réservés)

Les dernières années de sa vie, René Gabriel travaille beaucoup pour l’hôtellerie, un univers aux contraintes familières de petits habitats temporaires meublés en série. En 1949, il supervise la section Hôtellerie du SAD et, la même année, il se voit décerner la Légion d’Honneur.

Postérité

Chambre avec mobilier combiné - René Gabriel
Chambre avec mobilier combiné, le tour de lit devenant table de travail. Dessin au crayon et à la gouache, s.d. (© René Gabriel. Droits réservés)

À la mort de René Gabriel, en 1950, ses idées avant-gardistes triomphent : les équipements modulaires sont devenus courants, les sobres meubles de la Reconstruction dégagent une esthétique intemporelle, prisée parce qu’indémodable.

Aujourd’hui, les intuitions de l’artiste se révèlent prémonitoires à travers le besoin croissant d’équipements pour la précarité et l’urgence, le rejet d’une technologie déshumanisante, ou encore la recherche d’une beauté dictée par les usages et portée par des matériaux simples – le credo des designers.

Retrouvez l'ensemble des archives de René Gabriel dans la bibliothèque numérique de PSL.

Focus conçu et rédigé par Catherine Geoffroy, chef du Pôle documentaire de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs

En savoir plus

CHAUVIN, Élisabeth, GENCEY, Pierre, Utopie domestique : intérieurs de la Reconstruction, 1945-1955. Paris : Éd. Piqpoq ; Ville du Havre , 2014

CHAUVIN, Élisabeth, GENCEY, Pierre, Appartements témoins de la reconstruction du Havre. Bonsecours : Éd. Points de vues ; Ville du Havre, 2007

FERRET, Céline, René Gabriel, architecte-décorateur. Mémoire de DEA, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2002 [consultable à la bibliothèque de l’EnsAD]

GENCEY, Pierre, Jacques Hitier, modernité industrielle. Paris : Éd. Piqpoq , 2012

GENCEY, Pierre, Marcel Gascoin : design utile. Paris : Éd. Piqpoq ; Ville du Havre , 2011

Art utile, blog de Pierre Gencey 

L’appartement témoin d’Auguste Perret et René Gabriel au Havre

À voir aussi : les céramiques conçues par René Gabriel à la Manufacture de Sèvres et les meubles créés par l’artiste au Musée des Arts Décoratifs.

+ SUR BLOG "ART UTILE" : http://art-utile.blogspot.com/search/label/GABRIEL

mardi 12 mars 2024

La Rue (Die Strasse, Karl GRUNE, Allemagne, 1923)


 La rue, comme lieu de tentation et de mauvaises rencontres. Un petit bourgeois à la vie monotone se fait aspirer par les trépidations noctambules de la grande ville. Ombrée de traits expressionnistes, l'œuvre de Grune tire sa modernité des superbes séquences avant-gardistes. Un modèle de Strassenfilm (film de rue), avant les fleurons du genre, La Rue sans joie (Pabst) et Asphalte (Joe May).