« Choure, provoc, fête et révolution »
Récit d’une jeunesse situationniste dans le Bordeaux des années 60
Arrivés dans une petite bourgade des Landes, nous le remarquons en train de fumer une cigarette, assis à l’unique table de cette terrasse d’un bar-épicerie associatif sous un soleil de novembre chaleureux. Un homme âgé, très mince, regard caché derrière de petites lunettes de soleil rondes, qui nous regarde approcher, et doit se demander qui sont ces gens qui lui ont proposé un entretien. À peine dit bonjour, et les vagues présentations faites, il commence à nous doucher d’anecdotes et de noms. Pas le temps de s’asseoir ou de prendre un thé, nous avons déjà l’impression de rater le départ. Nous forçons un peu la pause, et une fois les carnets sortis – pas le microphone, il a passé sa vie à éviter de se faire enregistrer, ce n’est pas maintenant que ça va commencer – et la commande faite, la parole reprend son flux dans une chronologie chaotique. Nous saisissons rapidement que nos questions ne feront pas fil conducteur et que notre écoute attentive devra servir à reconstituer le puzzle. De son côté, devinant nos accointances politiques ou tout du moins notre intérêt, il se dévoile rapidement. Peut-être est-ce dû à la rareté de cette complicité ou par orgueil d’un expérimenté devant la jeunesse. On lui découvre un sourire malicieux presque enfantin, s’accompagnant d’un humour décomplexé et insolent qui nous annonce une belle journée.
Les clients passent à côté de nous et le saluent généreusement, il est aimable et blagueur, mais dès qu’une personne traîne un peu trop à lui faire la conversation, il nous glisse qu’on ne devrait pas rester ici, comme si les gens du coin ne devaient pas entendre ça, comme si ce vieil homme affable s’était construit un personnage civil qu’il ne fallait pas déconstruire. On devine ici la double vie des individus emportés dans le maelström révolutionnaire, même après de longues années, le monde normal est incompatible avec ce qui les a tant traversés. Il nous apprendra plus tard qu’il est plutôt discret sur son passé et sa pensée politique avec son entourage. Il va même voter, non parce qu’il y croit, mais vivant dans un petit village, il ne veut pas être repéré comme « le mec qui ne vote pas ». Il aime voir les gens du coin, traîner au café associatif, faire de la chasse avec ses amis, mais il n’a pas perdu son élitisme politique. Il sait qu’il n’a pas besoin de leur partager ça, « ils ne comprendraient pas ».
Nous commençons ce récit - à défaut de nos échanges – par le début : né en 1946 d’une famille bourgeoise, sa mère se retrouve sans le sou et seule à devoir élever ses deux enfants après que leur père les ait abandonnés. Il est pris en charge par sa grand-mère pendant que sa mère fait des allers-retours pour trouver du travail. Il arrête l’école à 13-14 ans et devient laveur de carreaux à son compte. Il passe son BEPS-2 et entre rapidement dans le monde de l’entreprise, puis gravit les échelons et se retrouve cadre d’une grosse entreprise où il est responsable de tout le sud-ouest à 19 ans. Marié à une femme dont il se souvient tendrement : « des conneries, on n’arrivait même pas a baiser ! » (ce franc-parler au mélange d’argot tout droit issu de la génération soixante-huitarde fera la teinte de l’entretien), il mène une vie exemplaire sans se douter du tournant radical que celle-ci prendra quelques temps plus tard.
ARTICLE EN INTÉGRALITÉ: https://lundi.am/Un-Vandaliste-a-la-retraite?sfnsn=scwspmo