Article épinglé

samedi 21 juin 2025

Du GUD à l’A69 : Bernard Carayon, ou la droite béton

 

Qui est Bernard Carayon, en première ligne pour défendre le projet de l’A69 et insulter ses opposants ? Du GUD à Pierre Fabre, du secret des affaires à l’union des droites, portrait d’un politicien brut de décoffrage, comme un poisson dans l’eau dans le cloaque politique et médiatique d’aujourd’hui.

Publié le 20 juin 2025 , par Barnabé Binctin

Sans surprise, il fut l’un des premiers à se féliciter de l’autorisation de la reprise des travaux sur le chantier de l’A69, décidée par le Cour administrative d’appel de Toulouse, le 28 mai dernier. « Le bon droit et le bon sens enfin réconciliés ! » a salué Bernard Carayon sur X, s’arrogeant au passage les mérites du projet – « J’avais lancé l’opération en 2010 ! » Un mois plus tôt, sur le même réseau, il se demandait pourtant : « Pour qui roule en France la juridiction administrative ? Pour les islamistes ? Les écoterroristes ? »

Le maire de Lavaur a la gâchette facile lorsqu’il s’agit de défendre le projet d’autoroute A69

C’est que le maire de Lavaur, une commune de 10 000 habitants dans le sud-ouest du Tarn, à une quarantaine de kilomètres de Toulouse, a la gâchette facile lorsqu’il s’agit de défendre le projet d’autoroute, dont il se fait volontiers le héraut sur les chaînes d’info en continu. « Décroissants archaïques », « bobos pacsés à l’ultragauche », ou encore « extrémistes pro-Hamas » : les opposants à l’A69 ont dû s’habituer aux outrances verbales de celui qui est par ailleurs avocat [1]. En novembre 2023, Bernard Carayon concluait ainsi une tribune publiée dans Le Figaro : « Les pieds dans la glaise, je dis aux rouges/verts : ‘no pasaran’ ».

Dans ce même tweet victorieux du 28 mai, Bernard Carayon interpelle le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, l’enjoignant « d’ assurer strictement la sécurité des ouvriers et des entreprises de notre chantier face aux #écoloterroristes ». La manœuvre est également politique, tout juste dix jours après la victoire de ce dernier à la présidence des Républicains. Car Bernard Carayon est aussi le champion d’une autre cause : l’union des droites. L’an passé, après avoir ardemment soutenu l’alliance avec l’extrême-droite aux législatives sous l’égide d’Éric Ciotti, il fut l’un des tous premiers à le rejoindre dans l’aventure politique de l’UDR (Union des Droites pour la République), suite à son départ de la présidence des Républicains. Le cordon sanitaire a toujours été un concept parfaitement étranger aux yeux de Bernard Carayon, et pour cause : c’est au GUD (Groupe Union Défense), organisation de jeunesse d’extrême-droite ultraviolente dont il dirigea la revue Vaincre, qu’il fit ses premières armes en politique.

Au service des multinationales

Au-delà des effets de manche, les vitupérations de Bernard Carayon sur l’A69 reflètent aussi une autre facette du personnage : son engagement inconditionnel pour les grandes entreprises et pour discréditer leurs opposants. C’est lui qui, en 2012, alors député sous la bannière de l’UMP, porte haut et fort la reconnaissance d’un délit de secret des affaires, visant à engager la responsabilité pénale de toute personne divulguant des informations protégées « sans autorisation de l’entreprise ». Une sorte de « secret-entreprise », calqué sur le modèle du « secret-défense », pour faire régner l’omerta sur le monde économique (lire Secret des affaires. Adoptée à l’Assemblée nationale, la proposition de loi échoue à passer au Sénat, à la faveur de l’alternance politique. Mais la bombe à retardement est enclenchée : après être d’abord réapparue, en des termes similaires, dans un projet de loi d’Emmanuel Macron, alors hôte de Bercy en 2015, l’idée aboutit finalement en 2018 dans le cadre de la loi relative à la protection du secret des affaires. Celle-là même qui permet aujourd’hui de protéger les annexes du contrat de concession de l’A69 conclu entre l’État et Atosca, la société chargée de construire puis exploiter la future autoroute entre Toulouse et Castres.

Bernard Carayon aime se présenter comme le père fondateur de l’intelligence économique à la française

Bernard Carayon aime se présenter comme le père fondateur de l’intelligence économique à la française [2]. En 2003, à la demande du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, il s’était chargé d’un rapport sur le sujet, formulant 38 propositions – parmi lesquelles, déjà, un droit au secret des affaires. À la suite de quoi il lance, en 2005, la fondation Prometheus avec plusieurs grands groupes français parmi lesquels Areva, Safran, Dassault Aviation ou encore Thales. Qualifiée à sa création de « premier do-tank français » par son président-fondateur, avec l’objectif de « produire une pensée opérationnelle » pour aider l’État qui « manque de d’outils et de méthodes pour répondre à certains enjeux stratégiques », la fondation n’a pas laissé une trace indélébile dans l’Histoire. Elle semble en sommeil depuis plusieurs années. Son principal fait d’armes ? Un prétendu « baromètre de transparence des ONG », qui tentait de renverser le stigmate de l’opacité dont les grandes entreprises se trouvent régulièrement affublé. Une façon de « c’est-celui-qui-dit-qui-y-est » qui visait évidemment, en premier lieu, les associations environnementales ou défenseuses des libertés publiques. En 2009, le mouvement France Nature Environnement s’était ainsi vu octroyé la note de… 1/10.

Du GUD à Ciotti

« Ma jeunesse nationaliste [au sein du GUD] ? (…) Je me suis effectivement battu physiquement contre l’extrême-gauche, confiait récemment Benard Carayon, face caméra, à Paul-Marie Couteaux [3], ancien porte-parole de Marine Le Pen en 2012, reconverti directeur de la rédaction de Le Nouveau conservateur, une revue trimestrielle prônant l’union des droites [4]. Je n’ai ni remords ni regrets (...). L’Histoire nous a donné raison. »

Ma jeunesse nationaliste [au sein du GUD] ? Je n’ai ni remords ni regrets

La suite de son histoire à lui l’a mené dans le Tarn, sur les propres terres de sa famille de châtelain – Bernard Carayon de Lagayé, de son nom complet. En 1993, il est élu député pour la première fois, avec l’étiquette du RPR. Puis en 1995, il emporte la mairie de Lavaur, avec les mêmes couleurs mais aussi avec le concours de sympathisants lepénistes, inscrits sur sa propre liste [5]. Depuis, il y règne sans discontinuer, en cumulant régulièrement avec des mandats de conseiller général et de conseiller régional.

Désormais au sein du micro-parti de l’UDR, Bernard Carayon y croise peut-être la route de Pierre-Édouard Stérin, le milliardaire ultra-conservateur qui se rêve en architecte de l’union des droites extrêmes. En février dernier, Le Monde révélait que le fondateur de SmartBox s’y montre « particulièrement influent », deux de ses proches étant à la manœuvre pour en écrire le programme économique. À l’automne, Éric Ciotti s’était par exemple fermement opposé aux hausses d’impôt exceptionnelles sur les bénéfices des grandes entreprises et les très hauts revenus. Ce qui ne fut certainement pas pour déplaire à Pierre-Édouard Stérin, exilé fiscal en Belgique.

Mais que peut bien en penser Bernard Carayon, lui qui n’a que le « patriotisme économique » à la bouche ? Et comment celui qui continue de se revendiquer haut et fort du gaullisme peut-il accepter une alliance avec le RN, un parti fondé entre autres par d’anciens SS ? Pour tenter de le comprendre, nous avons sollicité un entretien directement auprès de lui. Mais voilà, le contradictoire, de même que la transparence, reste un concept à géométrie variable, chez l’homme de droit.

L’ « Histoire », encore et toujours : Bernard Carayon n’aime rien moins qu’y faire référence, pour ponctuer ses interventions avec grandiloquence. Comme lorsqu’il contestait les chiffres officiels d’une des « Manif’ pour tous » à laquelle il participait, en mai 2013, par le biais d’une réinterprétation pour le moins audacieuse : « À la Libération, il y aura beaucoup de tondu(e)s ! #Boycottonslesmédiascomplices » À l’époque, le tweet avait scandalisé jusque dans les propres rangs de l’UMP. Comme si sa propre famille politique découvrait les états de service d’un homme passé par le Club de l’Horloge – groupe de réflexion qui a servi d’incubateur aux idées d’extrême-droite [6] – dans les années 80, avant de cheminer longtemps aux côtés de Charles Pasqua puis de rejoindre un temps le micro-mouvement de la Droite Populaire, aux côtés de Thierry Mariani, au tournant des années 2010.

Aujourd’hui, certains plaident la théorie de la brebis galeuse, aussi isolée qu’insignifiante : « Bernard Carayon ? C’est le Nicolas Dupont-Aignan du sud, avec le même résultat. Son influence est nulle, il n’a jamais incarné aucun courant. C’est du ’clapotis’ : un pet dans un bain, ça n’a jamais fait un jacuzzi », cingle Jérôme Lavrilleux, ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé lorsque celui-ci présidait l’UMP. Mais en réalité, « la trajectoire de Bernard Carayon est caractéristique de ces anciens ’gudards’, tel Gérard Longuet, qui ont su se racheter une respectabilité en rejoignant les cabinets politiques de la droite chiraquienne [Bernard Carayon entra au cabinet de Chirac à la mairie de Paris en 1984, ndlr], tout en continuant à défendre une ligne très dure et prôner l’union avec l’extrême-droite », explique Erwan Lecoeur, politologue.

C’est le Nicolas Dupont-Aignan du sud, avec le même résultat. Son influence est nulle

À moins d’un an des prochaines élections municipales, Bernard Carayon se représentera-t-il à la mairie de Lavaur pour un sixième mandat consécutif ? Retentera-t-il sa chance à la députation en 2027 (ou avant) ? Quels que soient les desseins du père, la passation de témoin semble déjà assurée au sein de la famille Carayon. Parmi les quatre enfants, deux sont aujourd’hui engagés en politique : il y a Inès de Ragenuel, conseillère municipale d’opposition à Paris, élue sur la liste de Rachida Dati dans le 15ème arrondissement, et par ailleurs épouse de Louis de Raguenel, chroniqueur régulier de CNews, et ancien rédacteur en chef de Valeurs Actuelles, artisan en chef du virage radical entrepris par cet hebdomadaire d’extrême-droite. Et il y a Guilhem de Carayon, le benjamin de 26 ans. Défenseur d’une droite « décomplexée », il a d’abord été élu président des Jeunes Républicains en 2021, puis nommé porte-parole et vice-président de LR par Éric Ciotti en 2023. Avant de suivre ce dernier dans son rapprochement avec le Rassemblement national, en œuvrant personnellement à ficeler l’accord en vue des législatives 2024 : las, candidat dans la 3ème circonscription du Tarn sous la bannière LR-RN, Guilhem de Carayon échoue finalement de quelques voix à être élu au Palais-Bourbon, battu par le même candidat que son père en 2017.

Pierre Fabre, une influence déterminante

Pierre Fabre avait également beaucoup donné à Lavaur, et à son maire Bernard Carayon

La carrière de Bernard Carayon doit également beaucoup à un homme, et pas n’importe lequel : le tarnais Pierre Fabre, fondateur du groupe pharmaceutique du même nom, l’un des patrons les plus notables du capitalisme français de la seconde moitié du XXème siècle. Au lendemain de sa mort en juillet 2013, à Lavaur où il résidait, Bernard Carayon s’était ainsi fendu d’une véritable oraison funèbre, dans le journal municipal. « Lavaur a perdu son meilleur ami, son plus fidèle et son plus désintéressé soutien (…), un modèle et un guide, merveilleusement attachant. » Non sans s’attribuer à nouveau, un peu plus loin, quelques mérites quant à sa prétendue philantropie : « Seul encore en France, il avait donné, il y a quelques années, à sa Fondation, l’essentiel de son capital, après que j’ai eu l’idée et fait voter à l’Assemblée nationale une loi, en 2005, l’y autorisant. » Surnommés les « amendements Pierre Fabre », ces textes sur-mesure ont ainsi permis à l’homme d’affaires, sans descendance, de transmettre 66 % de ses actions à la fondation, reconnue d’utilité publique, qui portait son nom. Jusqu’alors, aucune fondation de ce type ne pouvait détenir plus du tiers d’une société privée, afin d’éviter tout mélange des genres [7]. Un privilège rendu possible par Bernard Carayon, et qu’il justifiait ainsi, en 2013 : « Un homme qui donne 66 % de ses biens à la nation, c’est tellement inimaginable. »

Pierre Fabre, Wikimedia Commons

De son vivant, Pierre Fabre avait également beaucoup donné à Lavaur, et à son maire Bernard Carayon – dont il a publié certains des livres par le biais des éditions Privat, propriété du groupe Sud Communications, fondé par l’industriel, qui a longtemps contrôlé l’hebdomadaire Valeurs Actuelles. Et en premier lieu, l’impressionnant site du Cauquillou, qui abrite le siège administratif et commercial de la branche dermato-cosmétique de son groupe depuis 2000. Un complexe flambant neuf, au style futuriste [8], qui a fini par constituer comme « une petite ville à l’intérieur de la ville ». « On connaît tous quelqu’un qui y travaille », raconte une habitante. Une proximité qui concerne également les élus locaux, régulièrement confrontés à des situations de conflit d’intérêt : certains ont travaillé directement pour le groupe Pierre Fabre, ou leur conjoint, d’autres font appel pour leur campagne électorale aux services de l’imprimerie Art et caractères, également liée au groupe [9].

Et puis il y a le projet d’autoroute A69, encore elle, pour laquelle Pierre Fabre s’est engagé personnellement, plaidant sa cause au plus haut sommet de l’État jusqu’à sa mort. L’industriel a pu compter sur le relais précieux de Bernard Carayon tout au long de ses années à l’Assemblée nationale. Ce que le politologue Emmanuel Négrier, spécialiste de l’extrême-droite dans la région Occitanie, appelle « un député d’entreprise » : « Comme naguère le sénateur Louis Souvet, ancien cadre chez Peugeot, et d’autres, ce sont des élus qui profitent de la représentation nationale pour défendre des intérêts privés avec lesquels ils sont en totale connivence sur leur territoire. »

Autoritarisme et misogynie

C’est peu dire que les questions de genre semblent tout particulièrement hérisser Bernard Carayon

Dans le Tarn, personne n’a véritablement été surpris par l’agressivité de Bernard Carayon au moment de promouvoir l’A69. « C’est très difficile de débattre avec lui, son bagout et sa prestance verbale lui donnent un air d’autorité dont il aime jouer pour se mettre en position de supériorité », témoigne ainsi Julien Lassalle, candidat du NFP aux dernières législatives, qui croise le fer avec Bernard Carayon au sein de la communauté de communes Tarn-Agout. Pauline Albouy-Pomponne, conseillère municipale d’opposition à Lavaur, connaît mieux que quiconque les oukases de l’édile local : « Sa technique, c’est d’intimider et de pilonner ses adversaires d’attaques personnelles pour les décourager. » Elle-même dit avoir déjà songé à porter plainte pour harcèlement devant l’accumulation de ces « petites humiliations du quotidien » dont le maire est coutumier, en conseil municipal comme sur les réseaux sociaux : « C’est le refus de prononcer mon nom complet en choisissant toujours celui du mon mari, c’est ce ton très paternaliste avec lequel il s’adresse à moi – en prenant toujours soin de dire Madame LE conseiller municipal... »

C’est peu dire que les questions de genre semblent tout particulièrement hérisser Bernard Carayon. Fin 2021, ce dernier avait ainsi fait voter une délibération modifiant le règlement intérieur de la ville, afin de proscrire l’utilisation de l’écriture inclusive – « cet usage loufoque, importé des États-Unis par la pseudo-culture woke » – dans le journal municipal ou les actes administratifs. Une opposante politique raconte la « misogynie ordinaire » : « Les remarques déplacées sont monnaie courante. Il a déjà essayé de m’expliquer que les inégalités hommes-femmes provenaient de l’acte sexuel : c’est la ‘géographie des corps’, selon lui, qui justifierait les rapports de domination… »

Bernard Carayon n’habite pas à Lavaur, mais à la capitale où se trouve son cabinet d’avocat, dans les quartiers chics du 7ème arrondissement. Ce qui occasionne forcément quelques aménagements : « Les conseils municipaux ne sont pas programmés, on les apprend toujours cinq jours à l’avance, c’est à son bon vouloir », témoigne Pauline Albouy-Pomponne. Et quand Bernard Carayon n’est pas présent à Lavaur, il peut toujours compter sur les caméras de vidéo-surveillance, dont il a parsemé les rues de la ville – plus de 80 selon les chiffres de l’opposition. « L’insécurité quotidienne est de plus en plus violente. N’oublions pas que Lavaur est proche de l’agglomération toulousaine, avec des bandes qui peuvent, via l’autoroute, accéder très rapidement chez nous », expliquait-il en 2015, afin de défendre l’armement de ses policiers municipaux.

« Un agent de l’extrême-droitisation des esprits »

En juin 2023, Bernard Carayon a mené campagne contre le projet d’installation d’un CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asiles, ndlr) dans la commune tarnaise de Réalmont. Face aux manifestations de Patria Albiges, un groupe néofasciste en plein essor à Albi, et devant la crainte d’un nouveau « scénario à la Saint-Brévin » [10], les pouvoirs publics flanchent et abandonnent le projet en annonçant répartir les réfugiés sur l’ensemble du territoire. Nouveau coup de semonce de Bernard Carayon qui se fend d’un courrier adressé à tous les maires du département pour les enjoindre à refuser l’arrivée de « dizaines de milliers de migrants (sic), séjournant jusqu’à présent, irrégulièrement ou non, dans la région parisienne ». Une position qu’il développa par ailleurs dans une chronique sur Boulevard Voltaire, un média d’extrême-droite où il a ses habitudes : « Il faut être macroniste ou mélenchoniste pour rêver de faire vivre aux autres les joyeusetés de la banlieue à la campagne. »

Les manifestations d'activisme fasciste – les campagnes d’affichage « On est chez nous » de Génération identitaire, les milices d’extrême-droite sur le barrage de Sivens puis sur des contre-manifestations pro-A69, l’émergence de Patria Albiges – ont fleuri dans le Tarn ces dernières années

Arrivée dans le Tarn il y a vingt ans, Bérengère Basset énumère toutes les manifestations d’activisme fasciste – les campagnes d’affichage « On est chez nous » de Génération identitaire, les milices d’extrême-droite sur le barrage de Sivens puis sur des contre-manifestations pro-A69, l’émergence de Patria Albiges – qui ont fleuri dans le département en quelques années. « Existe-t-il des liens directs entre Bernard Carayon et ces mouvements-là ? Impossible à dire pour le moment, témoigne la co-secrétaire départementale de Solidaires dans le Tarn, également membre de Vigilance syndicale antifasciste. Mais à travers ses discours, Bernard Carayon est l’un des principaux agents de l’extrême-droitisation des esprits. On le retrouve sur tous les grands combats symboliques, et il bénéficie de vrais relais médiatiques pour agiter la panique morale dans la population. On le laisse mener sa barque beaucoup trop tranquillement. » En 2022, le Tarn élisait ainsi pour la toute première fois un député RN, Frédéric Cabrolier. Celui-là même qui s’est opposé, en 2023, aux côtés de Bernard Carayon, à la tenue d’un concert à Albi du rappeur Médine, symbole tout-trouvé d’islamogauchisme.

« Si le RN développe une telle hégémonie dans des territoires où il était historiquement faible, c’est d’une part parce qu’il bénéficie d’une reconnaissance politique par le biais de nouvelles alliances institutionnelles, et d’autre part parce qu’il se voit légitimer dans ses thématiques. Et Bernard Carayon joue exactement sur ces deux tableaux », analyse le politologue Emmanuel Négrier. Ce dernier nuance cependant : « Il ne faut pas sur-estimer l’influence et le leadership personnels de Carayon dans la région, ni sur-estimer non plus sa propre cohérence idéologique. Il y a aussi une forme d’opportunisme, au moment où la droite s’effondre sur son territoire et où le RN y conquiert des voix. Bernard Carayon n’hésitera pas à pactiser selon ses propres intérêts, quand bien même il ne se trouve pas aligné avec toutes les positions de ses partenaires, notamment en matière de politiques économiques. »

Ce que le premier concerné reconnaissait lui-même, lorsqu’il appelait la droite à s’allier avec le bloc d’extrême-droite lors des dernières législatives : « Faudrait-il s’interdire de partager la plateforme du RN qui ressemble à s’y méprendre à nos propres idées, à l’exception de la question économique ? »

Au fond, sa ligne politique ne serait pas si difficile à comprendre, à en croire Gérard Onesta, ancien député européen écologiste, et tarnais d’origine : « Extrêmement ferme dans le verbe, et extrêmement souple quand il faut ramper pour obtenir quelque chose. » Si, sur la question économique, les droites extrêmes restent taraudées par des lignes contradictoires, ultralibérales, souverainistes ou populistes, elles savent s’unir, comme souvent, pour s’attaquer à leurs ennemis communs : les écologistes, les ONG, les défenseurs de l’état de droit. Sur ce point-là au moins, Bernard Carayon aura toujours été cohérent.