Russia Beyond (Photos : Nathalie Samoïlov; Legion Media; Musée Pouchkine)
Nadia Léger, artiste et épouse
du célèbre peintre moderniste français Fernand Léger, a quitté son
village sur le territoire de l'actuelle Biélorussie, s'est fait un nom
en France et a consacré la fin de sa vie à établir des relations entre
l'Europe et l'URSS.
Cette
femme infatigable était surnommée « Nadia la cosaque » lorsqu'elle
était encore enfant pour son audace et son courage. Née en 1904 dans un
village près de Vitebsk (aujourd’hui en Biélorussie), dans une famille
pauvre : son père vendait de la vodka, tandis que sa mère tissait et
élevait neuf enfants. Ils vivaient une vie paysanne typique. Nadia a
rappelé qu'elle passait des jours et des jours dans le jardin à planter
des pommes de terre et qu'elle peignait la nuit - la petite fille a
révélé son talent très tôt. C’est à cette époque qu’elle a décidé de
devenir artiste.
Objectif : Paris
Adolescente,
après avoir lu dans un journal un article sur Paris, « où vivent tous
les artistes », elle s'enfuit de chez elle pour s'y rendre en train.
Reconnue à la gare suivante, elle est ramenée chez elle.
Avec le début de la Première Guerre mondiale,
la famille a souvent déménagé et la fille reçoit les bases d’une
éducation artistique dans un atelier provincial. À l'âge de 15 ans, elle
s'enfuit à nouveau, cette fois à Smolensk, où des « ateliers d'art de
l'État libres » voient le jour. Cette autodidacte talentueuse y est
immédiatement admise. Pendant de longues années, elle a vécu « de pain
et d’eau ». Ainsi, à Smolensk, avant qu’elle soit hébergée par des
professeurs d'atelier, elle passait la nuit dans un vieux wagon sur les
voies de garage de la gare. Les premières expérimentations artistiques
de Nadia se situent dans le domaine de l'abstraction pure. Après avoir
rencontré Kazimir Malevitch, elle passe au suprématisme.
Devenue artiste d'avant-garde, elle déménage en Europe, d’abord en Pologne ; mais le but final est toujours le même - Paris
! Nadia se souvient des racines polonaises de son père, change de
religion (devient catholique) et, en tant que réfugiée, se retrouve en
1921 à Varsovie. Son objectif est l'Académie des Arts, où elle entre par
concours. Les conditions de vie sont difficiles: d'abord un refuge,
puis elle décroche un emploi de bonne avec logement. Ensuite,
lorsqu'elle est admise pour étudier, elle gagne de l'argent comme
modiste dans une chapellerie. Cette femme s'est toujours distinguée non
seulement par son courage et son audace, mais aussi par ses capacités de
travail phénoménales. Elle a rappelé que dans sa jeunesse, elle pouvait
facilement dormir pas plus d'une heure par nuit, mais qu’elle n’était
pas fatiguée pendant la journée.
Le rêve prend vie
Sa
vie prend une nouvelle tournure avec son mariage et son déménagement à
Paris. Son premier mari, Stanislav Grabovski, étudiait également à
l'Académie. Il était issu d'une famille aisée, et à Paris les jeunes ne
vivaient pas dans la misère. En 1924, le couple entre dans une académie
d'art privée fondée par l'idole de Nadia, le moderniste Fernand Léger.
Par la suite, elle a rappelé qu'elle avait lu pour la première fois des
articles à son sujet dans un journal au cours de ses années cruciales de
formation, lorsque le suprématisme ne lui convenait plus, mais qu'elle
ne parvenait pas à trouver une nouvelle voie. L'esthétique de Léger et
les principes de retour à la forme qu'il prêchait ont été pour elle une
révélation, une nouvelle base.
À Paris, Nadia a non seulement étudié, mais a immédiatement commencé à
se faire des connaissances dans les milieux de l'art et à vendre ses
œuvres, gagnant rapidement d’importantes sommes grâce à cela. Son mari
n'a pas eu autant de succès, et des désaccords ont commencé à émerger
sur cette base. Le couple a divorcé. Nadia est restée avec sa petite
fille à sa charge, et a recommencé à faire des petits travaux : elle est
embauchée comme servante dans une pension où elle occupait auparavant
les meilleures chambres. Mais malgré les difficultés de la vie, elle a
continué à étudier dur. Et elle a même trouvé le temps de publier un
magazine sur l'art contemporain sur ses modestes deniers.
En 1939,
à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Fernand
Léger propose à la talentueuse étudiante le poste de son assistante,
mais la guerre retarde ce projet. Léger, membre du Parti communiste
français et figurant sur les « listes noires » nazies, émigre aux
États-Unis et revient en 1945, tandis que Nadia reste à Paris. Sous
l'influence de Léger, elle rejoint également le Parti communiste, et
avec le déclenchement de la guerre, elle entre dans la clandestinité et
travaille pour la Résistance.
Elle a raconté qu'elle avait même un petit pistolet. Toutefois, elle
était principalement engagée dans la création et la publication de
tracts de propagande.
Fernand Léger. Portrait de Nadia Léger, 1948, Musée Pouchkine.
Après
le retour de Léger, Nadia a retrouvé son poste d’assistante. Elle a
également continué à créer par elle-même. Son genre de prédilection
était le portrait, esthétiquement proche de l'expressionnisme
d'après-guerre dans l'esprit de David Siqueiros. En 1951, l'épouse de
Léger, avec qui il a vécu pendant plus de trente ans, décède. Et un an
plus tard, l'artiste demande la main de son assistante de longue date,
sur laquelle il comptait pour tout. Il avait déjà 70 ans, Nadia en avait
moins de 50. Les dernières années de la vie de Léger se sont passées
aux côtés de Nadia, qui s’appelait désormais Khodassevitch-Léger.
Le
grand artiste est décédé en 1955, le mariage n'a duré que trois ans,
mais Fernand a déclaré qu'il n'avait jamais été aussi heureux. Léger a
laissé à sa femme un héritage considérable. Nadia a oublié le mot
« pauvreté » pour toujours. Outre d’importantes sommes et plusieurs
maisons, son legs principal est le patrimoine artistique colossal de
Fernand Léger, que Nadia décide de mettre dans un musée - dans le sud de
la France dans la ville de Biot, où, peu avant la mort de Fernand, le
couple avait acheté une maison de campagne.
Fernand Léger. Portrait de Nadia Léger, 1949, Musée Pouchkine.
Nadia consacre le reste de sa vie à populariser l'œuvre de Léger, y
compris en URSS, où l'artiste aux idées de gauche a été bien accueilli.
Immédiatement après la guerre, Nadia rejoint l'organisation Union des
patriotes soviétiques, qui réunit les émigrés russes en France. En
1945, sous les auspices de l'Union, elle lance une importante exposition
caritative et une vente aux enchères d'artistes contemporains (Léger,
Braque et Picasso)
afin de récolter des fonds pour les anciens prisonniers de guerre
soviétiques. Après la mort de son mari, grâce à ses connaissances au
sein du Parti communiste français, elle noue des liens avec leurs
« collègues » russes, notamment avec la ministre soviétique de la
Culture Ekaterina Fourtseva. Grâce à cela, en 1959, elle se rend pour la
première fois en Union soviétique et commence à soutenir activement les
échanges culturels entre l'URSS et la France. Les années de dégel lui
sont bénéfiques : l'initiative de la communiste française est vue d'un
bon œil.
De gauche à droite : Nadia Léger, Ekaterina Fourtseva et Maïa Plissetskaïa, 1968Alexandre Konkov / TASS
En 1963, elle organise la première exposition monographique de Léger
en Russie, présente à plusieurs reprises son travail dans des
expositions de collections et fait également don d’œuvres de son mari à
des musées soviétiques. Elle promeut les écrivains et réalisateurs
russes en Occident (notamment Konstantin Simonov, dont elle était une
amie proche). En 1972, Khodassevitch-Léger a reçu l'Ordre de la bannière
rouge du travail « pour sa grande contribution au développement de la
coopération franco-soviétique ».
Nadia Léger. Broche "Lune". 1970, Musées du Kremlin de Moscou.
Il existe aujourd'hui de nombreuses œuvres de Nadia Léger elle-même
au Musée national d'art de Biélorussie, où elle les a offertes en 1967
en hommage à ses racines. De plus, les musées du Kremlin contiennent une
collection de ses bijoux en or, platine et diamants - elle les a
offerts au gouvernement soviétique en 1976. Et quiconque peut voir les
mosaïques de Nadia à Doubna, près de Moscou : elles décorent les allées
de deux maisons de la culture locales. L'artiste a en outre réalisé une
série de portraits en mosaïque de personnalités russes de la culture et
de la science en cadeau à la Cité scientifique soviétique.
La historia de Kathaarsys puede rastrearse desde
finales de los años 90, J.L Montáns comenzó por entonces a buscar
músicos para formar una banda de rock/metal y la primera agrupación
seria y con cierta trascendencia local será Elsenor que autoeditará una
demo hoy imposible de conseguir. A partir del año 2000 JL Montáns se
decidirá a emprender un proyecto más serio, con influencia ya del
aspecto más progresivo y extremo del metal, para el que serán necesarios
4 años de trabajo hasta que a finales de 2004 se graba Portrait of Wind
and Sorrow, la banda había permanecido en el más absoluto anonimato
concediendo solo algunos conciertos locales muy puntuales en los que ya
empieza a usarse el nombre actual de la banda.
Portrait of Wind
and Sorrow será grabado, autoeditado y promocionado por JL Montáns
(quien además grabará la mayor parte de guitarras, todas las voces y el
bajo, además de ser el único compositor de música y letras) durante el
año 2005, ante la falta de interés de los miembros iniciales del
proyecto. En este momento ingresa en la banda M. Barcia como bajista y
pocos meses después A. Hernandez comenzará a ensayar con Kathaarsys
hasta su ingreso definitivo en la banda ya en el año 2006. La formación
actual ya estaba consolidada y Kathaarsys entra en estudio a finales de
2006 para grabar el doble álbum Verses in Vain después de firmar
contrato con el sello Silent Tree Productions. Verses in Vain marca un
antes y un después en la historia del grupo puesto que la banda pasa de
hacer conciertos a nivel local a girar por Europa en varias ocasiones
presentando el nuevo álbum incluso en América. Entre 2006 y 2008
Kathaarsys realizará más de 150 conciertos y la popularidad de la banda
empezará a crecer a nivel internacional.
La música de Kathaarsys
en estos años es extraordinariamente compleja, temas muy largos,
planteamientos conceptuales muy elaborados con una lírica orientada a
temas existenciales e intimistas pero siempre con una relación de cierto
tinte pagano o naturalista vinculada a su tierra natal, Galicia.
A
finales de 2008 tras la finalización del primer tour mundial del grupo
comienza la grabación de un nuevo álbum, “Anonymous Ballad”, un disco
más maduro y personal con temas más directos pero igualmente complejos y
una historia conceptual aun más elaborada que tendrá continuación en
los próximos trabajos. Dicho álbum sale en 2009, concretamente en marzo,
y es grabado en Argentina, en La Nave de Oseberg.
En 2009,
después del éxito de “Anonymous Ballad”, el grupo vuelve a reunirse para
componer nuevo material. Después de un tiempo no muy largo, sale a la
luz "Intuition", un año y unos días después de su anterior disco.
Con
"Intuition" el grupo se adentra en el mundo del jazz casi totalmente
sin perder su estilo y originalidad. Una mezcla de rock progresivo,
black metal y jazz al estilo de la vieja escuela hace de este disco una
obra de arte del metal progresivo de los últimos años.
La gira
"Intuition" les hace girar por toda Europa. Más de 100 conciertos por
toda España, Bélgica, Romanía, Croacia, Francia, Portugal, Reino Unido,
Finlandia, etc y una grabación de DVD en Santiago de Compostela (con
lanzamiento previsto para 2011).
Tras "Intuition" empiezan a
trabajar en su próximo disco "Rara Vez" que sale a la luz en 2012 y que
supone un giro total en la música de la banda. Ya asentados como dúo
(Marta y J.L.) crean un nuevo concepto y filosofía musical que se
posiciona al margen de todo lo anterior creado por ellos. En "Rara Vez"
nos encontramos a unos Kathaarsys predominantemente instrumentales (una
única canción contiene letra) en los que estilos como la música clásica y
el rock progresivo con gran influencia del flamenco de bandas como
Triana toman el control sobre una base de piano muy marcada. Tras su
experimentación en 2010 con el jazz fusion y el metal progresivo vuelven
a innovar saliendo muy bien parados.
En
diciembre 2014 con "Describing The Paradox Vol. I" Marta y Jose
vuelven a adentrarse una vez más en la experimentación, demostrando que
son capaces de crear lo que quieran, cuando quieran y como quieran sin
perder su creatividad. Alejados y a la vez cercanos a sus orígenes crean
este álbum de cuatro cortes con aparentes expectativas de condensar
todo lo que han sido y son en poco más de treinta minutos. Vuelven de
nuevo a acercarse sigilosamente al metal extremo, pero esta vez
incorporando matices de todo tipo e incluso partes acústicas.
"Describing The Paradox Vol. I" es un todo que completa parte del
camino recorrido desde sus orígenes más remotos hasta la maduración
musical de sus dos miembros.
L’ancien président des Philippines Rodrigo Duterte a été arrêté à
Manille et emmené à La Haye, où il sera jugé pour crimes contre
l’humanité par la Cour pénale internationale.
De 2016 à 2022, le gouvernement de Duterte a mené une campagne
d’exécutions de masse de gens soupçonnés de consommer de la drogue. On
estime que 27 000 personnes, pour la plupart pauvres et indigentes, ont à
sa demande, été exécutées sans procès par des policiers et des milices.
Les enfants ont également été régulièrement victimes des raids
antidrogue de Duterte, que ce soit en tant que victimes collatérales ou
en tant que cibles.
Pendant ce temps, les États-Unis fournissaient des dizaines de
millions de dollars par an à l’armée et à la police nationale
philippines. Les fonds se sont déversés pratiquement sans interruption,
tandis que les groupes de défense des droits humains du monde entier
criaient au scandale.
Dès le début, Duterte avait fait part de son intention de mener une
répression brutale contre la drogue. Avant d’accéder à la présidence, il
avait été maire de Davao, la troisième ville du pays. C’est là qu’il a
présidé à l’exécution de 1 400 criminels présumés et enfants des rues
par un groupe de voyous justiciers connu sous le nom d’« escadron de la
mort de Davao ». Duterte a d’abord nié toute implication directe dans
ces mises à mort, avant de laisser entendre qu’il les avait en fait
soutenues, en déclarant : « Comment ai-je obtenu ce titre de ville la
plus sûre du monde ? En les tuant tous. »
Reporters
Sans Frontières (RSF) a toutes les audaces, tous les culots. Les
« salauds ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnaît ». L’assertion du
type Bernard Blier marche pour eux en changeant le premier mot. Voilà
une « ONG » qui n’en est pas une, puisqu’elle a avec constance touché de
l’argent des USA et d’Israël, voilà qu’en novembre, dans son « Bilan
Annuel de la liberté de la presse dans le monde », elle refuse de
compter les journalistes assassinés par Israël à Gaza ! En effet pour
RSF les martyrs de presse Palestiniens ne sont pas de « vrais
journalistes ». Du type Robert Ménard.
Et
voilà qu’aujourd’hui, à Paris et à Marseille, cette OG (organisation
Gouvernementale) rejoint l’appel d’une cohorte d’honnêtes gens pour
protester contre les crimes israéliens commis contre les journalistes à
Gaza ! Faut vraiment être culotté.
Nous avons eu la preuve par Trump que RSF est un mistigri piloté par
les US : RSF a protesté contre la coupure des crédits exigée par le
blondinet qui règne à la Maison Blanche. Cette pleurnicherie était un
aveu, Washington ne verse plus de sous aux héritiers de Ménard ce qui
« met en danger la liberté de la presse ». Disent-ils. Il faut entendre
ou lire ce paradoxe pour le croire. Donc, puisque Trump garde ses sous,
la puce change d’âne et RSF entend taper la caisse de l’Europe (qui lui
verse déjà un million d’euro par an).
Résumons. RSF a vécu de l’argent américain et israélien, et un peu
des largesse de Bongo. En Echange RSF a toujours très bien classé Israël
dans son « Palmarès mondial de la démocratie », et tant pis pour les
journalistes Palestiniens, et quelques occidentaux, assassinés par Tel
Aviv. Miracle et nouveau marketing, cette engeance que Macron à naguère
nommée pour assurer la police au sein de la presse, s’en vient pleureur
sur Gaza. Ménard reviens ils sont devenus fous !
Qui connaît Nadia Léger ? Ou plutôt qui connaît son œuvre ? Car si
elle est connue dans les milieux artistiques pour avoir été la femme de
Fernand Léger, pas un musée français ne présente l’une de ses toiles.
Celle qui était surnommée la milliardaire rouge dans les années 60 a
pourtant été une personnalité très importante de la scène artistique
parisienne, des années 1930 aux années 1970. Pourquoi ses tableaux
ont-ils été invisibilisés de la sorte, boudés des spécialistes,
critiques et conservateurs au point qu’ils ont été effacés de l’histoire
de l’art ?
Parcours d’une femme prodige restée dans l’ombre
C’est Aymar du Chatenet qui lève le voile qui recouvrait sa très
grande oeuvre. Oeuvre qu’il découvre par hasard en rendant visite aux
descendants du couple Léger. Une centaine de tableaux se trouvent là,
empilés dans une pièce, abandonnés à l’oubli. Editeur de jeunesse mais
grand amateur d’art, celui-ci est surpris de faire cette découverte et
s’adresse aux spécialistes. Il découvre alors le mépris du milieu pour
cette femme, d’origine paysanne, et décrite comme une « communiste
enragée »[1].
Elle a aussi pâti de l’ombre de son mari, comme beaucoup d’épouses de
maîtres – pensons à Camille Claudel ou Frida Khalo dont les œuvres n’ont
pas été initialement reconnues à leur juste valeur.
Frappé par la splendeur de ses toiles, par son talent propre et par
la richesse de son itinéraire artistique, il entreprend de réparer cette
injustice. Au terme de dix ans de travail, il sort fin 2019 une somme
de 4,7 kg, qu’il qualifie de « pavé dans la mare » pour faire exister
l’oeuvre de cette femme hors pair et la sortir de l’oubli. De novembre
2024 à mars 2025, il a également coordonné une magnifique rétrospective
au Musée Maillol qui retraçait la vie et l’oeuvre de cette peintre
franco-soviétique jusqu’ici condamnée aux oubliettes. L’histoire de
l’art est, elle aussi, victime de l’anticommunisme…
Fille de la révolution
Nadiejda Khodossievitch naît en 1904 dans une famille paysanne pauvre
de neuf enfants, dans la région de Vitebsk dans l’actuelle Biélorussie.
Son père vend de la vodka et sa mère tisse. Toute jeune, elle passe ses
journées à planter des patates et raconte qu’elle peignait la nuit.
Naturellement douée pour le dessin et déterminée à devenir artiste, elle
prend des cours à l’Ecole des Beaux arts de Beliov puis intègre à
seulement 16 ans l’Atelier national des beaux-arts de Smolensk[2],
formations rendues gratuites par le tout jeune État soviétique. Elle
est déjà à cette époque totalement portée par les idées de la Révolution
bolchévik et de la construction du socialisme, sans lesquelles elle
n’aurait tout simplement jamais pu étudier la peinture !
L’exposition donnait à voir quelques unes de ses œuvres de jeunesse
avec des toiles peintes à 17-18 ans. Nadia faisait déjà montre d’un
véritable talent. Elle est initialement influencée par le suprématisme
de Kasimir Malévitch qui enseigne à Smolensk (courant abstrait qui
supprime toute référence à la réalité dans une recherche d’esthétisme
pur, associant couleurs et formes géométriques). Mais elle découvre
bientôt, à travers la revue « L’Esprit nouveau » de Le Corbusier,
empruntée à la bibliothèque municipale, le style de Fernand Léger.
Celui-ci lui semble incarner le futur de la peinture. Un courant
novateur qualifié de cubiste qui n’abandonne pas la figuration au
contraire de ses maîtres soviétiques. Elle décide donc de se rendre à
Paris pour le rencontrer et se former auprès de lui.
Elle fait une étape en Pologne, qui durera finalement quatre ans.
Elle y côtoie les milieux d’avant-garde tout en se formant à l’Académie
des Beaux-Arts de Varsovie et se marie avec le peintre Stanislaw
Grabowski. Ensemble ils viennent s’intaller à Paris en 1925 et
s’inscrivent à l’Académie moderne, fondée par Fernand Léger et Amédée
Ozenfant, ainsi que Nadia l’avait décidé des années aupraravant. Mais le
couple se sépare deux ans plus tard, peu après la naissance de leur
fille. C’est alors que Nadia entame une relation intime et plus
seulement artistique avec Fernand Léger. Elle passe bientôt d’élève à
directrice adjointe de son atelier, l’un des plus en vue de la capitale,
d’où sortiront des artistes de renom comme Nicolas de Staël, Hans
Hartung ou Louise Bourgeois. L’exposition à Maillol donnait d’ailleurs à
voir des œuvres des élèves de l’atelier, illustrant la grande liberté
de style qui y régnait, mais aussi l’approche collective, avec la
réalisation de toiles monumentales à plusieurs mains. Mais le nom de
Nadia n’est guère mis en avant, que ce soit sur la fiche Wikipédia de
l’Académie où elle n’est signalée que comme élève ou sur les clichés de
Robert Doisneau, alors que c’est bien elle la professeure !
Après des années de partage amoureux et professionnel, Nadia épouse
Fernand en 1952. Plus âgé qu’elle, il décède en 1955. Elle hérite alors
de toute sa fortune et de son œuvre. Celle qui a dormi dans des wagons
stationnés en gare les premiers temps à Smolensk et fait des ménages
dans une pension de famille pendant ses dix premières années à Paris
devient tout à coup milliardaire. Mais plutôt que de profiter de ce
patrimoine immobilier et artistique, Nadia consacre le restant de sa vie
et cette fortune à valoriser l’oeuvre de son défunt mari. Avec l’aide
du peintre Georges Bauquier avec qui elle s’est remariée, elle édifie à
Biot le plus grand musée dédié à un artiste encore aujourd’hui en
France, et en fait don à l’État en 1967 avec les 385 œuvres de Fernand
en sa possession (peintures, dessins, céramiques, bronzes et
tapisseries).
Elle n’aura cessé de peindre jusqu’à sa mort. Elle s’eteint en 1982 à
Callian dans le Var où sa tombe est ornée d’une superbe mosaïque tirée
de l’un de ses autoprotraits. Elle sera restée fidèle toute sa vie à son
intense engagement communiste et à l’Union soviétique. Ce qui explique
sans doute le malaise des « communistes mutants » du PCF et consorts.
Ainsi la cheffe du service culture de l’Humanité titrait « Nadia Léger,
une artiste dans les tourments du XXème siècle. » Bof… Je lui sais
toutefois gré d’avoir attiré mon attention sur cette lumineuse
exposition. Nadia est morte « stalinienne » comme le dit son
résurrecteur, raison principale de son enterrement artistique, outre le
machisme persistant de nos sociétés inégalitaires.
Une œuvre indissociable de son engagement communiste et du PCF
Nadia adhère au PCF en 1933. Pour cette paysanne qui a connu la
misère et évolue désormais dans les milieux intellectuels et culturels
d’avant-garde, cet engagement ne tient en rien à l’air du temps. Elle va
dès lors lier une partie importante de son œuvre au Parti. Elle réalise
par exemple des affiches pour des appels à manifestation et dirige la
production collective de fresques et grands panneaux pour des événements
du front populaire et pour un rassemblement des femmes pour la paix.
Son autoportrait au drapeau rouge de 1936 est un manifeste politique.
Puis les nazis soumettent la France. Fernand Léger, très menacé,
parvient à s’exfiltrer aux États-Unis où il reste pendant toute
l’occupation. Nadia, elle aussi recherchée mais détentrice d’un seul
passeport russe, n’a d’autre choix que de rester en France avec sa fille
dans la clandestinité. Et d’entrer en résistance. Sous le nom de
Georgette Paineau elle produit et diffuse de nombreux tracts clandestins
et sert d’agent de liaison pour les FTP-MOI, tout comme sa fille Wanda,
tout juste âgée de seize ans. Quelques peintures très marquantes
illustrent cette période : Autoportrait – Le serment d’une résistante (1941) (autoportrait), Wanda (1942) (glissant un message sous une porte), La mort de Tania
(1942) figurant une femme pendue ou bien le portrait poignant de
Fernand Léger au coq rouge, dont les traits tirés expriment la douleur
de l’exil.
Autoportrait – Serment d’une résistante (1941)
A la libération, elle rejoint l’Union des patriotes soviétiques. Elle
lance au profit des anciens prisonniers de guerre soviétiques une vente
aux enchères de 140 tableaux qu’elle a elle-même récoltés de la part
d’artistes comptant des grands noms tels que Picasso, Braque, Matisse et
Fernand Léger. Nadia, elle, met véritablement son art au service du
parti. Ce sont ses portraits des grandes figures communistes soviétiques
et françaises qui ornent le 10e Congrès du PCF de juin 1945. Réalisés à
partir de photos dont elle ne garde que les contours et restitue les
contrastes par applats de couleur primaires, ces tableaux façon affiche
de propagande, d’une modernité époustouflante, font de Nadia Léger une
véritable précurseure du pop-art. Marx, Lénine, Staline, Maïakovski,
Thorez, Duclos, Cachin, Sampaix… ; sans oublier les femmes que Nadia met
beaucoup à l’honneur de manière générale dans sa peinture – Danielle
Casanova, Elsa Triolet Nadejda Kroupskaia (femme de Lenine) ou encore Ekaterina Fourtseva (Ministre de la culture soviétique).
Très proche d’Aragon, beaucoup de critiques lui reprochent le
même « art de parti ». Nadia a peint de nombreuses représentations de
Staline, notamment une belle toile où il est à son bureau avec une
petite fille, en petit père des peuples. Aymar du Chatenet précise
qu’elle n’était pas payée par le KGB. C’est au contraire elle qui les a
« financés », ce qui, selon ses dires, lui a permis de conserver une
grande liberté artistique et culturelle. Á la mort de Fernand Léger,
Nadia met la propriété dont elle hérite à Gif-sur-Yvette à la
dispositions des cadres du PCF qui vont y organiser réunions et
colloques. C’est même là que se tinrent, le 22 novembre 1972, les
négociations entre Henry Kissinger et Le Duc Tho qui mettront fin à la
guerre du Vietnam !
Nadia était aussi une infatigable travailleuse, pouvant dormir
une heure par nuit à certaines périodes de sa vie paraît-il. Vie qu’elle
a dédiée à son combat pour l’art populaire et la construction d’un
monde meilleur. Dans les années 70, elle a envoyé en URSS quelque 2 000
œuvres classiques de maîtres de la peinture qu’elle a reproduits à
l’identique pour servir à l’enseignement plastique. Un labeur
titanesque ! Elle a par ailleurs fait don à la Biélorussie et à la
Russie soviétique de nombre de ses œuvres dans les années 1960 et 1970.
Notamment une collection de ses bijoux en or, platine et diamant,
visible à Moscou, et cent immenses portraits en mosaïque de
personnalités russes de la culture et de la science qui ornent encore
aujourd’hui des lieux publics de diverses villes de Russie. Ce sont des
peintures que l’on peut voir au Musée national des beaux-arts à Minsk.
On percevait très bien cette immense générosité mais aussi cette
humilité des quelques photographies de la « cosaque » présentées à
l’exposition. De ses traits rieurs se dégagent une bonhomie extrêmement
sympathique et une simplicité sincère. On la voit bras dessus bras
dessous avec Aragon, Elsa Triolet et Danielle Casanova dont elle était
une amie proche.
Une grande artiste et remarquable portraitiste
Je ne saurais m’improviser critique d’art. Beaucoup des
commentaires de l’exposition soulignent la grande évolutivité de
l’oeuvre de Nadia Léger qui a adopté au cours de sa longue vie de
peintre une multiplicité de styles, tout en conservant chaque fois sa
marque propre. Une « capacité à se réinventer » plutôt rare, paraît-il,
pour les grands artistes : suprématisme, purisme, cubisme,
constructivisme, biomorphisme, surréalisme, réalisme socialiste, et
enfin précurseure du pop art… Une diversité qui est, à tout le moins,
signe d’une très grande maîtrise technique.
L’exposition avait le grand mérite de donner à voir aussi des
œuvres de Fernand Léger. Ce qui permettait d’apprécier l’influence
relative que celui-ci a eue sur sa peinture durant leur collaboration.
Et d’attester sans équivoque que Nadia n’a pas fait du Fernand. Si on
trouve une parenté manifeste dans leurs décors industriels par exemple,
la façon de peindre les sujets, elle, n’a rien à voir. Chez Fernand,
les personnages sont extrêmement froids et mécaniques, comme des pantins
articulés, tandis que chez Nadia ils sont toujours restés très charnels
et expressifs. Même chose dans les natures mortes. Celles du maître
cubiste sont planes aux formes assez géométriques, tandis que les
courbes et couleurs flamboyantes de Nadia donnent aux choses un air
animé et une quasi sensation de 3D. Quelque chose de très chaleureux et
sensuel qui déborde de vie.
Après-guerre, elle embrasse le réalisme socialiste ce qui a donné
chez elle des œuvres lumineuses telles que Les mineurs, Les
constructeurs, Les baigneuses ou Les musiciens Tadjiks (qu’Aragon avait
accroché dans son bureau). En effet, portraitiste hors pair, elle sait
dégager des visages beaucoup d’émotions – et en l’occurence sur cette
période une magnifique joie de vivre. Les regards interpellent le
spectateur et expriment avec force notre commune humanité. Les
personnages semblent là devant nous, comme de chair et d’os. Ils nous
parlent. L’un de ses portraits de Fernand Léger, peint en hommage après
sa mort, m’a d’ailleurs fait monter les larmes aux yeux tellement son
regard semblait restituer tout l’amour, la tendresse et l’admiration
qu’elle avait pu avoir pour lui, et lui pour elle.
Les constructeurs
Foi en l’humanité et combat pour la paix
C’est ça qui m’a le plus marquée dans cette exposition. Depuis
ses débuts ou presque sa peinture est très incarnée, sensuelle et
joviale. On découvre une oeuvre puissante et lumineuse, qui ne peut
émaner que d’une femme chaleureuse et humaniste. Mais de sa peinture
d’après-guerre transperce la foi et la confiance en un monde nouveau, un
futur heureux, harmonieux, plein d’une promesse d’égalité et
d’épanouissement de l’humanité. Que j’aurais aimé vivre cette époque !
Que de lueurs que nous ne voyons plus, ni dans l’art, ni dans la rue…
Fascinée par le développement spatial, Nadia revient sur le tard à
ses premiers amours suprématistes qui lui semblent incarner cet élan
vers le ciel comme avenir de l’homme et de l’art. Elle réalise de
nombreux portraits de Gagarine, de Lenine et d’elle-même dans cette
veine, que des céramistes de renom reproduiront en mosaïques. Des
planches très graphiques qui s’apparentent à des collages dans lesquels
la composition prend le pas sur le fond. L’agencement des symboles a
plus d’importance que ces symboles eux-mêmes. Une esthétique qui
plairait à beaucoup aujourd’hui – malgré la faucille et le marteau – car
les couleurs et le design peuvent les muer en 2025 en un
folklore amusant aux accents pop. J’ai pour ma part préféré la période
« réalisme socialiste » car elle donne une forme sensible à la part la
plus belle et la plus noble de notre humanité, celle qui aspire
profondément à un monde de paix, de justice et de rire.
A
pesar de que estos hechos impactantes fueron expuestos hace 30 años y
afectaron a todos los gobiernos europeos de la OTAN, siguen siendo en
gran medida desconocidos fuera de Italia.
Por Massimo Innamorati | 21/01/2025
En
1990, el primer ministro italiano Giulio Andreotti se vio obligado a
revelar la existencia de una vasta red paramilitar clandestina que
operaba en Italia desde hacía décadas bajo el mando de la OTAN . Esta
red, llamada Gladio, había sido responsable de varios atentados
terroristas que habían causado cientos de víctimas civiles, así como de
dos intentos de golpe de Estado (1964 y 1970).
Estas revelaciones,
que implicaban a muchos países europeos, entre ellos Gran Bretaña y
Estados Unidos, dieron lugar a una serie de investigaciones nacionales y
durante meses provocaron una tormenta política internacional que
compitió con la Guerra del Golfo por conseguir atención en la prensa.
Sin embargo, hoy esas revelaciones parecen haber sido borradas de la
memoria histórica.
Sin duda, las lecciones políticas que se deben
extraer de estos acontecimientos son la razón de su eliminación. Los
acontecimientos de la Operación Gladio demostraron cómo responde la
burguesía imperialista cuando siente que su dominio está amenazado,
incluso si la oposición juega según las reglas de las propias
instituciones de la burguesía.
Raíces de la operación
Durante
la mayor parte del siglo XX, los comunistas en Italia gozaron de un
apoyo masivo, siendo reconocidos como la primera línea de la resistencia
partidista contra el fascismo , y el Partido Comunista Italiano (PCI)
creció hasta tener más de dos millones de miembros (más que cualquier
otro partido en Europa durante la mayor parte del período de posguerra),
obteniendo más del 34 por ciento del voto electoral en su apogeo y
desempeñando un papel clave en la vida social y cultural de la clase
trabajadora.
Tras la caída del fascismo, el PCI contó también con
el apoyo de miles de hombres y mujeres armados, antiguos miembros de la
resistencia partisana y también de las fuerzas policiales de la nueva
república. Si bien esa base podría haberse movilizado para hacer avanzar
la posición de la clase obrera, el líder del PCI, Palmiro Togliatti,
optó por mantener la línea de guerra de un frente único con las fuerzas
democrático-burguesas, que se había establecido como parte de la lucha
contra el fascismo.
Según su línea, que convertía de manera
oportunista el frente único de una táctica antifascista en un principio
general, el partido debía obtener el poder por medios parlamentarios
burgueses y sólo entonces sus fuerzas armadas serían movilizadas
defensivamente. Pero para la burguesía incluso estas condiciones eran
inaceptables.
Esta fue la situación en la que el imperialismo
intentó montar una ofensiva aprovechando las fuerzas más reaccionarias
de la sociedad italiana: el fascismo, la mafia y la Iglesia.
Tras
el desembarco aliado en Sicilia en 1943 durante la Segunda Guerra
Mundial, Estados Unidos había reclutado los servicios de la mafia a
través de la Operación Underworld. En 1945, el comandante fascista
Príncipe Junio Valerio Borghese, que había sido capturado por los
partisanos y estaba a la espera de ser ejecutado, fue rescatado por la
predecesora de la CIA (la OSS) y absuelto de sus crímenes de guerra.
Muchos
de estos casos de colaboración permitieron a Estados Unidos establecer
una red de agentes fascistas en el país que podrían emplear como fuerzas
anticomunistas. Licio Gelli fue otro de los camisas negras fascistas
que escapó de la justicia partidaria gracias a la protección de Estados
Unidos. Más tarde, la CIA le encargó que dirigiera el ala política
secreta de Gladio, una sociedad secreta conocida como Propaganda Due o
P2, que fue descubierta en 1981 y que contaba con más de 900 miembros,
entre los que se encontraban altos oficiales del ejército, la policía y
los servicios secretos, así como industriales, políticos y jueces (uno
de los miembros más conocidos fue el ex primer ministro Silvio
Berlusconi).
En las elecciones de 1948, las primeras desde la
caída del fascismo, compitió el Frente Democrático Popular (FDP) del PCI
contra los Demócratas Cristianos (DCI), respaldados por Estados Unidos.
Aunque aparentemente se le dio al pueblo la opción de elegir entre dos
coaliciones, en la práctica quedó claro que la elección era entre la
continuación del gobierno burgués bajo el DCI o la guerra civil, ya que
la dirección del DCI dejó en claro que no concedería la victoria al PCI
ni siquiera si obtenía la proporción necesaria de votos.
Tras las
revelaciones de los años 90, el presidente Francesco Cossiga admitió que
la DCI había creado su propia organización paramilitar, lista para
entrar en acción en caso de una victoria comunista, y que él mismo
estaba “armado hasta los dientes”.
La victoria del DCI en estas
elecciones dudosas, caracterizadas por una tremenda injerencia
norteamericana , fue seguida por una larga serie de protestas, durante
las cuales más de 60 trabajadores, la mayoría de ellos comunistas,
fueron asesinados por el Estado. El líder del PCI, Togliatti, sobrevivió
a un intento de asesinato durante este período, pero mientras los
militantes comunistas se rebelaban, Togliatti llamó a la calma.
Ya
en los años 50, los “Gladiadores” (como se denominaba internamente a
los agentes de Gladio) empezaron a recibir entrenamiento en Gran Bretaña
y armas de los Estados Unidos. Se hicieron planes para iniciar un
conflicto e incluso invadir el país si los comunistas ganaban las
elecciones o se les permitía participar en algún gobierno. Se instaló
una base de Gladio en Cerdeña donde los gladiadores podían recibir
entrenamiento británico y estadounidense.
A medida que la
organización de la clase trabajadora aumentaba y el PCI continuaba
ganando mayor apoyo en las elecciones siguientes, amenazando finalmente
el monopolio del DCI en los puestos del gabinete en 1963, la clase
dominante dependió de sus activos de Gladio para responder con una
violencia cada vez mayor, tanto de manera dirigida como indiscriminada.
Golpes de Estado, atentados y asesinato de Aldo Moro
En
1963, por primera vez en la historia de la República, la DCI tuvo que
ceder puestos en el gabinete al Partido Socialista Reformista (PSI) y al
PCI. Preocupada por que el líder de la DCI, Aldo Moro, estuviera
haciendo demasiadas concesiones al PSI reformista, un sector de la
burguesía organizó un golpe de Estado conocido como «Piano Solo», con la
colaboración de la CIA, el jefe de la policía paramilitar De Lorenzo y
los servicios secretos italianos, encargados de dirigir las operaciones
de Gladio bajo el mando del coronel Renzo Rocca.
La primera fase
del golpe consistió en atentados con bandera falsa contra las oficinas
de la DCI, de los que se atribuyó la culpa a grupos comunistas. La
segunda fase, en junio de 1964, comenzó bajo la apariencia de un desfile
militar. Después del desfile, las tropas permanecieron en Roma con el
falso pretexto de «cuestiones logísticas», preparándose para llevar a
cabo el golpe. Tras una reunión entre Aldo Moro y el general De Lorenzo,
el golpista, el gobierno anunció la intención del PSI de renegar de
muchas de sus demandas reformistas. Esta genuflexión ante la clase
dominante por parte del PSI socialdemócrata fue suficiente para calmar
la situación y abortar el golpe.
A finales de los años 60, cuando
la lucha de clases se intensificó, las huelgas masivas exitosas
permitieron a la clase obrera italiana obligar al Estado a hacer varias
concesiones, entre ellas, protección legal contra el despido por razones
políticas (como la actividad sindical) y protección contra la
vigilancia en el lugar de trabajo. Al mismo tiempo, los operadores de
Gladio llevaron a cabo varias acciones terroristas.
Una de ellas
fue la masacre de la Piazza Fontana (1969), un atentado indiscriminado
contra los trabajadores agrícolas del Banco Nacional de Agricultura. En
un principio se atribuyó la acción a grupos anarquistas, pero, aunque
más tarde se descubrió a los autores fascistas, ninguno fue castigado.
Como testificó más tarde Vincenzo Vinciguerra, miembro de la
organización fascista responsable, Ordine Nuovo (Orden Nuevo):
“Había
que atacar a los civiles, a la población, a las mujeres, a los niños, a
gente inocente, a gente desconocida, alejada de cualquier juego
político. El motivo era muy sencillo: se pretendía obligar a esa gente, a
la opinión pública italiana, a dirigirse al Estado para pedir más
seguridad.
“Éste fue precisamente el papel de la derecha en
Italia: ponerse al servicio del Estado, que creó una estrategia llamada
acertadamente “Estrategia de la tensión”, en la medida en que tuvo que
hacer aceptar a la gente común que en cualquier momento durante un
período de 30 años, desde 1960 hasta mediados de los años ochenta, podía
declararse el estado de excepción.
“Así, la gente estaría
dispuesta a cambiar parte de su libertad por la seguridad de poder
caminar por la calle, viajar en tren o entrar en un banco. Ésta es la
lógica política que se esconde detrás de todos los atentados. Quedan
impunes porque el Estado no puede condenarse a sí mismo.” [1]
En
documentos desclasificados de la P2, Renzo Rocca también afirmó: “Una
acción anticomunista eficaz y global… requiere la creación de grupos
activistas, grupos de jóvenes, pandillas que puedan utilizar todos los
métodos, incluidos los no ortodoxos como la intimidación, las amenazas,
el chantaje, las peleas callejeras, los asaltos, el sabotaje y el
terrorismo”. [2]
En el frente político, la clase dominante también
encargó al ex fascista y agente de la CIA Junio Valerio Borghese que
liderara otra operación golpista en diciembre de 1970. Bajo el nombre
clave Tora Tora, varios grupos armados se reunieron en Roma y Milán con
el plan de ocupar edificios gubernamentales, arrestar a figuras
políticas y reprimir la resistencia en zonas obreras.
Pero el
golpe fue abortado en el último momento en circunstancias misteriosas.
El agente de la CIA y mafioso Tommaso Buscetta especuló más tarde que el
golpe había sido detenido debido a la presencia de barcos soviéticos en
el Mediterráneo. De hecho, durante las investigaciones sobre la masacre
de Gladio en Piazza Fontana, se supo que el golpe había sido abortado
por órdenes de los EE.UU.
Durante las investigaciones también se
descubrió la complicidad de la sociedad secreta P2 y de los grandes
grupos mafiosos. De los más de 100 conspiradores, todos fueron
finalmente absueltos, mientras que el líder del golpe Borghese pudo huir
a España, demostrando una vez más la complicidad de todas las
instituciones del Estado burgués.
Tras las elecciones de 1976, el
PCI y el DCI estaban empatados, obteniendo alrededor del 34% y el 38% de
los votos respectivamente. Incapaz de marginar legítimamente al PCI en
ese momento, el líder del DCI, Aldo Moro, se abrió a la teoría
revisionista del PCI de lo que llamó el «Compromiso Histórico»
(Compromesso Storico).
Esta teoría, creada por el líder del PCI
Enrico Berlinguer, sostenía que la experiencia chilena del líder
marxista Salvador Allende, que había sido asesinado en un golpe de
estado tras su victoria electoral, demostraba la necesidad de que los
comunistas impidieran una alianza entre el “centro” y la “derecha”
burguesa “colaborando con fuerzas de orientación católica u otra
orientación democrática”. [3]
En otras palabras, el PCI pretendía
cortejar al ala “moderada” de la burguesía para impedir que se aliara
con los golpistas fascistas (lo que no sabía era que todos los jefes de
gobierno habían sido informados secretamente de Gladio, y más tarde
incluso Bettino Craxi del supuestamente “izquierdista” PSI).
Para
este propósito, el partido rompió oficialmente sus vínculos con el
Partido Comunista de la Unión Soviética (PCUS), dando paso a la
tendencia corrupta y traidora del eurocomunismo.
A pesar de la
debilidad de esa posición antimarxista, el gobierno estadounidense
seguía insistiendo ante Moro en que no se toleraría ninguna apertura
hacia el PCI. No obstante, Moro decidió desafiar las directivas
estadounidenses e incluir al PCI en su gobierno. Sin embargo, el 16 de
marzo de 1978, Moro fue secuestrado y asesinado después de 55 días de
cautiverio por el grupo guerrillero urbano comunista conocido como las
Brigadas Rojas (BR).
Los BR pensaron que acorralando a la DCI
podrían hacer estallar las contradicciones entre la base proletaria del
PCI y su dirección oportunista. Sin embargo, el PCI se mantuvo firme
junto a la DCI y al Estado al negarse a cualquier compromiso para
rescatar a Moro. Cerca del momento de su ejecución, Moro, que comprendió
que las instituciones del Estado no tenían intención de organizar su
liberación, exigió que nadie de su propio partido, la DCI, pudiera
asistir a su funeral.
Un informe oficial de 1995 afirmaba que las
Brigadas Rojas habían sido convertidas en instrumentos de un complot
político más amplio. En 1979, Carmine Pecorelli, periodista de
investigación y miembro de la P2, fue asesinado por la mafia por su
trabajo, lo que indicaba la complicidad del Estado en el caso Moro (el
líder de la DCI, Andreotti, fue posteriormente juzgado y condenado por
ordenar el asesinato, pero fue absuelto en 2003).
Hasta el día de
hoy, el panorama completo del caso de Moro sigue siendo oscuro. No
obstante, es revelador comparar el caso de Moro con el secuestro del
oficial de la OTAN estadounidense James L. Dozier por parte de los BR en
1981. En el caso de Dozier, el Estado movilizó todas las fuerzas e
incluso llevó a cabo una campaña de tortura salvaje contra los
brigadistas encarcelados, con el fin de lograr la liberación del
cautivo.
El terrorismo de Estado continuó, a menudo con motivos
poco claros, y alcanzó su punto álgido en la masacre de la estación de
trenes de Bolonia en los años 80. Un grupo de fascistas atacó a la gente
que esperaba en la sala de espera de la clase económica y colocó una
bomba que mató a más de 80 personas. El jefe de la P2, Licio Gelli, fue
acusado de intentar desbaratar las investigaciones, mientras que los dos
fascistas encarcelados por el crimen, Francesca Mambro y Valerio
Fioravanti, fueron liberados en 2004 y 2008. Aunque admitieron otros
asesinatos, siguen negando cualquier implicación en la masacre de
Bolonia.
El revisionismo del PCI acabó dando sus frutos amargos.
El número de miembros del partido había ido disminuyendo de forma lenta y
constante desde el XX Congreso del PCUS de 1956, en el que Nikita
Khrushchev denunció el legado de Stalin . Creció en la década posterior a
las exitosas luchas de finales de los años 1960, pero volvió a declinar
a partir de finales de los años 1970.
En aquella época, el ritmo
acelerado de las exportaciones de capital, que trasladaban al exterior
una proporción cada vez mayor de la producción, estaba llevando a un
desempoderamiento constante del proletariado en todos los países
imperialistas occidentales. Durante los años eurocomunistas de 1980, el
PCI perdió apoyo y finalmente se liquidó con la caída de la URSS en
1991.
Tras estos acontecimientos, la estrategia de tensión y terrorismo de Estado también llegó a su fin.
Cómo se deshizo el nudo
A
partir de los años 60, los funcionarios de la OTAN comenzaron a
cultivar relaciones con organizaciones terroristas fascistas como Ordine
Nuovo (ON), entre otras. En esa época, ya se había formado una división
dentro del campo fascista entre los llamados «fascistas» y los
«neofascistas». Los primeros acusaban a los segundos de traicionar al
fascismo al convertirse en agentes de la OTAN y del régimen liberal
burgués.
Estos fascistas, a diferencia de los «neofascistas»,
expresaban una posición estrictamente nacionalista burguesa y
consideraban al régimen liberal de posguerra como un enemigo (a pesar de
que tanto los estados fascistas como los liberales eran formas de
gobierno burgués). Como resultado, también entraron ocasionalmente en
conflicto armado con las fuerzas estatales. A este grupo pertenecían
Valerio Fioravanti, su esposa Francesca Mambro y Vincenzo Vinciguerra.
En
1972, Vinciguerra colocó una bomba en la ciudad nororiental de Peteano
(muy cerca de la frontera con Eslovenia) que mató a tres policías, una
acción que él consideraba parte de una lucha contra el Estado y una
ruptura con el movimiento neofascista que estaba “dirigido por el Estado
y los poderes internacionales”. Esta acción fue encubierta por un
agente de la ON que operaba dentro de las fuerzas policiales y
reutilizada como una operación de bandera falsa.
Durante diez años
estuvo atribuido oficialmente a un grupo militante comunista, hasta que
el juez de instrucción Felice Casson, al revisar el caso, descubrió sus
irregularidades y ordenó la detención de Vinciguerra.
La
desilusión de Vinciguerra con el «neofascismo» de ON lo motivó a revelar
lo que sabía sobre la operación Gladio, la naturaleza organizada de la
violencia política y el terrorismo y los vínculos profundos e insolubles
entre las organizaciones fascistas y el aparato estatal italiano. Sus
declaraciones se destacan porque no fueron realizadas a cambio de una
reducción de la pena, sino por convicción política.
Fue el trabajo
del juez Casson el que acabó implicando al propio primer ministro
Andreotti. Las revelaciones de Andreotti también introdujeron una
narrativa oficial, según la cual esta red secreta existía para “ser
activada en caso de agresión soviética”. De hecho, la clase obrera
italiana organizada era el objetivo de la operación, que no estaba
latente sino extremadamente activa, y la clase dominante italiana y sus
amos imperialistas estadounidenses estaban dispuestos a calificar
cualquier avance de los trabajadores de “intervención soviética”.
A
principios de los años 90, cuando la batalla legal se intensificó,
Andreotti se dio cuenta de que sus superiores podrían estar preparándose
para sacrificarlo como chivo expiatorio para poner fin al creciente
escándalo. Para protegerse, comenzó a quitarle la alfombra a otros
funcionarios estatales involucrados, así como a los gobiernos de Estados
Unidos y otros países europeos. Se reveló que la CIA había distribuido
alijos de armas por todo el país para que las usaran gladiadores
seleccionados ideológicamente. Además, los líderes de todos los países
de la OTAN estaban al tanto de las reuniones de Gladio y habían
participado en ellas .
Al final, incluso el Parlamento Europeo se
vio obligado a reconocer la existencia de Gladio, sus vínculos con los
servicios secretos europeos, la OTAN y los Estados Unidos, así como sus
arsenales de armas. En 1990, una resolución exigía que se realizaran
investigaciones parlamentarias en todos los Estados miembros, así como
procesos judiciales y el desmantelamiento de todas las redes de Gladio.
Como era de esperar, ninguna de esas demandas se llevó a cabo.
Una profunda lección política
La
Operación Gladio demuestra claramente el vínculo inquebrantable que
existe entre el poder burgués y las instituciones burguesas, que la
clase dominante está dispuesta a proteger mediante los crímenes más
atroces. También pone al descubierto los cuentos de hadas revisionistas
sobre «vías parlamentarias al socialismo» como ingenuos e idealistas
temerarios.
Mientras el Partido Comunista italiano se ocupaba de
la reconciliación de clases, el Estado burgués llevaba a cabo acciones
terroristas para evitar incluso reformas socialdemócratas moderadas.
Mientras el revisionismo quería dejar de lado el antagonismo de clases,
la clase dominante nunca cuestionó ni por un momento su necesidad de
aplastar a la clase obrera organizada por cualquier medio necesario.
Al
promover la idea de que el parlamento burgués podía ofrecer a los
trabajadores un camino hacia el socialismo, el PCI no sólo desvió las
energías de sus miembros y del movimiento en general, sino que también
concedió un argumento ideológico central de la burguesía: que la
democracia formal que se había restaurado después de la guerra era lo
suficientemente buena para todas las clases. En el contexto de una
militancia generalizada de la clase obrera, no es difícil entender que
la renegación de la dirección del PCI contribuyó a la formación
espontánea de grupos guerrilleros urbanos comunistas como las Brigadas
Rojas, que al final estaban desesperadamente mal equipados para
participar en una confrontación prolongada con el Estado.
Los
acontecimientos de Gladio también pusieron de manifiesto la íntima
relación entre el Estado, las organizaciones fascistas y la mafia. Estas
últimas eran instrumentos utilizados en la lucha de clases, a veces sin
saberlo, pero a menudo con complicidad explícita. Se podía confiar en
ellas para llevar a cabo operaciones que las fuerzas estatales oficiales
no podían permitirse asumir sin dañar su legitimidad, como ataques
violentos contra trabajadores y manifestantes e incluso actos de
terrorismo.
Esta actividad requería un apego ideológico
inquebrantable a la clase dominante y un desprecio absoluto por el
proletariado (es decir, anticomunismo). Por esta razón, surgió un
sistema de dos capas dentro de las instituciones estatales italianas,
una de las cuales era encubierta y operaba sobre una base anticomunista y
otra que abierta pero ciegamente buscaba defender nociones burguesas de
legalidad y democracia que, de hecho, ya no eran sostenibles ni
siquiera para la propia burguesía.
Fueron las contradicciones
dentro del propio sistema burgués las que finalmente llevaron a los
activos fascistas como Vinciguerra a volverse contra el Estado. La clase
dominante pretendía representar los intereses de «la nación», pero en
realidad actuó como un voluntario asistente de una burguesía extranjera
más fuerte con el fin de mantener su lugar en la mesa del capital
financiero global y su papel en la cadena imperialista. Esto alienó a
los elementos pequeñoburgueses del movimiento fascista que adherían a un
nacionalismo puramente idealista muy similar a los «pequeños ingleses»
que imaginan que hay algún camino de regreso a los «días de gloria» del
imperio británico.
Para las masas italianas, estos acontecimientos
expusieron la perversidad de las instituciones estatales y la vacuidad
de su democracia. Nociones como el «estragismo di stato» (doctrina de
las masacres estatales) ganaron popularidad y quedaron grabadas en la
comprensión popular de la historia italiana. El papel de liderazgo de la
CIA en la supervisión de la Operación Gladio expuso la naturaleza
limitada de la soberanía italiana desde la Segunda Guerra Mundial, y de
los países de Europa occidental en general.
Si queremos honrar a
los trabajadores que perdieron la vida durante esas décadas, y si
queremos evitar una repetición de las terribles calamidades causadas a
nuestro movimiento por la traición revisionista, debemos recordar y
difundir la conciencia de la memoria de esta historia y sus profundas
lecciones.
Notas:
[1] Allan Francovich, entrevista con Vinciguerra para BBC2 Timewatch, 1992.
[2]
Informe sobre la masacre de Piazza della Loggia expediente n.
1962-2-21-32: “Aspetti dell’azione anticomunista in Italia e
suggerimenti per attuare una politica anticomunista”.
[3] Enrico Berlinguer, Riflessioni sull’Italia dopo i fatti del Cile , publicado en Rinascita, 12 de octubre de 1973.
L'USAID AU XXº ET XXIº SIÈCLES, C'EST FINALEMENT TRÈS XIXº SIÈCLE: QUAND LES DAMES DE LA CHARITÉ ORGANISAIENT LEURS BONNES OEUVRES PENDANT QUE DES GAMINS CREUSAIENT DANS LEURS MINES (D'AILLEURS, ILS CONTINUENT DE CREUSER, EN AFRIQUE)
Aux
Etats-Unis, il arrive toujours un moment où l’envie de remettre le
cirque en route a sonné. En apparence sans cadre théorique ni doctrinal,
prenant forme en avançant, les mécanismes mis en œuvre par Donald Trump
défient effectivement l’orthodoxie. Guerre commerciale avec la Chine,
le Mexique et le Canada, humiliation publique de Volodimir Zelensky,
razzia sur les matières premières de l’Ukraine, mépris affiché pour
l’Union européenne, menaces sur le Groenland ou le Panamá, sanctions
aggravées pour la République bolivarienne du Venezuela…
Rien d’autre ? Si, bien sûr ! En interne, l’annonce d’un cataclysme.
Une purge politique de l’administration fédérale, jugée trop
dispendieuse et inféodée aux démocrates. Des milliers de contractuels et
d’agents fédéraux se retrouvent à la rue – y compris au sein du
Département de la Justice ou de secteurs sensibles du Pentagone et du
FBI. Voilà. L’imprévisible. Un monde s’écroule, règles à la dérive,
codes annulés.
S’il est bien éduqué, le dogue allemand n’est pas plus agressif que
les autres chiens. En revanche, le DOGE américain s’apparente au
pit-bull : un animal dangereux représentant un péril grave et immédiat.
Pour mener le carnage, Donald Trump a confié au ploutocrate Elon Musk,
l’un de ses soutiens clés durant la campagne électorale, la direction du
Département de l’efficacité gouvernementale, le DOGE en question.
Celui-ci mord très fort : 2,3 millions de fonctionnaires sont dans un
premier temps incités à démissionner en bénéficiant d’une compensation
salariale jusqu’en septembre. Qu’ils refusent ce plan de départ et le
pire leur arrivera.
L’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) a
ouvert le bal. Supervisée par le Président, le Département d’Etat et le
Conseil de sécurité nationale (NSC), elle est présente dans plus de
cent pays et compte près de 10 000 employés. Dès le 26 janvier, Trump a
annoncé « uneréévaluation et un réalignement de l’aide étrangère étatsunienne », affirmant devant la presse qu’elle a été dirigée « par une poignée de lunatiques radicaux ». Pour Musk, qui la considère comme une organisation criminelle, « un nid de vipères radicales-marxistes détestant l’Amérique »,
il est temps que meure cette institution. De fait, son siège situé à
Washington, le Ronald Reagan Building (RRB), a été fermé le 3 février et
ses activités ont été suspendues pour 90 jours. A l’exception de 611
fonctionnaires essentiels, responsable des fonctions critiques, de la
direction centrale et de programmes spécialement désignés, tous les
employés ont été placés en congé administratif dans le monde entier. En
attendant une réduction d’effectifs qui devrait affecter environ 2000
d’entre eux aux Etats-Unis, les agents « mis au repos » à Washington
n’ont eu droit qu’à quinze minutes pour récupérer leurs affaires
personnelles au RRB. Le mépris élevé à la hauteur d’un art, au pays de
la liberté.
Insanité et déraison, l’affaire d’emblée fait grand bruit. Le budget
de l’USAID a atteint 44 milliards de dollars en 2024. D’après le Service
de suivi financier (FTS) du Bureau de la coordination des affaires
humanitaires des Nations Unies (OCHA), les Etats-Unis avaient alloué
327,4 millions de dollars au seul « financement humanitaire » dans le
monde entier pour 2025. Or, dans de multiples pays, immédiatement après
l’ordre exécutif signé dans le Bureau Ovale, entités internationales,
gouvernements, organisations non gouvernementales (ONG), fournisseurs de
biens et de services ont été avisés de la suspension du financement des
programmes en cours ou prévus.
En France, dans une vertueuse chronique publiée par le quotidien Le Monde (25 février), Najat Vallaud-Belkacem et Guillaume Gonin s’insurgent – « L’USAID apporte nourriture, eau et soins aux victimes des catastrophes naturelles et de malnutrition » – rappelant, pour expliciter leur propos, « comment Ebola fut en grande partie contenu grâce à la politique de prévention et de traitement de l’Agence ». D’autres
s’inquiètent publiquement de l’interruption des financements apportés
aux activités de la Commission interaméricaine des droits de l’homme
(CIDH), aux opérations aériennes anti-drogue de la police colombienne, à
l’accueil des Vénézuéliens ayant cherché refuge au Brésil ou aux
programmes de substitution de la culture de coca dans plusieurs pays
d’Amérique du Sud, pour ne citer que quelques exemples édifiants.
Nommé par Trump Administrateur intérimaire de l’USAID, le secrétaire
d’Etat cubano-américain Marco Rubio a immédiatement congelé 83 % l’aide à
destination de l’extérieur (5 200 contrats annulés), avec deux
exceptions notables, pour des démocraties exemplaires : l’Egypte et
Israël. L’humanitaire a ses priorités. Toutefois, en décalage avec
quelques-uns de ses comparses, Rubio ne se montre pas spécialement
favorable au démembrement de l’organisme. Depuis le Salvador, lors de sa
première tournée en Amérique centrale, il a ainsi déclaré à son sujet :
« Certaines des choses qu’elle fait sont bonnes ; d’autres suscitent des doutes sérieux. »
Assertion qu’on estimera ici raisonnable. Mais pas forcément pour les
mêmes raisons que celles qui tournicotent dans la tête de Rubio.
Grosse colère. « Le gel du financement de l’aide américaine sème le chaos dans le monde entier, y compris dans le journalisme, dénonce en France l’organisation Reporters sans frontières (RSF). Les
programmes qui ont été gelés apportent un soutien vital à des projets
qui renforcent les médias, la transparence et la démocratie [1]. »
La suite du communiqué a le mérite de la clarté : les programmes de
l’USAID soutiennent les médias « indépendants » (c’est nous qui
rajoutons les guillemets) dans plus de 30 pays, mais il est difficile
d’évaluer l’ampleur totale de l’impact. Selon les données de l’USAID de
2023, « l’agence a financé la formation et soutenu 6 200
journalistes, aidé 707 médias non étatiques et soutenu 279 organisations
de la société civile œuvrant pour le renforcement des médias
indépendants ». Le budget de l’aide étrangère pour 2025 prévoyait quelque 268 millions de dollars alloués par le Congrès US pour soutenir « les médias indépendants et la libre circulation de l’information ».
Par d’autres sources médiatiques tout aussi préoccupées, on apprendra bientôt qu’en Géorgie, « la quasi-totalité des médias indépendants fonctionnent grâce aux financements étrangers », qu’en Ukraine, selon une étude publiée en mai 2024 par le Lliv Media Forum, « environ
75 % des médias restaient partiellement ou totalement dépendants des
subventions étrangères, dont la majorité américaine » [2], que…
Quelques temps avant son communiqué « SOS USAID », RSF, dans son
exaltante tâche de « défense de l’information » et du pluralisme, avait
publié une diatribe d’un tout autre ton : « Derrière un nom trompeur, International Reporters
est en réalité un nouveau site au service de Moscou. Financé par les
réseaux d’influence du Kremlin, il mobilise des propagandistes
internationaux, souvent basés en Russie, pour toucher un public
étranger. (…) RSF dénonce cet outil de propagande qui pollue l’espace informationnel [3]. » Il
y aurait de quoi s’y perdre. Mais, non. Ne pas rire, s’il vous plaît.
Une source d’ « information » financée par Washington est
« indépendante » ; un média appointé par Moscou pratique la
« désinformation ».
Ces arguments ne tiennent pas. Tous deux sont des outils de
propagande. Ils poursuivent simplement des objectifs opposés. Directrice
du Centre pour le journalisme d’investigation – une organisation
bosniaque soutenue par l’USAID –, Leila Bicakcic a eu l’honnêteté
d’admettre que « si vous recevez un financement du gouvernement
américain, il y a certains sujets que vous n’aborderez simplement pas,
car le gouvernement américain a des intérêts qui passent avant tous les
autres [4] ».
On retrouve dans l’entourloupe le RSF dirigé entre 1985 et 2008 par
le militant d’extrême-droite Robert Ménard : une ONG « indépendante »
(elle aussi !) financée entre autres, à l’époque, par le Centre pour
Cuba libre – une fondation impliquée, depuis Miami, dans des actions à
caractère terroriste sur le territoire cubain – et la National Endowment
for Democracy (NED), créée en 1982 par Ronald Reagan pour financer
publiquement ceux que la CIA arrosait en secret avant que de multiples
scandales ne l’obligent à faire profil bas [5].
Avec, pour corollaire, s’agissant de RSF, une défense inconditionnelle
de médias latino-américains pratiquant le mensonge, l’incitation à la
violence et le soutien à la déstabilisation de leurs pays respectifs,
ainsi que des attaques incessantes contre les gouvernements
progressistes latinos (pour ne citer que la zone géographique dont il va
être question dans cet article). Ce, bien entendu, pour la plus grande
satisfaction de l’impérialisme américain.
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ressource à laquelle vous tentez d’accéder est temporairement
indisponible. Nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée.
Revenez bientôt…
L’USAID ayant vu fermer tous les accès à son site Web, il se révèle
difficile de dresser la liste complète des médias (et des journalistes à
la déontologie plutôt souple) ayant reçu ponctuellement ou
régulièrement ses paiements. Toutefois – car il ne s’agit pas d’une
découverte –, beaucoup étaient déjà parfaitement connus. D’autres, toute
honte bue, attirent eux-mêmes l’attention sur leur cas. Ainsi, le 21
janvier, le site Nicaragua Investiga a averti que le décret de Trump « menace de porter un coup sévère » à sa croisade antisandiniste, ce soutien étant un « pilier fondamental »
dans les efforts de la droite dure et de pseudo-sociaux démocrates pour
saper l’influence et renverser le chef de l’Etat Daniel Ortega [6].
Le 26 février, Cubanet, média « indépendant » créé en 1994 à
Miami pour mener campagne contre le gouvernement de l’île, a été
pareillement averti : la subvention de 1,8 millions de dollars octroyée
par l’USAID pour une durée de trois années est supprimée. En 2024, 500
000 dollars lui avaient été spécifiquement attribués pour mobiliser « la jeunesse cubaine de l’île à travers un journalisme multimédia objectif et non censuré ». Diario de Cuba (siège à Madrid ; 1,3 millions de dollars de 2016 à 2020), ADN Cuba (3 millions de dollars de 2020 à 2024), El Toque (grand pourvoyeur de « chatbots » [7] destinés au public insulaire sur les plateformes WhatsApp, Telegram et Messenger) ou CiberCuba voient également leur oxygène se raréfier.
Balayant toute capacité de raisonnement, un déferlement d’émotions a
accompagné la plus spectaculaire des annonces : chefs de file
historiques de l’industrie médiatique anti-cubaine, Radio et TV Martí
vont cesser de vociférer. Elles ont, depuis leur naissance – 1984 pour
la radio, 1990 pour son homologue télévisée – coûté quelque 800 millions
de dollars au budget fédéral étatsunien pour entretenir vainement le
rêve des ennemis de la révolution cubaine : aller enfin danser sur la
tombe de Fidel Castro.
Au Salvador, Gato Encerrado, El Faro, Revista La Brújula, Focos, Mala Yerba, Factum, Ilumina en
appellent à leurs lecteurs pour combler le gouffre qui s’ouvre sous
leur impartialité. Sale temps aussi en Colombie : très critiques à
l’égard du président de centre-gauche Gustavo Petro, La Silla Vacia (dont
45,9 % des revenus provenaient de l’USAID en 2023) ou la Fundación para
la Libertad de Prensa (FLIP) voient poindre la disette. Même panique au
Venezuela pour Efecto Cocuyo et l’armada des influenceurs sous influence anti-bolivariens.
Une situation d’autant plus « préoccupante » pour les droites locales que ces médias dits alternatifs « made in US »
alimentent abondamment la presse internationale, faisant de ce qu’ils
racontent, exagèrent ou inventent une réalité largement admise et
répercutée.
En France, c’est dans la « matinale » de France Culture que
l’affliction atteint son apogée. Le 18 mars, d’une voix littéralement
bouleversée, Catherine Duthu, responsable de la Revue de presse
internationale, avise de la terrible nouvelle : ce que Hitler, Staline,
Mao et Poutineavaient échoué à obtenir, Trump l’a fait. Voice of América (VOA ;
La Voix de l’Amérique) vient de cesser d’émettre (temporairement ou
définitivement), 1 300 de ses employés sont mis en congé. Directement
contrôlée par l’Etat, diffusée en 63 langues vers 400 millions
d’auditeurs, VOA est le service de diffusion internationale du
gouvernement américain. En matière d’impartialité, on a déjà fait mieux.
S’agissant de l’Amérique latine, VOA défraie la chronique depuis
très longtemps. Entre autres hauts faits d’armes, elle a mené les
campagnes médiatiques qui, telles des préparations d’artillerie, ont
précédé le renversement de Jacobo Árbenz au Guatemala (1954), la
tentative d’invasion de la Baie des Cochons à Cuba (1961), le coup
d’Etat contre le progressiste Juan Bosch en République dominicaine
(1963) et l’invasion de ce pays par les « marines » en 1965.
Lorsqu’elle traite d’un sujet « latino », avec un intérêt marqué pour
la diabolisation du Nicaragua, du Venezuela et des gouvernants de
gauche, dits « populistes » de la région (à l’exception peut-être du
brésilien Lula), Duthu cite régulièrement cette radio « indépendante » (nous n’inventons rien !) [8], qui, à l’évidence, va beaucoup lui manquer. Responsable de la « matinale, Guillaume Erner s’étrangle avec Duthu : Radio Free Europe, qui hier contribua « à fissurer le bloc de l’est », va également se taire [9].
Les haut-parleurs de l’Amérique devenus silencieux, l’information
objective – c’est-à-dire pro-impérialiste – ne sera plus ce qu’elle
était.
Qu’on se rassure à France Culture : rien n’est perdu. Le 21
mars, RSF a porté plainte contre l‘administration Trump afin d’exiger
l’arrêt immédiat de la dissolution de VOA et la réintégration rapide de ses employés.
Un détail, au passage. Pour justifier la fermeture de VOA et de Radio Free Europe/Radio Liberty, Musk a aboyé : « C’est juste des gauchistes fous qui se parlent entre eux tout en sifflant un milliard de dollars aux contribuables. » On
ne saura jamais s’il croit ou non à ce qu’il dit. A l’exception du
paquet de dollars invoqué, c’est en tout cas grotesque, incroyable, très
rigolo.
Dans un autre registre, s’insurge implicitement Le Monde, des ONG travaillant sur la Chine, les Ouïgours ou les Tibétains, sont dans la même situation, « mais
peu de leurs représentants sont désireux de parler, pour ne pas
souligner leur dépendance aux aides américaines, angle d’attaque évident
pour Pékin ». De quoi, pour les uns, vilipender Xi Jinping, mais
aussi, pour d’autres, lever un sourcil circonspect face au déferlement
d’informations et de rumeurs toutes plus accusatrices les unes que les
autres dès que sont évoquées ces contrées – « génocide culturel »,
« stérilisations », « torture », « persécutions religieuses », « travail
forcé » [10]...
Moins d’un quart du budget humanitaire mondial est financé par des
fonds privés. Aux trois quarts, ce sont les Etats qui règlent la note.
Or, seulement vingt pays, pour la plupart membres ou alliés de l’OTAN,
règlent 97 % des dépenses étatiques pour l’humanitaire [11]. En fournissant 42 % de ce budget mondial, l’USAID occupe dans le concert une place de choix.
Créée le 3 novembre 1961 par John F. Kennedy, en plein cœur de la
guerre froide, l’USAID l’a été en même temps que l’Alliance pour le
progrès, destinée spécifiquement à l’Amérique latine. Une réponse,
s’agissant de cette dernière, à la révolution cubaine et à la montée des
mouvements de libération nationale, armés ou non. Outil d’aide
financière au développement destiné à réduire la pauvreté, l’expérience
de l’Alliance se terminera dix ans plus tard sans avoir atteint ses
objectifs malgré les 20 milliards de dollars injectés. A ce moment, au
Chili, le président Salvador Allende entendait s’attaquer aux problèmes
non résolus par une autre voie : un socialisme arrivé au pouvoir
démocratiquement.
Si l’Alliance pour le progrès s’éclipse, l’USAID, elle, survit.
Poursuivant les objectifs initiaux par d’autres moyens. Qu’on dira
moins… altruistes – si tant est que ceux de l’Alliance pour le progrès
l’aient été. Ce qui oblige à revenir sur toutes sortes de vieilles
histoires folles que le monde a oubliées.
Entre 1960 et 1970, l’USAID s’est associée au Bureau de sécurité
publique de la CIA, un département accusé de former des milliers de
policiers et de militaires vietnamiens, philippins, indonésiens et
thaïlandais aux « techniques de terrorisme et de torture » [12]. En
1970, l’USAID sert de couverture à l’agent du FBI Dan Mitrione, envoyé
en Uruguay afin d’y dispenser, lui aussi, les « techniques avancées de
contre-insurrection ». En d’autres termes : éliminer tout être dont les
idées sociales peuvent devenir dérangeantes. Expert en torture, le « yankee » est passé de 1962 à 1967 par le Brésil du coup d’Etat. Puis, en 1965, par la République dominicaine, lors du débarquement de « marines » chargé de pérenniser le renversement du président Juan Bosch. A ses élèves en uniforme, Mitrione transmet son cœur de métier : « La douleur exacte, à l’endroit exact, en quantité exacte, pour obtenir l’effet désiré ». En Uruguay, l’aventure ne se termine pas exactement comme il l’avait prévu : démasqué et enlevé par les révolutionnaires Tupamaros, il est exécuté le 10 août 1970 [13].
Lors de ses funérailles, aux Etats-Unis, le porte-parole de la Maison-Blanche, Ron Ziegler, le qualifie d’homme dont « le service dévoué à la cause du progrès pacifique dans un monde ordonné demeurera un exemple pour tous les hommes libres ». Il y a incontestablement de l’USAID, là-dedans…
Asie, Amérique du sud, Amérique centrale, la Guerre froide n’a pas de
préférés. Cette même année 1970, au moins 30 000 policiers
guatémaltèques ont déjà reçu une formation à la contre-insurrection
organisée et financée par l’USAID. La guerre civile fait rage dans ce
pays depuis 1960 – conséquence du renversement de Jacobo Árbenz en 1954 [14] ; elle se terminera en 1996 en ayant fait 200 000 morts et disparus, dont 80 % d’origine indigène, selon l’ONU.
Entre 1996 et 2000, lorsque le dictateur péruvien Alberto Fujimori
ordonne et provoque la stérilisation forcée de 300 000 femmes en
majorité pauvres et autochtones, 35 millions de dollars de l’USAID
financent les opérations.
Ce sont là des choses qu’on hésite à raconter aux âmes sensibles
indignées par les malheurs de l’USAID. De même, mieux vaudrait sans
doute éviter de leur détailler le curriculum vitæ de certains de ses dirigeants.
En mode non exhaustif, juste histoire de causer…
De 1981 à 1983, sous la présidence de Ronald Reagan, la division
latino-américaine de l’USAID est dirigée par l’idéologue d’extrême
droite Otto Reich. Lorsque celui-ci abandonnera cette fonction, ce sera
pour créer le Bureau de diplomatie publique, une officine rattachée au
département d’Etat d’où il alimentera la presse en rumeurs – on dirait
aujourd’hui « fake news » – sur le Nicaragua, faisant état de
l’acquisition, par le gouvernement sandiniste, de MIGs soviétiques ou
d’armes chimiques aussi réelles que celles invoquées plus tard par Colin
Powell pour justifier l’invasion de l’Irak. Reich collabore également
avec l’équipe du lieutenant-colonel Oliver North, lequel organise un
trafic secret d’armes avec l’Iran pour financer l’équipement des « contras »
(contre-révolutionnaires nicaraguayens). Près de dix ans plus tard,
Reich sera nommé envoyé spécial pour l’Hémisphère occidental (le
continent américain) par le président George Bush Ier. Avocat de
l’industrie militaire (Lockheed Martin), on le retrouve sous-secrétaire
d’Etat pour l’Amérique latine de l’administration Bush II et directement
impliqué dans la tentative de coup d’Etat contre le président
vénézuélien Hugo Chávez, le 11 avril 2002.
Mark B. Feierstein. Administrateur adjoint de l’USAID pour l’Amérique
latine et les Caraïbes, il confie en 2012 que Washington accorde la
priorité au soutien des forces d’opposition « luttant pour les droits de l’homme et la démocratie »
à Cuba, au Venezuela, en Bolivie, en Equateur, au Nicaragua et que des
fonds sont fournis à des groupes anti-gouvernementaux basés dans ces
pays [15].
C’est déjà une forme d’aveu. Ceux-ci seraient complets si Feierstein
précisait qu’il a été agent du renseignement américain ; « chef de
projet », lui aussi, de la guerre sale menée au Nicaragua contre le
gouvernement sandiniste pendant la décennie 1980 ; acteur clé de la
fuite à l’étranger de l’ex-chef de l’Etat bolivien Gonzalo Sánchez de
Lozada, responsable pendant son mandat, en octobre 2003, d’un massacre
ayant causé 67 morts et 400 blessés.
Avant d’intégrer l’USAID en tant que sous-directeur, Donald Steinberg
a, entre autres missions, transité par le Conseil de sécurité nationale
de la Maison-Blanche (affaires africaines) et dirigé le bureau
diplomatique de Washington en Afrique du Sud avant la fin du régime
d’apartheid.
Directeur régional adjoint pour l’Amérique latine sous
l’administration de George W. Bush, José Cárdenas a lui aussi siégé au
Conseil de sécurité nationale pendant cette même administration et y a
défendu le concept des « frappes préventives ». En 2013, s’il s’est fait
remarquer, ce n’est pas pour son dévouement à la cause du développement
durable ou à la qualité de la vie dans les pays récepteurs, mais pour
avoir tenté d’interférer dans une enquête interne de l’USAID sur une
possible corruption dans la gestion de fonds destinés à des actions
subversives menées à l’étranger.
Plus récemment, en janvier 2021, le président démocrate Joe Biden
annonçait la nomination de Samantha Power à la tête de l’institution. Là
encore, de nombreux détails attirent l’attention. Dans un ouvrage
publié en 2002 [16], Power a théorisé la « responsabilité de protéger » (R2P), version « soft »
du droit d’ingérence utilisé ultérieurement (2011) pour justifier
l’intervention militaire internationale et la destruction de la Libye [17]. Entretemps, bien qu’en désaccord avec les méthodes de George W. Bush, Power a soutenu la guerre contre l’Irak : « Une intervention étasunienne améliorera probablement la vie des Iraquiens »,
déclare-t-elle dans une interview, le 10 mars 2003. Des postes qu’elle
occupe ensuite au Département d’Etat et au Conseil de sécurité nationale
– décidément la voie royale pour arriver à la direction de l’USAID –
sous la présidence de Barack Obama, elle soutient fermement les
interventions militaires en Libye et en Syrie. Lors de la séance de
confirmation qui précède sa nomination au poste d’ambassadrice des
Etats-Unis à l’ONU (2013-2017), elle déclare devant le Sénat : « Ce pays est le plus grand du monde. Je ne m’excuserai jamais au nom des Etats-Unis ! »
A l’ONU, Power critique l’institution pour son « traitement inégal » de l’ « Etat juif » et pour son silence « indéfendable » face aux « attaques terroristes contre des Israéliens ». Au
passage : que ce soit pendant l’opération « plomb durci » (décembre
2008 ; 1 300 Palestiniens tués) ou aujourd’hui, alors que se déroule,
sous les yeux du monde, le massacre des Gazaouis, jamais on n’a entendu
Power invoquer sa marotte à géométrie variable, la « responsabilité de
protéger » [18].
Un passage par la Carnegie Endowment for International Peace, où elle
travaille en tant qu’assistante de Morton Abramowitz, ex-administrateur
de la NED (la version présentable de la CIA !), et voici notre « faucon
humanitaire », comme elle s’est elle-même baptisée, à la tête de
l’USAID.
So, what ?
Nothing !
Comme d’habitude, dans une orgie de fonds « humanitaires »,
l’institution se consacre à la déstabilisation « non-violente » des pays
considérés « non-amicaux » ou « non-vassaux » – à commencer par Cuba,
le Nicaragua et le Venezuela.
Samantha Power, « faucon humanitaire »
D’accord, d’accord, d’aaaaaccord : il existe une version
respectable des activités de l’USAID allant de la vaccination des
enfants à l’accès à l’eau potable des populations, de la lutte contre la
malnutrition au financement des grandes organisations onusiennes –
Unicef, Programme alimentaire mondial (PAM), Organisation internationale
pour les migrations (OIM), Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR),
etc. Un système bien articulé de « smart power », mais, somme toute, aux objectifs salutaires et particulièrement importants.
Toutefois, que vient faire au milieu de ces nobles desseins le
soutien aux partis politiques, introduit en 2003 sous l’administration
de George W. Bush ? En théorie, cet appui n’est autorisé qu’à certaines
conditions : tous les partis « démocratiques » du pays concerné doivent recevoir « des niveaux de soutien équitables », étant entendu que ceux-ci ne doivent en aucun cas « affecter les résultats électoraux ».
En Haïti, cela s’est traduit de cette manière : en 2011, peu de temps
après que Washington ait contribué à inverser les résultats de
l’élection présidentielle pour porter au pouvoir Michel Martelly (arrivé
en troisième position au premier tour), l’USAID a alloué près de 100
000 dollars au Mouvement Tet Kalé (MTK), proche du nouveau chef de
l’Etat. Le transfert de fonds se fit à travers le Bureau des initiatives
de transition (OTI), une branche de l’USAID, et plus précisément par
l’intermédiaire d’une entreprise à but lucratif, Chemonics. Selon cette
dernière, ce soutien visait à financer le nettoyage de la capitale « avant la prise de pouvoir présidentielle » [19]. Question
inopportune : indépendamment du fait que MTK n’avait rien d’une
d’entreprise de nettoyage, quelle était sa véritable nature ? N’avait-il
pas organisé les violentes manifestations contestant le résultat du
premier tour de l’élection et obtenant son inversion ? La main sur le
cœur (et le carnet de chèques), l’USAID se contenta de répondre : « Le Mouvement Tet Kale n’est pas la même chose que le Parti Tet Kale »
– parti de Martelly qui ne verra le jour qu’en 2012, un an après
l’investiture et le don. Explication non expurgée : en Haïti, les
politiciens montent des mouvements pour accéder au pouvoir et ensuite
les transforment en parti. Aucune formation ou parti opposés à Martelly
ne bénéficia en parallèle d’un quelconque soutien financier.
Puisque nous étions en Haïti, restons-y un instant.
En mai 1991, le Congrès américain autorise l’USAID à consacrer 24,5
millions de dollars sur quatre ans à un Projet de renforcement de la
démocratie. Il s’agit (en version présentable) de consolider « les gouvernements locaux et les organisations indépendantes », mais surtout (en version non autorisée), de soutenir les organisations conservatrices susceptibles d’agir comme « contrepoids institutionnel » au
président de gauche Jean-Bertrand Aristide. Par le plus grand des
hasards, ce dernier est renversé par un coup d’Etat militaire cette
année-là. Si le « Projet de renforcement de la démocratie » est
suspendu, ayant à l’évidence perdu toute utilité, certains de ses
éléments, notamment le soutien aux syndicats les plus conservateurs,
demeurent actifs pendant toute la durée du gouvernement putschiste [20].
Bis repetita placent : d’après le sénateur étatsunien
démocrate Christopher Dodd, l’USAID a déboursé 1,2 millions de dollars
pour entraîner et équiper de 20 000 fusils M-16 les « rebelles » qui, en
2004, ont renversé Aristide une seconde fois.
Le 12 janvier 2010 et les jours suivants, un tremblement de terre de
magnitude 7 frappe Haïti. Terrifiant : 280 000 morts, 300 000 blessés,
plus d’un million de sans-abris.
Côté pile : l’USAID déploie immédiatement son équipe d’élite
d’intervention en cas de catastrophe (DART). Comprenant 545 personnes et
34 experts, ce fût la plus grande équipe d’intervention jamais déployée
par l’Agence. Avec 130 personnes sauvées, elle fit un travail
admirable. L’USAID fournit également des secours alimentaires d’urgence à
près de quatre millions de personnes ; de l’eau potable,
quotidiennement, à 1,3 million de personnes ; en partenariat avec
d’autres donateurs internationaux, des abris de base à 1,5 million de
Haïtiens.
Côté face : de janvier 2010 à avril 2011, le gouvernement étatsunien
signa 1490 contrats pour un montant total de 194 millions de dollars en
vue de la reconstruction. De tous ces contrats, seuls 23 bénéficièrent à
des entreprises haïtiennes, pour un montant de 4,8 millions de dollars
(2,5 %) [21] ;
un tiers des fonds dégagés revinrent aux Etats-Unis. Sur les dix
premiers bénéficiaires du financement de l’USAID, les deux plus
importants furent Chemonics et Development alternatives incorporated
(Dai). Après 2016, les deux institutions recevaient encore plus de 40 %
de tous les financements contractuels.
Forte de 6 000 employés, Chemonics est la plus importante entreprise
de la foule des intermédiaires, traitants et sous-traitants de l’USAID –
Creative Associates International, Navanti, DevTech Systems, Dexis,
Research and Exchange Board (IREX), etc. Mais l’œuvre
« philanthropique » des Etats-Unis ne transite pas que par l’USAID. Plus
discrète car plus sulfureuse, la Fondation nationale pour la démocratie
(NED), succédané de la CIA, canalise également les subventions en
direction de l’étranger. Pour distribuer la manne, USAID et NED
s’appuient sur les véritables succursales que constituent l’Institut
national démocrate (NDI) et l’Institut républicain international (IRI),
les organisations de l’ « establishment » étatsunien. Autour,
gravitent une foultitude de satellites – Freedom House, Open Society
Foundations (du banquier George Soros), Solidarity Center, Center for
International Private Enterprise (CIPE), Consortium for Elections and
Political Process Strengthening (CEPPS), etcetera, etcetera, etcetera,
etcetera.
On s’efforcera ici de s’en tenir au rôle de l’USAID, même si toutes ces officines travaillent souvent de façon très imbriquée.
Qui pense agression des Etats-Unis contre une nation
latino-américaine pense immédiatement à Cuba. Il s’agit néanmoins d’un
cas particulier dans la mesure où le blocus en place depuis soixante ans
ne permet pas la présence officielle de l’USAID dans l’île ni le flux
direct de ressources tel qu’utilisé dans d’autres pays. Ce qui n’empêche
nullement une ingérence dont, pendant des décennies, l’USAID ne sera
pas la pièce maîtresse, la CIA dirigeant quasiment sans masque les
opérations.
En 1995, en démocrate soucieux de ménager les apparences, Bill
Clinton ordonne à l’USAID de créer un programme « pro-démocratie » pour
Cuba. Plus de 6 millions de dollars sont affectés au financement de
groupes « dissidents » et à l’introduction en territoire cubain de
ressources techniques –informatique, impression digitale,
télécommunications, équipements de fax et de vidéo.
Avec l’arrivée de George W. Bush, la fièvre du billet vert
s’amplifie. Une fièvre, oui. Et une sacrée fièvre. Entre 2001 et 2006,
un flot de 61 millions de dollars arrose la floraison de 142 « projets »
et activités illégales au regard de la loi cubaine ; 120 millions de
dollars prennent le relais entre 2007 et 2013 pour 215 « projets » –
dont 1,5 millions de dollars pour renforcer « l’écosystème médiatique »
cubain cher à RSF.
En 2009, coup dur pour l’USAID, qui ne déteste pas une certaine
discrétion : les autorités cubaines arrêtent à La Havane un de ses
contractuels, Alan Gross, alors qu’il distribuait des ordinateurs et du
matériel de transmission satellitaire aux éléments anticastristes de la
communauté juive. Condamné à quinze ans de prison, Gross sera libéré en
décembre 2014, dans le cadre d’un échange de prisonniers [22].
L’imagination n’en demeure pas moins au pouvoir dans les entrailles US
de la subversion. Cette même année 2014, on découvre que, recrutés par
l’USAID (et payés par Creative Associates Internacional), une douzaine
de jeunes vénézuéliens, costariciens et péruviens se sont fait passer
pour des touristes à La Havane et Santa Clara, chargés d’« identifier des acteurs sociaux susceptibles d’impulser un changement social »
dans l’île. Un peu plus tôt, Aldo y los Aldeanos, un groupe de rap
critique envers le pouvoir, avait été enrôlé par l’intermédiaire de
promoteurs musicaux. Objectif : utiliser le mouvement hip-hop pour « aider la jeunesse cubaine à briser le blocus de l’information ».
Entre 2010 et 2012, des milliers de Cubains ont utilisé ZunZuneo, une
sorte de Twitter local, sans savoir qu’il avait été conçu par l’USAID –
« sans aucune arrière pensée », préciseront les autorités
américaines avec le plus grand sérieux. La première étape de ce
programme, lancé depuis une société-écran en Espagne avec des fonds
dissimulés aux îles Caïman, avait pour but de construire une base
« critique » d’utilisateurs en diffusant des contenus généraux, sportifs
ou culturels notamment. Une fois cet objectif atteint, devaient y être
introduits des contenus plus politiques afin de créer des mobilisations
et déclencher, si possible, une « révolution de couleur ». Doté d’un
budget de 1,6 million de dollars, le projet sera finalement abandonné
après deux ans d’existence, faute d’avoir atteint les 200 000
utilisateurs initialement espérés.
Rôle clé encore pour l’USAID en 2021. Embargo étatsunien, perte de
soutien économique du Venezuela (lui-même agressé et affaibli),
désertion des touristes en raison du Covid accentuent à l’extrême les
difficultés économiques. Epuisés par les pénuries d’aliments et de
médicaments, excédés par les coupures d’électricité, des milliers de
Cubains vont finir par descendre dans la rue. Depuis Washington, l’USAID
souffle par avance sur les braises. De plus en plus prise de passion
pour la musique tropicale, elle a sorti 2 millions de dollars de ses
caisses pour subventionner l’orchestre accompagnant les futurs
événements. Elle s’en vantera ultérieurement en expliquant que, grâce à
elle, « des artistes et des musiciens sont descendus dans la rue pour
protester contre la répression gouvernementale, produisant des hymnes
comme ”Patria y Vida“, qui ont non seulement sensibilisé davantage le
monde au sort du peuple cubain, mais ont également servi de cri de
ralliement pour le changement sur l’île. »
D’après le ministre cubain des Affaires étrangères Bruno Rodríguez,
l’USAID a arrosé de plus de 120 millions de dollars les dizaines
d’organisations impliquées dans la déstabilisation de l’île. Sur X (14
février 2025), le président Miguel Diaz Canel s’est insurgé : « Le
gouvernement américain et la presse à scandale sont alarmés par les
millions de dollars de l’USAID destinés à la subversion et au
financement de médias et d’ONG soi-disant indépendants, alors que nous
dénonçons cela depuis des années ! »
Ambassade des Etats-Unis à La Havane – photo Maurice Lemoine (ML)
Mais, au fait… Quid des organisations non gouvernementales
financées par l’USAID ? Vaste et délicat sujet. Dans le sillage du
séisme affectant la coopération étatsunienne, on découvre avec
étonnement que de grandes ONG françaises sont touchées : Solidarités
International (dont 36 % du budget dépendait de l‘USAID), Action contre
la Faim (30 %), d’autres sûrement, qu’on découvrira peut-être demain. On
ne fera a priori à ces institutions aucun procès d’intention.
Pas plus qu’on ne contestera la pertinence des ONG lorsqu’elles
s’attellent à des problèmes tels que la dette des pays pauvres, la faim
dans le monde, l’accaparement des terres, les paradis fiscaux, la
défense des minorités sexuelles, l’accès à l’éducation et à la santé
pour tous, l’accueil des réfugiés ou des migrants. Qui reprocherait aux
organisations de secours médical, dans des contextes de conflits armés
ou de catastrophes en tous genres, d’alléger les souffrances des
populations ? Qui oublierait les ONG opposées à la mondialisation
néolibérale, capables de mobiliser, lors du Forum social de Mumbai, en
2004, plus de 100 000 participants ?
Néanmoins, vu sous un autre angle…
« Du réseau d’ONG susmentionné, dénonçait en 2021
l’ex-président hondurien Manuel Zelaya, renversé en 2009 par un coup
d’Etat pro-américain et évoquant le Nicaragua voisin, se détachent
des centaines d’organismes qui saturent la vie politique de la société,
créant une sorte d’Etat parallèle piloté par de grands médias et
réseaux, qui deviennent artificiellement des protagonistes, tentent de
saper les avancées des gouvernements progressistes ou d’empêcher la
montée au pouvoir des projets politiques de gauche revendiquant la
participation de la société et de l’Etat contre la tromperie du marché [23]. »
« L’aide au développement ne peut réussir que si elle s’appuie
durablement sur des réformes démocratiques et l’aide aux forces
réformistes sur une longue période, peut-être des décennies », a théorisé l’USAID [24]. Par « forces réformistes »,
on entendra courants ne mettant pas le capitalisme et ses bénéficiaires
en danger. Pour ce faire, l’Agence sert de tiroir-caisse à une myriade
d’ONG aux centres d’intérêts on ne peut plus louables, tels que ceux
précédemment cités. Très bien. Mais encore ?
Dans la plupart des cas, et depuis 1990, les gouvernements
néolibéraux se sont tournés vers elles pour fournir les services qu’ils
devraient assurer – santé, éducation, culture – et qu’ils ont
délibérément abandonnés soit au néant soit au marché.
Les dirigeants de ces ONG ne sont pas élus, mais nommés par des
groupes restreints d’individus. Grandes ou petites et une fois qu’elles
ont pignon sur rue, ces organisations doivent assurer leur financement.
Elles finissent par ressembler à des entreprises traditionnelles, avec
des objectifs chiffrés, du personnel, des calculs de rentabilité. Outre
les citoyens appelés à se montrer généreux, de puissants mécènes ouvrent
le portefeuille. L’USAID, par exemple. Qu’elles le veuillent ou non,
les ONG se retrouvent liées par l’argent qu’elles acceptent. L’adhésion
aux principes et valeurs du généreux donateur se fait automatiquement,
ou progressivement, ou insidieusement. Ce, alors qu’actions
« philanthropiques » et ressources pour les mener vont de pair. On s’en
rend soudain compte lorsque Trump, tel un éléphant dans un magasin de
porcelaine, met le tout Genève en émoi. La suppression des fonds de
l’USAID rend la ville suisse désormais trop chère pour les finances de
certaines des 38 organisations internationales qui s’y sont établies et
dépensent près de 7 milliards de dollars par an pour soutenir 400 ONG.
Beaucoup des 29 000 postes liés à ce « business » étant menacés,
la ville a dû voter un budget de 2 millions de francs suisses pour
soutenir les « humanitaires » en péril. A quand une caravane de Médecins
sans frontières ou Médecins du Monde pour ramasser les blessés et les
rescapés ? Dur-dur. Mais, tout de même… Derrière l’abnégation hautement
proclamée, des sommes considérables en frais de fonctionnement
permettent à l’évidence à un monde de professionnels des droits de
l’Homme et du développement de vivre au-dessus de raisonnables moyens.
Posant des sparadraps sur la misère du monde, les ONG n’en évitent
pas moins d’aborder avec leurs protégés les causes politiques des
problèmes auxquels ceux-ci sont confrontés. Pas forcément par cynisme ou
acceptation, mais pour les raisons préalablement exposées. Ce qu’on
appellera la reconnaissance du ventre ; ou le concept « nécessité fait
loi ». Quand bien même elles seraient pacifiques, l’USAID n’a pas pour
vocation de financer des transformations sociales radicales ou des
révolutions. Elle a son agenda. Lorsqu’elle est présente sur place,
derrière les sourires déversant une lueur d’amour fraternel, se cache à
l’occasion la camaraderie du loup et de l’agneau. Outre ses
fonctionnaires ou contractuels engagés par conviction humaniste dans
leur mission, de bons samaritains moins désintéressés pénètrent la
société civile, la travaillent idéologiquement, l’observent, recueillent
ce qu’on appelle du « renseignement humain » et transmettent « à qui de
droit » les informations collectées sur les militants locaux, les
leaders influents, les groupes contestataires, les intellectuels
engagés. Activité également pratiquée, sans couverture officielle (SCO,
dans le jargon), au cœur des régions sensibles, par des barbouzes
occasionnelles ou professionnelles agissant dans l’ombre des milliers
d’employés des ONG.
En Haïti, après le tremblement de terre de 2010, on parle ouvertement
de la République des ONG. On estime alors leur nombre à… 10 000.
Pratiquement autant qu’en Inde, un pays de 1,438 milliards d’habitants !
Au lendemain du séisme, dans la salle de conférence de l’hôtel Karibe,
plusieurs dizaines de personnes travaillent au « Post Disaster Needs Assessment » (PDNA), document qui doit être présenté au siège des Nations unies. Plus de 80 % des rédacteurs sont des « blan »
(des étrangers). Comme des mouches, les patrons de nombreuses
organisations internationales tournent autour d’eux pour s’assurer que
leurs projets vont être incorporés dans ce plan [25]. « Business » avant tout : ce que d’aucuns voient comme un véritable plan Marshall va générer de très gros budgets.
Plus tard, lorsque viendra l‘heure du bilan, Haïti sera toujours aussi pauvre et aussi sous-développée.
Sans généraliser une situation aussi caricaturale, ces myriades
d’ONG, chacune avec son propre programme en matière de santé,
d’éducation, d’agriculture, de développement, d’environnement, de
gouvernance, constituent autant d’Etats dans l’Etat. Contourné,
affaibli. Maintenu (avec son assentiment souvent) dans une dépendance
absolue.
Dans son registre, l’USAID porte un intérêt particulier aux ONG
artificiellement créées pour s’occuper de « causes » dont la défense
apparente peut profiter aux puissances dominantes, à commencer par les
Etats-Unis. Sachant que ces « humanitaires » saturent l’espace
médiatique de l’Occident collectif. Et que les informations qu’ils
distillent circulent de manière circulaire avec les agences de l’ONU.
Constat trop sévère, injuste, entaché de mauvaise foi ou d’idéologie ? « Por favooooor ! » Contribution au débat du secrétaire d’Etat américain Colin Powell, le 26 octobre 2001 : « Aussi
sûrement que nos diplomates et nos militaires, les ONG américaines sont
dehors, en train de servir et de se sacrifier sur le front de la
liberté. […] J’entends sérieusement m’assurer que nous avons les
meilleures relations avec les ONG qui sont une force multiplicatrice
pour nous, une partie si importante de notre équipe de combat. »
Equateur, 2007-2017. Le président Rafael Correa est un dangereux
individu. Nouvelle Constitution, importantes réformes sociales.
Réduction considérable de la pauvreté. Considère la communication comme
un service public. Interdit qu’un établissement financier détienne plus
de 6 % du capital d’un organe de presse. Va tenter de redistribuer
l’espace médiatique : un tiers du spectre radioélectrique pour le
secteur privé, un tiers pour le secteur public et un tiers pour le
secteur à but non lucratif. Entretient des relations amicales avec Fidel
Castro, Hugo Chávez, Luiz Inacio Lula da Silva, Néstor puis Cristina
Kirchner, Evo Morales, la bande des « illuminés magnifiques » qui
changent la face du sous-continent.
Les évaluations raisonnables estiment la proportion des autochtones
équatoriens à environ 25 % de la population. Dans les années 1990, sur
la base de revendications identitaires mais aussi de classe et
anti-impérialistes, la Confédération des nationalités indigènes
d’Equateur (Conaie) a mené deux gigantesques soulèvements. Devenu le
référent national de l’opposition aux élites traditionnelles, le
mouvement s’est doté d’un bras politique, Pachakutik (PK).
A ce moment, déferle sur l’Equateur une armada d’ONG. Certaines,
pleines de bonne volonté, venues d’Europe, sans réelle connaissance de
la réalité du pays. D’autres financées par l’USAID (et/ou la NED). « Elles ne viennent pas pour appuyer les luttes sociales, nous explique en 2023, à Quito, Eduardo Meneses, excellent connaisseur des mouvements sociaux. Elles arrivent, par exemple, pour donner 10 000 dollars à un petit projet local d’agro-écologie. » Pour ce faire, elles n’ont besoin que de quelques « éduqués ».
« Elles prennent le seul jeune qui, dans un village, est capable de
rédiger un rapport et, sans aucune formation politique, sans capacité
d’organisation, mais indispensable relais avec les généreux bienfaiteurs
étrangers, il devient un nouveau leader de la communauté. » Rupture
générationnelle, toute l’histoire du mouvement indigène, toute la forte
formation idéologique des années 70/80 s’estompe, disparaît.
Dans le même temps, Pachakutik est infiltré par des ONG qui ne
répondent en rien aux objectifs originels de la Conaie. De nombreux
dirigeants de PK montent des fondations gavées de subventions d’Etats
(Etats-Unis, Union européenne), en lien avec ces fameuses ONG.
Dès 2010, Correa doit affronter une « révolte de la police » qui
ressemble fort à un coup d’Etat. Des dirigeants indigènes de PK
participent directement à la sédition, parmi lesquels l’« ultra »
Lourdes Tibán. L’USAID subventionne la Corporation patronale indigène
d’Equateur (CEIE), dont Tibán est une membre éminente. Le même aimable
donateur alimente Participation citoyenne, autre organisation hostile à
la Révolution citoyenne.
Pour financer les programmes sociaux, Correa s’appuie entre autres
sur le développement de l’activité minière. Il est temps qu’apparaisse
Chemonics. L’entreprise répartit en urgence 5,4 millions de dollars de
l’USAID pour un programme « Côtes et forets soutenables ». Une intrusion
cousue de fil blanc et aux effets patents. En juin 2011, Correa dénonce
le fait que ces ONG étrangères travaillent auprès des populations
indigènes, à la frontière colombienne, pour « faire de la politique, générer le chaos »
et déstabiliser son gouvernement. Le 5 juillet est en conséquence
adopté le décret exécutif 812 exigeant de ces ONG qu’elles fassent
connaître l’origine et l’usage des millions de dollars qu’elles
dépensent, qu’elles déclarent leurs programmations annuelles et rapports
financiers, la pertinence de leur action avec le plan national du
« bien vivre » (« Buen Vivir »), les territoires où elles opèrent et les acteurs sociaux auprès de qui elles agissent.
Refusant de se conformer à la loi, l’ONG écologiste étatsunienne
Conservation internationale (CI) est chassée du pays. Scandale !
Alertées, ameutées, déconnectées du contexte réel, les gauches et
extrême-gauches européennes commencent à dénoncer l’ « autoritarisme »
qui plus est « anti-écologique » de Correa. Seul (ou presque) le
journaliste Eduardo Tamayo, de l’Agence latino-américaine d’information (ALAI),
fronce les sourcils : outre l’USAID, CI compte parmi ses partenaires et
bailleurs de fonds des transnationales comme Rio Tinto, Ford, Monsanto,
Intel, Coca-Cola, Starbucks, Walmart, Walt Disney, MacDonalds et… la
deuxième compagnie pétrolière des Etats-Unis, Chevron [26]. Vous avez dit conservation de la nature ?
La Fondation Pachamama en fait tant dans ses attaques implacables
contre Correa, au nom d’un « anti-extractivisme » maximaliste (car il
peut en exister un raisonnable et raisonné), qu’elle est à son tour
expulsée du pays en 2013. A ce moment, pour qui veut bien ouvrir les
yeux, la stratégie de l’USAID est parfaitement lisible. Cette même année
2013, c’est 16 millions de dollars qu’elle a injectés en Equateur,
toujours à travers Chemonics, dans des initiatives sur le thème porteur,
vis-à-vis des jeunes Equatoriens et de la « communauté
internationale », de la « protection de l’environnement » [27].
Bien que se présentant comme « apolitiques » et représentantes de la
« société civile », nombre de ces ONG partenaires, que ce soit en
Equateur ou ailleurs, fonctionnent en fait comme des partis de facto et en courroie de transmission d’agendas politiques destinés à déstabiliser le (des) gouvernement(s).
Depuis 2012, en conséquence, les pays progressistes de l’Alliance
bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) envisagent
sérieusement d’expulser l’USAID de leurs territoires [28]. En mai 2013, le président bolivien Evo Morales passe à l’acte, accusant l’Agence d’agir « non pas à des fins sociales mais à des fins politiques », mue par « unevolonté de soumission et une mentalité de domination ».
Il y avait en 1930 une dizaine d’ONG en Bolivie ; en 1980, on en
comptait environ 200 ; en 2000, un peu plus de 600, dont une grande
majorité nationales. En janvier 2006, avec Evo Morales, le Mouvement
vers le socialisme (MAS) arrive au pouvoir. De 2007 à 2019 – année au
cours de laquelle, réélu, Morales sera renversé par un coup d’Etat – le
nombre de ces ONG va tripler (667 seulement étant officiellement
enregistrées) [29].
Alors même que la situation sociale s’améliore considérablement, une
centaine de ces ONG se positionnent plus ou moins ouvertement en phase
avec l’opposition. Pareille à un vautour plus qu’à un condor, l’USAID
plane sur les hauts-plateaux et les chaudes contrées, très hostiles au
pouvoir, de la « Media Luna » (« demi-lune »). A partir de 2002,
alors que la gauche montait en puissance, l’Agence étatsunienne a
investi plus de 97 millions de dollars dans des projets de « décentralisation » et d’ « autonomie régionale » – chevaux de bataille, précisément, des gouvernements régionaux putschistes de la « Media Luna ».
En 2008, c’est sur ce type de revendications que ces « élites »
blanches tenteront de renverser le chef de l’Etat indigène. En 2005 et
2006, 75 % des ressources de l’USAID avaient été dirigés vers leurs
groupes séparatistes violents.
La connivence étant aussi visible que le nez au milieu du visage,
Morales, le 10 septembre 2008, a expulsé l’ambassadeur des Etats-Unis
Philip Goldberg, dont la compétence en matière de séparatisme s’était
forgée lors de ses missions diplomatiques antérieures en Bosnie et au
Kosovo. Le 1er novembre, c’est à son tour l’agence anti-drogue
américaine (DEA), accusée elle aussi d’avoir soutenu le soulèvement, qui
doit quitter le pays. L’USAID, on l‘a vu, subit le même sort en mai
2013. Si ses fonctionnaires font leurs valises, elle n’en maintient pas
moins, depuis Washington, les financements destinés à ses affidés. En
mettant en cause, deux ans plus tard, quatre ONG dites de défense de
l’environnement qu’elle sponsorise – Milenio, CEDIB, Fundación Tierra et
CEDLA – le vice-président Álvaro García Linera déclarera : « Nous ne
pouvons permettre à aucun gouvernement étranger, entreprise ou
organisation paragouvernementale étrangère de définir les politiques
publiques de l’Etat plurinational de Bolivie. Sinon, nous nous
soumettrions au néocolonialisme. »
En 2013, en même temps que la Fondation Pachamama, Rafael Correa a
expulsé d’Equateur sept des 180 ONG officiellement présentes dans le
pays. Financées depuis l’étranger (Italie, Hollande et Espagne), elles
avaient refusé de fournir des informations sur leurs activités. « La coopération officielle des autres gouvernements doit compléter le projet politique légitimement voté dans les urnes »,
fit savoir le pouvoir à cette occasion. Ce qui n’empêcha pas Amnesty
International d’émettre un communiqué dénonçant la fermeture de la
Fondation Pachamama et ne sembla gère émouvoir l’USAID, dont le
programme « Renforcement de la démocratie » continua à alimenter en
liasses de dollars les diverses formes d’opposition.
Mise en cause en Bolivie, l’Agence l’était aussi au Venezuela où son
Bureau d’initiatives pour la transition (OTI) dirigeait une évidente
opération de changement de régime. Correa prend acte. Estimant affectée
la souveraineté nationale, il gèle les relations avec l’USAID en
décembre et la sort du pays en 2014.
La partie est finie – jusqu’à la prochaine fois !
Ex-vice-président de Correa, élu le 2 avril 2017 sur le programme de
la Révolution citoyenne, Lenín Moreno trahit ses électeurs et ses
promesses de campagne. Il fait du Trump avant l’heure : 160 000
travailleurs du secteur public vont recevoir leur lettre de
licenciement. Dès 2018, co-gouvernant avec la droite la plus
pro-américaine, Moreno autorise l’USAID à reprendre ses activités dans
le pays.
Devenu trop impopulaire du fait de sa gestion catastrophique, Moreno
ne peut se représenter à l’élection présidentielle de 2021. Face au
« corréiste » Andrés Arauz, se dressent le banquier Guillermo Lasso et
le candidat de Pachakutik Carlos Arnulfo Pérez Guartambel – dit « Yaku
Pérez ». « Indigène écolo de gauche », radicalement opposé à la
politique « développementiste » de Correa et de ses éventuels
successeurs, Pérez est un authentique « fils d’ONG ». Même s’il est
ouvertement pro-yankee, son positionnement – « défenseur du droit à
l’eau, opposé à l’exploitation minière » – provoque intérêt et sympathie
(en particulier à l’étranger). En troisième position lors du premier
tour (19,39 % des suffrages), derrière Arauz (arrivé premier avec
32,72 % des voix) et Lasso (19,74 %), il va s’appuyer sur le quart de
siècle de cooptation des groupes écologistes et indigènes par l’USAID
pour faire battre le candidat de gauche. Alors que Pérez laisse à ses
électeurs leur liberté de vote pour le second tour, la Conaie se
prononce pour un « vote nul idéologique ». Ce qui permet au banquier de
l’emporter.
A peu près pour les mêmes raisons, lors du second tour de la présidentielle anticipée, le 15 octobre 2023, la « Sierra »
indigène et « écolo » votera massivement pour le fils d’un
multimillionnaire magnat de la banane, Daniel Noboa. La candidate de
gauche Luisa González (Révolution citoyenne ; RC) avait pourtant
remporté le premier tour avec 33,61 % des voix.
Au coude à coude au premier tour de la présidentielle, le 9 février
2025, les deux mêmes se retrouveront au second tour, le 13 avril
prochain. Les gestions néolibérales successives de Moreno, Lasso puis
Noboa ayant plongé le pays dans une situation passée de calamiteuse à
catastrophique, le dirigeant Guillermo Churuchumbia
marqué une rupture en signant le 30 mars un pacte apportant le soutien
de Pachakutik à Luisa González. Mathématiquement, la candidate du
« correisme » devrait dès lors l’emporter. Néanmoins, de fortes tensions
internes agitent le mouvement indigène, dont la faction influencée par
le complexe « USAID-ONG » crie à la trahison et laisse envisager un
résultat indécis.
Manifestation indigène à Quito, en 2023 (ML)
Ne remontons pas à l’agression menée par la CIA contre le Nicaragua
pendant les années 1980. Vaincu par les conséquences de la guerre, Le
Front sandiniste de libération nationale (FSLN) perd l’élection
présidentielle de février 1990. Fort démocratiquement, il abandonne le
pouvoir à la nouvelle cheffe de l’Etat, Violetta Chamorro. Seize longues
années de gouvernements néolibéraux détruisent tous les acquis sociaux.
Entre ceux qui refusent de manger moins et ceux qui veulent manger
trop, les contradictions s’exacerbent. L’élection présidentielle de
novembre 2006 se profile. Pour les dominants, il devient de moins en
moins certain que les Nicaraguayens vont voter « comme il faut ».
Tout au long de 2006, l’USAID se réveille et investit la somme
pharamineuse de 260 millions de dollars dans le pays. Destinée à des
projets d’infrastructure, de transport et de développement rural, la
plus grande part du butin transite par l’entreprise de Washington
Millenium Challenge Corporation.
Malgré ce lourd et altruiste effort, les parias enfreignent les
règles de la bienséance et élisent le sandiniste Daniel Ortega. Le
développement n’est plus à l’ordre du jour : l’USAID réduit sa
contribution à 45 millions de dollars en 2009 et à 34 millions en 2012.
Un partenaire privilégié reçoit ce qui demeure tout de même une manne
conséquente et en redistribue une partie : la Fondation Chamorro. Fille
de l’ex-présidente, Cristina Chamorro dirige l’institution.
A partir de 2009, une part substantielle de l’effort s’est porté sur
un programme baptisé « Voix vitales Nicaragua ». La Première Dame
Hillary Clinton et la secrétaire d’Etat Madeleine Albright ont participé
à l’aventure en la cautionnant. Sous couvert d’appuyer les « femmes leader »,
le programme promotionne les femmes susceptibles de jouer un rôle de
premier plan dans les pays où Washington verrait d’un bon œil soit le
maintien des politiques néolibérales, soit un changement de régime. Un
projet éminemment politico-économique avec le féminisme et l’ « empowerment »
(autonomisation) comme rideau de fumée. En 2017, une année cruciale,
nous le verrons ultérieurement, « Voix vitales Nicaragua » se verra
attribuer 2 071 639 dollars.
A chacun « son truc » : si l’USAID offre du grain à moudre, le
sandinisme donne du fil à retordre. Loin de s’affaiblir, il se renforce,
porté par l’efficacité de ses programmes sociaux. Or, si l’on attend le
moment où un changement en douceur sera possible, l’histoire risque de
traîner trop longtemps. L’USAID repasse à l’offensive et fait danser les
millions. Entre 2010 et 2020, elle va distribuer 84 millions de dollars
pour déstabiliser le gouvernement de Daniel Ortega. Plusieurs objectifs
(les mêmes, on le notera, que dans tous les pays cibles) : renforcer
l’opposition et former de nouveaux leaders ; formater les instruments
nécessaires à la guerre médiatique ; travailler les secteurs vulnérables
de la société ; créer une masse critique de citoyens à même de se
retourner contre le pouvoir en cas de fortes tensions. Avec, s’agissant
du Nicaragua, un intérêt particulier pour la côte caraïbe, région où
vivent des minorités indigènes – Miskitos, Sumus et Ramas –, jugée
prioritaire par le Département d’Etat américain [30].
Dès lors, comme l’a révélé en son temps le site Behind Back Doors,une
multitude de programmes vont s’abattre, se succéder, s’enchevêtrer, se
compléter pour faire tomber le pays rebelle centraméricain [31].
Renforcement institutionnel (Institutional Strengthening Program) : amélioration
de la capacité de mobilisation des organisations d’opposition (Dexis
Consulting Group et Chemonics ; 8,99 millions de dollars).
Subventions à la société civile (Civil Society Grants Program) :
réactivation et formation d’organisations chargées de discréditer les
processus électoraux et de dénoncer les cas présumés de corruption
commis par les institutions gouvernementales (Ethique et Transparence ;
1,98 millions de dollars entre 2013 et 2018).
Développement d’un leadership démocratique (Democratic Leadership Development Program) :
dirigé vers les jeunes en vue d’un renouvellement générationnel au sein
de l’opposition (Institut national démocrate ; 19,65 millions de
dollars).
Promotion du développement économique et social (Promotion of Economical and Social Development in Nicaragua) :
promouvoir l’image nationale et internationale de l’ONG nicaraguayenne
Funides (Fondation nicaraguayenne pour le développement économique et
social) chargée de tailler en pièces, dans ses rapports, la politique
économique du gouvernement (2,50 millions de dollars entre 2011 et
2016).
Côte caraïbe (A Quality Technical Education for the Caribbean Coast ; Community Action for Reading and Security ; Education for Success ; Technical Vocational Education and Training Strengthening for At-Risk Youth TVET SAY) :
ensemble de programmes destinés à créer un sentiment hostile au pouvoir
sur une base communautaire en agitant les conflits passés et en formant
des dirigeants (sur l’ensemble, 46,4 millions de dollars).
Gouvernance locale (Local Governance Program) :
renforcement des forces antisandinistes dans les instances locales afin
d’affaiblir le gouvernement central ; remise en cause des projets
d’infrastructure – à commencer par celui d’un canal interocéanique
concurrent de celui de Panamá, envisagé entre 2010 et 2015 (Global
Communities ; 29 millions de dollars sur la période 2016-2018).
Renforcement des capacités pour la défense de la société civile (Capacity Building for Civil Society Defense) :
quand ce programme se termine en 2018, l’USAID se vante d’avoir créé
126 « alliances et associations » et d’appuyer 224 organisations de la
société civile (Dexis/Chemonics ; budget non connu).
Le Programme de renforcement des médias mis en place
en 2014 par l’USAID et la Fondation Chamorro a prévu que cette dernière
superviserait la modeste somme de 9,4 millions de dollars mise à
disposition. Charité bien ordonnée commençant pas soi-même, « la reine
Cristina » arrose La Prensa, le média digital Confidencial et le « think tank » Funides, propriétés de la famille Chamorro, puis une myriade de supports tous plus « ultras » les uns que les autres – 100 % Noticias, Artículo 66, Nicaragua Investiga, Nicaragua Actual, BacanalNica, Despacho 505 ; les chaînes de télévision Canal 10, Canal 11, Canal 12 et Vos TV ; Radio Corporación et Radio Café con Voz.
Par d’autres canaux, le Centre d’investigations de la communication
(CINCO) engrange 3,24 millions de dollars, Hagamos Democracia 1,11
millions, la Fundación Popol Na 207 762 dollars, Movimiento por
Nicaragua 803 154 dollars [32]…
La suite, tout le monde la connaît (ou devrait la connaître).
Coopération
USAID – Institut national démocrate concernant un « Programme de
développement de leadership démocratique » (2010-2015)
L’USAID et le Nicaragua (2018)
On ne peut jeter une foule dans la rue qu’une fois mise en condition
et soigneusement encadrée. Attaquant sous tous les angles, c’est cet
écosystème au chef d’orchestre censément invisible qui a préparé
l’opinion (y compris internationale) au soulèvement d’avril 2018. Il en a
choisi les leaders. Il les a formés. Il les a organisés.
Les affrontements entre la droite nicaraguayenne et des nervis armés d’un côté,la
police puis des groupes sandinistes mobilisés contre la tentative de
renversement d’Ortega de l’autre, prirent des allures de guerre civile.
Pendant les événements, les officines de propagande ont donné à plein.
Ultérieurement présentés comme persécutés par un régime autoritaire, les
100 % Noticias et autres Hagamos Democracia ont
ouvertement appelé l’opposition à la haine, à la violence, à prendre les
armes, à mener un coup d’Etat. Ils ont invoqué une intervention
militaire des Etats-Unis, similaire à celle menée en 1989 au Panamá. Les
groupes ultra-violents ont pu compter sur les subsides nécessaires à
leur déploiement.
Tous ont eu leur content de morts et de larmes. D’après le Rapport de
la Commission de la vérité de l’Assemblée nationale (février 2019), 253
personnes ont été tuées – 31 partisans indiscutables de l’opposition,
48 avérés ou probables sandinistes, 22 membres des forces de l’ordre
(victimes d’armes à feu de même que 401 des policiers blessés), et 152
victimes dont l’affiliation n’a pu être déterminée.
Intervient à ce moment un aspect particulièrement pernicieux des déstabilisations « Made in US »
(généralement accompagnées en deuxième rideau par les pays satellites
de l’Union européenne) : l’instrumentalisation de la défense des droits
humains. Dans ce domaine, les ONG se multiplient comme champignons sous
la pluie d’automne. Il leur suffit d’avoir un siège social et un numéro
de téléphone pour exister. Puis de dénoncer les « atrocités » du pouvoir
qu’il convient de faire tomber. En comptant sur les grandes
multinationales du secteur – Amnesty International (AI), Human Right
Watch (HRW), Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) –
pour relayer l’ « information » et provoquer l’indignation, puis, si
possible, la réaction de la « communauté internationale ». Avec un
principe absolu : seuls les Etats et leurs représentants peuvent être
mis en cause. Pour peu qu’ils fassent partie de la « société civile »,
un concept on ne peut plus flou, des putschistes, des violents ou des
meurtriers neutralisés ou emprisonnés deviennent des « victimes de la
répression » ou des « prisonniers politiques ». Une vision, somme toute,
très « libertarienne » de la politique et de la vie en société.
Il existe au Nicaragua trois leaders en la matière : la Commission
permanente des droits de l’Homme (CPDH), l’Association nicaraguayenne
pro-droits humains (ANPDH), le Centre nicaraguayen des droits de l’homme
(Cenidh). Les deux dernières se livrant à un passionnant concours, le
Cenidh a annoncé 302 morts, mais a été battu par l’ANPDH, qui a pu en
comptabiliser 560 en fin de conflit. Au doigt mouillé Amnesty a choisi
le chiffre de 322, « la majorité aux mains des agents de l’Etat ». C’était un peu trop mou pour les médias dits « mainstream », qui ont préféré suivre l’ANPDH (La Croix, Le Point, CNN en espagnol, El País, etc.). Dans un article du 3 janvier dernier, le « très sérieux » quotidien Le Monde avance encore le chiffre fantaisiste d’ « au moins 350 morts » (comme si 253 ne suffisaient pas !) [33].
Sur un secteur où il s’agit d’agir avec doigté pour ne pas l’exposer
aux critiques, ce n’est pas l’USAID qui se trouve en première ligne,
mais la NED, sa discrète petite sœur. Pour la seule année 2018, cette
dernière avait octroyé 180 000 dollars à la CPDH [34].
Le 23 juillet 2019, à Managua, en conférence de presse, trois cadres de
l’ANPDH – Gustavo Bermúdez, Francisco Lanzas et German Herrera – ont
dénoncé leur directeur Álvaro Leiva en l’accusant d’avoir « embarqué »
au Costa Rica, où il s’est exilé, 500 000 dollars, dont plus de 100 000
dollars alloués par la NED en 2017 et 2018. Ils ont y compris révélé
qu’en 2018, l’ANPDH a artificiellement gonflé le chiffre des morts et
des blessés pour recevoir davantage de subventions des Etats-Unis.
En bout de chaîne, que ce soit en matière de développement ou sur le
thème de la défense des droits humains se trouve l’ONU. L’article 71 de
la charte des Nations unies définit en effet l’existence des ONG et leur
permet de participer à certaines de ses activités : « Le Conseil économique et social [Ecosoc]
peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les
organisations non gouvernementales qui s’occupent de questions relevant
de sa compétence. » Présentes au sein de plusieurs des 25
commissions de l’Ecosoc, 6500 ONG bénéficiant d’un statut sont devenues
des acteurs majeurs des conférences internationales de l’ONU.
Partie intégrante du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH), le Comité des droits de l’Homme (CCPR) [35],
lors de ses sessions, accueille des observateurs – Etats nom membres,
organisations intergouvernementales, institutions nationales des DH et…
ONG. Ces dernières peuvent notamment soumettre une déclaration écrite ;
faire une déclaration orale ; participer aux débats, aux dialogues
interactifs, aux tables rondes et aux réunions informelles. Elles
peuvent aussi organiser des manifestations parallèles sur des questions
liées aux travaux du Conseil des droits de l’Homme (CDH) – organe
subsidiaire de l’Assemblée générale de l’ONU (dont les Etats-Unis de
Donald Trump se sont retirés).
De sorte que…
L’USAID (ou la NED, ou George Soros, ou même l’Union européenne)
financent des (pas toutes) ONG dites de défense des droits humains.
Celles-ci alimentent en « dénonciations » les institutions
« honorablement connues » du secteur – Amnesty (AI), Human Right Watch
(HRW), FIDH, etc. L’ensemble des accusations nourrit les médias et/ou
les instances de l’ONU – sans parler de la Commission interaméricaine
des droits de l’Homme (CIDH), dépendant de l’Organisation des Etats
américains (OEA). Tout ce beau monde élabore à son tour des rapports.
L’une des forces de toutes ces instances réside dans l’autorité morale
dont elles jouissent. Dès lors la boucle est bouclée : USAID/NED ; ONG
locales ; ONG globales ; médias ; ONU influencée par les ONG locales et
globales ; ONG globales répercutant les conclusions de l’ONU ; appareil
médiatique amalgamant le tout. Opinion publique confondue.
Que HRW critique Trump ou des dirigeants comme lui illibéraux ne
change rien à l’affaire : l’ONG est par définition et depuis toujours
beaucoup plus proche du Parti démocrate que du Parti républicain.
Qu’AI prenne des positions courageuses sur Israël, Gaza, ou telle ou
telle situation, n’empêche pas ses errances coupables sur d’autres
sujets. Qu’on prenne le cas du Venezuela, par exemple. Deux sources
particulièrement importantes : le Foro Penal (organisation ouvertement
d’opposition) et Provea. En d’autres temps (années 1980), Provea a
défendu des militants de gauche victimes de la répression. Pour qui ne
l’aurait pas noté : plusieurs décennies ont passé. Ses dirigeants ne
sont plus les mêmes. L’organisation a évolué. Depuis 2015, le Venezuela
est victime de plus de 900 mesures coercitives unilatérales imposées par
les Etats-Unis. Cet ensemble de sanctions a mis l’économie du pays à
genoux, provoqué une immense souffrance sociale. Qu’en dit Rafael
Uzcátegui, ex-dirigeant de Provea devenu tout récemment chercheur au
sein du Bureau de Washington pour les affaires latino-américaines
(WOLA) : « Il est faux de prétendre que la levée des sanctions
améliorera la qualité de vie des Vénézuéliens. L’argent sera gaspillé
dans la corruption cannibale qui règne au sein du chavisme et ne
parviendra pas à la population [36]. » Traduction :
oui aux mesures coercitives. Le discours de l’extrême-droite
vénézuélienne et de l’Internationale réactionnaire (Trump, Javier Milei,
Jair Bolsonaro, etc.)…
Bolivie : sous la coupe de sa dirigeante historique, une ancienne
religieuse espagnole, María Amparo Carvajal, l’Assemblée permanente des
droits humains de Bolivie (APDHB) appuie en novembre 2019 le coup d’Etat
contre Evo Morales, défend les membres de la police et de l’armée
impliqués dans les faits de violence qui provoquent 37 morts et 800
blessés. HRW dénonce Morales et, plutôt que « coup d’Etat » évoque une « vendetta politique ». La FIDH reprend sans aucun recul les communiqués de l’APDHB.
Dans un article de… VOA [37], Carvajal
sera encensée lorsque, le 10 décembre 2024, elle recevra, des mains
d’Antony Blinken, le Prix du défenseur des droits humains octroyé par le
Département d’Etat américain.
Ce qui précède ne constitue en rien une attaque à la nécessaire
défense des droits humains ni une feuille de vigne destinée à dissimuler
la répression, la torture, la peine de mort et autres traitements
dégradants. Il s’agit simplement d’un constat. A trop jouer de leur
instrumentalisation, certains acteurs risquent de décourager les
citoyens qui se sentent concernés par la cause et de la décrédibiliser
définitivement.
Retour à notre point de départ. Au Nicaragua, la tentative de renversement du sandinisme en 2018 a finalement fait un pssschiiiit retentissant.
Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2021, l’USAID a
réinjecté 2 millions de dollars dans une « Assistance réactive au
Nicaragua » (Responsive Assistance in Nicaragua ; RAIN) destinée
à empêcher la réélection d’Ortega. Nouvel échec. Le sandiniste a été
réélu. Le programme a donc été porté à 5 millions de dollars jusqu’en
2024. Avec, désormais, un écueil : depuis 2021, de nombreuses ONG
partenaires de l’USAID ont fermé, soit volontairement, soit contraintes
et forcées pour n’avoir pas respecté la Loi 1040 dite « Loi de
régulation des agents étrangers », peu ou prou similaire à celle que fit
voter Correa en Equateur ou au Foreign Agent Registration Act
(FARA) en vigueur… aux Etats-Unis. Sans être taxé par personne de
tyrannique, ce FARA exige que les personnes agissant en tant qu’agents
de mandants étrangers « divulguent périodiquement au public leur
relation avec le mandant étranger, ainsi que les activités, les recettes
et les déboursements à l’appui de ces activités. » L’objectif principal étant de promouvoir « la transparence en ce qui concerne l’influence étrangère aux Etats-Unis. »
Depuis, une obscurité totale s’est abattue sur les
modalités de l’ingérence de l’Agence au Nicaragua. La seule chose que
l’on sait c’est que de nombreux dirigeants de l’opposition radicale ont
été arrêtés – pour avoir refusé de se soumettre à la loi (ce qui est
rarement précisé).
Spectaculaire
manifestation sandiniste autour de Daniel Ortega, le 19 juillet 2019,
un an après la tentative de renversement du chef de l’Etat (ML)
Accrochez vos ceintures, nous entrons dans une autre zone de
turbulence : entre 2001 et 2024, si l’on en croit le Bureau américain de
l’aide étrangère (US Office of Foreign Assistance), les
Etats-Unis ont canalisé 1,27 milliards de dollars vers le Venezuela ;
86,95 % de ces ressources, soit 1,10 milliards de dollars, ont été gérés
par l’USAID.
Voici les faits : depuis le 2 février 1999, Hugo Chávez gouverne le
pays, devenu République bolivarienne du Venezuela. Le néolibéralisme
voit son emprise idéologique contestée. Qui va profiter des énormes
réserves de pétrole ? Les plus importantes de la planète ! Le Bureau
Ovale et le State Department frissonnent. Sur place, la haute
société et les classes moyennes s’entêtent également dans la résistance
au changement. En 2001, l’USAID destinait au Venezuela la somme
dérisoire de 4 100 dollars. Elle bondit à plus de 2 millions de dollars
l’année suivante alors que se multiplient les manifestations des enfants
gâtés. En mars 2002, l’USAID (et la NED) créent à Caracas un Bureau des
initiatives pour la transition (OTI en anglais). Un mois plus tard, le
11 avril, a lieu le coup d’Etat qui tente d’éliminer Chávez et qui
échoue. Coïncidence ? No-no-no ! Le mot « transition » dit bien ce qu’il veut dire. Pour preuve : l’argent se met à couler à flots.
L’OTI ? Explication de l’artiste, au soir du vernissage : il s’agit
d’un outil destiné à repeindre un régime « populiste » pour en faire une
« démocratie américano compatible ». D’après un câble de l’ambassade
étatsunienne de 2006 révélé par Wikileaks en 2013, il s’agit également
(et plus prosaïquement) de : protéger les intérêts vitaux des
Etats-Unis ; infiltrer et diviser la base politique du chavisme ; isoler
internationalement le chef de l’Etat bolivarien. Entre 2002 et 2010,
l’OTI canalise 26 millions de dollars en direction de 300 organisations
allant des médias aux partis politiques en passant par les syndicats et
les ONG. On ne parle là que de l’OTI. L’ensemble des bonnes œuvres de
l’USAID atteint 57 millions de dollars [38]. Il convient d’ailleurs d’être prudent avec les chiffres : en août 2006, le Los Angeles Times affirme que l’OTI a envoyé plus de 220 millions de dollars depuis 2002 [39].
Ce qui est sûr, c’est que voient le jour une myriade d’ONG qui bientôt
tiendront le haut du pavé : Súmate (d’une certaine María Corina
Machado), Ciudadanía Activa, Voto Joven, Sinergia, Cedice, Radar de los
Barrios, Espacio Público, etc. Caractéristique commune : elles ne font
pas dans la dentelle. Leurs bulletins se lisent comme des communiqués de
presse de la CIA. Pour qui ne le l’aurait pas compris, la sociologue
vénézuélienne Gladys Rojas éclairera le phénomène en soulignant qu’une
grande partie des ONG sont utilisées par la droite pour échapper aux
normes juridiques : « Les partis politiques ne pouvant pas recevoir
de financement d’entités privées ou de gouvernements étrangers, les
partis d’opposition ont créé ces ONG pour leur servir de bras financier
recevant ce soutien [40]. »
Encore Wikileaks ! Daté du 15 juin 2007, un câble de l’ambassadeur
des Etats-Unis à Caracas fait état d’une discrète rencontre avec des
« partenaires » au sein de l’ambassade. Y participent la « coordinatrice
spéciale pour le Venezuela » Deborah McCarthy et treize éminents
« défenseurs des droits humains » parmi lesquels Carlos Ayala
(Commission andine des juristes), Carlos Correa (Espacio Público), José
Gregorio Guarenas (vicariat des droits humains de l’Eglise catholique),
Liliana Ortega (Cofavic), Rocio San Miguel (Control Ciudadano) [41] et Andrés Canizalez, journaliste et collaborateur de… Reporters sans frontières.
N’ayant rien d’un naïf, Chávez finit par perdre patience et ordonne l’expulsion de l’OTI en septembre 2010.
Désolé pour l’avalanche de chiffres qui va suivre, fastidieuse à
lire, mais encore plus déplaisante pour qui en subit les effets. Nicolás
Maduro a remplacé feu Chávez. En rythme de croisière, entre 2013 et
2016, l’USAID déverse de l’ordre de 4 millions de dollars par an sur ses
protégés vénézuéliens. Augmentation significative en 2017 : sur les 14
millions de dollars alloués par le gouvernement américain, 6,5 millions
(dont 3,9 millions pour le secteur « gouvernance et société civile »)
proviennent de l’USAID. L’argent, on le précisera, arrose également les
exécutants étrangers de l’agression contre Caracas : entité
« indépendante » affiliée à l’Organisation des Etats américains (OEA),
que dirige le comparse des USA Luis Almagro, la Fondation panaméricaine
de développement (PADF en anglais) perçoit 1,6 millions de dollars, dont
elle destine 950 000 au programme « Renforcement de la société civile,
Projet de participation Venezuela ». On ignore ce qu’elle fait du reste.
On sait en revanche qu’elle est cofinancée par les multinationales
Merck et Chevron.
Résultat des courses : pendant quatre longs mois – d’avril à juillet
2017 –, alors que se multiplient les barricades, la contre-révolution
passe à l’offensive, incendie et détruit bâtiments publics, hôpitaux,
centres de santé, crèches, écoles, lycées, maternités, entrepôts de
nourriture et de médicaments... Cent-vingt-cinq morts, des milliers de
blessés, des millions de dollars de pertes.
En matière de droit international, les seules règles qui ont cours à
Washington ne sont pas celles de la Charte des Nations unies, mais les
décrets signés dans le Bureau Ovale, de la main du Président. Le 9 mars
2015, Barack Obama fait ainsi du Venezuela « une menace inusuelle et extraordinaire pour la sécurité nationale des Etats-Unis ».
Il ouvre la porte à ce qui va suivre : un déluge de mesures coercitives
unilatérales destinées à mettre la République bolivarienne à genoux. La
guerre économique commence. Le pays souffre, vacille, s’enfonce dans la
crise. Puis…
Le 23 janvier 2019, un petit gars marchant au doigt et à l’œil, le
député de Volonté populaire (VP) Juan Guaido, s’autoproclame « président
intérimaire ». Dès octobre 2019, l’administrateur de l’USAID, Mark
Green, signale qu’est « officiel » l’accord d’association avec l’équipe de Guaido : « Son
Gouvernement est le seul Gouvernement représentant les intérêts du
peuple vénézuélien et nous sommes très fiers de travailler avec eux. » Les fonds déboursés serviront « à
payer leurs salaires, des billets d’avion, un entraînement pour la
bonne gouvernance, de la propagande, une assistance technique pour
organiser des élections et d’autres projets de construction de la
démocratie ». L’USAID décaisse à tout va : 98 millions de dollars en
2019 (nous arrondissons) ; 155 millions en 2020 ; 180 millions en
2021 ; 207 millions en 2022 ; 206 millions en 2023 et 211 millions en
2024 (la somme la plus élevée en deux décennies).
Mark
Green, administrateur de l’USAID et Carlos Vecchio, « ambassadeur » du
« gouvernement » de Juan Guaido aux Etats-Unis (2019)
« Le 23 février [2019] sera le jour où l’aide humanitaire entrera au Venezuela, a défié Guaido en début de mois. Elle va entrer au Venezuela, c’est sûr, et l’usurpateur n’aura pas d’autre choix que de quitter le Venezuela ! » L’idée géniale : Maduro ayant « affamé ses compatriotes »,
une opération « humanitaire » menée depuis Cúcuta, la principale ville
colombienne sur la frontière, permettra à la fois d’organiser un
formidable show médiatique et de montrer le soutien de la « communauté
internationale » au départ de Maduro. Laquelle communauté,
effectivement, n’accorde pas une grande attention à la réaction du
ministre des Affaires étrangères Jorge Arreaza lors d’une conférence
presse au siège de l’ONU : « Il n’y a pas de crise humanitaire au Venezuela, il y a une économie bloquée et assiégée », déclare-t-il avant de dénoncer le double discours des Etats-Unis : « C’est un gouvernement hostile qui vous tue d’un côté et vous donne à manger de l’autre ! » Sans forcément s’en rendre compte, c’est toute l’action de l’USAID qu’il vient succinctement de résumer.
Sollicitée, la Croix-Rouge Internationale a refusé de participer à la
pitrerie. Le directeur de sa section colombienne, Christoph Harnisch,
conteste le terme d’« aide humanitaire », considérant qu’elle
ne respecte pas les principes de neutralité et d’impartialité. De fait,
dans les jours qui précèdent l’échéance, ce sont trois énormes C-17
militaires qui décolleront de la base aérienne de Homestead, à Miami,
pour atterrir à Cúcuta. Le premier des appareils transporte 70 tonnes
d’aide ; les deux suivants, 230 tonnes en tout. Depuis janvier, l’USAID a
mobilisé 2 millions de dollars pour transporter ces fournitures et
denrées jusqu’ici, mais aussi, pour un total de 368 tonnes, au Brésil et
dans l’île caribéenne de Curaçao. En compagnie de l’ambassadeur
étatsunien Kevin Whitaker, de hauts fonctionnaires colombiens et de
comparses de Guaido (qui arrivera un peu plus tard, aidé par le groupe
narco-paramilitaire des « Rastrojos »), le « boss » de l’USAID, Mark Green en personne, vient superviser les préparatifs et répondre aux questions de la presse à Cúcuta.
Tout cela est bel et bien bon, mais ne mène nulle part. Censée entrer
comme dans du beurre et être acheminée de façon triomphale par Guaido
jusqu’au palais présidentiel de Miraflores, pris d’assaut et occupé par
la foule de ses partisans, la pseudo-aide humanitaire reste à Cucuta,
bloquée sur la frontière par l’armée vénézuélienne, mais aussi par le
petit peuple chaviste, qui résiste vaillamment dans ce qu’on a appelé
« la bataille des ponts ». Deux ans plus tard (2021) un rapport de
l’inspecteur général de l’USAID révélera que sur les 368 tonnes d’aide
annoncées en fanfare, seules 8 tonnes (2 %) ont été distribuées au
Venezuela. Le reste, après être resté un temps entreposé en Colombie y a
été distribué ou envoyé en Somalie [42].
Annonces, rencontres et poignées de main se succèdent devant les
caméras. Dès 2019, l’USAID a signé avec Carlos Vecchio, l’
« ambassadeur » de Guaido à Washington, un accord lui permettant de
gérer l’argent qui va être dirigé vers l’ « aide humanitaire ». Bingo !
Indépendamment des 467 millions de dollars (2017-2022) censés assister
les migrants échoués dans dix-sept pays de la région [43],
il y en a en gros pour 189 millions de dollars à distribuer à
l’intérieur du Venezuela. Arrive le Covid : pas un masque ne sera acheté
et acheminé. Pas un vaccin. Nul matériel médical. Aucun aliment.
Paradant sur Internet avec son complice de l’OEA Luis Almagro, Guaido
promet 300 dollars à chaque médecin et infirmier vénézuéliens pour
affronter la pandémie. Cinq ans plus tard, ils n’ont encore rien reçu.
En revanche, les billets verts de l’USAID affluent dans les caisses
de la coalition des ONG et autres organisations fantômes impliquées dans
la déstabilisation du pays – Foro Civico, Ciudadania Activa, Espacio
Público, Foro Penal (source privilégiée, on l’a vu, d’Amnesty
International), Redes Ayudas, Súmate, Fundación Futuro Presente, Rescate
Venezuela, Cedice-Atlas-Libertad, Un Mundo Sin Mordaza (UMSM),
Coalición Ayuda y Libertad (crée par Guaidó en personne pour collecter
des fonds destiés à « l’aide humanitaire »), Movimiento Ciudadano Dale
Letra, Acción Solidaria, Fetrasalud, Monitor Salud, Observatorio
Electoral Venezolano, Academia Nacional de Medicina, Movimiento de
Sindicatos de Base (Mosbase), Unión Vecinal, etc…
Vol d’ONG au-dessus du Venezuela (DR)
Le 15 septembre 2022, devant la Commission des relations étrangères
du Sénat américain, l’administratrice assistante de l’USAID pour
l’Amérique latine et la Caraïbe, Marcela Escobari, réitère la nécessité
d’ « élever la pression sur le Venezuela ». L’Agence va de fait
s’impliquer, à travers le Centre Wilson, dans le financement des
primaires de l’opposition (que remportera María Corina Machado), une
opportunité, toujours d’après Escobari, pour que la droite « reconstitue son unité et récupère son élan ».
Sans périphrases, elle exprime son intention de financer les médias et
les ONG qui souhaitent servir de plateformes pour donner plus de poids
aux questions de la « crise migratoire » et des « violations des droits de l’Homme ».
Rumeurs, rumeurs, rumeurs. Depuis longtemps déjà s’expriment des
interrogations sur l’utilisation des sommes colossales mises à
disposition de l’opposition vénézuélienne. Depuis longtemps déjà des
débuts de réponse ont été apportés, qu’il fallait être aveugle, sourd,
complice ou journaliste pour ne pas relever.
Il n’y a pas que des aigrefins au sein de l’USAID, certains croient
en leur mission. Après l’audit des plus de 507 millions de dollars
investis à ce moment par le gouvernement des Etats-Unis en direction du
Venezuela, un rapport de l’Agence elle-même – « Des processus améliorés
et des exigences de mise en œuvre sont nécessaires pour relever les
défis et les risques de fraude dans la réponse de l’USAID au Venezuela »
– alerte, en avril 2021 : environ 2 % de l’aide humanitaire est
parvenue à ceux qui en avaient besoin, tandis que les 98 % restants ont
été utilisés à des fins autres que celles prévues initialement. Le
rapport accuse le gouvernement intérimaire de Juan Guaidó « d’influencer les décisions concernant l’allocation des ressources ». Parmi les irrégularités, est noté le fait que « les ordres donnés par le bureau de l’administrateur de l’USAID ont été donnés verbalement et sans justification [44] ».
Relation de cause à effet ? Sur la page « Venezuela » du Web de l’USAID, l’administration Biden élimine les données chiffrées.
Et voici que resurgit Trump. Il est « imprévisible », tout le
monde vous le dira. Il le prouve au-delà de toute espérance. Il s’en
prend à l’USAID ! D’après lui, de nombreux projets de l’agence n’ont pu
être financés que s’il y a eu corruption. « Personne n’aurait pu approuver cela. Ils n’auraient pu l’approuver qu’en recevant des pots-de-vin », déclare-t-il en ordonnant la fermeture de l’agence avant qu’elle ne dévore définitivement l’argent des contribuables américains.
Des langues se délient. Des faits remontent à la surface. Des
séquences « YouTube » de gros chèques remis en grandes pompes
ressurgissent. Des individus déguisés en types respectables sont montrés
du doigt. Juan Guaidó, Carlos Vecchio, David Smolanski, Julio Borges,
Leopoldo López, Roberto Marrero, Yon Goicoechea, Miguel Pizarron Freddy
Guevara, Lester Toledo, Antonio Ledezma. La fine fleur de
l’anti-chavisme radical luxueusement exilé à Madrid ou à Miami. Sans
oublier Sainte María Corina Machado. Analyste politique et expert en
matière de sécurité vivant aux Etats-Unis, l’opposant vénézuélien
Anthony Daquin accuse publiquement les leaders du « gouvernement
intérimaire » et des dizaines d’ONG d’avoir détourné 856 millions de
dollars – dont 150 millions de dollars pour le seul « gouvernement » de
Guaido.
Patron de SilverCorp, mercenaire qui a organisé, en mai 2020, depuis
les Etats-Unis et la Colombie, l’Opération Gédéon, destinée à renverser
ou éliminer Maduro, Jordan Goudreau refait surface. Le coup a échoué.
Guaido avait signé un contrat avec Goudreau. Goudreau n’a jamais été
payé. Goudreau « balance ». Goudreau exhorte Elon Musk, à enquêter sur
Guaidó et Leopoldo López dans les affaires de corruption impliquant des
fonds de l’USAID.
Panique plus que perceptible ! La contre-révolution va-t-elle dévorer
ses enfants ? La procureure générale des Etats-Unis, Pam Bondi, a
annoncé le 25 mars la création d’une équipe spéciale au sein du
ministère de la Justice pour enquêter et poursuivre toutes les personnes
impliquées dans les fraudes découvertes par l’équipe DOGE de Musk. « Un groupe de travail intérimaire travaille avec toutes les agences concernées, a-t-elle averti, et si vous avez commis une fraude, nous vous poursuivrons. » Trump
2 a entre les mains le sort des corrompus vénézuéliens qui ont trompé
Trump 1 en s’empiffrant de l’argent des contribuables, argent qu’ils ont
allégrement détourné – tout en contribuant à ruiner leur pays.
Juan Guaido, chef d’une « pandilla » d’escrocs de haute volée
Année après année, pays après pays, l’histoire est toujours la même.
Le 11 avril 2015, lors du VIIe Sommet des Amériques, au Panamá, la
présidente argentine Cristina Fernandez de Kirchner mettait en cause ces
ONG qui « se battent toujours pour la liberté ou pour les droits de
l’homme ou pour toutes les choses louables que nous partageons tous, ONG
dont on ne sait jamais d’où elles tirent leur financement, qui sont
toujours prêtes à lancer les accusations les plus ésotériques,
impossibles à vérifier, mais qui visent clairement à déstabiliser les
gouvernements de la région et, curieusement, ces gouvernements qui ont
fait le plus pour l’équité, pour l’éducation et pour l’inclusion
sociale. »
A plusieurs reprises, en 2021, 2023 et 2024, le président mexicain
Andrés Manuel López Obrador (AMLO) s’est publiquement plaint auprès de
son homologue Joe Biden de ce que l’USAID se consacrait au financement
d’associations « ouvertement d’opposition ». Et de citer le cas
emblématique de Mexicains contre la corruption et l’impunité (MCCI).
Constituée en tant qu’association à but non lucratif en 2015, MCCI n’a
commencé à recevoir des fonds de l’USAID qu’en 2018, comme par hasard
pendant la première année du gouvernement d’AMLO. Président de
l’association, González Guajardo a démissionné en 2020 pour se consacrer
au soutien de Va por México, alliance électorale d’opposition composée
du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), du Parti d’action
nationale (PAN) et du Parti de la révolution démocratique (PRD). Selon
le chef de l’Etat mexicain, les ressources transférées à cette
association très hostile au pouvoir se sont élevées à 5,92 millions de
dollars de 2018 à 2023.
Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que, dans leur projet de
démantèlement de l’USAD, Trump et Musk aient trouvé un soutien en
apparence inattendu : celui de Claudia Sheinbaum. « L’agence est
impliquée dans tellement de choses que, honnêtement, il serait
préférable qu’elle soit purement et simplement fermée, a déclaré le 4 février, en conférence de presse, l’actuelle présidente mexicaine. Si l’aide doit être fournie, elle devrait passer par d’autres canaux transparents – c’est là le véritable problème. »
Arrivé à ce stade, il n’est plus besoin de multiplier les exemples à
l’infini. Ceux précédemment cités n’interdisent d’ailleurs pas que, dans
moult circonstances, les relations ne soient excellentes entre l’USAID
et tel ou tel gouvernement. Pour peu qu’il soit de droite, évidemment.
Particulièrement important depuis quarante-cinq ans, l’appui
inconditionnel de Washington à Bogotá a encore augmenté à partir du
gouvernement de Bill Clinton (1993-2001) et du Plan Colombie [45],
puis sous les mandats d’Álvaro Uribe, Juan Manuel Santos et Iván Duque.
Depuis 2016, l’USAID s’implique notablement dans le financement des
programmes liés aux Accords de paix signés avec l’ex-guérilla des FARC –
appui à la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), réforme rurale,
substitution des cultures illicites, développement des zones
stratégiques –, situation d’autant plus paradoxale que ces accords ont
été torpillés et rendus totalement inopérants par le président Duque.
Dès lors se pose la question : à quoi a bien pu servir une part
conséquente de cet argent ?
En 2023, sous le président de centre-gauche Gustavo Petro, avec 389
millions de dollars finançant des centaines de programmes, la Colombie
est le pays d’Amérique latine qui a reçu la plus importante contribution
de l’USAID – le second étant Haïti (316 millions de dollars) suivi du
Venezuela. Le gel de la manne provoque une forte inquiétude : va-t-il
mettre en péril les accords de paix ? Dirigeant de l’Armée de libération
nationale (ELN), une guérilla historique encore en activité, Antonio
García rappelle à cet égard les termes du rapport de la Commission de la
vérité, qui, entre autres responsabilités, pointe celle des
Washington : « Cela nous laisse avec une question car celui [les Etats-Unis] qui
a longtemps été un moteur de la guerre en Colombie agit maintenant, en
toute simplicité, comme un moteur “désintéressé” de la paix. »
Aide internationale à la Colombie (2025)
Toutes choses égales, mais dans le même registre, bien que loin de
l’Amérique latine, on pourrait citer un autre cas. En novembre 2024,
l’USAID a approuvé un fonds de 230 millions de dollars pour soutenir
« la reprise économique et « les programmes de développement » dans les
territoires palestiniens. Grâce à ces subsides, l’International Medical
Corps (IMC) a installé deux grands hôpitaux de campagne à Gaza, l’un à
Deir Al Balah, au centre, et l’autre à Al Zawaida, au sud. Alors que le
système de santé au sein du territoire est au bord de l’effondrement,
ces deux établissements parviennent à soigner plus de 3 000 civils par
mois [46].
Pour de très nombreux observateurs, un arrêt de l’assistance de l’USAID
est « inimaginable », dans les circonstances que l’on connaît.
Ce qui est encore plus inimaginable, c’est que les bombes qui
martyrisent les Gazaouis et les expédient dans les hôpitaux financés par
la main gauche de Washington sont fournies par… la main droite du
gouvernement des Etats-Unis.
Jamais l’aide au développement n’a été aussi indispensable.
Néanmoins, il n’y a lieu ni de se réjouir ni de se lamenter du
démantèlement de l’USAID. Trop de plantes vénéneuses se dissimulent sous
les vertes frondaisons de cette engageante forêt. Officiellement, 5200
financement ont été supprimés – 83 % de l’ensemble des programmes.
D’après le Département d’Etat, seuls un peu plus de 500 ont été
confirmés. Parmi ceux-ci, ont été maintenues des subventions « vitales »
comme l’assistance alimentaire et des traitements pour les malades du
sida, de la tuberculose et du paludisme, ainsi que des programmes
destinés à des pays « sensibles » comme le Liban, Haïti et, bien
entendu, le Venezuela et Cuba !
Prises dans le maelstrom déclenché par Trump, Musk et Rubio, des
centaines d’organisations internationales et d’ONG ont reçu un courriel
du Département d’Etat. Parmi les 36 questions qu’il contient, figure
celle-ci : « Pouvez-vous confirmer que votre organisation ne
travaille pas avec des entités associées au communisme, au socialisme,
au totalitarisme ou à n’importe quelle autre entité qui épouse des
croyances antiaméricaines ? » Il est bon également pour les récipiendaires de confirmer que leurs projets ne portent pas sur « le climat ou la justice environnementale », sachant qu’il vaudrait mieux pour eux n’avoir reçu « aucun financement de la Chine, de la Russie, de Cuba ou de l’Iran ».
Qu’on ne s’y trompe donc pas. L’actuelle opération de « nettoyage » a
principalement pour but de diaboliser le camp démocrate et les causes « progressistes » tout en tapant dans les dépenses non directement liées, en version Trump, aux « intérêts fondamentaux »
des Etats-Unis. Sous une forme ou sous une autre, sous le même nom ou
sous un sigle différent, la partie sombre de l‘USAID demeurera demain, à
n’en pas douter, l’instrument du « hard power » qu’elle a toujours été.
[15] « El rol de las ONG en los planes de EE.UU. », Pagina 12, Buenos Aires, 11 août 2014.
[16] Samantha Power, A Problem From Hell : America and the Age of Genocide, Basic Books, New York, 2002.
[17] Approuvée lors du Sommet mondial des Nations Unies (ONU) tenu en 2005, la « R2P » souscrit à « l’acceptation
claire et sans équivoque par tous les gouvernements de la
responsabilité de protéger la population contre le génocide, les crimes
de guerre, la purification éthique et les crimes contre l’humanité ».
[21] Frédéric Thomas, L’échec humanitaire. Le cas haïtien, CETRI, Charleroi, 2013.
[22] Gross
a été échangé contre trois des cinq Cubains condamnés par la justice
américaine en 2001 pour avoir infiltré des organisations anti-castristes
violentes basées à Miami.
[26] Entre
1967 et 1993, Chevron-Texaco a creusé 350 puits de pétrole et 880
bassins de rétention en pleine Amazonie équatorienne. En quittant le
pays, l’entreprise américaine a laissé derrière elle un millier de
fosses à ciel ouvert, non pavées, remplies de pétrole brut et de boues
d’épuration toxiques. En novembre 2018, la cour d’arbitrage
internationale de la Haye a tranché : Chevron ne paiera de réparations
ni aux victimes ni à l’Equateur.
[27] Voir, à titre d’exemple, « Conserving Biodiversity in the Amazon Basin. Context and opportunities for USAID », May 2005.
[28] Créée
en 2004 à l’initiative du président vénézuélien Hugo Chávez, l’ALBA
réunit en 2012 le Venezuela, Cuba, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua,
la Dominique, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Antigua-et-Barbuda (le
Honduras en est sorti après le coup d’Etat qui a renversé Manuel
Zelaya).
[40] Gladys
Rojas, « Metamorfosis de las ONG : El papel sociopolítico de las ONG en
la República Bolivariana de Venezuela durante el período 1999-2014 »,
Escuela de Gerencia Social del Ministerio del Poder Popular de
Planificación, Caracas, janvier 2015.
[41] Actuellement
incarcérée et en attente de jugement pour son implication présumée dans
une « Opération Bracelet Blanc » destinée à éliminer le président
Maduro.
[45] Lancé
officiellement par les présidents Bill Clinton et Andrés Pastrana, pour
lutter contre le trafic de drogue, le Plan Colombie avait pour objectif
principal la lutte contre la guérilla.