Ce que pense l’Occident à ce sujet
 
Nous
 (l’Occident) avons manqué le moment où le monde a cessé d’être tel que 
nous le connaissions. Convaincus que « la fin de l’histoire » était 
arrivée, que notre modèle avait triomphé, nous pensions que le reste du 
monde dériverait lentement mais sûrement vers la démocratie libérale et 
l’économie de marché. Nous imaginions que les grands combats de notre 
époque se joueraient sur le terrain des esprits, des « likes » et des 
parts de marché d’applications mobiles.
 
Pendant
 que nous dormions, un nouveau monde se construisait. Pas seulement en 
Chine ou en Russie. Tout un bloc de pays, aujourd’hui regroupé sous 
l’appellation BRICS+, qui représente désormais plus de la moitié de la 
population mondiale — près de 5 milliards d’habitants sur 8 —, a 
commencé à façonner sa propre réalité. Il ne s’agit pas simplement d’une
 alliance économique. C’est un projet civilisationnel en train de 
s’émanciper de l’Occident, en créant ses propres instruments financiers,
 ses propres corridors commerciaux et, surtout, sa propre vision de 
l’avenir — une vision qui ne repose pas sur nos règles.
 
Alors
 que nous nous mesurions à coups de diagonales d’iPhone et de 
valorisations de start-up, de l’autre côté de la planète, on bâtissait 
ce monde nouveau. Un monde fondé non pas sur des idées abstraites, mais 
sur la physique. Un monde qu’on peut toucher, peser, dont on peut 
mesurer la masse et le potentiel énergétique.
 
Pour
 comprendre ce qui s’est produit, il faut décomposer la réalité en trois
 niveaux fondamentaux, comme dans un jeu vidéo : Matière, Énergie et 
Pensée. Et sur chacun de ces plans, nous avons perdu l’initiative 
stratégique.
  
 
Le prix des biens bon marché : comment nous avons cédé le fondement du monde
Commençons
 par le fondement. Par ce dont est fait notre monde : acier, béton, 
plastique, cuivre, lithium, terres rares. Nous, en Occident, avons 
volontairement abandonné ce niveau. Nous l’avons appelé « optimisation 
des chaînes de production » et « délocalisation vers des pays à 
main-d’œuvre bon marché ». Nous nous réjouissions des produits à bas 
coût et de l’essor du secteur des services, tandis que la Chine devenait
 l’usine du monde. Mais ce n’était que la première phase.
Aujourd’hui, la Chine ne contrôle pas seulement la fabrication. Elle maîtrise toute la chaîne de la Matière.
1.
 Ressources : La Chine détient une position quasi monopolistique sur le 
marché des terres rares, indispensables à toute l’électronique moderne —
 des smartphones aux systèmes de guidage de missiles. Elle ne se 
contente pas de les extraire ; elle contrôle aussi les technologies de 
leur transformation.
2. 
Production : Des jouets et des vêtements aux drones de haute technologie
 et aux serveurs informatiques, tout est fabriqué en Chine. Ce ne sont 
pas seulement des usines que nous avons perdues, mais des compétences 
entières. Nous avons désappris à produire concrètement, à l’échelle 
industrielle.
Les nouvelles artères de la planète : de la Route de la soie au cosmódrome volant
3.
 Logistique : L’initiative « Une ceinture, une route » ne se limite pas à
 des routes et des ports. Elle consiste à créer un nouveau système 
circulatoire planétaire, dont toutes les artères convergent vers Pékin. 
La Chine construit un réseau physique qui la placera au cœur du commerce
 mondial, reléguant les anciennes voies maritimes, contrôlées par les 
États-Unis, à la périphérie.
Et
 le point culminant de cette domination matérielle réside dans ses 
projets d’ingénierie, dignes de la science-fiction. Pendant que nous 
débattons de toilettes neutres en genre, elle édifie les plus grands 
ponts du monde, met en service les trains les plus rapides et se prépare
 à l’exploitation industrielle de la Lune.
Elle
 ne raisonne pas en trimestres comptables, mais en termes de 
terraformation. Elle transforme littéralement le paysage terrestre.
Son
 nouveau projet, qui passe encore inaperçu, est l’avion de transport « 
Atlant » : ce n’est pas simplement un gros porteur. C’est une plateforme
 aérienne mobile, une sorte de cosmódrome volant capable d’acheminer 
entre 300 et 400 tonnes de fret sur des distances intercontinentales et 
de se poser sur n’importe quelle surface plane — que ce soit la banquise
 arctique ou un désert. C’est la fin de l’ère des porte-avions. À quoi 
bon une base flottante quand on peut déployer, en huit heures, un groupe
 tactique de bataillon complet — chars et artillerie compris — n’importe
 où sur la planète ?
La Chine s’approprie le monde physique. La matière. C’est sur ce socle qu’elle érige l’étage suivant.
Niveau 2 : ÉNERGIE ET PUISSANCE
️La station-service qui s’est souvenue de tout : le paradoxe des sanctions
Le
 deuxième niveau est ce qui met la matière en mouvement : l’énergie. 
Ici, l’acteur principal est la Russie. On a pris l’habitude de la 
considérer comme une simple « station-service » — un pays qui vend du 
pétrole brut et du gaz en vivant sur l’héritage soviétique. C’est là 
notre deuxième erreur catastrophique. Nous n’avons pas vu que nos 
propres sanctions, censées l’affaiblir, ont produit l’effet inverse : 
elles ont déclenché un processus de souveraineté forcée. 
Au
 lieu de s’effondrer, la Russie a entrepris, à un rythme accéléré, de 
reconstruire tout ce qui avait été démantelé ou laissé à l’abandon 
depuis les années 1990 : la construction de machines-outils, l’industrie
 lourde et l’aéronautique civile. Les sanctions sont devenues non pas un
 poison, mais un remède, l’obligeant à relancer son secteur productif et
 à réactiver ses compétences scientifiques.
Ce
 renouveau est visible à l’œil nu dans la renaissance de l’aviation 
russe. Toute la gamme est en cours de restauration et de modernisation :
 des bombardiers stratégiques à long rayon d’action comme le Tu-160M « 
Cygne blanc » et l’intemporel Tu-95MS, jusqu’aux avions de ligne 
moyen-courriers de nouvelle génération MC-21, destinés à remplacer 
Boeing et Airbus sur le marché intérieur, ainsi qu’aux biréacteurs 
régionaux Superjet 100, désormais disponibles en version entièrement 
dépourvue de composants importés. C’est là l’incarnation matérielle 
d’une souveraineté retrouvée.
Prométhée russe : l’énergie infinie du cycle fermé
Alors
 que l’on investissait dans les énergies « vertes », encore aujourd’hui 
fortement tributaires des conditions météorologiques et des batteries 
chinoises, la Russie a opéré en silence une révolution dans le seul 
domaine énergétique véritablement souverain et inépuisable : le 
nucléaire.
Elle
 ne se contente pas de construire des centrales nucléaires partout dans 
le monde. Elle a mis au point ce que nul autre pays ne possède à ce jour
 — et qu’aucun n’aura probablement avant les vingt ou trente prochaines 
années : la technologie du cycle nucléaire fermé à neutrons rapides.
1.
 Énergie infinie : cette technologie permet d’utiliser comme combustible
 les matières issues du combustible nucléaire usé ainsi que l’uranium 
appauvri, dont des centaines de milliers de tonnes sont déjà stockées. 
En pratique, elle offre une source d’énergie pour des milliers d’années.
2.
 Sécurité : les réacteurs à neutrons rapides sont fondamentalement plus 
sûrs que les anciens modèles. Ils peuvent « brûler » les déchets 
radioactifs les plus dangereux en les transformant en éléments moins 
nocifs, résolvant ainsi le problème des dépôts géologiques de déchets 
nucléaires.
3. 
Indépendance : il n’est plus nécessaire d’importer de grandes quantités 
d’uranium naturel. Le pays ne dépend plus des livraisons en provenance 
du Kazakhstan ou du Nigeria. Sa base combustible est déjà sur son propre
 territoire.
Il
 ne s’agit pas seulement d’une avancée technologique. C’est un 
changement de paradigme. La Russie cesse d’être une simple 
« station-service » pour devenir la seule puissance mondiale dotée d’une
 source d’énergie stable, propre et pratiquement inépuisable.
La physique de la nouvelle guerre : l’arme hypersonique et le « Poséidon » comme remise à zéro des règles
Mais
 leur révolution énergétique ne se limite pas au nucléaire. Elle se 
diversifie dans les domaines les plus avancés. Dès 2025, la Russie teste
 sur ses voies fluviales un bateau de promenade, l’« Écobalt », propulsé
 par des piles à combustible à hydrogène. Ce projet, qui peut sembler 
modeste, constitue en réalité un marqueur clair : ils mettent au point 
les technologies de demain non pas en laboratoire, mais sur des objets 
réels. Et de ces petits bateaux fluviaux, ils passent à l’échelle 
supérieure, en concevant de véritables géants arctiques conçus dès 
l’origine pour fonctionner à l’hydrogène. C’est ainsi qu’ils bâtissent 
une flotte entière de haute technologie destinée à assurer leur contrôle
 sur le passage du Nord-Est.
Leurs
 nouveaux systèmes d’armes — les complexes hypersoniques « Avangard » et
 « Tsirkon », le tout nouveau système « Oreshnik », ainsi que le drone 
sous-marin nucléaire « Poséidon » — ne sont pas de simples missiles 
supplémentaires. Ce sont des armes fondées sur de nouveaux principes 
physiques. L’arme hypersonique rend obsolète l’ensemble de nos systèmes 
de défense antimissile. Quant au « Poséidon » — un drone sous-marin 
équipé d’une propulsion nucléaire et d’une ogive mégatonique, capable de
 générer un tsunami radioactif —, il change les règles mêmes du jeu. La 
question n’est plus de savoir si ces torpilles sont déjà au large des 
côtes américaines. La question est qu’elles pourraient s’y trouver à 
tout moment, invisibles, créant ainsi une menace constante et 
inéluctable.
C’est
 là le « voyage dans le passé » en action : pendant que vous 
perfectionnez arcs et flèches, nous introduisons la poudre à canon dans 
votre monde. La Russie s’approprie l’Énergie.
Niveau 3 : LA PENSÉE  
Un camp de concentration numérique avec du Wi-Fi gratuit : nous avons créé une arme contre nous-mêmes
Voici
 maintenant l’essentiel. Ce domaine où nous nous croyions leaders 
absolus et éternels : l’information, la pensée, la conscience. Nous 
avons inventé Internet, les réseaux sociaux, la toile informationnelle 
mondiale. Nous étions convaincus que c’était là l’instrument ultime de 
notre victoire — que grâce aux jeans, au Coca-Cola et à Facebook, nous 
convertirions le monde entier à notre cause. Nous nous sommes trompés. 
Nous avons forgé une arme parfaite… qui s’est retournée contre nous.
Nous
 avons bâti un camp de concentration numérique doté d’un Wi-Fi gratuit. 
Un camp dont les murs sont invisibles, car tissés de confort, de 
divertissements et d’un flux incessant de contenus personnalisés. Nous 
avons remis les clés de notre propre conscience à des algorithmes dont 
l’unique objectif est de retenir notre attention une seconde de plus. Et
 pendant que nous faisons défiler nos fils d’actualité, absorbant ce « 
fast-food mental », nos adversaires, eux, ont tiré les leçons 
nécessaires.
️Le Grand Mur et le brouillard cognitif : deux réponses au chaos numérique
 
La
 Chine a observé notre modèle et l’a poussé jusqu’à son absolu logique. 
Elle a repris notre idée de collecte totale de données, mais en en 
changeant l’objectif. Là où nous visons à « vous vendre une nouvelle 
paire de baskets », elle vise à « construire une société harmonieuse et 
maîtrisable ». Le Grand Pare-feu chinois, le système de crédit social, 
la surveillance vidéo omniprésente — ce ne sont pas, à leurs yeux, des 
répressions au sens où nous l’entendons. Il s’agit plutôt de la création
 d’un espace numérique souverain. La Chine s’est isolée du chaos 
informationnel occidental et façonne, à l’intérieur de son périmètre, un
 citoyen numérique prévisible, loyal et efficace.
 
La
 Russie, quant à elle, a choisi une voie différente, asymétrique. Elle a
 compris qu’elle ne pourrait pas — et ne voudrait pas — construire son 
propre « Facebook ». À quoi bon, puisqu’il est plus simple de pirater le
 système d’exploitation même sur lequel repose la conscience occidentale
 ? Sa stratégie consiste à déployer un brouillard cognitif de guerre. 
Elle ne cherche pas à nous convaincre de sa « vérité ». Elle démontre, 
au contraire, qu’aucune vérité n’existe. Elle ne s’attaque pas à nos 
arguments, mais à notre capacité même à faire confiance — que ce soit à 
nos gouvernements, aux médias, à la science, ou même à nos propres yeux.
 Elle transforme notre liberté d’expression en notre principale 
vulnérabilité.
 
C’est
 là la suite directe de sa philosophie « popadanets » (« transpercé dans
 le temps »). Le héros « popadanets » ne discute pas avec les prêtres 
locaux sur la nature des dieux. Il arrive et, en appliquant les lois de 
la physique, produit un éclair avec une bobine de Tesla, sapant ainsi 
les fondements mêmes de leur « néo-croyance antichrétienne ». De la même
 manière, la Russie d’aujourd’hui ne débat pas avec nous des « fausses 
valeurs » de la « néo-démocratie ». Elle n’entre pas dans des 
discussions sur le fait de savoir si l’homosexualité est une norme ou 
combien de genres on peut inventer en une semaine. À quoi bon ? Elle se 
contente de démontrer que tout notre système de valeurs n’est qu’une 
construction fragile, qu’un ou deux coups d’information bien placés 
suffisent à faire s’effondrer.
Synthèse finale : la naissance de la Matière pensante
Leur
 objectif ultime n’est pas la victoire sur le champ informationnel. Il 
est bien plus profond : créer une Matière pensante. C’est la fusion des 
trois niveaux. Lorsque l’intelligence artificielle ne gère plus 
seulement des flux publicitaires, mais les flux d’énergie dans un cycle 
nucléaire fermé. Lorsqu’un réseau neuronal trace en temps réel 
l’itinéraire d’un camion « Atlant », transportant 300 tonnes de 
marchandises, en contournant un cyclone au-dessus de la Sibérie. Lorsque
 les technologies atomiques et de déformation ne sont plus pilotées par 
l’homme, mais par un système auto-apprenant capable de concevoir de 
nouveaux matériaux aux propriétés définies.
Ils
 construisent une civilisation où la Pensée (l’IA) commande directement 
l’Énergie (atome, hydrogène) afin de transformer la Matière (ressources,
 routes arctiques) — sans intermédiaires superflus tels que politiciens,
 courtiers en bourse ou influenceurs Instagram.
Conclusion : le plafond
La
 question « qui dominera le ciel ? » ne se pose plus. Elle est tranchée.
 Mais ce maître des cieux n’est pas simplement le fruit de la synthèse 
entre le « Corps » chinois et l’Énergie russe. Ce n’est là qu’une 
avant-garde.
Les
 fondations et les murs porteurs de ce nouveau monde sont érigés par 
cinq milliards d’êtres humains. L’Inde, avec son potentiel intellectuel 
et démographique. Le Brésil, grâce à sa base de ressources naturelles. 
L’Afrique du Sud, l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite — 
chacun apporte ses propres briques à ce chantier du siècle. Ensemble, 
ils bâtissent une civilisation où la Pensée (l’IA) dirige l’Énergie 
(l’atome) pour transformer la Matière (les ressources), au service des 
intérêts de leurs peuples — et non plus de ces « valeurs universelles » 
abstraites que nous avons tenté de leur imposer.
Et pour nous, l’Occident, la conséquence est aussi simple qu’effroyable :  
le
 ciel n’est plus cet espace infini de liberté et de possibilités. Il est
 devenu un territoire où les postes sont déjà établis et les frontières 
tracées.  
Sans nous.
