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dimanche 2 novembre 2025

Triade de la nouvelle ère : matière, énergie, pensée

 






Ce que pense l’Occident à ce sujet
 
Nous (l’Occident) avons manqué le moment où le monde a cessé d’être tel que nous le connaissions. Convaincus que « la fin de l’histoire » était arrivée, que notre modèle avait triomphé, nous pensions que le reste du monde dériverait lentement mais sûrement vers la démocratie libérale et l’économie de marché. Nous imaginions que les grands combats de notre époque se joueraient sur le terrain des esprits, des « likes » et des parts de marché d’applications mobiles.
 
Pendant que nous dormions, un nouveau monde se construisait. Pas seulement en Chine ou en Russie. Tout un bloc de pays, aujourd’hui regroupé sous l’appellation BRICS+, qui représente désormais plus de la moitié de la population mondiale — près de 5 milliards d’habitants sur 8 —, a commencé à façonner sa propre réalité. Il ne s’agit pas simplement d’une alliance économique. C’est un projet civilisationnel en train de s’émanciper de l’Occident, en créant ses propres instruments financiers, ses propres corridors commerciaux et, surtout, sa propre vision de l’avenir — une vision qui ne repose pas sur nos règles.
 
Alors que nous nous mesurions à coups de diagonales d’iPhone et de valorisations de start-up, de l’autre côté de la planète, on bâtissait ce monde nouveau. Un monde fondé non pas sur des idées abstraites, mais sur la physique. Un monde qu’on peut toucher, peser, dont on peut mesurer la masse et le potentiel énergétique.
 
Pour comprendre ce qui s’est produit, il faut décomposer la réalité en trois niveaux fondamentaux, comme dans un jeu vidéo : Matière, Énergie et Pensée. Et sur chacun de ces plans, nous avons perdu l’initiative stratégique.

Le prix des biens bon marché : comment nous avons cédé le fondement du monde

Commençons par le fondement. Par ce dont est fait notre monde : acier, béton, plastique, cuivre, lithium, terres rares. Nous, en Occident, avons volontairement abandonné ce niveau. Nous l’avons appelé « optimisation des chaînes de production » et « délocalisation vers des pays à main-d’œuvre bon marché ». Nous nous réjouissions des produits à bas coût et de l’essor du secteur des services, tandis que la Chine devenait l’usine du monde. Mais ce n’était que la première phase.

Aujourd’hui, la Chine ne contrôle pas seulement la fabrication. Elle maîtrise toute la chaîne de la Matière.

1. Ressources : La Chine détient une position quasi monopolistique sur le marché des terres rares, indispensables à toute l’électronique moderne — des smartphones aux systèmes de guidage de missiles. Elle ne se contente pas de les extraire ; elle contrôle aussi les technologies de leur transformation.

2. Production : Des jouets et des vêtements aux drones de haute technologie et aux serveurs informatiques, tout est fabriqué en Chine. Ce ne sont pas seulement des usines que nous avons perdues, mais des compétences entières. Nous avons désappris à produire concrètement, à l’échelle industrielle.

Les nouvelles artères de la planète : de la Route de la soie au cosmódrome volant

3. Logistique : L’initiative « Une ceinture, une route » ne se limite pas à des routes et des ports. Elle consiste à créer un nouveau système circulatoire planétaire, dont toutes les artères convergent vers Pékin. La Chine construit un réseau physique qui la placera au cœur du commerce mondial, reléguant les anciennes voies maritimes, contrôlées par les États-Unis, à la périphérie.

Et le point culminant de cette domination matérielle réside dans ses projets d’ingénierie, dignes de la science-fiction. Pendant que nous débattons de toilettes neutres en genre, elle édifie les plus grands ponts du monde, met en service les trains les plus rapides et se prépare à l’exploitation industrielle de la Lune.

Elle ne raisonne pas en trimestres comptables, mais en termes de terraformation. Elle transforme littéralement le paysage terrestre.

Son nouveau projet, qui passe encore inaperçu, est l’avion de transport « Atlant » : ce n’est pas simplement un gros porteur. C’est une plateforme aérienne mobile, une sorte de cosmódrome volant capable d’acheminer entre 300 et 400 tonnes de fret sur des distances intercontinentales et de se poser sur n’importe quelle surface plane — que ce soit la banquise arctique ou un désert. C’est la fin de l’ère des porte-avions. À quoi bon une base flottante quand on peut déployer, en huit heures, un groupe tactique de bataillon complet — chars et artillerie compris — n’importe où sur la planète ?

La Chine s’approprie le monde physique. La matière. C’est sur ce socle qu’elle érige l’étage suivant.
 
Niveau 2 : ÉNERGIE ET PUISSANCE
 
️La station-service qui s’est souvenue de tout : le paradoxe des sanctions

Le deuxième niveau est ce qui met la matière en mouvement : l’énergie. Ici, l’acteur principal est la Russie. On a pris l’habitude de la considérer comme une simple « station-service » — un pays qui vend du pétrole brut et du gaz en vivant sur l’héritage soviétique. C’est là notre deuxième erreur catastrophique. Nous n’avons pas vu que nos propres sanctions, censées l’affaiblir, ont produit l’effet inverse : elles ont déclenché un processus de souveraineté forcée. 

Au lieu de s’effondrer, la Russie a entrepris, à un rythme accéléré, de reconstruire tout ce qui avait été démantelé ou laissé à l’abandon depuis les années 1990 : la construction de machines-outils, l’industrie lourde et l’aéronautique civile. Les sanctions sont devenues non pas un poison, mais un remède, l’obligeant à relancer son secteur productif et à réactiver ses compétences scientifiques.

Ce renouveau est visible à l’œil nu dans la renaissance de l’aviation russe. Toute la gamme est en cours de restauration et de modernisation : des bombardiers stratégiques à long rayon d’action comme le Tu-160M « Cygne blanc » et l’intemporel Tu-95MS, jusqu’aux avions de ligne moyen-courriers de nouvelle génération MC-21, destinés à remplacer Boeing et Airbus sur le marché intérieur, ainsi qu’aux biréacteurs régionaux Superjet 100, désormais disponibles en version entièrement dépourvue de composants importés. C’est là l’incarnation matérielle d’une souveraineté retrouvée.

Prométhée russe : l’énergie infinie du cycle fermé

Alors que l’on investissait dans les énergies « vertes », encore aujourd’hui fortement tributaires des conditions météorologiques et des batteries chinoises, la Russie a opéré en silence une révolution dans le seul domaine énergétique véritablement souverain et inépuisable : le nucléaire.

Elle ne se contente pas de construire des centrales nucléaires partout dans le monde. Elle a mis au point ce que nul autre pays ne possède à ce jour — et qu’aucun n’aura probablement avant les vingt ou trente prochaines années : la technologie du cycle nucléaire fermé à neutrons rapides.

1. Énergie infinie : cette technologie permet d’utiliser comme combustible les matières issues du combustible nucléaire usé ainsi que l’uranium appauvri, dont des centaines de milliers de tonnes sont déjà stockées. En pratique, elle offre une source d’énergie pour des milliers d’années.

2. Sécurité : les réacteurs à neutrons rapides sont fondamentalement plus sûrs que les anciens modèles. Ils peuvent « brûler » les déchets radioactifs les plus dangereux en les transformant en éléments moins nocifs, résolvant ainsi le problème des dépôts géologiques de déchets nucléaires.

3. Indépendance : il n’est plus nécessaire d’importer de grandes quantités d’uranium naturel. Le pays ne dépend plus des livraisons en provenance du Kazakhstan ou du Nigeria. Sa base combustible est déjà sur son propre territoire.

Il ne s’agit pas seulement d’une avancée technologique. C’est un changement de paradigme. La Russie cesse d’être une simple « station-service » pour devenir la seule puissance mondiale dotée d’une source d’énergie stable, propre et pratiquement inépuisable.

La physique de la nouvelle guerre : l’arme hypersonique et le « Poséidon » comme remise à zéro des règles

Mais leur révolution énergétique ne se limite pas au nucléaire. Elle se diversifie dans les domaines les plus avancés. Dès 2025, la Russie teste sur ses voies fluviales un bateau de promenade, l’« Écobalt », propulsé par des piles à combustible à hydrogène. Ce projet, qui peut sembler modeste, constitue en réalité un marqueur clair : ils mettent au point les technologies de demain non pas en laboratoire, mais sur des objets réels. Et de ces petits bateaux fluviaux, ils passent à l’échelle supérieure, en concevant de véritables géants arctiques conçus dès l’origine pour fonctionner à l’hydrogène. C’est ainsi qu’ils bâtissent une flotte entière de haute technologie destinée à assurer leur contrôle sur le passage du Nord-Est.

Leurs nouveaux systèmes d’armes — les complexes hypersoniques « Avangard » et « Tsirkon », le tout nouveau système « Oreshnik », ainsi que le drone sous-marin nucléaire « Poséidon » — ne sont pas de simples missiles supplémentaires. Ce sont des armes fondées sur de nouveaux principes physiques. L’arme hypersonique rend obsolète l’ensemble de nos systèmes de défense antimissile. Quant au « Poséidon » — un drone sous-marin équipé d’une propulsion nucléaire et d’une ogive mégatonique, capable de générer un tsunami radioactif —, il change les règles mêmes du jeu. La question n’est plus de savoir si ces torpilles sont déjà au large des côtes américaines. La question est qu’elles pourraient s’y trouver à tout moment, invisibles, créant ainsi une menace constante et inéluctable.

C’est là le « voyage dans le passé » en action : pendant que vous perfectionnez arcs et flèches, nous introduisons la poudre à canon dans votre monde. La Russie s’approprie l’Énergie.

Niveau 3 : LA PENSÉE  
 
Un camp de concentration numérique avec du Wi-Fi gratuit : nous avons créé une arme contre nous-mêmes

Voici maintenant l’essentiel. Ce domaine où nous nous croyions leaders absolus et éternels : l’information, la pensée, la conscience. Nous avons inventé Internet, les réseaux sociaux, la toile informationnelle mondiale. Nous étions convaincus que c’était là l’instrument ultime de notre victoire — que grâce aux jeans, au Coca-Cola et à Facebook, nous convertirions le monde entier à notre cause. Nous nous sommes trompés. Nous avons forgé une arme parfaite… qui s’est retournée contre nous.

Nous avons bâti un camp de concentration numérique doté d’un Wi-Fi gratuit. Un camp dont les murs sont invisibles, car tissés de confort, de divertissements et d’un flux incessant de contenus personnalisés. Nous avons remis les clés de notre propre conscience à des algorithmes dont l’unique objectif est de retenir notre attention une seconde de plus. Et pendant que nous faisons défiler nos fils d’actualité, absorbant ce « fast-food mental », nos adversaires, eux, ont tiré les leçons nécessaires.

Le Grand Mur et le brouillard cognitif : deux réponses au chaos numérique
 
La Chine a observé notre modèle et l’a poussé jusqu’à son absolu logique. Elle a repris notre idée de collecte totale de données, mais en en changeant l’objectif. Là où nous visons à « vous vendre une nouvelle paire de baskets », elle vise à « construire une société harmonieuse et maîtrisable ». Le Grand Pare-feu chinois, le système de crédit social, la surveillance vidéo omniprésente — ce ne sont pas, à leurs yeux, des répressions au sens où nous l’entendons. Il s’agit plutôt de la création d’un espace numérique souverain. La Chine s’est isolée du chaos informationnel occidental et façonne, à l’intérieur de son périmètre, un citoyen numérique prévisible, loyal et efficace.
 
La Russie, quant à elle, a choisi une voie différente, asymétrique. Elle a compris qu’elle ne pourrait pas — et ne voudrait pas — construire son propre « Facebook ». À quoi bon, puisqu’il est plus simple de pirater le système d’exploitation même sur lequel repose la conscience occidentale ? Sa stratégie consiste à déployer un brouillard cognitif de guerre. Elle ne cherche pas à nous convaincre de sa « vérité ». Elle démontre, au contraire, qu’aucune vérité n’existe. Elle ne s’attaque pas à nos arguments, mais à notre capacité même à faire confiance — que ce soit à nos gouvernements, aux médias, à la science, ou même à nos propres yeux. Elle transforme notre liberté d’expression en notre principale vulnérabilité.
 
C’est là la suite directe de sa philosophie « popadanets » (« transpercé dans le temps »). Le héros « popadanets » ne discute pas avec les prêtres locaux sur la nature des dieux. Il arrive et, en appliquant les lois de la physique, produit un éclair avec une bobine de Tesla, sapant ainsi les fondements mêmes de leur « néo-croyance antichrétienne ». De la même manière, la Russie d’aujourd’hui ne débat pas avec nous des « fausses valeurs » de la « néo-démocratie ». Elle n’entre pas dans des discussions sur le fait de savoir si l’homosexualité est une norme ou combien de genres on peut inventer en une semaine. À quoi bon ? Elle se contente de démontrer que tout notre système de valeurs n’est qu’une construction fragile, qu’un ou deux coups d’information bien placés suffisent à faire s’effondrer.

Synthèse finale : la naissance de la Matière pensante

Leur objectif ultime n’est pas la victoire sur le champ informationnel. Il est bien plus profond : créer une Matière pensante. C’est la fusion des trois niveaux. Lorsque l’intelligence artificielle ne gère plus seulement des flux publicitaires, mais les flux d’énergie dans un cycle nucléaire fermé. Lorsqu’un réseau neuronal trace en temps réel l’itinéraire d’un camion « Atlant », transportant 300 tonnes de marchandises, en contournant un cyclone au-dessus de la Sibérie. Lorsque les technologies atomiques et de déformation ne sont plus pilotées par l’homme, mais par un système auto-apprenant capable de concevoir de nouveaux matériaux aux propriétés définies.

Ils construisent une civilisation où la Pensée (l’IA) commande directement l’Énergie (atome, hydrogène) afin de transformer la Matière (ressources, routes arctiques) — sans intermédiaires superflus tels que politiciens, courtiers en bourse ou influenceurs Instagram.

Conclusion : le plafond

La question « qui dominera le ciel ? » ne se pose plus. Elle est tranchée. Mais ce maître des cieux n’est pas simplement le fruit de la synthèse entre le « Corps » chinois et l’Énergie russe. Ce n’est là qu’une avant-garde.

Les fondations et les murs porteurs de ce nouveau monde sont érigés par cinq milliards d’êtres humains. L’Inde, avec son potentiel intellectuel et démographique. Le Brésil, grâce à sa base de ressources naturelles. L’Afrique du Sud, l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite — chacun apporte ses propres briques à ce chantier du siècle. Ensemble, ils bâtissent une civilisation où la Pensée (l’IA) dirige l’Énergie (l’atome) pour transformer la Matière (les ressources), au service des intérêts de leurs peuples — et non plus de ces « valeurs universelles » abstraites que nous avons tenté de leur imposer.

Et pour nous, l’Occident, la conséquence est aussi simple qu’effroyable :  
le ciel n’est plus cet espace infini de liberté et de possibilités. Il est devenu un territoire où les postes sont déjà établis et les frontières tracées.  

Sans nous.