Les vingt films inachevés d’Orson Welles
Outre des chefs d’œuvre comme Citizen Kane, Le Procès, La Soif du mal ou La Dame de Shanghai, Orson Welles a laissé au monde quantité de films inachevés dont It’s All True (1942), Le Marchand de Venise (1969) ou The Other Side of the Wind (1972) qui sortira en novembre de cette année. Diverses raisons expliquent cela : financières, pratiques ou personnelles. It’s All True et The Other Side of the Wind ne furent pas achevés pour des raisons financières, tandis que The Deep (1967-1970) ne le fut pas car Orson Welles n’est jamais parvenu à convaincre Jeanne Moreau de doubler ses dialogues. Bon nombre d’autres films sont également restés inachevés en raison du perfectionnisme de leur créateur qui ne pouvait pas se décider à en arrêter le processus créatif.
Don Quichotte est quant à lui virtuellement achevé. Plus encore, Welles a tourné tant de séquences que certains prétendent que trois films pourraient être réalisés sur base du matériel existant. Le principal problème concernant certains films inachevés du célèbre réalisateur est qu’ils ont bien souvent été tournés à plusieurs endroits, entre l’Europe et les États-Unis, et que réunir tous les segments filmés est une gageure. Mais surtout, Welles nourrissait une passion pour le montage et la postsynchronisation, travaillant souvent lui-même à la post-production de ses films. Ce faisant, il s’assurait un contrôle optimal sur ses réalisations, ne partageant que peu d’informations concernant son processus créatif.
Le Film Museum de Munich, qui rassemble les archives des quinze dernières années de la vie d’Orson Welles, possède l’intégralité des scènes de Don Quichotte mais le réalisateur, ayant horreur des nombres, ne numérotait jamais rien. Au lieu de cela, il avait établi un système de référencement connu de lui seul et consistant à donner des noms aux choses, comme « Mouton », « Télévision », « Rêveurs », « Faux », … ce qui rend quasiment impossible l’assemblage des séquences par une tierce personne. Sur le clap également, Welles inscrivait par exemple « Q1 » au lieu du nom de la prise qui allait être réalisée. Par exemple, une prise mettant en scène Sancho Panza était susceptible de se voir nommée « Sancho-1 », mais si une seconde prise devait être réalisée et qu’un mur devait apparaître dans celle-ci, elle aurait toutes les chances d’être nommée « Mur-1 » et non « Sancho-2 ».
À cela s’ajoute le fait qu’aucun des collaborateurs d’Orson Welles n’aura travaillé sur le film du début jusqu’à la fin. Soit ceux-ci abandonnaient après quelque temps, soit le réalisateur les laissait derrière lui lorsqu’il allait tourner dans un autre pays. Et peu d’entre eux étaient autorisés à en savoir plus que le minimum indispensable pour faire leur travail. Ce phénomène n’est cependant pas propre à Don Quichotte, donner trop d’informations allait à l’encontre des principes d’Orson Welles : sa secrétaire durant les années 1958-59 explique qu’il lui a un jour demandé d’arrêter d’expliquer à un chauffeur de taxi où ils devaient se rendre…
Plus encore, comme le disait Stefan Droessler, directeur des archives du Film Museum de Munich : « Welles travaillait sur plusieurs projets en même temps et il est difficile de savoir dans quel film devait s’insérer telle scène ou tel plan. Vérités et Mensonges, par exemple, contient des plans tournés pour son émission de télévision The Magic Show ainsi que pour le court-métrage Vienna et on y trouve également une référence au film inachevé The Deep. C’est la raison pour laquelle personne ne peut établir une liste exhaustive de tous ses projets ».
Don Quichotte : « Rêver un impossible rêve »
Don Quichotte se distingue des autres films inachevés de Welles dans la mesure où le projet est resté actif dans la vie du cinéaste jusqu’à son décès en 1985, passant d’un stade à l’autre et allant même parfois jusqu’à être quasiment achevé avant que le réalisateur ne se décide à y apporter des modifications. Conscient de l’ironie de la situation, Orson Welles déclara lui-même en 1981 au critique Jonathan Rosenbaum que lorsqu’il se déciderait à sortir Don Quichotte, il l’appellerait When Will You Finish Don Quichotte ? : « Don Quichotte était un exercice privé, et il sera terminé comme un auteur le finirait : lorsque je le déciderais, lorsque je sentirais que le moment est venu. Il n’est pas inachevé pour des raisons financières. Et lorsqu’il sortira, son titre sera : « Quand finirez-vous Don Quichotte ? »
Rosenbaum affirme ainsi que, contrairement aux autres œuvres inachevées d’Orson Welles, Don Quichotte l’est resté par choix. Mais nous pourrions apporter une nuance à cette notion : il semble que c’est en dépit de lui-même que le réalisateur a fait ce choix, prisonnier de son propre perfectionnisme et de sa volonté de donner naissance à un objet parfait qui tiendrait lieu de chef d’œuvre. Dans une lettre à l’attention d’Akim Tamiroff – l’interprète de Sancho Panza – Welles déclara : « Tu dois comprendre que Don Quichotte est pour moi de la plus haute importance. Je dois impérativement le terminer, à n’importe quel prix et avec le plus grand soin. Sans quoi, tu dois comprendre que je cesserai définitivement de réaliser des films ». OU PEUT-ETRE LE CONTRAIRE!!!!