En 2017, Mirage gay à Tel Aviv démontait le pinkwashing, une stratégie de la propagande israélienne pour camoufler la guerre, l’occupation, le conservatisme religieux et l’homophobie derrière le paravent sea, sex and fun de Tel-Aviv. Dans cette nouvelle édition reprise dans la collection Orient XXI chez Libertalia, Jean Stern ajoute aux éclairages et reportages précédents des mises à jour, notamment sur l’extrême droite et les gays en 2025. « J’y raconte un succès planétaire et les racines d’une défaite », conclut-il dans sa préface que nous reproduisons ici. Même si la « parade gay » se déroule ce vendredi 13 juin 2025, alors que la guerre se poursuit à Gaza, le rouleau compresseur du « mirage rose » a fait long feu, à l’heure où Israël tente de faire disparaître les Palestiniens, hétéros comme homos, de Gaza et de la Cisjordanie.
La solidarité gay, renaissante dans le monde après des années de douces illusions, s’est mobilisée de façon extraordinaire dans le soutien aux Palestiniens depuis plus d’un an et demi. C’est réconfortant pour Libertalia et moi-même, car cela mesure le chemin parcouru depuis la sortie de Mirage gay à Tel-Aviv en 2017. Vous étiez quelques-unes au début, lecteurtrices chéries, pas très nombreuxses, nos rencontres avaient la chaleur de celles des grottes, on se serrait les coudes, homos, hétéros, trans ou non binaires. Le pinkwashing israélien écrasait alors tout, la Mairie de Paris d’Anne Hidalgo (socialistes, communistes, verts) venait d’accueillir « Tel-Aviv sur Seine » sur les quais, avec force drapeaux arc-en-ciel frappés de l’étoile de David. Tout le monde ou presque se laissait berner, puisque c’était (supposément) cool. Depuis, Hidalgo est constante dans son aveuglement et soutient la guerre livrée par Israël à Gaza, sans les communistes et les Verts (avec des nuances). Et surtout une partie de la communauté LGBT se retrouve, de diverses façons, du côté des Palestiniens. Cette solidarité d’évidence avec des opprimés, cette dénonciation de la lessiveuse rose, je les ai d’abord croisées chez des gays, lesbiennes et trans israéliens et palestiniens de l’intérieur, qui le disent avec force : « Pas de fierté sous génocide ».
Il fallait remonter aux racines de ce slogan, né « pas de fierté sous occupation ». Les Palestiniennes LGBT ne sont pas une masse informe de victimes sans paroles, d’individus sans ressorts, de fantoches apeurés. Ce sont des hommes, des femmes et des trans, avec une âme, un corps, une identité sexuelle et des désirs. Dans la lignée des radicaux LGBT israéliens et palestiniens, de plus en plus de gays, lesbiennes et trans occidentaux commencent à trouver écœurants ces pèlerinages sea, sex & fun, en pause depuis le 7-Octobre, avec les horribles massacres autour de Gaza et puis la guerre génocidaire qu’Israël livre depuis. Le recours cynique au « Ce soir, j’oublie tout » ne fait plus recette. La gueule de bois et le retour au réel menacent le pinkwashing : de part et d’autre du mur, les mirages made by Israël ne doivent plus faire illusion. Ils se résument en quatre mots : « Pas en notre nom ».
Yoav Atzmoni, aucun doute, se bat en son nom. Il manifeste ET fait la guerre. Sur les photos qui précèdent, il a l’air un peu idiot, ni plus ni moins que des tas d’autres garçons. Pas mon style, en tout cas, et pourtant sa photo me fascine, tant elle paraît incroyable. C’était la toute première d’une longue série, et j’ai d’abord cru à un montage, mais non. Le soldat Atzmoni pose vraiment, devant son char d’assaut, devant les ruines d’un quartier de Gaza, en brandissant son drapeau arc-en-ciel sur lequel il a écrit au feutre « Au nom de l’amour » en hébreu, en arabe et en anglais, pour l’universalité du message. Avec son allure passe-partout, le bidasse Atzmoni incarne, tragiquement, la banalité du mal, comme le disait Hannah Arendt. Atzmoni fait son boulot, il y croit, ce qui est le cas de la plupart des gens, même s’il s’agit de tuer. Arendt l’a bien compris avec Eichmann, l’homme clé de la solution finale croyait à son boulot. J’aime de plus en plus Arendt par parenthèse. Installée à Paris dans les années 1930, elle se battait comme une diablesse contre les bureaucrates de la préfecture de police de Paris qui traquait les réfugiés allemands juifs, dont elle-même, son amour, ses amis qui surnageaient dans la misère et l’humiliation. Lâchés par les bourgeois juifs de Paris, tiens donc1. Elle le faisait avec une générosité, une force, un sens de l’universalisme qui se fondaient sur ses combats contre les oppresseurs, les flics obtus, les staliniens serviles et les agents nazis qui pullulaient à Paris. Arendt voyait avec désespoir le monde rétrécir, ses amis se battaient et perdaient en Espagne. Les hommes s’emparaient de la guerre et s’en réjouissaient, tout comme le soldat Atzmoni.
Ce réserviste de Tel-Aviv a été mobilisé dans les jours qui ont suivi l’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre 2023 et est aussitôt parti à la guerre sans rechigner. Six mois plus tôt, il se préparait à défiler pour la gay pride sur le front de mer de Tel-Aviv. Du sommet des buildings dominant la Méditerranée, par temps clair, on voit Gaza. Atzmoni et son petit ami seront ce soir de juin de toutes les fêtes, qui débordent de techno et de produits pour chemsex. C’est une partie de leur fierté, aux gays de Tel-Aviv, de se défoncer à fond deux jours par semaine et de pratiquer sous drogue ce sexe unlimited qui marque les esprits et les corps. Comme partout, les dégâts du chemsex sont intenses, et les plaintes pour viols et violences sexuelles de plus en plus nombreuses dans la communauté homosexuelle israélienne.
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