Article épinglé

dimanche 6 avril 2025

Dérive informelle, nº478 (Camille BRYEN, 1967)

 

  100x80cm

Les artistes DEVANT les guerres mondiales (en dérivant dans ma bibliothèque et ailleurs)

 
 
Dès la veille de la Première Guerre mondiale, les premiers conflits dans les Balkans avaient laissé entrevoir l'apocalypse qui s'annonçait. Parmi d'autres, les "prophètes" du Blaue Reiter avaient anticipé le chaos et promis une destinée messianique aux artistes. Partagés entre l'attente de "l'homme nouveau" et la peur de la destruction, ils s'étaient résolus à prendre part au grand bouleversement. Beaucoup d'artistes ont alors partagé la volonté de s'emparer des armes nouvellement forgées par la politique, avec l'espoir de prendre part au combat et de regagner par là la légitimité sociale dont l'art pour l'art les avait privés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce n'est toutefois qu'après la guerre que le combat symbolique, devenu réel et éprouvé pour certains dans les tranchées, prit la forme organisée de groupes constitués sur le principe des formations politiques radicales. A Berlin, Dada s'était emparé des armes, et promettait dès ses débuts par les voix de Richard Huelsenbeck, Raoul Hausmann, Jefim Golyscheff, la formation d'une "union internationale et révolutionnaire de tous les hommes et femmes créateurs et intellectuels fondée sur un communisme radical".  











 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
À COMPARER AVEC AUJOURD'HUI,
notamment après la visite à la foire d'art contemporain Art Paris au Grand Palais. Il semblerait que tous les artistes se sont donnés pour mot d'ordre d'éviter le réel. C'est de l'art qui ressemble aux acheteurs, de l'art macronien. Le bâtiment est beau avec ce soleil, mais l'esprit l'a d'autant plus déserté. Un temps maussade, parigot, m'aurait rendu mélancolique, mais là c'est ce vide qui frappe: une serre à rien.
 



Brigitte Macron y a fait son petit tour samedi 5, elle est dans la ligne de ses ouailles: le savoir-vivre bidon, bidonné. Je retiens le travail de Marcos Carrasquer, peintre d'histoire contemporaine. Il le voit le réel, et celui de 2020 ressemble beaucoup à celui qu'annonce 2025. Ça sent la guerre, toujours plus vrai et spectaculaire, avec ses personnages qui s'entretuent pour trois rouleaux de papier-cul: c'est le struggle for life du ventre mou vraiment totalitaire, celui de l'occident terminal croqué et recroqué dans chacune de ses peintures. Les critiques de la foire et d'ailleurs disent de sa peinture qu'elle est grotesque, ironique, sarcastique, etc. Que l'humour soit une singularité, parmi le concours permanent des subjectivités spectacularisées, en dit suffisamment sur le nouveau désert, car l'humour a toujours été capture du réel (le "spectacle" est une socialisation et notamment par l'image: les séries de Netflix et d'autres plateformes similaires ont plus de poids dans la socialisation des nouvelles générations aux quatre coins du monde que d'autres, plus régionales, comme l'école - une socialisation globale devenue le règne de la séparation achevée).
 
On pouvait acheter dans la foire du vieux Bretécher, du vieux Wolinski, de l'humour de gôche, cette gauche qui voulut "changer la vie" avec le cagoulard Mitterrand mais surtout pas les rapports de production. De l'humour bien mort donc, mais toujours revendable à un autre mort-vivant à écharpe colorée (il faisait 24º). Et effectivement, c'est le réel qui s'amenuise quand toutes les stratégies l'évite. 

                   Marcos Carrasquer, The 2020 toilet paper rush, 2021

 

jeudi 3 avril 2025

Les Villes vollantes de Georgi Krutikov (projet de diplôme VKhUTEMAS, 1928)



Russia Beyond (Photo: S. Khan-Magomedov/Éditions de la fondation «Avant-garde russe», 2008)

 

En 1928, un diplômé de l'Institut supérieur d'art et de technologie (ou VKhUTEMAS – en russe, ВХУТЕМАС est l'acronyme de Высшие ХУдожественно-ТЕхнические МАСтерские, « Ateliers supérieurs d’art et de technique »)  de Saint-Pétersbourg s'apprêtait à défendre sa thèse de diplôme. Sa présentation est devenue la première étape théorique de la migration humaine vers l'orbite terrestre.

Gueorgui Kroutikov a commencé son travail scientifique avec une idée simple : chaque type de société devrait avoir une conception unique des villes. Par exemple, les sociétés féodales ont tendance à construire leurs cités autour de forteresses et à les disposer de manière circulaire, tandis que les sociétés capitalistes tendent à disposer les rues de manière rectangulaire.

Domaine public   

Kroutikov a donc fait valoir que la nouvelle société communiste méritait d'avoir son propre arrangement urbain. Dans sa thèse, il a proposé sa vision d’une ville volante destinée à devenir la norme dans l'URSS du futur. Son travail a fait grand bruit à l'époque.

L'architecte proposait de déserter la Terre, en ne laissant à la surface que des usines et autres installations de production, et de reloger définitivement les humains dans des villes communautaires flottant dans les airs: au sol, un centre de production avec des usines, et au sommet, des immeubles résidentiels de grande hauteur. Kroutikov a développé plusieurs variantes. Dans l’une d’entre elles, huit immeubles résidentiels étaient reliés par un anneau inférieur, dans lequel se trouvaient des espaces publics. Une autre était un bâtiment cylindrique avec des logements de type hôtelier et une cage d’ascenseur au centre.

L'image ci-dessous montre la vision générale que Gueorgui Kroutikov avait de la ville nouvelle. Les tours habitables sont disposées en cercle sur une plateforme en forme d'anneau où, selon le plan de l'architecte, se trouveraient les locaux et installations techniques.

 

S. Khan-Magomedov/Éditions de la fondation «Avant-garde russe», 2008

 

L'architecte a suggéré d'utiliser de petites cabines volantes autosuffisantes – quelque peu similaires aux véhicules volants présentés dans le blockbuster Oblivion (2013) d'Universal Pictures – pour transporter les humains de la surface de la Terre à la ville volante et inversement.

Contrairement au film populaire, cependant, les cabines volantes de Kroutikov ont été conçues pour être également utilisées comme des logements à court terme, une partie autonome de plus grands bâtiments stationnaires.

S. Khan-Magomedov/Éditions de la fondation «Avant-garde russe», 2008

Les cabines avaient une forme aérodynamique. Il était prévu qu'elles soient remplies de meubles modulables qui changeraient en fonction des circonstances et des besoins du pilote. Les cabines seraient également capables de s'amarrer à l'habitation principale, selon le plan de Kroutikov.

Outre l'architecture, il était fasciné par les zeppelins. Il pensait que, dans un avenir proche, les scientifiques allaient découvrir ou inventer de nouvelles formes d'énergie, faisant de sa cité volante une réalité. Il s’inspirait, entre autres, des idées de Constantin Tsiolkovski, le fondateur de la cosmonautique, et correspondait avec lui. Kroutikov pensait que ses immeubles pourraient flotter au-dessus du sol grâce à l’énergie atomique, et que les capsules individuelles seraient chargées à partir d’elles. En outre, ces dernières devaient être contrôlées par le champ magnétique – un simple geste de la main suffirait.

Par conséquent, Kroutikov pensait que la mise en œuvre de son plan futuriste était une question de futur proche.

S. Khan-Magomedov/Éditions de la fondation «Avant-garde russe», 2008

Les partisans de son projet le considéraient comme une étape importante de l'avant-garde architecturale. Au contraire, ses opposants le critiquaient comme étant excessivement fantastique et irréaliste.

Malgré les critiques, Kroutikov a défendu avec succès son travail devant un panel d'académiciens et a reçu un diplôme professionnel. Il a construit sa future carrière dans l'architecture, bien que ses nouveaux projets aient été plus réalistes que sa ville volante. Par exemple, Kroutikov a conçu des bâtiments administratifs et résidentiels à Moscou.

S. Khan-Magomedov/Éditions de la fondation «Avant-garde russe», 2008

L'architecte et visionnaire est décédé en mars 1958.