SOURCE: https://www.les-crises.fr/avec-l-aide-des-etats-unis-israel-exporte-des-instruments-d-oppression-a-l-etranger-et-les-teste-contre-les-palestiniens/
Entre 2018 et 2022, Israël s’est targué d’avoir le deuxième
plus important budget militaire au monde par habitant, augmentant ses
dépenses de 24 % en 2023. Le ministère de la Défense souligne que le
secteur de la sécurité joue « un rôle monumental » dans
l’économie, stimulant l’innovation industrielle et représentant environ
10 % des exportations nationales. Alors que Gaza brûle, les fabricants
d’armes font état d’une « demande croissante » d’armes israéliennes « dans le monde entier ».

- Un Palestinien dans une rue détruite par des bulldozers lors d’un
raid israélien dans la ville de Jénine en Cisjordanie occupée,
Palestine, le 1er septembre 2024. RONALDO SCHEMIDT / AFP via Getty
Images
Alors qu’Israël renforce son blocus, les réserves médicales
s’épuisent dans la bande de Gaza et les médecins sont confrontés à des
patients souffrant de blessures inimaginables.
Le médecin orthopédiste Hani Bseso a opéré la jambe de sa nièce Ahed,
après qu’un obus a traversé leur maison. Saignant abondamment, Ahed est
restée dans un état d’hébétude atroce, tandis que ses proches la
transportaient au rez-de-chaussée. Il était impossible de se rendre à
l’hôpital. Bseso l’a donc amputée de la jambe sur la table de la cuisine
où sa mère avait fait le pain le matin même.
Alors que le système de santé de Gaza implose, épidémies et famine se
répandent comme une traînée de poudre. Après 25 ans, la polio y est
revenue et les opérations israéliennes obligent les patients à évacuer
l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, l’un des derniers établissements
médicaux encore fonctionnel. Ailleurs, l’odeur des ordures non ramassées
flotte dans l’air, et l’eau des égouts éventrés forme des mares qui
reflètent la ligne d’horizon en train de se transformer en décombres.
Cet été, des experts des Nations unies sont arrivés à la conclusion que
la « campagne de famine intentionnelle et ciblée » menée par Israël
était « une forme de violence génocidaire ». Seules les bombes et les
balles pénètrent en abondance dans Gaza.
Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence. Entre 2018 et 2022, Israël
s’est targué d’avoir le deuxième plus important budget militaire au
monde par habitant, augmentant ses dépenses de 24 % en 2023. Le
ministère de la défense souligne que le secteur de la sécurité joue « un
rôle monumental » dans l’économie, stimulant l’innovation industrielle
et représentant environ 10 % des exportations nationales. Alors que Gaza
brûle, les fabricants d’armes font état d’une « demande croissante »
d’armes israéliennes « dans le monde entier ».
Concernant la guerre, Israël a adopté un modèle de militarisme bien
ancré. Au cours des 50 dernières années, les dirigeants israéliens ont
exploité les territoires occupés et l’assistance technique des
États-Unis pour construire un imposant complexe militaro-industriel. Les
victimes palestiniennes comme Ahed font partie de ce vaste mécanisme,
dans la mesure où Israël exporte les technologies violentes et
l’expertise qu’il perfectionne à Gaza vers des pays du monde entier.
Exportation de l’occupation
Pendant la guerre froide, grâce à la coopération militaire et
technique des États-Unis, Israël est devenu le plus grand exportateur
d’armes par habitant. Aux prises avec leur dette extérieure, les
dirigeants israéliens ont encouragé les ventes d’armes afin d’atténuer
les déséquilibres budgétaires et financer le développement industriel.
Le secteur de la défense est devenu le fondement de l’économie, et les
territoires occupés ont servi de laboratoire d’expérimentation à des
fins meurtrières. « Aujourd’hui, on peut dire qu’aucun pays au monde
n’est aussi dépendant des ventes d’armes qu’Israël », concluait le
politologue Bishara Bahbah en 1986.
Les dictateurs d’Amérique latine, notamment le général Augusto
Pinochet, sont devenus des clients enthousiastes. Après la guerre
d’octobre 1973, des entreprises israéliennes ont envoyé des publicités à
sa junte, et l’ambassade chilienne à Tel Aviv a rédigé des rapports sur
les performances de leurs armes. Selon ces officiers, Israël était un
modèle, laissant entendre que le régime militaire garantissait des «
conditions de tranquillité » en Palestine. Au final, les dirigeants
israéliens ont aidé le général Pinochet à développer l’industrie
aérospatiale chilienne, allant jusqu’à transférer la technologie
nécessaire à la production de bombes à fragmentation.
De plus en plus, les responsables américains ont encouragé Israël à
étouffer les mouvements de gauche en armant des régimes autoritaires
alignés sur Washington. Face à la législation sur les droits humains, le
président Jimmy Carter et ses successeurs ont esquivé les restrictions
imposées au pouvoir national en confiant la répression aux dirigeants
israéliens. « Israël est l’entrepreneur du sale boulot », a déclaré le
général Mattityahu Peled. « Israël agit en tant que complice et bras
armé des États-Unis. »
En Amérique centrale, cette réalité s’est révélée de manière brutale.
Avant sa chute en juillet 1979, le président nicaraguayen Anastasio
Somoza Debayle s’est appuyé sur les livraisons d’armes israéliennes pour
réprimer une révolution populaire. « Les rues de Managua ressemblent à
celles de Jérusalem, observe El País. Le matériel israélien est
omniprésent. Les Nicaraguayens ont affirmé que les forces de Somoza
étaient « génocidaires » parce qu’elles rasaient des villages,
massacraient des familles entières et violaient les femmes devant leurs
maris.
Leurs fusils d’assaut Galil, de fabrication israélienne, sont devenus
des symboles d’oppression. Lors de la libération de Managua, les
rebelles sandinistes ont confisqué les armes, avant de vider les
munitions en longues salves – comme si le pays était purgé du passé à
chaque rafale. Craignant la propagation de la révolution, la CIA a alors
encouragé les dirigeants israéliens à armer ce qui restait du régime
Somoza, tout en isolant le gouvernement progressiste sandiniste. Tout au
long des années 1980, Israël est resté un acteur majeur dans la région,
fournissant des armes aux Contras nicaraguayens et exacerbant une
guerre civile qui a fait 30 000 morts.
Mais c’est au Guatemala que l’empreinte israélienne a été la plus
forte, le général Efraín Ríos Montt affirmant que son coup d’État de
1982 avait réussi en partie « parce que beaucoup de nos soldats avaient
été entraînés par des Israéliens ». Au cours de l’année suivante, Ríos
Montt a intensifié une guerre génocidaire contre les communautés
indigènes, laquelle a fait plus de 200 000 victimes. Les officiers se
sont inspirés de la stratégie israélienne pour poursuivre la «
palestinisation » des zones rurales. À Dos Erres, les forces
guatémaltèques ont arrosé les villageois de balles tirées par des fusils
Galil, avant de fendre le crâne des survivants à l’aide de masses.
Les journalistes Andrew et Leslie Cockburn ont relevé que les
dirigeants israéliens exprimaient peu de réticences quant aux ventes
d’armes. « Je me fiche de ce que les Gentils font avec les armes », leur
a répondu le lieutenant-colonel Amatzia Shuali en se moquant d’eux. «
L’essentiel, c’est que les entreprises israéliennes « en profitent. »
Quand on en est arrivé à la fin de la guerre froide, l’aide
financière et militaire des États-Unis avait permis à Israël de
développer une formidable industrie d’armement. Dans son étude de
référence, Bahbah a souligné qu’à certains moments, 40 % de la
main-d’œuvre industrielle du pays travaillait dans le secteur de la
défense, et que les exportations d’armes constituaient une source
majeure de devises étrangères. La production d’armes a accéléré la
dérive militariste, transformant l’occupation de la Palestine en une
entreprise économiquement viable et lucrative. En somme, les dirigeants
israéliens ont financé l’agression contre les Palestiniens en spoliant
d’autres gens en Amérique latine et ailleurs.
Le choix de la terreur
Avec l’implosion de l’Union soviétique, Israël a redéfini le discours
dominant justifiant son occupation militaire. Pendant des décennies,
les officiers israéliens avaient prétendu que les combattants
palestiniens et leurs alliés socialistes – comme les Sandinistes –
étaient des « terroristes » en quête de vengeance, faisant fi de leurs
griefs politiques et de leurs idéaux. Or, les dirigeants sionistes
affirment aujourd’hui que le « terrorisme » constitue la plus grande
menace pour la paix mondiale, tout en détournant ce terme élastiquepour
diaboliser l’ensemble de la résistance palestinienne. En 1988, des
officiers israéliens ont distribué des matraques, ordonnant aux troupes
de briser les os des manifestants, qualifiant les manifestations
populaires de terrorisme. En l’espace de deux ans, l’organisation à but
non lucratif Save the Children, dont le siège est à Londres, a calculé
que plus de 23 600 enfants palestiniens avaient dû recevoir des soins
médicaux pour avoir été tabassés. Près d’un tiers des victimes avaient
10 ans ou moins.
C’est à ce moment-là que Benjamin Netanyahou s’est imposé comme un
pyromane conservateur et un expert autoproclamé de la terreur mondiale,
tout en dirigeant le Likoud. Auparavant, il avait fondé l’Institut
Jonathan pour convaincre les décideurs politiques occidentaux que le «
terrorisme international » constituait une menace existentielle pour la
démocratie moderne, tout en qualifiant la résistance palestinienne de
diabolique, irrationnelle et antisémite. Son programme politique mettait
à l’honneur l’expansion coloniale et la force brute.
En octobre 1995, Netanyahou a condamné le Premier ministre Yitzhak
Rabin pour avoir négocié les accords d’Oslo, suscitant des protestations
virulentes et apparaissant lors d’un rassemblement avec une effigie de
Rabin en uniforme SS nazi. Un mois plus tard, un tireur d’extrême droite
assassinait le premier ministre.
Après les attentats du 11 septembre, Netanyahou et d’autres
dirigeants israéliens ont mis à profit leur expertise en matière de
contre-insurrection pour renforcer les relations avec Washington et
donner forme à la « guerre mondiale contre le terrorisme ». De manière
tout à fait opportune, de nombreux partisans de l’invasion de l’Irak
étaient des sionistes purs et durs. Le vice-président Dick Cheney a été
membre du conseil d’administration de l’Institut juif américain pour la
sécurité nationale, lequel encourage les ventes d’armes à Israël.
Auparavant, Dick Perlel, conseiller à la défense, était le porte parole
des fabricants d’armes israéliens, et Douglas Feith, sous-secrétaire à
la défense pour la politique était un conseiller de Netanyahou. Le
Jerusalem Post a souligné que Paul Wolfowitz, l’un des principaux
architectes de la guerre, était un « fervent pro-israélien » et l’a
proclamé « homme de l’année » quelques mois après l’invasion.
Les responsables israéliens espéraient que l’intervention américaine
renverserait les régimes hostiles et anéantirait les rêves d’autonomie
des Palestiniens. À la veille de l’invasion de l’Irak, le quotidien
Haaretz annonçait : « Les dirigeants militaires et politiques israéliens
aspirent à la guerre. » Netanyahou lui-même a publié « The Case for
Toppling Saddam » dans le Wall Street Journal (Plaidoyer pour le
renversement de Saddam), reprenant les fausses affirmations sur
l’existence d’un arsenal nucléaire irakien.
Alors que la guerre contre le terrorisme prenait de l’ampleur, les
officiers américains et israéliens ont partagé des tactiques de
contre-insurrection, tout en se côtoyant dans le désert du Néguev. « Des
délégations militaires américaines de haut rang sont venues […] pour
apprendre de l’expérience israélienne en matière de chasse aux
terroristes dans la bande de Gaza », rapportent des experts en matière
de défense. L’aide étrangère et les besoins en matière de services de
sécurité ont également favorisé une sorte de start up du colonialisme,
les vétérans israéliens ont en effet créé des entreprises telles que NSO
Group et Smart Shooter, qui développent les plus récents logiciels
espions et systèmes de visée des armes à feu – profitant de l’occupation
pour mettre au point de nouvelles technologies de contrôle social.
L’ambassade des États-Unis a discrètement reconnu que le fait que le
pays soit sur un pied de guerre a favorisé sa croissance économique. «
Les programmes en matière de formation militaire d’Israël témoignent
parfaitement du niveau d’investissement du gouvernement » se félicite
l’ambassadeur James Cunningham. Les élèves ingénieurs de l’armée
israélienne ont mis au point de « meilleurs systèmes de guidage des
missiles », des « drones » et autres innovations létales. « À l’issue de
leur service militaire, explique-t-il, les diplômés ont été
instantanément recrutés par des entreprises technologiques » telles
qu’Elbit Systems et Gilat Satellite Networks.
Les responsables américains ont présenté Israël comme un paradis pour
les start-up, tout en excluant les victimes palestiniennes de son
économie militarisée. En 2007, les diplomates américains ont exclu les
dirigeants du Hamas des pourparlers de paix d’Annapolis, bien qu’ils
aient reconnu sa « victoire aux élections locales de Gaza ». Après avoir
passé au crible les délégués palestiniens, la secrétaire d’État
Condoleezza Rice leur a carrément dit d’oublier le nettoyage ethnique
des Palestiniens (la « Nakba ») qui avait eu lieu lors de la création
d’Israël en 1948. « Des choses désagréables arrivent tout le temps à des
gens partout dans le monde, les a admonestés Mme Rice. Vous devez vous
tourner vers l’avenir ».
Au final, la guerre contre le terrorisme a légitimé la flambée de
l’aide militaire et de la coopération tout en offrant un cadre
idéologique qui a discrédité la dissidence palestinienne dès le départ.
Pour les décideurs politiques, le concept de « terrorisme » a permis une
inversion des vérités gênantes : la résistance des faibles est devenue «
violence irrationnelle » et les revendications coloniales « autodéfense
». Riche de l’aide étrangère, l’économie israélienne s’est militarisée
plus encore. Le « processus de paix » est devenu un outil d’agression,
les États-Unis servant d’« avocat d’Israël », selon un négociateur
américain.
Expérimentation de l’Armageddon
Alors que les négociations s’enlisaient, les représentants des
gouvernements et des entreprises continuaient de miser sur « les
avantages comparés » d’une guerre sans fin. Prétextant les attaques à la
roquette du Hamas, Israël a lancé l’opération « Plomb durci » en
décembre 2008, décrivant la bande de Gaza comme un « nid de terroristes
». Cette dernière est devenue un véritable laboratoire en matière
d’armement, où les quartiers ont été réduits en ruines et où des
colonnes de fumée épaisses envahissaient l’horizon. Les forces
d’invasion y ont présenté de nouveaux équipements tels que le char
Merkava IV et le fusil d’assaut Tavor TAR-21, et auraient testé
l’explosif à métal dense et inerte, une arme expérimentale mise au point
par l’armée de l’air américaine.
« Des maisons, des écoles, des centres médicaux et des bâtiments de
l’ONU – autant de structures destinées aux civils – ont été directement
touchés par l’artillerie israélienne », a souligné Amnesty
International. Les soldats ont utilisé des « munitions de précision »
jusque dans des chambres d’enfants. Des éléments de preuve indiquent
également qu’ils ont testé « un nouveau type de missile » contre des
civils, tuant des élèves qui attendaient un bus scolaire et une famille
entière dans sa maison. Ils ont même bombardé des bâtiments de l’ONU
avec du phosphore blanc. Des experts en droits humains ont trouvé des
obus fabriqués à Pine Bluff, dans l’Arkansas, encore fumants trois
semaines après le cessez-le-feu.
Et pourtant, la politique américaine a continué de se rallier à celle
d’Israël. Quelques jours après le début de l’offensive, le Pentagone a
prévu d’envoyer aux forces israéliennes des explosifs à hauteur de 500
0000 kilos, dont des bombes au phosphore blanc.
L’opération « Plomb durci » a peaufiné un schéma historiquement
classique, Gaza servant de banc d’essai pour les armes israéliennes et
américaines, tandis que les responsables américains justifiaient les
opérations en parlant de « terroristes » anonymes.
Mais bien souvent les incursions violentes d’Israël n’étaient pas
provoquées. En mars 2018, les Palestiniens ont organisé la Grande Marche
du retour, un mouvement pacifique réclamant des droits politiques et
civils. Les officiers israéliens ont répondu par une pluie de gaz
lacrymogènes et de balles – tuant 214 civils et blessant plus de 36 100
autres. Le chef d’état-major Gadi Eisenkot a admis avoir autorisé les «
tirs à balles réelles », expliquant : « Les ordres sont d’utiliser une
force maximale. »
Des professionnels de la santé ont affirmé que des soldats avaient
testé sur des manifestants des « balles papillon », armes illégales, qui
ont pulvérisé des organes et contraint les médecins à amputer des
membres. Al Jazeera a également rapporté que les forces israéliennes «
ont expérimenté des méthodes de contrôle des foules », en utilisant des
drones pour asperger des gaz lacrymogènes et des nuages chimiques qui
ont amené les manifestants à « se débattre violemment » sur le sol.
Plutôt que de geler l’aide, l’administration Trump a fêté l’ouverture
de l’ambassade américaine à Jérusalem, alors qu’Israël massacrait 58
Palestiniens. Les applaudissements de satisfaction n’ont fait que
renforcer le cycle de l’impunité et de la victimisation. L’année
suivante, les forces israéliennes ont intentionnellement rasé le
Syndicat général des Palestiniens handicapés, éliminant ainsi tout
service de santé destiné aux personnes amputées.
Développer sa propre marque
À l’étranger, les offensives militaires sont restées des arguments de
vente. Ironie du sort, les États arabes sont devenus les principaux
clients. À la suite du printemps arabe, une relation symbiotique s’est
instaurée : les États du Golfe ont importé des technologies de sécurité
pour écraser la dissidence, et les entreprises israéliennes ont eu accès
au plus grand marché d’exportation d’armes au monde. Verint Systems a
expédié du matériel de surveillance à Bahreïn et le groupe NSO a vendu
le logiciel espion Pegasus à l’Arabie saoudite, aidant ainsi les
autorités à réprimer les militants des droits humains. En 2023, Elbit
Systems a lancé des projets d’usines au Maroc, tandis que des drones
israéliens sillonnaient le Sahara occidental et frappaient des civils
sahraouis.
Le président Donald Trump a entériné ce changement en négociant les
accords d’Abraham, qui ont normalisé les relations entre Israël, le
Bahreïn et les Émirats arabes unis en septembre 2020. En l’espace de
deux ans, les États arabes ont absorbé près de 25 % des exportations
militaires israéliennes.
L’Union européenne aussi a fait appel à l’expertise israélienne
relative aux questions de violence, tout en important du matériel de
sécurité pour réprimer l’immigration. Dès 2017, les institutions
israéliennes recevaient chaque année 170 millions d’euros de fonds de
recherche de l’UE. En 2021, Israël a rejoint l’initiative Horizon
Europe, ce qui a poussé le ministre des affaires étrangères, Yair Lapid,
à proclamer que son pays était « un acteur central du plus grand et
plus important programme [de recherche et développement] au monde ».
Horizon finance le développement de technologies de surveillance et de
renseignement, de techniques d’interrogatoire et d’autres projets à
caractère clairement militaire. Les entreprises de défense Thales,
Safran et MBDA ont établi des accords de partenariat avec des sociétés
israéliennes pour fabriquer des armes, en particulier des drones. Les
experts militaires israéliens Yaakov Katz et Amir Bohbot soulignent : «
La bande de Gaza est l’épicentre de la révolution israélienne en matière
de drones. »
Fidèle à une tradition historique, Israël s’est assuré des clients en
refusant de respecter les droits humains ou les embargos sur les armes.
Katz et Bohbot estiment que « ne pas imposer de conditions aux ventes
d’armes » est « un principe clé », qui permet à une entreprise de
devenir « un acteur dominant sur les marchés ». Plus de dix ans après
Plomb durci, Gaza est resté le théâtre dévasté d’un laboratoire en
matière d’armement. L’occupation militaire israélienne n’a pas seulement
été une catastrophe humaine, elle a aussi constitué un produit
d’exportation national : une marque à promouvoir.
Cumul par extermination
Le conflit en lui-même était pourtant le reflet d’une contradiction
irrémédiable : Les armes israéliennes promettaient une domination
totale, mais rendaient la résistance inévitable. Dès 2018, l’ONU a
averti que le siège imposé par Israël faisait de Gaza une zone «
invivable ». L’ambassade des États-Unis a confié que les forces
d’occupation empêchaient parfois même l’entrée de « jouets d’enfants et
de « fournitures scolaires ». Pour mettre à mal le statu quo, des
combattants palestiniens ont attaqué Israël en octobre dernier,
franchissant des frontières ceinturées de murs anti-explosion et
d’équipements de surveillance de pointe, capturant plus de 240 personnes
et portant un coup dur à l’image d’invincibilité du pays.
Leur opération a déclenché une réaction violente, le Premier ministre
Netanyahou exploitant alors la guerre pour faire étalage des prouesses
technologiques de son pays. Quelques jours après le début des combats,
un porte-parole militaire a annoncé les débuts au combat du mortier «
Iron Sting », tandis que la presse locale enregistrait de « fortes
hausses du cours des actions » des fabricants d’armes et vantait les
mérites du nouveau char Barak qui « fait ses preuves à Gaza »
Les dirigeants israéliens affirment avant tout que leurs technologies
de pointe en matière d’intelligence artificielle permettent d’effectuer
des frappes précises et humainement adaptées. Mais en privé, les
officiers de renseignement nient que les Forces de défense israéliennes
(FDI) fassent preuve de retenue. « Au contraire, les FDI bombardaient
sans hésitation les maisons des combattants », se souvient l’un d’entre
eux. « Il est beaucoup plus facile de bombarder la maison d’une famille.
» Un autre officier admet que « nous avons bombardé uniquement pour la
‘dissuasion’» – en abattant des gratte-ciel « juste pour détruire ».
Les enquêteurs de l’ONU en sont arrivés à la conclusion que les
dirigeants israéliens ont cherché à « exterminer » les Palestiniens, «
en rasant des blocs résidentiels et des quartiers entiers », tout en
obligeant plus de 1,7 million de victimes à quitter leur foyer. Les
autorités décrivent des soldats abattant des réfugiés arborant des
drapeaux, « saccageant les maisons » et utilisant « la famine comme arme
de guerre ».
Leur violence est délibérément gratuite : en juillet dernier, Israël a
frappé quatre écoles en quatre jours, envoyant des réfugiés voltiger
dans les airs au milieu d’un déluge d’éclats d’obus et de feu. Au milieu
des bombardements incessants, Human Rights Watch a récemment publié une
étude démontrant que les soldats israéliens torturent systématiquement
les prisonniers palestiniens, présentant des preuves de brûlures de
cigarettes et de briquets, des marques de coups violents,
d’électrocutions et d’« abus sexuels » – y est même relaté le récit de
membres de Tsahal utilisant un fusil M 16 pour violer un détenu.
Les auteurs soulignent qu’Israël prend pour cible le corps médical,
aggravant ainsi l’effondrement du système de santé de Gaza. Walid
Khalili, ambulancier, a informé les enquêteurs que ses ravisseurs
avaient suspendu des Palestiniens par leurs menottes, les accrochant par
dizaines au plafond comme des fruits sanguinolents. Un médecin de
Tsahal fait remarquer que de telles pratiques entravent très fréquemment
la circulation sanguine, obligeant ses collègues à amputer les membres
des prisonniers.
En dépit de ces violations des droits humains, l’administration Biden
a approuvé en août un programme de 18 milliards de dollars pour des
avions de combat et les fabricants d’armes israéliens sont optimistes. «
C’est l’heure de gloire de l’industrie de la défense », insiste Michal
Mor, PDG de Smart Shooter.
Depuis des décennies, la spoliation des Palestiniens alimente un
cycle d’accumulation, dans la mesure où Israël construit non seulement
des colonies, mais aussi des armes dans les territoires occupés. En fin
de compte, l’aide américaine a contribué à transformer le pays en une
techno-dystopie qui exporte des instruments d’oppression à l’étranger,
tout en les testant sur les réfugiés le long de ses frontières
mouvantes. À un niveau très préoccupant, la guerre génocidaire en cours
traduit cette logique impitoyable en même temps qu’impersonnelle :
Israël et les États-Unis plongent les Palestiniens dans la faim et la
désolation, entamant la phase suivante de la spirale de l’accumulation
par l’extermination..
Ciudong Ng est historien, il est spécialisé dans le militarisme américain.