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jeudi 5 décembre 2024

IAIN SINCLAIR, explorateur en situationnisme au service de sa majesté (2011)

 

On édite en France le London Orbital, livre phénoménal d’un écrivain Anglais indispensable, Iain Sinclair. Son obsession, c’est sa ville : Londres, qu’il explore sans relâche. 
C’est peut-être une histoire secrète de magie et de possession : de l’autre côté de la Manche, la Londres tentaculaire possède sa propre association d’arpenteurs poètes (la London Psychogeographical Association) et les écrivains contemporains se bousculent pour ausculter ses ruelles, ses églises et ses souterrains dérobés.
Dans le sillon du 
Journal de Samuel Pepys et des grandes œuvres mystiques de William Blake (Londres) ou Arthur Machen (L’aventure de Londres), Peter Acroyd, Stewart Home, Will Self et l’auteur de comics Alan Moore dérivent tous en même temps qu’ils écrivent, et superposent sans états d’âme passé, présent et futur dans des œuvres mêlant histoire, littérature et commentaires sur l’Angleterre contemporaine. De l’aveu de tous, leur pratique mi-sociologique, mi-occultiste n’a qu’un inventeur (Guy Debord, fondateur de la psychogéographie) et qu’un maître: le poète, romancier et essayiste Iain Sinclair.
Cet alchimiste de la langue anglaise et polémiste habitué des médias britanniques n’est pourtant pas né à Londres mais au Pays de Galles : il a déménagé deux fois dans sa jeunesse avant de s’installer en 1968 dans une maison d’Albion Drive, dans le célèbre 
borough de Hackney.
Partant du principe qu’on ne parcourt jamais deux fois le même chemin mais qu’on s’abreuve toujours à la même source, Sinclair n’a plus jamais bougé et fait tous ses voyages sans quitter sa ville, voire son quartier : « 
Mon rêve ultime est de pouvoir trouver tout et tout le monde dans un rayon de 400 mètres autour de chez moi ». Car Londres est une « ville de tours mais aussi de fondations très profondes, faites d’ossements animaux, d’artefacts, de victimes de la peste, de pièces de monnaie égarées et de pipes en terre brisées »: depuis le poème Lud Heat (1975), Sinclair se consacre presque exclusivement à la mégapole britannique et a publié plus de dix livres sur le sujet.
Sans chauvinisme mais avec une dévotion confinant à la possession, le Britannique n’a de cesse de sillonner ses rues comme on lit un texte hermétique, de fouiller les signes cachés à chacun de ses coins de rue comme on déploierait un mille-feuilles produit par 3000 ans de sédimentation. Influencé par William Burroughs et Thomas De Quincey autant que par le cinéma (il est de son propre aveu un cinéaste raté), Sinclair y a excavé plusieurs théories importantes sur Jack l’Eventreur ou l’architecte Nicholas Hawksmoor  et sa propre définition de la littérature : une vaste terra incognita s’étendant entre l’essai et la fiction, où la lecture réel s’apparente à un exorcisme, et l’art de la fiction n’est qu’un prolongement shamanique des strates les plus enfouies de notre monde : « 
Les livres sont des formes d’exercice de magie. J’invente les rumeurs que je me propose de mettre en lumière. Mes livres sont réalistes dans ce qu’ils projettent : ils font appel aux outils et aux techniques de la fiction pour manipuler des matériaux documentaires ».
L’un de ses livres les plus célèbres, les plus polémiques et les plus ambitieux s’appelle 
London Orbital et il est né à l’aube de l’an 2000, en pleine controverse autour du Millenium Dome, ce raté très onéreux devenu symbole des excès du New Labour (pourtant à l’initiative de Michael Heseltine, vice-Premier ministre conservateur dans le cabinet de John Major). Après avoir rédigé un pamphlet terrible, Sinclair a eu l’idée de consacrer un livre entier à une autre initiative grondant à l’horizon: la M25, autoroute périphérique longue de 188km inaugurée par Margaret Thatcher en 1985, dont il a parcouru à pieds tous ses lieux et non-lieux limitrophes, toujours en bonne compagnie (le cinéaste Chris Petit, l’ex KLF Bill Drummond, le peintre Renchi Bicknell). Oeuvre serpentine et indescriptible, ce document fictif  est à la fois une expérience littéraire toxique et une somme de savoir colossale. Fidèle à son credo psychogéographique de dérive et de rêve éveillé, Sinclair a écrit son livre au fur et à mesure des longs mois d’errance, « vandalisant les énergies endormies par l’acte de production de signes ambulants », en quête paradoxale de… son sujet. Car le psychogéographe est comme l’alchimiste, il s’intéresse moins au résultat qu’au temps qu’il consacre au processus, à la discipline de la répétition. Loin des clichés du promeneur romantique, notre nostalgique acharné fait acte de témoignage sur une Londres en voie de disparition et oeuvre de résistance contre la « magie noire du haut-capitalisme » qui la défigure. Edité en français ces jours par les éditions Inculte, London Orbital est finalement un livre terriblement contemporain, qui dépasse largement le contexte de Londres: « Le flâneur born-again est  une créature rebelle, moins intéressée par les structures, les textures et les conversations philosophiques que par le fait de pouvoir tout remarquer ». On n’attend désormais plus qu’une chose : que Sinclair déménage à Paris pour, enfin, nous la faire voir autrement et, peut-être, l’aimer de nouveau.

LA BONNE PENSEE OFFICIEUSE : les postsitus, les nouveaux littérateurs, les Gênois de Göteborg,...

(Texte d'août 2001, diffusé sous forme de tract.)

La glorification officielle de l'IS et de Debord a commencé peu de temps avant sa mort, dès qu'il a commencé à vendre (sa vie, son œuvre, ses Mémoires, son parti, sa parole). Le paysage intellectuel parisien s'en est trouvé davantage modifié que par un battement d'ailes dans le golfe du Mexique. Si la vieille intelligentsia rabrouée et conchiée n'ose toujours pas avouer qu'elle lisait ‘la Société du spectacle', évidemment en cachette, les deux branches qui chuchotaient leur soutien à Debord sous sa terrible chape de plomb, les postsitus modedevitistes (tendance voyou lettré) et les postsitus intellectuels (tendance lettré voyou), ont d'abord jubilé publiquement, soulagés de la mort du tyran que-rien-ne-justifiait-qu'on-traite-de-tel et du fait qu'on pourrait enfin tirer bénéfice d'un si beau stock théorique non encore véritablement exploité. Mais très vite on s'est aperçu non seulement que le trésor n'était pas si grand, mais que celui qui approuvait publiquement inversait sa position de révolté : l'IS et Debord devenant référence officielle, on ne garde plus sa négativité apparente en les soutenant. La situation du microcosme intellectuel aujourd'hui est donc la suivante : il faut taire le nom de Debord, ou alors le rabrouer et le conchier. Comme une telle attitude dépend de la mode et non de la critique, elle est amenée à changer rapidement. Nous espérons, sans trop d'illusions, que ce sera plutôt sous l'impulsion de la critique que sous l'impulsion de la mode.

Les situationnistes et Debord, en tout cas, semblent avoir su que ce qu'on appelle critique est essentiellement une révolte de rue, et ils se doutaient probablement que ces guerres, qu'on appelle critique, non seulement se décident là, mais souvent s'y conçoivent ; tout au moins tant qu'ils étaient jeunes, et que le syndrome du complot ne s'était pas encore substitué à leur bonne humeur. Il ne faut pas oublier que leur modedevitisme – cette apologie romancée de leur propre vécu – était d'abord une virulente critique de l'intelligentsia, dont la profession est d'écrire et de penser publiquement contre rémunération. Comme l'époque était de gauche, l'intelligentsia l'était aussi. La fesse gluante de sueur serrée devant la Remington, surtout à Paris, un petit milieu professionnel planifiait des révolutions, en attendant salaires et reconnaissance. On osait parfois rêver de postes ministériels comme ceux de Lukács et de statues comme celles de Lénine. En France principalement, depuis la réussite éclatante de Victor Hugo, la littérature était censée mener à tout. Les situationnistes, dont les mérites n'ont pas été si grands, ont au moins eu celui de vouloir ruiner cet arrivisme de la plume qui, particulièrement à Paris, ne s'est jamais exprimé avec plus de grâce que dans le cul. Cette intelligentsia avait été stalinienne jusqu'en 1968 et gauchiste dans les années suivantes. Stalinienne, elle ne pensait la révolte qu'organisée et préméditée par des fesses gluantes de sueur serrées devant des Remington ; gauchiste, c'est-à-dire en majorité léniniste, elle concédait une révolte dans la rue, mais y subordonnait toujours l'émeute obscure à la manifestation médiatique, les plaisirs éruptifs et ravageurs qui débouchent sur le pillage et le cassage de gueule de quelques journalistes à la solennité pompeuse de la protestation indignée en défilés de poings levés comme des moignons. Les bataillons serrés comme des fesses gluantes, casqués et bottés, leur ont toujours paru plus sérieux que des nuées d'adolescents imprévus et imprévisibles, qui ne chantent pas. Et ces moments doum-doum n'étaient que des preuves de leurs propres battements de cœur, de leurs discours résignés à la nécessité d'une police, et non pas l'inverse, leur cœur et leur discours devenant des preuves de ces perforations qui déforment et rendent inutilisables des défenses séculaires de l'étroitesse humaine.
Au printemps 2001, au moment où une génération inconnue au bataillon a pour la première fois tapé de son pied léger de Cincinnati à Addis-Abeba, en déposant son souffle neuf sur les terrains de bataille récemment usés de Tizi Ouzou (et Brixton !) et de Bradford (et Batna !), une nouvelle intelligentsia subordonne déjà cette jeunesse-là, qui lui est si hostile, à sa propre progéniture, aux fesses gluantes et serrées. De Göteborg à Gênes, où l'internationale des chefs d'Etat conférence sur le rien, mais sous siège, la progéniture de la middle class, étroitement enlacée par l'information dominante, antimondialise contre le même rien, sous le même siège. Il y a là cette étrange odeur, si dominante dans la littérature, une odeur d'enflure de rien, de merguez sauce Chiapas, de broutille grand-émoi, l'eau de toilette préférée des pleureuses sans larmes et des pétomanes de l'indignation pour l'indignation. S'il y a une bonne révolte dans la rue, une seule, c'est celle qui pimente les conférences de chefs d'Etat. On ne pourra plus dire que ce sont des conférences sur rien quand elles sont sous siège.
De l'émeute, c'est-à-dire de la révolte des pauvres dans la rue, c'est-à-dire de l'exclusion des médiateurs de tout discours dominant dans le débat, cette nouvelle intelligentsia a unanimement horreur, même si le dogme situationniste contraint à affirmer le contraire, comme jadis, du reste, le dogme marxiste. On entend donc dire (Mandosio, édité par l'Encyclopédie des nuisances) que l'émeute est principalement utilisée par l'Etat, et par là on essaie de montrer qu'on est désabusé, affranchi d'illusions vaincues ; on entend dire que jamais une révolte d'esclaves n'a changé le monde, ce qui est vrai, monde qui d'ailleurs n'aurait pas changé depuis Balzac (le falsificateur Voyer, théoricien de la résignation), ce qui est faux, parce que les gueux, qui depuis deux cents ans sont la seule cause du changement du monde, sont bien autre chose que des esclaves ; les émeutes, pas même au Swaziland ou en Papouasie, mais celles qui sont devenues des insurrections en Irak ou en Somalie, sont dénigrées avec un antitiers-mondisme mal digéré par ceux qui s'émerveillent de ces papillons du golfe du Mexique qui causent des cataclysmes ; cette intelligentsia, où les semi-lettrés sont aujourd'hui devenus majoritaires, voudrait aussi convaincre que seule LA théorie change le monde et que la révolte dans la rue n'est rien qu'une pusillanime vérification de LA théorie, mais condamnée d'avance, magnifique quoi, mais mieux vaut ne pas en parler, puisqu'on te dit que ça sert à rien, capisce ? En cela l'intelligentsia postsitue va plus loin que l'intelligentsia marxiste, qui depuis la création de la troisième Internationale espérait seulement cette déduction. Mais le semi-monde penseur d'aujourd'hui n'a pas de monde meilleur en vue. Comme toujours lorsque la révolte relâche sa pression sur l'époque, ce qu'on a pu constater depuis la mort de Debord qui n'y est pour rien, les valeurs conservatrices qui mènent à la considération et au salut dans une société qui redevient alors éternelle sont réhabilitées : carrière, renommée, fortune, recherche de la perfection de ce qui est là. Voyez l'arrogance bonnasse de ces scribes du régime (toutes les personnes en vie citées dans ce texte sont des scribes du régime) qui se croit affranchie de rendre des comptes parce qu'elle ignore même ce qu'est la réalité, dont elle a horreur. C'est dans la rue que finira cette irresponsabilité qui permet les petits mensonges.
D'une manière plus générale, cette attitude résignée face à la révolte exclut même de son spectre les happenings antimondialisation, non parce qu'il s'agit d'un nouveau concept de vacances pour jeunes de la middle class, mais parce qu'il s'agit de ramener le monde, et par conséquent sa critique, à cette intelligentsia. Une des frontières momentanées de ce néo-intellectualisme passe d'ailleurs entre le soutien et le rejet à l'antimondialisation. Mais dans cette négativité au rabais, les différends sont des poses, pas des choix. Il est donc assez courant de soupirer qu'il n'y a pas de révolte, tout en soupesant avec gravité et doigté les grandes avancées critiques de la néo-intelligentsia parisienne, pour laquelle le chatroom commence à remplacer le salon. Un excellent exemple est livré par un fossile, non encore internaute, de la période des Sartre, Barthes, Foucault et Breton vieux, Annie Le Brun. Dans son dernier ouvrage qui se termine par non, non, non, non, non, non, non, cette admiratrice tardive de Debord ne cite que deux exemples de révolte : le premier est la destruction des Abribus au printemps, qui n'est d'ailleurs évoquée que comme parallèle de la délinquance dans la culture, la destruction des Abribus étant la bonne délinquance face à la méchante délinquance des patrons de la culture : il faut être assez éloigné de ce que les urbanistes ont appelé le mobilier urbain pour penser que sa déprédation pourrait être saisonnière ; et, de la culture, il faut être un assez fervent usager pour se plaindre d'une corruption qui a gagné tout ce que les économistes appellent des secteurs d'activité. Mais le véritable extrême de la révolte pour Annie Le Brun c'est Unabomber, qui aurait allié, de manière un peu fruste sans doute, la théorie et la pratique, comme le préconisait, en somme, un Debord. Devant cette authenticité retrouvée, qui va si loin, on se demande alors pourquoi Annie Le Brun reste en retrait, ce qu'elle n'explique évidemment nulle part. Il devrait pourtant diable être à sa portée d'écrire un petit texte sur la dégénérescence du monde et de le faire suivre de quelques lettres piégées.
Ce n'est évidemment pas son avis sur la révolte qui fait l'intérêt principal d'Annie Le Brun, mais sa délimitation du domaine de la nouvelle intelligentsia. La culture y est toujours le centre du monde. La véritable critique de la société n'est pas bien sûr dans les Abribus et Unabomber, mais dans l'écrit. Ce qu'on peut vérifier dans le répugnant retour de la philosophie sur ses béquilles sociologiques et scienteuses, et même la littérature, où le menu fretin va jusqu'à penser que la poésie pourrait être encore de l'écrit, non sans en vouloir faire la preuve pratique, la fesse gluante serrée devant son Mac, a sorti le cul de sa poubelle, en trémoussant d'importance. Les littérateurs, en effet, ne voyant rien venir leur taper sur le groin, en concluent que c'est à eux qu'appartient la critique. Le cercle de cette négativité est donc encore limité, mais il y a déjà de nombreux postulants prêts à la relève. Esquisse, non limitative, d'une liste de ces crapauds de la bonne pensée contre la bonne pensée : Bouveresse et Bourdieu (réjouissant retour du Collège de France),Voyer, Muray, Nabe, Kacem, Houellebecq, Duteurtre ; et dans le cercle des références, on choisit volontiers celles qui sont les plus vierges de toute critique, comme Wittgenstein, voire Nietzsche et Schopenhauer, puis Hegel bien sûr. Notre papillon du golfe du Mexique, Debord (même en remake de Cravan), reste innommable, dans l'angle mort de la mode ; et les debordistes modedevitistes (l'Encyclopédie des nuisances qui vient de se renforcer de Riesel, Allia et son docteur Bounan, Martos et son courrier censuré) sont donc à la lisière de cette intelligentsia négative, un jour du bon côté de la critique en tant que continuateurs respectables de ce que Debord avait de respectable – à condition de ne pas citer son nom trop usé –, un jour dehors en tant que mainstream qui n'aurait rien compris à la véritable critique, celle qui se reconnaît par le fait de rabrouer et de conchier Debord. Quant aux debordistes intellectuels, comme les journalistes Sollers ou Viviant, ils ont perdu leur place dans la négativité de façade dont ils sont d'ailleurs devenus une cible qui n'est pas bien en danger. On commence aussi à réhabiliter l'intelligentsia gauchisante de l'après-68 : Sartre, Deleuze, Derrida et pourquoi pas Baudrillard, Virilio, Onfray et Bernard-Henri Lévy, après tout assez proches de cette nouvelle opposition qui se croit aussi radicale qu'il n'y a pas si longtemps l'ancienne.
Le pâturage de ce bétail qui grogne et qui rue n'est pas encore clôturé. On peut y entrer et en sortir assez librement. Au départ, il suffit d'être coopté. Et on a les meilleures chances du monde d'être coopté en s'étant fait remarquer opposant à un seul point capital de la bonne pensée de gauche, n'importe lequel. Tout comme un Daeninckx a fait carrière en dénonçant le prétendu antisémitisme de ses petits camarades, on est admis dans les réseaux de référence croisés de cette opposition à la filière de Daeninckx en prenant en marche les thèmes et les idées de cette bonne pensée officieuse, si courageusement en lutte contre la bonne pensée officielle. Tout ce qui prend à contre-pied, seulement de manière à donner l'impression qu'on a un pas d'avance, qu'on est affranchi, est chic : il est de bon goût de se moquer des anti-antisémites, des antiracistes, des antifascistes, des pédés militant et défilant, des rollers, des féministes, mais en crachant sur le machisme ; de vilipender les trotskistes (depuis que Jospin a été déclaré ex-trotskiste) ; d'affirmer que l'économie n'existe même pas, sans même être capable de dire ce qu'est exister ; de trouver amusant et populaire le porno en s'indignant de l'érotisme ; de révéler les vertus spirituelles voire « stratégiques » du sport ; de défendre (toujours défendre) la langue en militant fétichiste et pointilleux ; de défendre la logique formelle en militant féticheux et pointilliste ; de faire l'apologie du style, en impuissant du fond ; de se désoler du manque de rêve, de poésie et d'imagination, détruits par l'affreuse industrie de l'image ; de soutenir Sokal et Bricmont derrière un scientisme bon teint (il est d'ailleurs du meilleur effet d'avoir une formation « scientifique »), qui permet en outre de se démarquer de la vieille intelligentsia antérieure à la critique situationniste ; de papoter d'importance sur le clonage et ses conséquences sur la sexualité, mais aussi avec prudence, tant qu'il n'est pas encore certain de quel côté va se trouver la bonne pensée officielle, et par conséquent la bonne pensée officieuse ; de citer à tour de bras, comme Debord, dans une sorte de surenchère du verbatim qui doit grassouiller de sens et recouvrir de savoir ce vaste étalage d'incapacité à penser par soi-même ; de se gausser des écologistes, mais en se plaignant du trop de vitesse, du trop d'ozone, des OGM ; de pester contre la malbouffe, mais en pestant contre Bové ; de geindre sur l'absence de négativité, mais non sans se positionner de manière positive dans cette négativité ; de sympathiser, toujours par provocation, avec des actes extrémistes proposés à longueur de faits divers eux aussi soumis à la loi de la surenchère ; de s'indigner de la manière dont sont traités les monuments historiques et leurs successeurs contemporains ; de protester contre les bombardements de l'Otan.
Après ces thématiques pauvres, il faudrait ici égrener une liste encore plus longue des réhabilitations : on commence donc à réhabiliter la pensée rampante, on réhabilite les petits mensonges qui sont le signe qu'on ne craint plus l'histoire, et on réhabilite depuis la pensée religieuse la plus tarte à la philosophie la plus gourde. Dans chaque art particulier (il n'est plus question de la mort de la religion, de la philosophie et de l'art), musique, théâtre, chorégraphie, peinture, poésie, cinéma, et bien sûr littérature, on exhume du passé qui nous aurait échappé. Comme je viens de le voir dans un film sur lequel je zappais : dans la pensée musulmane, prétend un personnage qui n'a d'autorité à la pensée musulmane que par son prénom arabe, le passé est devant nous parce que le passé est ce qu'on voit, l'avenir nous encule parce que l'avenir, on ne le voit jamais. Parole de conservateur, parole de résigné, parole de bonne pensée officieuse.
L'archétype de ces réhabilitations est l'écrivain Céline. La bonne pensée officielle condamne son antisémitisme, avec des hauts cris de vieille pucelle. Céline est la mauvaise pensée par excellence. La bonne pensée officieuse réhabilite donc Céline avec des pâmoisons de vieille pucelle, parce qu'il serait exégète de la misère humaine, ce qui est le plus haut titre que peut décerner la bonne pensée officieuse.
A cela il faut répondre. Personne ne peut écrire sur la misère des autres sans la diffamer s'il survit lui-même de cet écrit. Nous serons là de stricte obédience situationniste. La profession d'écrivain est incompatible avec la critique de la misère, et par conséquent avec la critique de cette société, de son devenir, de son monde. Bien au contraire, la littérature et ceux qui y croient, c'est-à- dire ceux qui en font profession et ceux qui tolèrent et soutiennent cette profession, contribuent d'abord par là à la misère. Le préalable à la critique de la misère écrite est la critique de la misère de l'écrit. La misère chez les écrivains professionnels Céline et Houellebecq, ou chez un Voyer (traiter les pauvres d'esclaves, puis de bétail, n'est qu'une espèce de truc littéraire pour paraître radical) qui les tolère et les soutient, n'est pas leur misère, bien au contraire, c'est le déguisement duquel ils attendent ce qu'ils croient être le contraire de la misère : la reconnaissance, qui peut éventuellement prendre le goût de l'argent, ou de cette célébrité maudite dont Debord, en histrion, se plaisait à se draper.
La frontière mouvante de cette négativité d'opérette est les médias. Comme l'information dominante est la bonne pensée officielle, toute la bonne pensée officieuse « critique » l'information dominante, comme une opposition étudiante critique les gérontocrates qui ne leur permettront pas d'arriver aux affaires avant qu'ils auront oublié ce que c'est que de bander. Cette pseudo-critique varie en profondeur et en intensité selon les carrières, les appétits, les occasions, les compromissions. Les professionnels de cette frange de la culture sont bien publiés, et s'expriment à l'occasion, en collabos qui jouent les résistants, dans les médias ; et les besogneux de cette frange de la culture, qui n'ont encore accès qu'aux médias qu'ils installent eux-mêmes, ne trouvent pas honteux de construire, d'animer et de policer des forums sur l'Internet.
La bonne pensée officieuse est donc une sorte de réserve médiatique, un pas négatif d'avance, le petit doigt levé, composée de quelques stars maudites comme il se doit, et d'un maigre petit peuple, plutôt arriviste en son genre. La fonction d'un tel rassemblement informel est de faire croire que la vraie révolte est là. A qui ? Non pas à cette jeunesse dure comme du béton qui fait parfois le bélier face au mobilier urbain et aux secteurs d'activité censés le protéger, jeunesse qu'on casse en morceaux dans le monde depuis bientôt dix ans de paix sociale pour faire croire qu'elle a déjà oublié de bander ; mais c'est aux jeunes fesses gluantes devant leur Mac qu'il s'agit de montrer qu'il n'est pas nécessaire de se lever pour être dans le plus grand des extrémismes. Car, à Paris où les remous du printemps 2001 ne se sont pas encore fait sentir, ce n'est pas la jeunesse gueuse qui s'étend, c'est la jeunesse middle class qui se répand ; et elle a de nombreuses raisons d'être indécise sur le parti à choisir, sur le côté de la barricade où elle peut, éventuellement, jouer sa vérité. Il faut donc, pour la nouvelle police de la pensée qui occupe le terrain du négatif spectaculaire, non seulement tourner le dos à la véritable division de notre société, mais faire comme si la division était ailleurs, revenue dans la culture, dans la valeureuse lutte de la bonne pensée officieuse contre la méchante bonne pensée officielle.
Au moment même où, par-dessus le long interdit situationniste, les héritiers de l'IS contribuent à reconstituer (à la manière des célèbres œufs mayonnaise en tube) une intelligentsia parisienne qui réhabilite ses devancières en pactisant avec elles, nous voyons les premiers signes d'une nouvelle intelligence mondiale qui sort de l'enfance. Les nouvelles que nous recevons du futur qui est devant nous sont meilleures que celles que nous avons à donner du présent qui nous encule. Il y a longtemps que ce n'était plus le cas.
 

 

Retrato de la Burguesía (Siqueiros/Renau, 1939-40)

 

La primera gran pintura mural en tierras mexicanas en donde ya aparece la huella de Renau, auque subsumida tras la arrebatadora personalidad de David Alfaro Siqueiros, es el mural Retrato de la burguesía. Aunque dicha obra siempre ha sido considerada como debida a la mano de Siqueiros, es bastante evidente que la aportación de Renau alcanza quizás un tercio del mural. Del primero es la concepción unitaria de la composición pictórica y la idea de integrar el movimiento del espectador en el mural mediante una secuencia dinámica, la mayor parte de las soluciones ópticas y visuales, el uso de pínturas plásticas sobre cemento, es decir, la materia y el soporte pictórico, y una buena parte de la plasmación práctica de la iconografía, a la cual se deben los efectos pictóricos subyacientes. A Renau pertenece casi toda la documentación fotográfica y por tanto las imagenes básicas antes de su proyección eléctrica, la técnica de yuxtaposición de los fotomontajes, la iconografía constructivista del techo y el inevitable acabado final. El empleo de imágenes simbólicas, la temática comunista, el uso del aerógrafo y las técnicas de proyección fotográfica parecen una puesta en común, aunque predomina la personalidad arrebatadora de Siqueiros. De cualquier modo, en mayo de 1940, a raíz del intento de asesinato de Trotsky por parte de Siqueiros y de sus colaboradores mexicanos, estos huyeron dejando en la más inopinada soledad al fotomontador valenciano, quien hubo de finalizar el mural por su cuenta y riesgo.

Fuente: Albert Forment, "Josep Renau. Vida y obra", en Jaime Brihuega (comisario), Josep Renau (1907-1982): compriso y cultura, catálogo de exposición, Univesidad de Valencia, 2007, p. 51.

dimanche 1 décembre 2024

‘El 47’: el éxito sorpresa de la temporada oculta que su protagonista era comunista

Fuente: https://www.diario.red/articulo/cultura/47-exito-sorpresa-temporada-oculta-que-protagonista-era-comunista/20240930152912036119.html

El filme, que recrea la desobediencia civil liderada por un conductor de autobús y es la única película en catalán que ha alcanzado el número uno de taquilla en más de quince años, esconde la importancia del PSUC en la lucha vecinal

Acostumbrados a las comedias de cuarta y a las agotadoras franquicias de superhéroes, no dejan de sorprender los milagros, porque lo que ha sucedido con El 47 es un pequeño milagro: una película que habla de una lucha vecinal, y obrera, para lograr una línea de autobús que pare en su barrio ha sido un éxito que ningún de sus artífices esperaba.
La película, dirigida por Marcel Barrena, se ha mantenido entre las más vistas durante semanas y es el único filme en catalán que ha alcanzado el número uno de taquilla en más de quince años  el segundo mejor estreno de una película en catalán en la última década.

Este éxito de El 47, que no se ha doblado al castellano, ha demostrado tres cosas. La primera es que el cine en catalán gusta a espectadores catalanes y de cualquier lugar. Otra película del cine catalán, Casa en llamas, también ha entrado con éxito en el top 10 de taquilla y va camino de superar el éxito de Pa negre y convertirse en la película en versión original catalana más taquillera de los últimos 25 años.

La segunda es que sigue habiendo espectadores para las historias de gente buena y causas dignas. Y que en las salas hay cabida para otros espectadores además de los que van a ver los bodrios familiares de Santiago Segura o los adictos a las sagas comiqueras o galácticas. Hay muchísimos espectadores de 40 a 80 años que buscan un cine adulto, con buenas historias y buenos personajes.

Y la tercera, y aunque esto a muchos ejecutivos de cadenas les incomode, es que se puede hacer cine político y tener éxito en taquilla, que en esta ocasión se ha comportado de manera parecida a la del éxito de El maestro que prometió el mar y que ya comentamos en Diario Red. La película de Patricia Font, que recaudó 1,7 millones de euros y atrajo a casi 300.000 espectadores, también contaba con un claro contenido político, estaba basada en un caso real y tenía un protagonista de gran personalidad y abiertamente izquierdista.  

Manolo se estableció en la zona chabolista de Torre Baró huyendo de un pasado aterrador: su padre fue apresado por falangistas, lo asesinaron y arrojaron su cadáver a una fosa común

Quizás este tipo de películas animen a futuros cineastas a hacer un cine que huya de la fórmula facilona y apueste por algo tan cinematográfico como la desobediencia, que es el tema principal de El 47. Hay mucho cine en la ocupación masiva de viviendas vacías, en los encarcelados injustamente (por criticar al emérito o boicotear un mitin fascista, por ejemplo) o en la lucha contra los desahucios, como demostró Juan Diego Botto con En los márgenes, una película que fue machacada por la crítica pero que dentro de unas décadas recordará lo que sucedía en este país en 2022 igual que un buen filme de José Antonio Nieves Conde o Ladislao Vajda lo que sucedía en la feroz España de los 50.

Pero centrémonos en El 47, dirigida por Marcel Barrena, responsable de películas como 100 metros o Mediterráneo y que firma también el guion junto a Alberto Marini. El origen del texto es curioso: encontró por casualidad la historia del conductor de autobús Manolo Vital en un blog sobre transporte metropolitano. Natural de Valencia de Alcántara, Cáceres, Manolo se estableció en la zona chabolista de Torre Baró huyendo de un pasado aterrador: su padre fue apresado por falangistas, lo asesinaron y arrojaron su cadáver a una fosa común (mismo destino que el protagonista de El maestro que prometió el mar).

“Expulsado”, como repite Manolo en la película, de su Extremadura natal, acabó en Torre Baró en busca de pan, trabajo, dignidad y futuro, igual que miles de los llamados “charnegos”. O lo que es lo mismo: catalanes de adopción a los que durante décadas se les consideró como ciudadanos de segunda clase. En Euskadi se les llamaba, de forma igual de despectiva y racista, maketos. Manolo fue solo uno de los cientos de miles (en concreto 800.000, nada menos) que abandonaron Extremadura durante dos décadas.

El 47 empieza con la creación de las ínfimas casas que no se podían considerar chabolas, con Manolo y sus gentes construyendo hogares con sus propias manos y siempre pendientes de un vacío legal: la ley estipulaba que no se podía derruir una construcción que tuviera el techo puesto. Por eso techaban rápidamente los chamizos, antes de que llegasen los cuerpos represivos fascistas para demolerlos.

Con astucia y coraje, Manolo y sus amigos y vecinos levantaron el barrio (incluida la luz y el agua), pero pasados los años llegó la gran brecha generacional: la conciencia de clase dio paso la vergüenza de clase. Los hijos se avergonzaban de sus padres, de sus casas, de su pobreza. Esta brecha queda muy marcada en el guion de El 47 con el personaje de Joana, la hija, que primero duda de la lucha de su padre, pero finalmente lo admira y cierra la película de forma preciosa. Nada menos que con Gallo Rojo, Gallo Negro, de Chicho Sánchez Ferlosio: “El gallo rojo es valiente, pero el negro es traicionero. No se rinde un gallo rojo más que cuando está ya muerto”.  

La acción que recrea la película fue organizada con los vecinos del barrio, acordada en el PSUC

Manolo, eso sí, es la columna vertebral y razón de toda la película. Y Eduard Fernández ha nacido para el personaje, un currante y superviviente bueno y terco que no soporta la vergüenza que provoca la pobreza y menos que las nuevas generaciones no valoren la lucha de la suya. La caracterización de Fernández (con su pipa, su mostacho y su camisa abierta) es otro peldaño en una carrera en la que brillan sus grandes trabajos en Los lobos de Washington, Smoking Room, El método o El hombre de las mil caras.      

Por desgracia, quizás esa rabia que tan bien administra siempre Fernández (“Voy a reventar todo, la voy a liar”) no haya sido del todo aprovechada en El 47. La película de Barrena, financiada por el Institut Català de les Empreses Culturals, RTVE y Movistar Plus+, cuenta con un discurso combativo solo a medias y omite verdades ideológicas. Me explico: el secuestro del 47 no fue un arrebato de un hombre harto de funcionarios. Vital contó con la connivencia de CCOO y el PSUC (Partido Socialista Unificado de Cataluña, comunistas). El PSUC tenía más de mil afiliados en Nou Barris y gran presencia en cada una de las asociaciones de vecinos. Además, Manuel tenía un hijo (en el filme una hija) que, como él, militaba en el PSUC  y CCOO.

Y como guinda, un joven y cándido Pasqual Maragall al que El 47 le dan más protagonismo del que tuvo. Además, la acción que recrea la película fue organizada con los vecinos del barrio, acordada en el PSUC y el 47 no fue el único autobús secuestrado.
Como se preguntó Ricard Aje en su reseña en Mundo Obrero, “¿Por qué hay que ocultar la organización política, sindical y popular en las que militaba Vital y que jugó un papel trascendental en las luchas sociales y contra el franquismo? (…) ¿Había que convertir una lucha social en un producto comercial? ¿Acaso se puede entender la Catalunya actual, los servicios e instalaciones públicas de los barrios obreros o las condiciones de trabajo en las empresas sin el trabajo y el papel del PSUC, CC.OO. y las asociaciones vecinales? Despreciar u ocultar el papel de la militancia y del PSUC en la historia de Catalunya y dejarlo como si fueran acciones espontáneas e individuales es injusto y le hace flaco favor a la memoria histórica”.

Hay proyecciones de El 47 que han acabado con aplausos en la sala, algo muy poco común. El tramo final, el del secuestro del 47 con sus pasajeros dentro, muy eficaz, vale por toda la película. Y cuando acaba, se apodera de ti una reflexión inevitable: si la película hubiese sido más corta (dura casi dos horas), estaríamos ante una obra mucho más escueta y contundente. También ante una obra mucho más honesta si hubiesen dado el verdadero protagonismo que tuvo en PSUC. 


Lo mejor: Eduard Fernández.  
Lo peor: la película acaba con un happy end, pero no es tan happy lo que vino después. La línea 47 se prolongó y llegaron otras líneas a la zona, pero hoy sigue siendo muy pobre y desatendida, con cortes de luz y peligrosos desprendimientos cuando diluvia.

Villes d'Olga Rozanova (1914)

                                                                       City on fire


                                                                            The City

 

Roman Cieslewicz Visualiste

 En Espagne il y eut Alberto Corazón, en France R. Cieslewicz...

Source: https://slash-paris.com/fr/evenements/roman-ceslewicz-visualiste

Roman Cieslewicz - Galerie Semiose
Roman Cieslewicz, Collage centré (Alain Bernardin, directeur du Crazy Horse), 1969 20,5 × 13 cm Courtesy Semiose galerie, Paris 
 
Roman Cieslewicz est en nous. S’il est encore possible de ne pas savoir son nom, il est en revanche impossible de ne pas connaître ses images. Artiste majeur de la scène graphique de la seconde moitié du XXe siècle, Roman Cieslewicz (1930-1996) a façonné l’imaginaire collectif et imprimé son style au plus profond de la rétine de tout spectateur promenant ses yeux en France à partir des années soixante et après.

Artisan du succès de la revue de mode polonaise Ty i ja, il est engagé à son arrivée en France en 1963 par Peter Knapp pour moderniser la maquette de Elle, puis enchaine les commandes pour Vogue, les éditions 10/18, plus tard pour Libération, Le Monde, etc. En 1967, il accompagne la naissance d’une nouvelle revue d’art contemporain, Opus International, dont les couvertures, devenues des icônes, sont toujours en circulation aujourd’hui. Il a dessiné les formules graphiques des expositions « Paris/… » (Berlin en 1978, Moscou en 1979, Paris en 1981) du Centre Pompidou, et a publié un livre sur Che Guevara qui continue à faire date.1

Roman Cieslewicz n’est pas seulement l’incarnation de la modernité des années soixante et soixante-dix, il est de ceux qui l’ont créée et dessinée, réussissant la synthèse de l’époque grâce à sa perception affûtée. Son goût pour la forme élémentaire et le traitement accusé des contrastes, le rapport mot-image érigé comme valeur cardinale et son extrême attention à la typographie, ont forgé son style, reconnaissable, novateur et iconique. Si le noir et blanc soulignés d’une touche de rouge sont reconnus comme sa signature, le hiatus ou la rupture forment aussi un trait distinctif de son style.

Surtout, Roman Cieslewicz est connu pour sa boulimie d’images. Collectionneur de tout support, il fut dans le même temps, gazettophile, Jocondophile, pictopublicéphile, phlogophile, glycophile,2 comme nous le rapporte son ami François Barré. Cette ardeur se retrouve par exemple dans les collages tels que Harem, où d’un seul coup d’œil, il est possible d’embrasser une grande collection. À l’origine, le photomontage Harem a été réalisé en 1969 pour la campagne de promotion de Prisunic, confiée à l’agence M.A.F.I.A., à laquelle Cieslewicz était associé. D’abord imprimé sur des objets de communication, Harem, avec la versatilité habituelle des images de Cieslewicz, a rapidement contaminé d’autres supports. Cette porosité naturelle entre travaux de commande et pratique d’atelier, achève de confirmer la position d’auteur de Cieslewicz ; graphiste-artiste, il préférait se désigner comme « visualiste » ou membre de la « confrérie des artisans de l’image ».

Pour autant, à ce bombardement, à ce trop-plein d’images succède au début des années 1970 sa tendance plus frugale d’« aiguilleur de la rétine », avec son célèbre visuel « Zoom contre la pollution de l’œil ». C’est le début des collages centrés auxquels appartiennent Arturo, Acupuncture, Arrabal, Cérès Franco ou Bobby Fischer, monstres cyclopéens dont l’œil, trop unique, dérange. Œillade au manifeste « ciné-œil » de Dziga Vertov, l’œil est le motif central, absent ou au contraire appuyé, comme dans la si célèbre affiche du Che, où il est remplacé par « CHE SI ». « Cieslewicz fut avant tout un œil, écrivait Amélie Gastaut, cet œil qui s’efforce de regarder la réalité en face. »3 Irréductible artisan — même après l’apparition des outils numériques —, Roman Cieslewicz œuvrait avec les moyens les plus simples, ciseau, pinceau et colle, et un certain bonheur de l’accident et des imperfections, provoquées par l’impatience ; « le geste, le crayon répondent plus vite à mes idées que n’importe quel outil mécanique. » Effet miroir, symétrie, parallèle, répétitions, rognage de l’image en son centre, agrandissement ou réduction, aplatissement, découpage, juxtaposition ou multiplication, dans un sens ou dans l’autre, nivellement des gris, forçage des contrastes, détramage et retramage, accentuation, stylisation, travail au trait, aplats. Toutes les opérations y passent, toute la suite graphique est démontée puis remontée.

Si la réitération de l’image est une constante de l’œuvre, les photomontages, à l’instar de Party ou Gâteux aux bas Dim constituent aussi un pan important, plus intime, plus personnel, plus engagé aussi. Héritier des collages des maîtres, tels Max Ernst et Kurt Schwitters, ou des photomontages constructivistes d’Alexander Rodchenko, Roman Cieslewicz renouvelle le genre en utilisant notamment les moyens de reproduction et l’iconographie populaire de son époque. On l’associe souvent à son aîné Bruno Schulz — avec qui il partage une certaine poésie mélancolique et dont il a défendu l’œuvre —, mais aussi dans un tout autre esprit à ses comparses Roland Topor, Fernando Arrabal et Alessandro Jodorowski, réunis au sein du groupe Panique, fondé en 1960. Dans son prolongement, Roman Cieslewicz crée en 1976 Kamikaze, la revue d’information Panique4.

L’humour noir et la causticité acerbe infuse chaque œuvre, à l’instar de B.B. Phoques. Tenant d’une grivoiserie très hexagonale, plus fétichiste que véritablement active, Dorothée, Garçon I, Party et Pied Panique en remontrent au voyeur. « Je suis un pirate, dit Roman Cieslewicz, mais un pirate qui participe à un nouvel alphabet des médias […] Une image qui ne choque pas, ça ne vaut pas la peine . » À l’instar de sa production globale, cette exposition est foisonnante, les signes circulent, rebondissent d’une image à une autre, les désirs et les peurs jaillissent et parfois explosent au visage. De ces « attentats visuels », Jean-Christophe Bailly dit : « Ce qu’on voit n’est pas fait pour plaire, ni pour passer, mais pour rester, et les images prises au piège qui les met en page et à nu tombent ou retombent sous le sens . »5 Attention, Panique !

Laetitia Chauvin

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1 Roman Cieslewicz, CHE, Paris, Éditions Jeune Afrique, 1968, 48 pages

2 Le pictopublicéphile collectionne les images publicitaires, le phlogophile les flammes postales, le glycophile les emballage de sucres individuels.

3 Amélie Gastaut, “L’itinéraire de Roman Cieslewicz”, dans l’ouvrage collectif publié à l’occasion de l’exposition au musée de Grenoble en 2001 (éditions Réunion des Musées Nationaux

4 Trois numéros publiés en 1976, 1991 et 1994.

5 Jean-Christophe Bailly, cahier publié par Edition Magik, Paris, 1987, à l’occasion de l’exposition “Pas de nouvelles, bonnes nouvelles” de Roman Cieslewicz à la galerie Jean Briance (Paris)

 

Netflix a effacé l’essentiel de ses « Histoires palestiniennes » – la collection est désormais introuvable en Israël

 Source secondaire : https://www.les-crises.fr/netflix-a-efface-l-essentiel-de-ses-histoires-palestiniennes-la-collection-est-desormais-introuvable-en-israel/

Suite à la purge d’au moins 24 films, Netflix fait face à des appels pour réintégrer les films.

Source : The Intercept, Nikita Mazurov
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les bureaux de Netflix à Los Angeles, le 19 avril 2021. Photo : Bing Guan/Bloomberg via Getty Images

En 2021, Netflix a décidé de créer une nouvelle collection de films pour ses utilisateurs.

« Netflix va lancer la collection « Histoires palestiniennes », qui offrira un choix de films réalisés par certains des meilleurs cinéastes du monde arabe, a annoncé le nouveau groupe. « Cette collection est un hommage à la créativité et à la passion de l’industrie cinématographique arabe, alors que Netflix continue d’investir dans des histoires en provenance du monde arabe. »

Trente-deux films ont été retenus et il est prévu d’en ajouter d’autres.

Cependant, à la suite d’une purge d’au moins 24 films de la plateforme de Netflix, la page d’accueil de la collection ne contient plus qu’un seul film accessible aux streamers des États-Unis : le documentaire de 2019 de Lina Al Abed « Ibrahim » [Ibrahim : A Fate to Define] – et ce, uniquement à partir des États-Unis.

« Cet effacement des voix palestiniennes par Netflix fait suite à plusieurs décennies de suppression des points de vue palestiniens. »

En accédant à la page à partir d’une adresse IP israélienne, non seulement les 24 films ont disparu, mais la collection « Histoires palestiniennes » n’existe pas du tout : l’URL de la page du portail renvoie à une page d’erreur 404 indiquant que le site est introuvable. La page israélienne contenait auparavant 28 films.

La disparition des films, dont l’absence imminente avait été signalée par Sunjeev Bery, est intervenue un an après l’assaut implacable d’Israël contre la bande de Gaza et l’escalade en Cisjordanie – une guerre qui va s’intensifiant contre ces mêmes Palestiniens que Netflix cherchait à promouvoir grâce à sa collection d’histoires.

« Cet effacement des voix palestiniennes par Netflix fait suite à plusieurs décennies peu glorieuses de suppression des points de vue et des récits palestiniens par les médias d’information et de divertissement occidentaux », indique une lettre demandant le rétablissement des films, émanant de 30 organisations pro-palestiniennes, dont Freedom Forward, dont Bery, un collaborateur d’Intercept, est le directeur exécutif.

https://x.com/Sunjeev_Bery/status/1845516953089352190

Le géant du divertissement a donné peu de détails quant aux raisons pour lesquelles exactement deux douzaines de films palestiniens ont été supprimés en l’espace de quelques semaines. En réponse à une demande de The Intercept, Rachel Racusen, porte-parole de Netflix, a déclaré : « Dans le cadre de la licence pour ces films, le contrat se terminera en octobre 2024, c’est pourquoi ces films ne seront plus disponibles pour les utilisateurs. »

Racusen a ajouté : « Il s’agit d’une pratique courante en matière d’octroi de licences de contenu. Des exemples similaires incluent Friends qui n’est plus disponible aux États-Unis ou Mr. Robot qui n’est plus disponible dans les pays arabes » – une déclaration qui a été reprise, sans toutefois être attribuée, dans un article de Variety sur la disparition des films.

Purge planétaire

Sur ses pages d’aide, Netflix indique que les émissions et les films sont retirés de la plateforme en fonction des accords de licence. Lorsque ceux-ci arrivent à expiration pour un film donné, Netflix indique qu’il évalue si les droits sont encore disponibles, le degré de popularité du film dans la région concernée et le coût correspondant au renouvellement de la licence.

L’annonce initiale de Netflix indiquait que les titres seraient disponibles en streaming dans le monde entier. Après que les films ont été rayés de la plateforme aux États-Unis, The Intercept a tenté de les visionner en Israël et dans d’autres pays. Dans un échantillon de pays dont les adresses IP ont été utilisées par The Intercept pour accéder à Netflix, au moins une partie des titres, si ce n’est la totalité, avaient été effacés dans le monde entier.

En Corée, comme en Israël, la page d’accueil des Histoires palestiniennes n’existait pas du tout, donnant lieu à un message d’erreur. Dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni et l’Ukraine, la page propose « Ibrahim » – le film disponible pour les spectateurs américains – ainsi qu’un second film, « 200 Mètres » d’Ameen Nayfeh.

La collection Histoires palestiniennes n’est plus affichée dans les résultats de recherche sur Netflix.

Lors du lancement de la collection « Histoires palestiniennes », Netflix avait subi le feu des critiques de l’organisation sioniste de droite Im Tirtzu. À l’époque, Netflix avait répondu qu’elle « croyait en la liberté artistique et investissait régulièrement dans des récits authentiques en provenance du monde entier », laissant les films à l’appréciation des spectateurs.

Dans un article sur le site web de Netflix indiquant aux téléspectateurs les titres qui quitteront le service ce mois-ci, aucun des films palestiniens n’est mentionné.

Au lieu de cela, la liste met en avant des titres tels que « Le chat chapeauté » du Dr. Seuss [célèbre auteur pour enfants, NdT] et « Magic Mike » [Comédie dramatique américaine réalisée par Steven Soderbergh et sortie en 2012. Le film se déroule dans le milieu du striptease masculin en Floride, NdT], qui devraient également être retirés de la plateforme ce mois-ci.