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mardi 17 décembre 2024

Allemagne – bouleversements dans Die Linke au congrès 2024 : une raison d’espérer ?

 SOURCE: https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/allemagne-bouleversements-dans-die-linke-au-congres-2024-une-raison-desperer/

Un an après les départs autour de Sahra Wagenknecht, il y a eu une nouvelle vague de départs au sein de Die LINKE (la gauche en allemand). Cette fois ci avec la grande différence que ce sont les éléments les plus réactionnaires et bellicistes qui quittent le parti à la suite de deux congrès importants. Après des années de défaites pour les éléments marxistes-léninistes de Die LINKE, il y a de nouveau de l´espoir.

Cet article peut sembler un peu long, mais c’est nécessaire pour connaître les raisons et contradictions qui mènent aux mouvements que l´on peut observer et pour réellement comprendre ce qui se passe. Vu que la situation de la gauche en Allemagne est complètement différente de la situation française, je vais d´abord devoir un peu parler d´histoire.

L´histoire du Parti Die Linke

Après la libération en mai 1945, le grand KPD (Kommunistische Partei Deutschlands) qui avait agi dans l´illégalité depuis 1933 s’est reconstitué partout en Allemagne. Comme conséquence des « douze ans de dictature fasciste et six ans de guerres d’´Hitler » le KPD et le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) fusionnèrent en 1946 dans la zone d´occupation soviétique pour que plus jamais la réaction n´arrive au pouvoir et pour construire le socialisme. Ce nouveau parti du nom de Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED) ou « parti de l´unité socialiste d´Allemagne » devint la première force politique en RDA.

Le SPD des zones d´occupation de l´Ouest, corrompu et contrôlé par les impérialistes occidentaux, n’a pas pu faire cause commune avec le KPD qui fut même interdit en Allemagne de l’Ouest en 1956 par le grand démocrate Adenauer. 

https://www.die-linke.de/partei/parteidemokratie/zusammenschluesse/kommunistische-plattform/

Après la chute du mur de protection antifasciste de Berlin, le SED avait approximativement deux millions de membres (sur une population de seize millions) et devint le PDS (“Partei des Demokratischen Sozialismus”). Ce fut un changement drastique. La tête du Parti fut complètement remplacée. Les nouveaux dirigeants participèrent à l´hystérie générale contre la RDA. Des camarades méritants furent exclus parce qu´ils avaient eu des fonctions importantes en RDA et dans les organes qui avaient défendu la RDA avec dévouement (armée, gardes-frontières, sécurité d´État et personnes affiliées), sans parler des anciens dirigeants comme Erich Honecker ou Heinz Kessler, carrément abandonnés à la réaction. Mais pour un bon nombre de communistes convaincus, abandonner ce parti ne fut pas une option, même si les réformistes dominèrent le terrain. Très vite, la Kommunistische Plattform (KPF) ou « plateforme communiste » s´est formée, qui regroupe jusqu´à aujourd’hui´ceux qui veulent « préserver et développer la pensée marxiste au sein du parti », lutter contre l´anticommunisme, pour la paix et qui ne veulent pas laisser le parti aux vautours. Juste après sa création, la KPF avait 5000 membres et Sara Wagenknecht, alors très jeune et qui codirigeait cette plateforme, échangea d’ailleurs à l’époque avec Georges Gastaud qui co-animait alors en France le Comité Erich Honecker de Solidarité Internationaliste. 

En 2007, le PDS fusionna avec un parti ouest-allemand (le WASG, auquel appartenait Oskar Lafontaine, ex-dirigeant de la gauche du SPD) pour créer Die LINKE.

Dans Die LINKE il est autorisé de se regrouper pour constituer des courants.  Avec le temps, plusieurs courants reconnus par Die LINKE se sont formés au sein du parti, qui jouent un rôle important.

Le vote Die Linke en 2017

Die Linke et le DKP

Les communistes marxistes-léninistes d´Allemagne sont organisés majoritairement dans le DKP ou dans Die LINKE et sa plateforme communiste KPF. Le DKP (“Deutsche Kommunistische Partei”), qui est beaucoup plus petit que Die LINKE, s´est formé en Allemagne de l’Ouest après l’interdiction du KPD et a toujours été un parti marxiste-léniniste. La raison pour la division du mouvement communiste en SED-PDS (aujourd´hui Die LINKE) et le DKP est donc d´origine historique. Un parti vient de l´Est et l´autre de l’Ouest. Les membres du DKP ne veulent pas adhérer à Die LINKE, car le parti est dirigé en grande partie par des liquidateurs réformistes sans ligne de classe qui sympathisent avec l´axe UE-OTAN. De leur côté, les communistes de Die LINKE, ne veulent pas abandonner le parti car ce serait un immense cadeau pour les liquidateurs et le camp bourgeois en général.

Personnellement, je comprends bien les deux côtés. Il y a beaucoup de contacts chaleureux entre les deux partis. Les membres du KPF souhaitent le mieux pour le DKP et les membres du DKP souhaitent que Die LINKE devienne à nouveau un parti qui combat sans hésitation pour la paix et le socialisme. 

La différence principale est que les membres du DKP sont pessimistes et n´ont plus d´espoir dans Die LINKE et que les communistes dans Die LINKE voient que le combat n´est pas encore décidé et ont encore de l’espoir.

Les années 2021 à 2023

Fin 2021 : Klaus Lederer et ses amis (ceux qui viennent de quitter le parti), qui se regroupaient dans la « Progressive LINKE » (« gauche progressiste »), contrôlaient sans partage la Die LINKE de Berlin depuis des années. Après les élections de 2021 ils renouvelèrent la participation de Die LINKE au gouvernement du Land de Berlin. Lors des mêmes élections il y avait eu un référendum à Berlin sur l´expropriation des grands groupes immobiliers à Berlin approuvé par 59,1% des Berlinois qui voyaient leur existence en danger en raison d´une explosion des loyers.

Mais il était clair dès le début que le nouveau gouvernement allait ignorer ce référendum.

Déjà à l´époque, le gouvernement de Berlin menait des campagnes assimilant les critiques d´Israël à de l´antisémistisme. Défendre les colons de la théocratie fasciste tenait depuis toujours à cœur à la « progressive LINKE ». Il faut savoir, que les « progressive LINKE » appartiennent à une idéologie spéciale à l’Allemagne : les « Antideutsche » ou anti-Allemands. Cette idéologie est une forme spéciale du nationalisme bourgeois, une sorte de nationalisme allemand à l’envers. Comme le nationalisme bourgeois « ordinaire », elle dit que l´Allemagne est unique et différente des autres pays. Sauf que d´après cette idéologie, l’Allemagne serait le mal incarné. Elle part de l´idée que par essence, tous les Allemands sont un ramassis de nazis. Cette idéologie est à l´opposé de la vision matérialiste du monde et mystifie le peuple allemand qui porterait le nazisme dans son ADN. Pour contrer cela, le soutien à Israël devient comme une offrande pour purger l´Allemagne du mal. Tout ce qui n´est pas un soutien inconditionnel à Israël serait du nazisme. Sauf que derrière Israël il y a les USA. Donc en pratique, tout ce qui n´est pas un soutien inconditionnel à l´impérialisme US serait du nazisme. Une haine FANATIQUE de tout ce qui contrarie les ambitions des États-Unis : voici l´essence des « Antideutsche » et donc des « progressive LINKE » autour de Klaus Lederer. Cette idéologie est incorporée depuis longtemps dans le système politique et médiatique. Le soutien inconditionnel à Israël est reconnu comme « raison d´État » par la bourgeoisie allemande.

La « progressive LINKE » participa au gouvernement de Berlin sur une base anti-sociale et impérialiste.

Le congrès fédéral de Die LINKE 2022 fut un point bas pour le parti. Les va-t-en-guerre dominaient le discours et demandèrent des armes pour les nazis de Kiev. 

En octobre 2023 Sahra Wagenknecht et d´autres députés qui remettent en cause les livraisons d´armes quittèrent le parti. Les belliqueux croyaient avoir gagné définitivement. Sauf qu´il n´y avait pas le départ massif de ceux qui sont contre les livraisons d´armes qu´ils avaient espéré.

Ellen Brombacher – KPF Die Linke

Ellen Brombacher, figure connue de la KPF (Kommunistische Plattform) disait à peu près ceci lors d´une réunion publique cet octobre à Berlin : « Vous auriez dû voir le visage de Lederer quand il nous a vu après le départ de Wagenknecht. « Mais vous êtes encore là vous? », nous a-t-il demandé. » 

Beaucoup de membres de Die LINKE voulaient rester pour ne pas laisser le parti aux ennemis. Un bon nombre d´entre eux étaient membres depuis le temps de la RDA et le parti était depuis toujours une part importante de leurs vies. Ils ne voulaient également pas rejoindre le parti de Sahra Wagenknecht le BSW, parce qu´ils n´étaient pas d´accord avec elle sur d´autres points importants. Car Sahra Wagenknecht dit se réjouir de la réunification et du fait que la RDA n´existe plus. Elle a également des idées très libérales sur l´économie. Elle ne veut pas sortir de l´UE, croit en une « économie de marché sociale » et son modèle en matière de politique économique est Ludwig Erhard, ce qui est de la pure folie. Ludwig Erhard était un économiste qui commença sa carrière dans le IIIe Reich et devint ministre de l´économie de la RFA. Il accompagna le création d´une économie d´après-guerre sous tutelle des États-Unis et posa ainsi la base économique de l’asservissement de l´Allemagne par les grands monopoles (surtout américains) qui sont la véritable raison de la politique impérialiste allemande. 

Wagenknecht n’est également pas très claire sur la paix. Sa critique d´Israël est très réservée et elle a même dit qu´il faut faire de l´OTAN une « alliance défensive » au lieu de la liquider. En novembre 2024, le parti de Wagenknecht (BSW) en est déjà au point qu´ils ont annoncé vouloir constituer une coalition pour gouverner le Brandebourg avec le SPD. Dans un communiqué publié par les deux partis on peut lire ceci : « Nous sommes d’accord sur le fait que la capacité de défense de notre pays revêt une grande importance pour la paix et la sécurité et que la capacité de défense de la Bundeswehr doit être renforcée. C’est pourquoi nous soutenons la Bundeswehr et ses sites en Brandebourg. » Cela devrait être une déception pour les électeurs du BSW qui ont voté pour ce parti afin de ne pas voir l´OTAN s´implanter dans leur région.

Le congrès de Die LINKE fin octobre 2023 était différent de celui de 2022. L´ambiance vis-à-vis des livraisons d´armes à l´Ukraine avait changé. Presque plus personne se présentant pour un poste ou sur la liste des élections européennes n’osa se prononcer ouvertement pour des livraisons d´armes et ceux qui disaient y être favorables ne se faisaient pas élire (à l’exception des têtes de listes). Mais le très réactionnaire appareil du parti en place avait fait en sorte que les quatre premières places, à l’exception de la troisième position, soient réservées à des extrémistes pro-OTAN.

Dans ce but, ils avaient fait en sorte qu´il n´y ait aucune contre-candidature. Les délégués n´avaient même pas le droit de les questionner. La première place revint à l´ancien co-secrétaire du parti, un supporter du régime pronazi de Kiev. Les places deux et quatre n´étaient pas attribuées à des membres du parti qui ne disaient même pas vouloir le devenir. La deuxième place était attribuée à la fille d´un officier de la Bundeswehr qui vota entre autres pour des attaques directes contre le territoire russe au parlement européen. Seule la troisième personne de la liste était contre les livraisons d´armes.

Le congrès 2023 fut une mise en scène par les bureaucrates qui tiennent les ficelles et placent les membres devant des faits accomplis mais la position des délégués avait beaucoup changé.

Octobre 2024 : la base exige la paix, refuse des livraisons d’armes

En 2024 le refus vis-à-vis des livraisons d´armes devint de plus en plus important dans la population et dans le parti. 

Au congrès de Die LINKE Berlin du 11 octobre la paix dans le monde fut également discutée. Lederer et ses amis « Antideutsch » (“anti-allemands”) de la « progressive LINKE » étaient déterminés à défendre l´impérialisme américain sans compromis. Ils voulaient entre autres à tout prix accuser les manifestations pro-palestiniennes de soutenir un « antisémitisme éliminatoire ». Mais le congrès ne voulait pas de cet amendement. Enragés, Klaus Lederer (ancien maire adjoint de Berlin), Petra Pau (vice-présidente du Bundestag), une grande partie des députés du groupe parlementaire de Berlin et Elke Breitenbach (ancienne membre du gouvernement de Berlin) quittèrent la salle. Cette dernière, pourtant connue pour sa politesse, a tenu à faire un double doigt d’honneur à la salle avant de s´enfuir. 

Une semaine plus tard eut lieu le congrès fédéral de Die LINKE. Lors des élections pour le nouveau « Bundesvorstand » (une sorte de comité central), ceux qui avaient demandé ouvertement des livraisons d´armes les dernières années ne furent pas élus (à l’exception de Wulf Gallert). Mais pour l´élection de la double tête du parti, il n´y avait pas de contre-candidatures (comme un an auparavant lors de la liste pour les européennes). Par conséquent, les deux candidats instaurés par l’ancienne tête du parti ont été élus. Comme leurs prédécesseurs, il s’agit de gens qui mettent à peine en cause Israël et qui se montrent compréhensifs vis-à-vis de ceux qui demandent des armes pour les nazis en Ukraine. Des gens qui laissent les va-t-en-guerre salir l´image du parti tout en disant à ceux qui sont pour la paix de ne pas porter leurs revendications car il faut préserver l´unité du Parti. 

Du point de vue du personnel politique, l’Établissement a pu préserver les postes les plus importants tout en perdant de l´influence dans le Bundesvorstand (comité central).

Tout de même, on a pu voir que la paix avait gagné du terrain lors du débat autour du nouveau programme. La KPF (Kommunistische Plattform) avait déposé une motion qui parlait de l´histoire du conflit en Ukraine, visait à éliminer la haine antirusse et insistait sur le rôle historique du militarisme allemand. Bien évidemment, l’ancienne tête du parti posa un contre-amendement qui visait à éliminer tous les points importants de celui de la KPF. Le contre-amendement n´a pas été adopté avec 41% pour et 44% contre, ce qui fut une défaite pour l´ancienne tête du parti. Mais l´amendement de la KPF qui fut présenté dans sa version initiale n´a également pas été accepté (40% pour et 51% contre). Ces résultats sont tout de même un grand bond en avant par rapport aux dernières années et montre qu’une part de plus en plus importante des délégués ne suivent plus la tête du parti et veulent défendre une ligne de paix. D´autant plus qu’un autre amendement de la KPF a été repris, insistant sur la nécessité de ne pas laisser des missiles américains sur le sol allemand, de dissoudre l´OTAN et d´être « sans si ni mais contre toutes livraisons d´armes à l´Ukraine et à Israël ». Ces mots clairs n´auraient pas été possibles il y a encore deux ans. D´un côté les délégués votent des résolutions qui deviennent de plus en plus claires en ce qui concerne la paix, de l´autre ils votent toujours pour des personnes qui sont plus ou moins contre la paix. Lors d´une conférence publique, Ellen Brombacher de la KPF a dit ne pas avoir d’explication pour cette contradiction. Une raison importante devrait être que la plupart du temps, les dirigeants placent leurs candidats avec le soutien de tout l´appareil du parti et des médias bourgeois et qu´aucun « inconnu » n´ose présenter une contre-candidature.

Le 23 octobre, quelques jours après le congrès fédéral, Klaus Lederer, Elke Breitenbach et les mêmes parlementaires qui avaient quitté la salle lors du congrès de Die LINKE Berlin quelques jours auparavant quittèrent le parti. Ils donnèrent comme raison que le parti ne se distanciait plus assez de l’antisémitisme et le refus de solidarité avec l’Ukraine. Il ne s´agit pour l´instant que de figures politiques de Berlin. Les « progressive LINKE » d´autres régions du pays sont restés dans le parti. Mais cela reste tout de même très important pour Berlin, car ces mêmes gens avaient le contrôle du parti à Berlin il n’y a pas longtemps.

En réaction à cela, la nouvelle double tête (du parti au niveau fédéral) et d´autres éléments très réactionnaires ont demandé publiquement à ceux qui sont partis de revenir. En attendant, ces derniers ont déjà annoncé ne pas vouloir rendre leurs mandats de députés à Die LINKE alors qu´ils l´avaient demandé aux députés regroupés autour de Wagenknecht il y a un an à peine. 

L´avenir du parti reste difficile à prédire. Les liquidateurs ont toujours une emprise sur celui-ci, quoique moins ferme. Une grande partie du personnel embauché par le parti, qui a également beaucoup d´influence, est toujours en place et sera difficile à dégager dans tous les cas. Il reste à voir comment se développera le parti lors des prochains congrès et lors des élections anticipées qui s´annoncent au niveau fédéral, qui pourraient complètement faire couler le parti. S’il y a plus de départs de gens comme Lederer et compagnie, s’il y a des contre-candidats et si les membres commencent à voter pour des candidats en accord avec leurs idées politiques avant qu´il ne soit trop tard, cela pourrait sauver le parti. Si la tête du parti n´est pas remplacée et que les mêmes continuent à contrôler le parti et à le représenter à l’extérieur, il continuera de s’enfoncer dans le marécage de l’insignifiance politique.

Pour le moment, le camp de la paix semble avoir le vent en poupe, mais les larbins de l´UE-OTAN gardent les postes-clés.

 

dimanche 15 décembre 2024

Roma (Hannah Höch, 1925)


Er und Sein Mileu (Hannah Höch, 1919)

                                            Watercolor and pen on paper, 49,6x39,7cm, Henie-Onstad Art Center

 

"Mémoires" de Guy debord, par Jacques Villeglé en 2016

 


Documenti su Giuseppe Pinelli (Le 3 versioni ufficiali), 1970

 


L'enterrement de Togliatti, 1964


  Mise en scène: Gianni Amico, Libero Bizzarri, Francesco Maselli, Lino Miccichè, Glauco Pellegrini, Elio Petri, Sergio Tau, Paolo Taviani, Vittorio Taviani, Marco Zavattini, Valerio Zurlini, Giorgio Arlorio....c'est sûr c'est pas le pedigree social de La Nouvelle vague.

Nécrologie de Jacques Polieri (16 décembre 2012)


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Jacques Poliéri est décédé brusquement le 16 décembre dernier à l’âge de 83 ans, d’une rupture d’anévrisme. Venu de Toulouse à Paris en 1947, il a débuté au théâtre comme   comédien dans La Colline de vie, pièce de Max Zweig, dans des décors de  Walter Spitzer au Théâtre Edouard VII, puis il a beaucoup joué, notamment en 1950 dans Le Gardien du tombeau de Franz Kafka, mise en scène de Jean-Marie Serreau, au Poche Montparnasse ou dans La Grande et la Petite Manœuvre d'Arthur Adamov, mise en scène de Roger Blin au Théâtre des Noctambules, dans une scénographie de Jacques Noël. En 1949, il met en scène La Cantate pour trois voix de Paul Claudel au Centre culturel de Royaumont, puis en 1953, au Théâtre de la Huchette, sept petits sketches de Ionesco dans des décors de Georges Annenkov (1889-1974). Jean Tardieu sera son auteur de prédilection avec trois spectacles qui font découvrir cet auteur, Poliéri créant La sonate et les trois messieurs, La Politesse inutile, Qui est là ?, La Serrure, Le Guichet et la Société Apollon (1955), Une voix sans personne, pièce sans acteurs qui provoquera un scandale dans la presse, présentée avec Hiver ou Les temps du verbe (1956), L'ABC de notre vie, Rythme à trois temps et la reprise de La sonate et les trois messieurs (1959).

Cette volonté farouche de s’inscrire dans l’avant-garde l’amène à fonder en 1956 avec Le Corbusier le premier festival de l’avant-garde à la Cité radieuse de Marseille, dont la deuxième édition se tient l’année suivante à Rezé près de Nantes dans une autre Cité radieuse et la troisième édition se déroule à Paris en 1960. Adepte de la convergence des arts, il s’est depuis toujours intéressé à la peinture abstraite, et à l’abstraction en général. Il était proche de Jean-Michel Atlan (1913-1960) peintre de l’art informel, abstraction lyrique française, qui réalisa en 1959 trois séries de neuf pastels pour un texte de Poliéri, ensemble qui sera publié en 2008 aux Editions Hazan sous le titre Topologies, titre évocateur d’une des thématiques actives chez ces deux artistes autodidactes, épris de signes, d’espaces et de lieux, mais aussi de rites et de légendes. Poliéri publiera en 1996 avec Camille et Denise Atlan chez Gallimard le catalogue complet de l’œuvre d’Atlan.

Pour la réalisation en 1959 d’Un coup de dés jamais n'abolira le hasard poème polyphonique de Mallarmé, il dispose les acteurs et les éclairages sur la scène et dans la salle afin de traduire la mise en page et la typographie du poème, avec l’idée de créer une action stéréophonique et polyvisuelle. Les images projetées ou les films, les diffusions sonores reprennent en contrepoint certaines parties du texte, l'action occupant les points diagonaux du théâtre (salle et scène à la fois, reliées entre elles par des rapports imprévus et des interactions). Il monte Le Livre de Mallarmé en 1967. Il systématisera auparavant cette recherche dans Gamme de 7 en 1964 (création) et 1967 (reprise), expérimentant une scénographie et une sémiographie, élémentaire et complexe, conçues comme une « orchestration spatiale ». L'action se déroule simultanément sur plusieurs types de scènes : une scène frontale, une triple scène circulaire, plusieurs petites scènes secondaires et une scène occupant l'ensemble des trois dimensions de la salle, immergeant le spectateur dans la représentation. A ces huit scènes physiques s’adjoint une neuvième, virtuelle, qui est une image géante avec l’utilisation de caméras électroniques couleurs et, pour la projection, d’un eidophore, ancêtre du vidéoprojecteur. Il  entend décomposer et combiner à l’infini les modes d’expression humaine : voix parlée, voix chantée, geste dansé, geste mimé en associant acteur, chanteur, danseur, mime.

Parallèlement à cette activité artistique, il mène une recherche documentaire et théorique, qui le conduit à de nombreuses publications et participations à des colloques. Il entend incarner une « scénographie moderne », dans la filiation de l’avant-garde du début du siècle, une scénographie généralisée. A cet égard, la publication en novembre 1963 de Scénographie nouvelle, aux éditions Architecture d'aujourd'hui est une initiative qui fait date dans l’émergence de ce terme. Cet ouvrage sera  réédité en 1990 (éditions Jean Michel Place) sous le titre Scénographie : Théâtre Cinéma Télévision. La publication en 1971 de Sémiographie-scénographie cristallise sa trajectoire tant artistique que théorique depuis 1950 : la scénographie devient sa propre fin, contenu et contenant indissolublement liés.

Naturellement, ses conceptions l’ont amené à s’intéresser à l’architecture théâtrale et à la remise en question du lieu scénique, autour du concept de théâtre du mouvement total, plaçant les spectateurs au cœur de la sphère, dont les premières esquisses datent de 1957, formalisées avec l’architecte italien Enzo Venturelli en 1958 et avec les frères Vago en 1962, dont il proposera une version à Osaka en 1970 lors de l’Exposition universelle. Cette formalisation architecturale interagit avec ses mises en scène dans des dispositifs simultanéistes. Dans cette dynamique, il pourra avec André Wogenscky en 1968 construire un théâtre mobile à scène annulaire pour la Maison de la Culture de Grenoble, dont il avait proposé un prototype à la porte de Versailles pour le 3ème Festival de l’Avant-garde, mettant en scène dans cet espace Rythmes et Images du critique d’art Pierre Volboudt. Malheureusement cette salle a été détruite lors de la rénovation de la Maison de la Culture en  2004.

Son attrait pour les jeux de combinaison, son goût à la fois pour la règle et l’aléatoire, l’amènent à publier en 1981 Jeu(x) de communication aux éditions Denoël, à Paris, grammaire spatio-temporelle formelle qui reflète son évolution vers le monde de la communication, via la vidéotransmission. Le développement d’internet donnera un nouvel élan à la sphère imaginaire de Poliéri et à son idée d’une scénographie virtuelle électronique dont il a entrevu la possibilité dès l’apparition de la télévision : « Des actions se déroulant à de très grandes distances les unes des autres pourront également être envisagées grâce aux télé-techniques » (Scénographie de l'image électronique, 1963).

Michel Corvin lui a consacré un ouvrage complet en 1998,  Poliéri, une passion visionnaire. Une exposition en 2002, Polieri, Créateur d'une scénographie moderne, suivie d’un colloque (Autour de Jacques Polieri, Scénographie et technologie, Edition Bibliothèque Nationale de France, actes publiés en 2004) à la Bibliothèque nationale de France à qui il a fait don de ses oeuvres, a su donner à ce défricheur la place qui est la sienne. Venu du théâtre, il l’a quitté ; proche de peintres, il s’est identifié à leur quête vers l’abstraction ; avide de découvertes technologiques, il s’est épris de la liberté que semblait apporter le monde numérique, finissant sa vie à imaginer des jeux planétaires ; il a étendu le sens du mot scénographie en en faisant une écriture de l’espace dématérialisé et délocalisé, ouverte à une sémiographie universelle, dont il a cherché sans cesse la clé et le sens, fondant à travers sa figure enjouée et énigmatique sa propre légende.